Interview de Mme Juliette Méadel, secrétaire d'Etat à l'aide aux victimes, à Europe 1 le 19 septembre 2016, sur l'hommage de la République à toutes les victimes du terrorisme aux Invalides.

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Circonstance : Date anniversaire de l'attentat perpétré contre un DC10 d'UTA au-dessus du Niger en 1989, qui avait causé 170 morts, dont 54 Français

Média : Europe 1

Texte intégral

JULIE LECLERC
« L'interview vérité ». Thomas, vous recevez ce matin Juliette MEADEL, secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargée de l'Aide aux victimes.
THOMAS SOTTO
Les victimes des attentats auxquelles la France va rendre hommage ce matin aux Invalides, en présence du chef de l'Etat, des victimes survivantes et de leurs proches. Bonjour Juliette MEADEL.
JULIETTE MEADEL
Bonjour.
THOMAS SOTTO
Quel sens, vous et les associations de victimes, voulez-vous donner à cette journée ?
JULIETTE MEADEL
C'est un hommage, un hommage de la République à ce qu'elles ont vécu, d'abord, elles, individuellement, leurs proches dans leur chair, et c'est un hommage à cette fraternité que nous voulons porter tous ensemble. Je suis frappée, parce que, quand on discute avec des victimes ou des associations de victimes, je n'ai jamais entendu le moindre message de haine, y compris à l'égard des auteurs de l'infamie. Jamais. Elles sont au contraire dans l'idée maintenant de se rassembler, de travailler, de les aider, et c'est ça qui m'a frappée. Donc aujourd'hui c'est ça, c'est un message de fraternité.
THOMAS SOTTO
Alors, cette journée du 19 septembre, qui correspond en fait à la date anniversaire de l'attentat qui en 89 avait visé un DC10 d'UTA au-dessus du Niger, il y avait eu 170 mort, dont 54 Français, cette journée du 19 septembre a-t-elle vocation, Juliette MEADEL, à devenir une journée de commémorations nationale, récurrente, dans le calendrier ?
JULIETTE MEADEL
Le choix d'une journée unique, franchement, ne répond pas aux besoins des victimes. Pourquoi ?
THOMAS SOTTO
Donc, c'est non.
JULIETTE MEADEL
Il n'y a jamais deux victimes qui se ressemblent, il n'y a jamais deux attentats qui se ressemblent, il n'y a jamais deux drames qui se ressemblent. Regardez, il y aura aussi un hommage à Nice, qui se déroulera à Nice, eh bien il est irréductible à ce que les victimes de Nice ont vécu, et les victimes, par exemple, puisque vous parliez du DC10 UTA, n'ont pas, elles, le même besoin d'hommage que celles de Nice. Donc, moi je considère qu'il n'y a pas...
THOMAS SOTTO
Mais comment faire, pour ne pas les oublier, ces victimes du terrorisme, avec le temps ? Faut-il, je ne sais pas, certains disent qu'il faut leur faire une place sur des monuments aux morts. Est-ce que c'est une bonne idée, ça ?
JULIETTE MEADEL
Tout ce qui peut permettre la reconnaissance de l'Etat, la reconnaissance de la puissance publique, la reconnaissance de la République, est bon à prendre. Moi je considère en la matière qu'il n'y a pas de réponse monolithique, et c'est ça aussi que nous essayons de faire, c'est de répondre à l'ensemble des demandes, en considérant que chaque drame est irréductible et que chaque victime est unique.
THOMAS SOTTO
Vous nous confirmez que les associations de victimes ont été reçues discrètement à l'Elysée samedi ?
JULIETTE MEADEL
Il y a des échanges en permanence. Pourquoi ? Parce que le rôle...
THOMAS SOTTO
Mais elles ont été reçues samedi à l'Élysée, il y a eu un rendez-vous samedi ?
JULIETTE MEADEL
Le rôle de la puissance publique c'est d'écouter, c'est d'entendre et c'est d'apporter les réponses au plus près des besoins. Vous savez ce que nous faisons en France ? C'est du sur-mesure. Alors, évidemment, on ne réussit pas toujours, et après un drame d'une telle nature, la question n'est pas : est-ce que l'État peut tout ? L'Etat fait tout ce qu'il faut pour que chacun puisse progressivement retrouver le gout de vivre, chacun puisse progressivement réparer son petit moteur, et que l'Etat soit là où il doit être, c'est-à-dire comme un accompagnateur et comme quelqu'un qui facilite le retour à une vie normale.
THOMAS SOTTO
Il y a eu une réunion à l'Élysée samedi ?
JULIETTE MEADEL
Il y a des échanges qui se déroulent en permanence tout le temps. Moi je les reçois...
THOMAS SOTTO
Parce que peut-être, elles se disent déçue les associations, elles attendent des réponses...
JULIETTE MEADEL
Moi je les reçois, moi je les rencontre, c'est mon rôle, le rôle de la puissance publique c'est de répondre. D'ailleurs j'ai mis en place une méthode de travail où nous les mettons, nous mettons les associations de victimes, mais aussi les victimes que nous rencontrons, au coeur de la politique que nous mettons en place. Le chef de l'Etat et le Premier ministre sont particulièrement sensibles à leurs demandes, et la reconnaissance de la République et de la Nation qui va s'exprimer aujourd'hui, a précisément vocation à répondre à leurs demandes.
THOMAS SOTTO
Alors, elles ont notamment des questions sur le statut de victime, pour les victimes de Nice, les victimes indirectes, comme on dit, impliquées, sachant qu'il y avait 30 000 personnes sur la Promenade des Anglais, que pouvez-vous leur dire ce matin, à ces personnes-là, qui n'ont pas été blessées physiquement, parfois psychologiquement, qui sont peut-être en dehors du périmètre qui a été établi, parce qu'à un moment il faut bien fixer des règles, est-ce que vous pouvez leur dire quelque chose à ces victimes-là ?
JULIETTE MEADEL
Les victimes blessées psychologiquement, sont des victimes qui seront indemnisées, il n'y a aucun doute là-dessus.
THOMAS SOTTO
Quelle que soit la distance à laquelle elles se trouvaient du camion, à Nice par exemple ?
JULIETTE MEADEL
Il est naturellement attendu qu'elles étaient sur le trajet du camion, bien sûr, c'est aussi ça. Si on reconnait que 30 000 personnes, même à 2 km du camion ont été victimes, c'est dévaloriser celui qui a eu une réelle souffrance, mais je ne m'inquiète pas beaucoup, je crois qu'il n'y aura pas de tentative de fraude, c'est ça qui est aussi frappant, et c'est aussi ça la journée d'aujourd'hui que l'on ressent.
THOMAS SOTTO
Donc vous ferez vraiment du cas par cas, en essayant d'écouter chacun.
JULIETTE MEADEL
On fait du cas par cas, mais je n'ai aucun doute sur le fait que personne ne cherchera à frauder, et il est naturel que l'on réserve l'indemnisation et l'on réserve la protection de la vie, pour les victimes, à ceux qui ont été réellement en situation d'être menacés.
THOMAS SOTTO
Parce que ce statut de victime, évidemment, ouvre des droits, la prise en charge, etc., ça facilite un peu toutes les démarches et tout ce qui est extrêmement douloureux.
JULIETTE MEADEL
Il n'y a pas, enfin, il n'y a pas de statut en soi, simplement des personnes qui ont subi un drame, un préjudice, et que l'on veut aider.
THOMAS SOTTO
Mais, est-ce qu'il faut justement, alors, créer ou recréer un statut de victime, ce que demande Nicolas SARKOZY, par exemple ?
JULIETTE MEADEL
Il n'est pas nécessaire de créer un statut. Le statut en soi n'existe pas. Le droit est là pour faire ce qu'il faut.
THOMAS SOTTO
Il est suffisant.
JULIETTE MEADEL
Il y a un fonds, il y a le ministère de la Santé par exemple, qui a prévu la prise en charge gratuite des frais de santé, il y a aussi notre action, c'est-à-dire que nous, nous agissons pour aider certains à avoir un logement, quand ils sont devenus handicapés et qu'ils ne peuvent plus venir dans leur logement. L'Etat, tous les services publics se sont mis en mouvement, et ça se fait au plus près de leurs besoins, donc un statut monolithique, ce n'est pas nécessaire.
THOMAS SOTTO
Ce n'est pas nécessaire. Certains s'émeuvent de voir sur les victimes de l'Hyper Cacher et de Charlie n'ont pas été conviées aujourd'hui. Est-ce qu'il y a une raison à cela ? Est-ce que c'est un raté, est-ce que... ?
JULIETTE MEADEL
Ce sont les associations de victimes, vous savez, qui ont organisé la cérémonie, qui ont fait aussi avec leurs moyens, c'est-à-dire qui ont envoyé les invitations. Nous, nous souhaitons que toutes les victimes soient invitées. Nous avons aidé...
THOMAS SOTTO
Donc vous regrettez leur absence aujourd'hui.
JULIETTE MEADEL
Eh bien oui, nous avons aidé pour que tout le monde y soit, mais elles ont été invitées, même si c'est dans les dernières heures, mais elles ont pu être invitées, contactées. Moi, ce que je souhaite, c'est que chacun se sente évidemment concerné, il n'y a pas que, aussi, les victimes de l'ensemble de ces attentats, puisqu'il y a huit attentats dont nous parlerons aujourd'hui, avec le président de la République, il y a aussi, en réalité, nous nous sentons tous évidemment victimes, la France a été victime de ces attaques, et c'est dans son essence même qu'aujourd'hui il faut rendre hommage à ce qu'il s'est passé.
THOMAS SOTTO
Dernière question, Juliette MEADEL, vous êtes secrétaire d'Etat chargé de l'Aide aux Victimes, vous êtes confrontée au quotidien à ces familles en pleine détresse, vous les côtoyez régulièrement, qu'est-ce qu'elles vous « apprennent » ? Qu'est-ce que vous apprenez d'elles, à leur contact ?
JULIETTE MEADEL
Pour la plupart, d'abord, un appel à la paix et à la fraternité. Aucune n'a de volonté de haine ou de revanche. Et puis, ce qui me frappe aussi, c'est en fait leur capacité à se projeter, pour certaines non, pour certaines, clairement, le moteur est cassé, mais pour d'autres, je les sens tournés vers l'avenir, et c'est cette formidable capacité de rebond et de résilience qui me donne envie de continuer à me battre pour elles.
THOMAS SOTTO
Merci beaucoup Juliette MEADEL. Évidemment ce matin on s'associe pleinement, ici, à Europe 1, à cet hommage, on pense à toutes les victimes, celles qui ne sont plus là et celles qui se battent encore tous les jours. Merci et bonne journée.
JULIETTE MEADEL
Merci.Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 septembre 2016