Texte intégral
ELIZABETH MARTICHOUX
Bonjour Jean-Jacques URVOAS.
JEAN-JACQUES URVOAS
Bonjour.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci d'être avec nous. Vous avez donc présenté votre plan de lutte contre la surpopulation carcérale hier, on va évidemment en reparler dans le détail. Mais d'abord je voudrais vous entendre sur le cas révélé ce matin par RTL, le cas d'un détenu suspecté de radicalisation, qui est à la prison de Nancy, et qui après une erreur de l'administration s'est retrouvé avec entre ses mains un listing des gardiens chargés de le surveiller avec leurs noms, évidemment ce qui les expose dans un climat pour eux déjà de grande inquiétude. Est-ce que vous étiez au courant et comment ce bug a-t-il pu se produire ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non je ne suis pas au courant, je vais être honnête avec vous. Il y a 68 800 détenus aujourd'hui dans nos prisons, je ne suis évidemment pas au courant de tout ce qui se passe au quotidien, j'ai entendu tout à l'heure en venant chez vous ce dossier, je me suis simplement renseigné très rapidement, je crois qu'il était incarcéré à Nancy, il est aujourd'hui incarcéré à Metz ; cela fait partie des éléments qui nous permettent de dire que d'une part les mesures de protection des personnels qui peuvent être effectivement mis en danger en raison de la diffusion de leurs noms ont immédiatement été prises, c'est-à-dire que comme le détenu a été changé de lieu d'incarcération il a dorénavant affaire à des personnels qui sont différents ; cela nous montre aussi qu'il faut en permanence que nous renforçons nos systèmes internes. Parce que nous avons besoin de renseignement, de renseignement pénitentiaire
ELIZABETH MARTICHOUX
Ce que à quoi d'ailleurs Christiane TAUBIRA s'était opposée en son temps, vous vous voulez renforcer, ça fait partie de votre plan ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Moi j'ai toujours été un militant de la construction de cet outil, parce que je le crois indispensable à la protection d'une part des personnels qui servent dans la détention, mais aussi et surtout de la citoyenneté, puisque les agressions il en existe tous les jours en détention ; et d'ailleurs c'est l'une de mes préoccupations.
ELIZABETH MARTICHOUX
Là vous parlez des agressions entre détenus et les agressions entre détenus et les surveillants.
JEAN-JACQUES URVOAS
Malheureusement. Là je vous parle des agressions de détenus sur des surveillants, il y en a eu 4000 l'année dernière. Au 1er août de cette année il y en a eu 2500, ce qui veut dire que nous avons une accentuation du phénomène ; cela veut donc dire, mais la surpopulation en est pour l'essentiel la responsable puisque la surpopulation détruit tout, pour les détenus comme les surveillants. Moi j'ai besoin d'avoir une administration ou les personnels puissent travailler en toute sérénité et donc le système du renseignement pénitentiaire était déficient.
ELIZABETH MARTICHOUX
On va revenir, mais pour être précis d'abord vous n'étiez pas au courant, vous êtes évidemment étonné que ce bug puisse se produire, j'imagine, vous allez ouvrir une enquête ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Je vais évidemment trouver les renseignements. Vous me permettrez néanmoins de dire que je prends vos informations avec la prudence nécessaire .
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous allez vous-même mener votre enquête ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Je vais demander quelle est la version du chef d'établissement, des personnels qui sont concernés. J'ai à mon cabinet 3 personnes qui suivent les dossiers pénitentiaires au quotidien et donc nous ferons en sorte évidemment qu'il y ait des suites à tout cela et surtout nous prendrons des mesures pour que s'il y a eu des failles elles soient comblées.
ELIZABETH MARTICHOUX
Les surveillants sont très exposés, c'est une de vos préoccupations, vous l'avez dit, d'autant plus qu'à Osny il y a eu cette attaque terroriste qui a été extrêmement violente à l'encontre d'un gardien
JEAN-JACQUES URVOAS
Une tentative de meurtre.
ELIZABETH MARTICHOUX
Une tentative de meurtre. Comment mieux les protéger, c'est votre souci. Déjà physiquement, ces gardiens ils sont parfois dans des tenues, j'allais dire, ordinaires. Est-ce qu'il n'y a pas déjà une nécessité de mieux les protéger de ce point de vue là.
JEAN-JACQUES URVOAS
Les gardiens sont demandeurs d'une évolution de ce sujet, et sans doute faut-il effectivement y réfléchir. Moi je les ai réunis fin juillet, nous avons bâti ce que nous avons appelé un séminaire-métier dans lequel nous avons décidé de mettre en chantier 4 sujets : la sécurisation des bâtiments mais la protection des personnels est l'un par exemple ; nous avons posé sur la table sujet de l'armement des personnels pour une raison toute simple
ELIZABETH MARTICHOUX
Qu'est-ce qu'ils ont pour l'instant à leur disposition ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Ca dépend de la tâche qu'ils exercent dans la détention. Mais par exemple pour être très concret, la protection des bâtiments de l'administration pénitentiaire dépend de la police et de la gendarmerie. Or, l'un de nos sujets c'est les projections qui viennent de l'extérieur. On fait rentrer en détention par des jeteurs, des personnes qui sont à l'extérieur et qui font rentrer, si un surveillant de prison voit les jeteurs en question, il ne peut pas les interpeller et donc nous allons sécuriser, j'ai demandé que nous regardions comment nous pouvons prendre la responsabilité
ELIZABETH MARTICHOUX
Des pouvoirs étendus.
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, pour aller plus vite. Parce que quand nous voyons nous
ELIZABETH MARTICHOUX
Pour revenir sur la question de l'armement, ils sont parfois armés .
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, il peut y avoir que ceux qui font des transfèrements, c'est-à-dire justement ce détenu qui est passé d'une détention à l'autre, quand nous avons une transformation judiciaire pour aller dans les tribunaux, les ERIS, qui sont nos équipes régionales d'intervention sont armées. Donc il y a des différences de statut et nous allons discuter de cette question de l'armement.
ELIZABETH MARTICHOUX
A propos de l'exposition des surveillants, dites moi si je me trompe, est-ce que vous avez entendu parler de cas de surveillants qui au contact de détenus radicalisés se sont eux-mêmes radicalisés ?
JEAN-JACQUES URVOAS
C'est des sujets qui ont été évoqués.
ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que vous avez eu des remontées de cas ?
JEAN-JACQUES URVOAS
J'ai eu des cas sur lesquels nous avons pris évidemment les mesures adaptées. J'avais eu l'occasion d'en parler à l'Assemblée nationale des sanctions, des éloignements
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais est-ce que quelques cas, une poignée, une dizaine, en-dessous de dix, quelques uns
JEAN-JACQUES URVOAS
C'est infiniment minoritaire, mais suffisamment
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais c'est un risque qui existe.
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais suffisamment réel pour que nous puissions effectivement en parler dans le cadre de la politique de ressources humaines. Vous savez nous recrutons énormément dans l'administration pénitentiaire, c'est l'un de mes honneurs d'ailleurs, puisque l'année dernière nous avons recruté 2100 personnels, l'année prochaine nous en recruterons 2500 et donc cela veut dire qu'il faut que nous élevions le niveau d'exigence vis-à-vis de ceux qui sont candidats à nos examens.
ELIZABETH MARTICHOUX
1400 détenus radicalisés dans nos prisons, beaucoup sont plusieurs en cellule, elles sont sonorisées ces cellules ? Il n'en a pas été question, vous ne le souhaitez pas ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non. Parce que je ne veux pas mettre la charrue avant les boeufs. Ce sont justement des questions qui relèvent du renseignement pénitentiaire, les outils de technique du renseignement seront posés quand je serais en capacité de présenter ce que sera à la fin de l'année le bureau du renseignement pénitentiaire.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ils sont 90 à être dans des unités, ces cinq unités d'expérimentation de déradicalisation, où est-ce que vous allez avec ces expériences, et comment est-ce que vous allez mesurer l'efficacité, est-ce que finalement c'est une expérience, donc vous tâtonnez ? Vous avez un objectif établi, chiffré ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais bien sur, je préfère tâtonner que d'être accusé de ne rien faire, parce que nous avons là aussi ce sont des sujets très récents - il n'y a d'ailleurs même plus 90 personnes dans les unités de prévention de la radicalisation, elles ne sont plus que 81, parce que nous en avons enlevées 4 il y a quelques jours, puisque nous avons repéré une tentative d'organisation qui était destinée à déstabiliser l'établissement dans lequel nous étions et donc nous avons éclaté ce noyau de façon à avoir les mesures adaptées. Qu'est-ce que je fais avec les unités ? Deux choses. D'abord j'essaye de les évaluer, les évaluer ça demande un peu de temps, ce sont des
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous avez commencé ? Vous essayez de les évaluer ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui. Parce que pour évaluer il faut qu'elles aient un peu agi. Comme elles ne sont en place que depuis huit mois on a donc considéré
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous pensez avoir un recul nécessaire quand pour pouvoir vraiment tabler
JEAN-JACQUES URVOAS
Madame, le problème est urgent, mais je ne veux pas agir avec précipitation, parce que les organisations syndicales, qui ont bien raison, quand nous avons crée les unités en question ont regretté la précipitation. Donc si nous avons été précipités dans la création nous ne le serons pas dans l'évaluation.
ELIZABETH MARTICHOUX
On parle de surpopulation et justement on a découvert à cette occasion qu'il y a des places vacantes par centaines dans les prisons. Il y a 2300 cellules vides dans les centrales. Ca parait absurde puisqu'il y a 2000 détenus qui s'entassent sur des matelas
JEAN-JACQUES URVOAS
1515 oui.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ca n'est pas possible avec un peu d'imagination de l'administration pénitentiaire de les utiliser ? Par exemple les radicalisés, pourquoi vous ne les mettez pas
JEAN-JACQUES URVOAS
Ne mélangez pas tout. Ne mettez pas toujours les radicalisés à toutes les sauces, mon problème est un problème de surpopulation, j'ai 68 000 détenus, j'ai 58 000 places. Toutes les maisons ne se valent pas, vous savez il y a les établissements pour condamnés, au-delà de
ELIZABETH MARTICHOUX
Ce qu'on appelle les centrales.
JEAN-JACQUES URVOAS
Les centrales, les maisons centrales, mais vous avez aussi des établissements pour peine, vous avez des centres de détention, des maisons d'arrêt. Les places vides que vous évoquez ce sont des places dans des établissements pour condamnés, et bien souvent la surpopulation elle est dans les maisons d'arrêt où il y a des détenus qui sont
ELIZABETH MARTICHOUX
Justement, il y a des couloirs, des coursives, est-ce qu'on ne peut pas imaginer quand même de les faire cohabiter
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais non, malheureusement l'apparence de simplicité se fracasse contre la réalité du droit, donc j'ai annoncé hier que ces places qui sont vides dans les maisons centrales je vais les déqualifier juridiquement de façon à pouvoir incarcérer dans ces endroits des personnes qui sont condamnées mais pour moins longtemps que celles qui étaient évoquées.
ELIZABETH MARTICHOUX
Eh bien voilà. On parle d'imagination de l'administration pénitentiaire, parfois effectivement ça marche. Ça fait vingt ans Jean-Jacques URVOAS qu'on voit des images de détenus entassés dans 6M2, et vous décrétez hier
JEAN-JACQUES URVOAS
Ca fait bien plus que ça.
ELIZABETH MARTICHOUX
Hier - vingt ans, c'est une façon de parler - tout à coup à huit mois de présidentielle vous décrétez que l'objectif c'est lancer l'encellulement individuel, bon, bref une cellule individuelle pour 80 % des détenus. Mais est-ce que ça a un sens, est-ce que c'est réaliste ? Est-ce que vous ne pourriez pas déjà nous promettre que tous les détenus dangereux soient seuls dans des cellules ?
JEAN-JACQUES URVOAS
J'ai l'honneur d'être Garde des Sceaux depuis sept mois et 25 jours. Et j'ai décidé que je ne parlerai pas au futur, je parle au présent. Donc je dis ce que je fais.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ce n'est pas au présent parce que ces 80 % c'est l'encellulement individuelle c'est pour 2025.
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui parce que l'encellulement individuel il est dans le code pénal depuis 1875, et ne me demandez pas de régler en quelques mois ce que des siècles n'ont pas fait. Ce que je fais c'est que je vais consacrer toute mon énergie à faire en sorte que la représentation nationale, c'est-à-dire l'Assemblée nationale et le Sénat, la droite et la gauche, puissent partager ce diagnostic de façon à ce que la prochaine législature puisse voter une loi de programmation, parce que les prisons vous ne les construisez pas en quelques jours.
ELIZABETH MARTICHOUX
Non, au moins huit ans. Mais parmi les réactions hier à votre plan, la droite dénonce des décisions qui arrivent trop tard, vous pouvez difficilement le nier ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais, je ne contribuerai pas à cette simplification, parce que si je voulais être aussi manichéen que ceux qui ont écrit ça, je dirais que quand la droite a promis des prisons en 2011 elle n'avait pas mis 1 euro pour les financer et que le travail de la gauche a été de financer les prisons qu'ils avaient décidées. Et je ne veux pas laisser moi à mon successeur des trous ou des béances
ELIZABETH MARTICHOUX
55 000 places de prison en 2007, 7000 de plus en 2012 ; entre 2012 et aujourd'hui il y a en solde net 900 places de plus dans les prisons.
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, je ne crois pas que ces chiffres soient justes. Il suffit que vous lisiez le rapport que j'ai travaillé pendant cet été et vous verrez d'abord que depuis les ministres Albin CHALANDON en 1986, l'immobilier carcéral a toujours été en deçà de ce qui était annoncé par les dits ministres. Et donc je ne suis pas un ministre qui fait des annonces, je suis un ministre qui agit.
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous avez 1 milliard 100, c'est fait, Michel SAPIN l'a dit hier, c'est arbitré.
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, non, le Premier ministre est le seul capable de donner les éléments, j'ai simplement dit
ELIZABETH MARTICHOUX
Michel SAPIN a mis la charrue avant les boeufs.
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, j'ai dit simplement quels étaient mes besoins, je vais confiance au gouvernement en sa collectivité.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci beaucoup Jean-Jacques URVOAS d'avoir été notre invité ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 septembre 2016