Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur les défis et priorités de la politique étrangère, à New York le 22 septembre 2016.

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Circonstance : 71e assemblée générale des Nations unies, à New York (Etats-Unis) le 22 septembre 2016

Texte intégral


Merci de votre accueil.
Madame la Doyenne,
Monsieur le Professeur,
Monsieur l'Ambassadeur,
Mesdames Messieurs,
Chers Étudiants,
Chers Amis,
Je vous remercie de m'accueillir ici dans votre université de Columbia, au sein de son École d'affaires internationales et publiques.
C'est un honneur pour moi d'être là ce matin. J'ai conscience d'être dans une institution d'excellence. Les relations exceptionnelles que Columbia a établies avec la France en témoignent également. Beaucoup d'étudiants de votre université viennent en France pour une partie de leur cursus. D'ailleurs j'en profite pour vous dire que nous serions très heureux s'ils étaient encore plus nombreux. En tout cas vous êtes les bienvenus. Hier soir je présidais une cérémonie de lancement de la plateforme «France Alumni USA» et qui accueillait des anciens étudiants américains en France. J'ai profité de cette occasion pour vous dire que la France est vraiment un pays d'accueil pour les étudiants. Nous souhaitons qu'ils soient de plus en plus nombreux, et en tout cas, parmi eux, les étudiants américains.
Vous avez parlé, Madame, de la Maison Française, de votre campus. Elle a un siècle d'existence ; et votre Département de Français est un des plus prestigieux de votre pays ; et vous avez développé avec la Sorbonne, avec l'École polytechnique et Sciences Po en France un programme conjoint remarquable, que le ministère des Affaires étrangères et du développement international soutient activement. Ce programme vous l'avez rappelé s'appelle «Alliance». Eh bien «Alliance», c'est le terme que je vais utiliser comme point de départ, peut-être même idéal, pour parler de la relation franco-américaine mais aussi des relations internationales dans le monde de ce début du 21ème siècle.
Notre monde est un monde d'urgence. Un monde chaque jour plus complexe, plus instable et aussi plus imprévisible - de la Corée du Nord au Sahel en passant par l'Afghanistan et bien sûr le Moyen-Orient. L'humanité est prise d'inquiétude, et parfois même d'effroi, face à la guerre et face au terrorisme. Même si quand on regarde concrètement les choses notre humanité progresse dans beaucoup de domaines. Pour autant les changements qui interviennent surviennent à vive allure et, dans cette accélération et dans son ampleur, apparaissent aussi de nouveaux défis, que nous n'anticipons pas toujours.
Par exemple je pense à la libéralisation du commerce international. Cette libéralisation, à l'évidence, a contribué au développement économique des pays du sud. Elle a contribué au bien-être de nos sociéts industrialisées. Mais, dans le même temps, elle a aussi accéléré le creusement des inégalités de revenus, ici aux États-Unis, comme en Europe. Elle a fragilisé les classes moyennes, les plus modestes, avec des conséquences profondes sur notre vie politique. Et j'aurai l'occasion d'y revenir au cours de mon propos.
Il y a aussi un autre grand changement qui est la formidable connexion entre les hommes créée par Internet et toutes les potentialités nouvelles permises par la mise en réseau. Mais, tout ça s'est aussi accompagné d'usages malveillants, parfois criminels du Web à l'échelle globale.
Quant à la mondialisation en général, en rétrécissant les distances entre les hommes, en accélérant les échanges, elle a permis une formidable ouverture. Mais elle a aussi bouleversé les cadres traditionnels des sociétés politiques. Elle a généré, en retour, des replis identitaires, des peurs, des rejets, un attachement à un passé souvent fantasmé, voire idéalisé, comme une volonté de revenir en arrière.
Et dans des sociétés fragilisées par ces mutations, il y a l'intrusion brutale, inhumaine, du terrorisme. Et vous connaissez la suite tragique des attentats de ces dernières années en France. Bien sûr, la France est loin d'être la seule touchée. Nous avons tous commémoré, il y a quelques jours, le 15e anniversaire de l'attentat du 11 Septembre, qui a endeuillé la ville de New York et, à travers elle, endeuillé le monde entier. Le terrorisme est là. Il frappe. Il frappe Boston, il frappe San Bernardino, il frappe Orlando, il frappe Paris, il frappe Nice, il frappe Bruxelles, mais aussi Istanbul, Kaboul, Bagdad, Dacca, Abidjan. Nous connaissons le paradoxe, la majorité des victimes des attentats commis par ces gens qui se revendiquent de l'islam se trouve dans le monde musulman.
Mais nous sommes aussi la cible des terroristes car c'est nos systèmes politiques, notre mode de vie, qui sont visés. La France n'est pas tant une cible parce qu'elle prend une part active, directe ou indirecte, à la lutte contre les groupes armés terroristes - contre Boko Haram, contre les groupes du Sahel, contre Daech en Libye, contre Daech en Syrie et en Irak, contre Al Qaeda au Yémen et ailleurs. D'ailleurs un arrêt de ces campagnes ne garantirait nullement - certains le pensent- la fin des attentats sur notre sol. La France est attaquée pour ce qu'elle est, bien plus que pour ce qu'elle fait.
La France, c'est vrai, est un pays de liberté qui a organisé son droit de la religion autour du concept de laïcité. Je sais que c'est souvent une notion mal comprise en dehors de nos frontières nationales, au point même que parfois ce mot est difficile à traduire dans les autres langues que le français. Donc nous avons aussi, sans doute, à expliquer davantage ce concept qui nous est propre, me semble-t-il. Ce concept de laïcité est en France un des fondements de notre République moderne. Il garantit non seulement le caractère séculier de l'État et de l'administration, mais aussi et surtout il garantit la liberté de religion ou de conviction, y compris celle de pratiquer sa religion - toutes les religions - sans discrimination. C'est ça le socle. Et c'est donc un principe essentiel, qui est d'ailleurs largement partagé. Mais ce qui fait débat, c'est sa traduction dans le champ social. C'est vrai qu'il y a une spécificité française. Et c'est pourquoi sa mise en oeuvre évolue avec la société elle-même. Nous sommes confrontés à de nouvelles pratiques, et il faut donc, sans renier ce socle, être capable de s'adapter. Alors, quelle est la meilleure façon de s'adapter, eh bien notre système judiciaire est là pour ça, c'est une garantie pour tous les citoyens, pour les libertés. Il dit le droit et lorsqu'il y a besoin d'une interprétation, il tranche, et quand il tranche, il tranche toujours en faveur de la liberté, pour toutes les religions, sans discrimination, j'insiste bien sur ce point. C'est ça, la réalité française. J'ai ce matin l'occasion de l'expliquer un peu mieux, c'est important.. Il ne faut qu'il y ait de malentendu.
Et un des risques que nous devons éviter aujourd'hui, justement c'est que tous ces attentats ne s'accompagnent de réactions qui provoqueraient divisions et stigmatisations au sein même de nos sociétés. Et là, je parle plus que de la France, je parle de toutes nos démocraties. Sur ce terrain aussi il nous faut, plus que jamais, demeurer fidèles à nos principes. Il nous faut garder le cap de la raison. Et je veux être clair sur ce point. Pour nous, non, il n'y a pas de guerre de civilisation.
Cette mission qui est la nôtre, nous ne devons pas la prendre à la légère, car sur le terreau des inquiétudes, le terreau de la souffrance sociale et de la crainte face au chaos du monde, les populistes prospèrent partout. Ces démagogues s'inscrivent dans une tradition politique qui est ancienne, qui consiste à tenter de séduire le peuple par le simplisme mais surtout par le mensonge.
Les démagogues promettent de résoudre les problèmes du moment sans se préoccuper de la faisabilité de ce qu'ils proclament. Sans se préoccuper des conséquences de long terme, pas plus que de la compatibilité de ces mesures avec les valeurs sur lesquelles nos sociétés sont fondées. Le masque tombe quand, par malheur, ces mêmes démagogues accèdent au pouvoir. Le peuple auquel ils promettaient tant se retrouve à payer le prix de leur succès. Oui à la fin, après la victoire des populistes, il y a toujours une facture, et c'est le peuple qui l'a paie. Ou bien, quand ces populistes sont au pied du mur, confrontés à l'épreuve des responsabilités, ces démagogues disparaissent - à l'image des plus fervents tenants du Brexit, vous vous souvenez, qui laissent finalement à une partisane du «Remain» le soin de mettre en oeuvre un projet dont ils avaient soigneusement occulté la complexité.
Cette crise des démocraties représentatives, elle est aujourd'hui répandue partout dans le monde. En France, les démagogues s'en prennent à l'Europe, qui est maintenant le nouveau bouc émissaire politique, ils s'en prennent à l'immigration. Ils proposent eux aussi des remèdes illusoires. Une sortie de l'Union européenne. Une fermeture des frontières. Une remise en cause de nos droits fondamentaux au prétexte de lutter plus efficacement contre le terrorisme. Ici, aux États-Unis, la campagne présidentielle que nous suivons attentivement, je tiens à vous le dire, en France comme dans le reste du monde, montre que les États-Unis ne sont pas épargnés par ce populisme.
Alors, face à ce monde chaotique et dangereux, face aux fausses solutions, comment réagir ? Oui, comment réagir, c'est la question.
Le premier impératif c'est de ne céder ni à l'affolement, ni à la tentation du chacun pour soi. Nous avons, à l'occasion de la crise financière de 2008, réussi à garder les frontières ouvertes. Et si l'on songe au précédent des années 1930 et à la guerre qui a suivi la crise, c'est un progrès notable. Alors que les normes sont mises en cause, il nous faut sans relâche réaffirmer l'importance du droit international. L'importance des valeurs qui sous-tendent le système des Nation Unies, en particulier les droits de l'Homme. Dans une phase de turbulences, il importe d'autant plus de garder le cap et de ne pas abandonner nos principes.
Dans le monde d'aujourd'hui, nos politiques étrangères comme nos politiques internes doivent être intelligibles et lisibles par les peuples, par nos peuples. Il faut donc s'en rapprocher, pour mieux les comprendre et mieux s'en faire comprendre. Et en même temps, nous ne devons pas abandonner notre éthique de responsabilité. C'est la responsabilité des hommes et des femmes qui gouvernent et qui prétendent gouverner d'assumer aussi leurs missions. Ce que nos populations expriment souvent, c'est un besoin de protection. Une besoin de protection face aux risques et aux incertitudes. Et cette demande est parfaitement légitime. Ce serait une erreur de la regarder de loin, ou de la regarder de haut. Il faut l'entendre. Mais nous devons, dans la recherche de réponses, être attentifs à ne pas choisir les voies du repli, celles qui conduiraient par exemple à fermer les frontières, à bâtir des murs pour rester entre soi et considérer l'autre comme une menace, à réfuter l'existence d'une communauté de destin de l'humanité. Oui, la peur des autres, dans notre histoire, il ne faut jamais l'oublier, a parfois mené à leur négation. Et si nous oublions cela, alors effectivement nous faisons une grave erreur et nous prenons une immense responsabilité.
Face aux désordres de la mondialisation, un besoin de réhabiliter la nation peut exister. Souvent, il s'exprime, ce besoin. Mais ce n'est pas forcément une mauvaise chose. La nation c'est un socle essentiel, bâti sur une longue histoire, c'est le fondement d'un ordre possible à l'échelle du monde - et je me revendique moi-même comme patriote. D'ailleurs les Américains sont patriotes, quelle que soit leur origine. Ce n'est pas un défaut. C'est plutôt à la fois une fierté et c'est plutôt une chance.
Mais les nations ne peuvent pas tout, toutes seules. L'isolement est un leurre comme l'est l'illusion d'une souveraineté sans partage. Il aura fallu aux nations européennes les bouleversements de deux conflits mondiaux, mais aussi, je tiens ici à le dire, l'aide des États-Unis, pour que l'idée d'intégration européenne prenne enfin corps avec le soutien de tous ceux qui croyaient en la liberté. C'est cela l'histoire européenne. Elle est récente, cette histoire européenne. Et elle s'est construite après de grandes tragédies.
Les organisations régionales et le système multilatéral peuvent et doivent contribuer justement à répondre à ce besoin de protection des peuples. Il faut réaffirmer cela, au moment où justement, ce qui pourrait être à la mode, c'est le nationalisme. Mais il ne faut pas confondre le nationalisme avec le patriotisme.
Je suis à New York pour l'Assemblée générale des Nations Unies. C'est vrai que cette organisation parfois déçoit, par exemple lorsque le Conseil de sécurité est bloqué alors que des enfants, des femmes, des hommes meurent par centaines de milliers et souffrent par millions, je pense en particulier à la Syrie en ce moment. Mais en même temps nous ne devons pas oublier le cadre de la gouvernance mondiale qu'offre l'Organisation des Nations Unies - je pense à ses opérations de maintien de la paix, à la coordination qu'elle permet en matière de santé ou d'alimentation, à la réponse au changement climatique qu'elle favorise. L'Organisation des Nations Unies est la seule instance où sont représentés l'ensemble des pays de la planète. Or, à nombre des défis auxquels nous faisons face, il n'existe pas de réponse individuelle, qu'il s'agisse des pandémies, qu'il s'agisse des crises régionales ou du changement climatique. Nous avons besoin de cette organisation, malgré ses défauts.
Le deuxième impératif, c'est de continuer à agir. Agir sans relâche. Agir même lorsque la solution n'apparaît pas immédiatement à portée de main. Dans les prochains mois, la France poursuivra ses efforts pour lutter contre le terrorisme, c'est-à-dire pour continuer à faire reculer Daech en Syrie, en Libye, en Afrique, partout où ces marchands de mort se sont installés. Nous ferons tout, avec nos alliés, avec les États-Unis, pour gagner la guerre. Mais encore faut-il aussi se préparer à gagner la paix ensuite. Je veux dire que les processus politiques, même s'ils sont difficiles, sont nécessaires pour rétablir la stabilité de ces régions. Il ne suffit pas de conquérir une ville pour ensuite imaginer que tout va bien se passer. Il faut construire un projet politique qui sera inclusif. Et nous devons sans attendre nous y atteler, afin de ne pas découvrir trop tard que sans solution politique, la paix ne peut prévaloir. Je reviens d'une réunion sur la Libye, et nous avons là un exemple concret. Les frappes aériennes, la mort du dictateur, et le chaos. Et le terrorisme qui prospère. Il faut à chaque fois avoir une réflexion collective et une réponse politique.
Au Proche Orient, la France a pris l'initiative de relancer un processus en vue d'établir une paix durable entre Israël et la Palestine, c'est-à-dire remettre à l'agenda international ce qui finit par être oublié : la perspective de deux États, Israël et Palestine, qui vont côte à côte en paix et en sécurité. Je suis tout à fait conscient du défi. Fallait-il attendre que tout le reste soit réglé pour enfin revenir à cette question qui crée tant de malheur, tant de souffrance, et tant de haine aussi, et de violence ? Je suis convaincu d'une réalité : il n'y aura pas de paix dans cette région sans un règlement de ce conflit, car ce conflit alimente la violence, il alimente le ressentiment il alimente la radicalisation. Le soutien de Washington à cette initiative est évidemment crucial. Nous en parlons souvent avec John Kerry.
La France continuera aussi, avec ses moyens diplomatiques et militaires, à contribuer au maintien ou au rétablissement de la paix dans les régions en crise. En Europe, je pense bien sûr à l'Ukraine, dans le cadre de ce qu'on appelle le format Normandie -c'est-à-dire avec l'Allemagne et la France - Sur le continent africain, je pense aussi au bassin du lac Tchad, au Sahel, ou à la Corne de l'Afrique. Nous avons pu progresser ces derniers temps, même s'il y a encore beaucoup de problèmes devant nous.
Le troisième impératif, c'est de renforcer la solidarité entre les peuples. La France a décidé en ce qui la concerne l'année dernière d'accroître son aide au développement. Cette décision se traduit par une augmentation de 4 milliards d'euros supplémentaires par an d'ici 2020, dont la moitié sera réservée au climat. À titre national, comme au sein de l'Union européenne, qui fournit plus de la moitié de l'aide au développement dans le monde et en particulier à l'Afrique, nous nous engagerons davantage sur ces questions, qui sont aussi, pour nous tous, des questions de sécurité à long terme.
Mais au-delà du développement durable, nous entendons aussi maintenir, en dépit des contraintes budgétaires, notre action culturelle. Non seulement dans l'espace francophone, mais aussi partout dans le monde. Dans le contexte d'une montée de la xénophobie, ces échanges culturels et humains sont plus nécessaires que jamais. Ils contribuent véritablement à une meilleure compréhension mutuelle. Et c'est par la connaissance de l'autre que le repli n'est plus une tentation.
Mesdames, Messieurs, Chers Amis, collectivement, nous ne sommes donc pas démunis ou impuissants. L'accord de Paris sur le climat l'illustre tout à fait, comme les autres succès de nos interventions. Je pense à la restauration de la paix au Mali, ou les progrès sur le terrain contre Daech, que j'ai déjà évoqués.
Mais d'autres évolutions sont aussi porteuses d'espoir. La démocratie s'installe enfin en Birmanie ; nous devons l'aider autant que nous le pouvons. L'accord de paix en Colombie : qui aurait pu penser possible qu'on puisse mettre fin à cette guerre civile si terrible et si longue. Eh bien pourtant c'est la voie de la négociation qui l'emporte. C'est important de le saluer. D'ailleurs, symboliquement hier, le président Santos de Colombie est venu au début de la réunion du conseil de sécurité apporter les documents qui concrétisent cette signature d'un accord de paix. Donc la Colombie, comme la Birmanie, a besoin de notre soutien. Bien sûr, il lui est acquis, pleinement acquis. Le développement économique porte aussi ses fruits depuis plusieurs années en Inde, cet immense pays, au Bangladesh ou encore en Afrique. Nous n'avons pas de raisons de laisser le pessimisme nous envahir.
Alors, puisque nous avons les moyens d'agir et si nous le voulons, que devons-nous faire, ensemble, avec les États-Unis, dans les mois et les années à venir et notamment après vos élections présidentielles ?
D'abord, ce que je voudrais dire, c'est que nous avons vraiment bien travaillé avec le Président Obama et son administration. Nous partageons un grand nombre de convictions progressistes. Avec les Secrétaires d'État, Hillary Clinton puis John Kerry, nous avons maintenu une coopération très étroite. Nous nous parlons souvent et nous nous voyons souvent. Et nous sommes souvent ensemble dans des réunions. C'était encore le cas ce matin sur la Libye, ce sera encore le cas cet après-midi pour la Syrie. Certaines de nos réussites sont récentes et elles tiennent à cette coopération. Je vais prendre deux exemples : c'est l'accord sur le nucléaire iranien ou encore l'accord de Paris, que j'ai mentionné plusieurs fois, sur le climat.
Notre souhait, c'est que les États-Unis continuent à occuper leur place dans les relations internationales et continuent à défendre avec nous des valeurs et des principes que nous partageons dans le domaine de la paix, dans le domaine de la démocratie et des droits de l'Homme. Je le dis car je sais combien cette responsabilité internationale est actuellement débattue ici, aux États-Unis, pendant cette campagne électorale que nous suivons très attentivement. Vraiment, nous nous sentons concernés par le choix que fera le peuple américain. En défendant la paix partout dans le monde, je dis bien la paix, en fait les États-Unis se défendent eux-mêmes. C'est un point commun que nous avons entre nos deux nations et cela, je dois le dire, de très longue date.
Nous espérons également que les États-Unis resteront engagés dans une approche multilatérale et collective des problèmes du monde, une approche qui passe par le débat aux Nations Unies et dans les autres instances de la gouvernance mondiale. Cette approche contribue à la recherche du consensus sur les grands enjeux communs, qu'il s'agisse de combattre le terrorisme, de lutter contre le changement climatique, de réguler la mondialisation ou de ramener la paix dans les zones de conflit.
Et l'Union européenne, pour sa part, restera un acteur central, un acteur engagé du partenariat transatlantique. Je ne sous-estime pas l'impact du Brexit, qui pèse surtout sur le Royaume Uni. Mais je profite de cette rencontre avec vous pour vous faire une recommandation. C'est de ne pas vous laisser, j'allais dire, trop impressionner par cette décision du peuple britannique. Il ne faut pas la laisser surdéterminer votre analyse de la situation en Europe. Nous avons surmonté d'autres crises. Nous voulons que la discussion formelle, la négociation, s'engage rapidement entre Londres et les 27 autres membres de l'Union Européenne. Il faut limiter cette période d'incertitude ; elle est néfaste pour tout le monde. Mais, chacun souhaite aussi que le résultat de la négociation préserve autant que possible les intérêts des deux parties. Et en ce qui concerne la France, elle conservera avec le Royaume Uni une relation étroite dans tous les domaines, y compris dans celui de la défense et de la sécurité. Mais, c'est vrai, dans une relation qui sera différente avec l'Europe.
Surtout, l'ambition de la France est que l'Union à 27 soit plus forte que celle des 28 moins 1. C'est un défi, c'est vrai, mais dans cette perspective, l'Europe doit se concentrer sur un certain nombre de priorités qui répondent à l'urgence et à la demande des peuples européens. Protéger les frontières extérieures de l'Europe. Contrôler son territoire face aux menaces. Donner une nouvelle impulsion à la défense européenne. Doubler le plan européen d'investissement en faveur du modèle de croissance par l'investissement dans les industries de demain. Renforcer la justice sociale et l'équité fiscale. Amplifier les programmes pour la mobilité et l'emploi des jeunes. Ce sont les priorités que nous devons nous fixer et qui doivent se traduire en consensus politique et en actions concrètes, et qui seront de nature à redonner confiance aux citoyens européens qui doutent de l'Europe et de son efficacité. C'est quand elle apparait moins efficace que les peuples s'en détournent.
Mais je vous le dis franchement, l'Europe demeurera cet ensemble extraordinaire de 450 millions d'habitants, qui est la première économie mondiale, qui est le premier pourvoyeur d'aide au développement. Et l'Europe, l'Union Européenne restera un grand partenaire des États-Unis, y compris dans le domaine économique. De ce point de vue, la perspective d'un accord de partenariat sur le commerce est débattue en Europe, mais elle est débattue aussi aux États-Unis. Et oui, il n'est pas question de fermer nos portes, je l'ai dit tout à l'heure. Nous ne sommes pas opposés à un accord de partenariat sur le commerce et les investissements. Cette question reste ouverte, nous l'avons bien fait avec le Canada, pourquoi pas avec les États-Unis. Mais il y a des conditions à remplir : il faut que la négociation soit équilibrée et que les concessions qui seront faites soient également réciproques et bénéfiques à chacun. Il faut une vraie réciprocité. Sinon, le doute s'installe, et c'est le rejet qui préside. Et sans cela, il ne peut y avoir de traité transatlantique. Je crois que cette approche finit par progresser, même si ce n'est pas facile. Mais en tout cas voilà, c'est notre conception, la position que la France exprime, en toute simplicité et en toute transparence. Parce que la transparence, nous la devons aux peuples. C'est quand les négociations de ce type manquent de transparence que le doute s'installe et que les préjugés ou les malentendus, voire la désinformation, prospèrent. Il faut en être conscient. Donc il y a aussi des modes de négociation à changer.
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
Nous devons, ensemble, résister. Résister au fatalisme et au défaitisme. Ne perdons confiance ni face au terrorisme, ni face aux tentatives d'ériger l'autocratie en modèle alternatif à la liberté et à la démocratie, ni face aux théories simplistes des démagogues. La démocratie, les droits de l'Homme, le bénéfice d'une société ouverte et libre, tout cela demeure l'aspiration commune des peuples du monde. Soyons-en conscients, même si aujourd'hui cette conception est menacée et en danger. Et c'est cela qui doit nous inspirer : résister pour construire ensemble. Je crois que c'est cela notre mission. Et notre mission, c'est d'agir ensemble. Vous, en particulier, la jeunesse américaine, comme la jeunesse française, qui, à travers vos études et vos échanges, aurez demain la responsabilité aussi d'exercer vos compétences dans le domaine politique, dans le domaine économique, dans les entreprises, dans les organisations publiques ou non-gouvernementales. Nous comptons sur vous, mais vous pouvez aussi compter sur nous, c'est-à-dire sur notre franchise à aborder en face les défis d'aujourd'hui sans jamais renoncer à ce que nous sommes, c'est-à-dire des défenseurs de la liberté, de la démocratie et des droits de l'Homme.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 septembre 2016