Déclaration de Mme Pascale Boistard, secrétaire d'Etat aux personnes âgées et à l'autonomie, sur le statut des proches aidants dans le cadre de la maladie d'Alzheimer, Paris le 21 septembre 2016.

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Je vous remercie pour cette invitation à visiter votre « village Alzheimer », dans le cadre de cette journée mondiale Alzheimer.
Je tenais également à saluer le travail accompli depuis de nombreuses années par votre association, France Alzheimer et maladies apparentées. Et remercier plus particulièrement votre Président, Joël JAOUEN et ses équipes, pour la rédaction du Livre Blanc « Plaidoyer pour les aidants en activité professionnelle ». Car il pose un constat et dresse un état des lieux d'une population qu'on a encore trop souvent tendance à ignorer : les aidants qui travaillent.
Pourtant ils et elles sont nombreux.
Près de 4 millions de personnes aidantes doivent concilier, au quotidien, ce temps et les impératifs professionnels.
Vous êtes sans doute les mieux placés pour savoir qu'au-delà de ces chiffres, au-delà de ces mots, ce sont des vies familiales, professionnelles qui sont bouleversées. Ce sont des conjoints, des enfants, des membres de la famille, des proches, qui voient, du jour au lendemain, leur vie transformée.
Et si certains aidants sont réunis au sein d'associations, trop peu d'entre eux osent encore parler de leurs difficultés, notamment dans le monde du travail. Pour autant, leur réalité quotidienne doit nous interpeller : nous sommes ou serons tous concernés, dans les années à venir.
Les situations sont différentes les unes des autres. Il est difficile de faire des généralités.
Mais des points communs se retrouvent, dans chaque situation : du manque de temps au manque de repos, de l'érosion des liens sociaux à la difficile conciliation entre la vie professionnelle et le temps passé auprès d'un proche…
Et, si la plupart des 4 millions d'aidants jonglant entre travail et présence ne considèrent pas ce temps donné autrement que naturel et évident, il est de notre devoir et de notre responsabilité d'apporter des réponses qui facilitent leur quotidien.
C'est pourquoi je tiens à saluer toutes celles et tous ceux qui, au quotidien, s'investissent.
Ce Livre Blanc marque une étape. Car il dresse les portraits de toutes celles et ceux qui sont confrontés à la maladie et à la perte d'autonomie, à travers leurs proches.
Il dresse également l'état des lieux des prises de consciences, qu'elles soient politiques ou professionnelles. Publiques ou privées.
Vous avez raison de le souligner, les mentalités pourront évoluer à partir du moment où chacune, chacun d'entre nous aura pris la mesure de l'enjeu. Et lorsque je dis « chacune et chacun », je parle aussi bien du monde politique que du monde professionnel.
Car, vous rappelez une évidence : la plupart des aidants souhaitent conserver leur travail. Pour des nécessités économiques, mais pas seulement.
Cette question est un nouvel enjeu de société. Elle interroge les pratiques, les rythmes et les règles en vigueur. Aujourd'hui, ce sont près de 850 000 personnes qui sont atteintes de la maladie d'Alzheimer. Et, d'ici 2040, ils devraient être près de 2 millions ! Autant dire que nous devons anticiper et répondre de manière intelligente à ces défis. Pour aujourd'hui, et pour demain. C'est un impératif humain, social et politique.
Dès lors, comment faire pour concilier vie professionnelle et vie privée d'aidant ? Comment ne pas s'oublier ? Comment continuer à être présent de manière effective et affective, lorsque la fatigue guette ? Lorsqu'aucun répit n'est permis ? Lorsque la culpabilité s'en mêle ? Lorsqu'aucun relais n'est envisageable ?
C'est à ces questions (et bien d'autres) que la loi d'adaptation de la société au vieillissement répond. Trop peu, à votre sens. Mais c'est un premier pas, qui constitue une réelle avancée. Pour que s'enclenche la réflexion, pour que le statut d'aidant ait enfin une base juridique et reconnue. Pour que leur parole soit enfin entendue.
C'est pour cela que la loi d'adaptation de la société au vieillissement a développé un certain nombre de dispositifs, venant compléter et renforcer ceux déjà existants. Tout en créant de nouveaux droits, de nouvelles reconnaissances.
- La reconnaissance du statut de proche aidant, tout d'abord.
Pour la première fois, une définition de l'aidant est donnée et inscrite dans la loi. Sont ainsi reconnus tous les membres de la famille exerçant ce rôle. Mais aussi les personnes ayant des liens étroits et stables, tout en n'appartenant pas à la famille.
L'aide, régulière et fréquente, peut prendre différentes formes, du ménage à la préparation des repas. De la toilette à la présence physique, en passant par l'aide financière ou morale.
Il était important de reconnaître le rôle de ces aidants, sans qui les personnes en perte d'autonomie ne pourraient vivre à domicile, qui jonglent, mettant souvent leur santé, leur travail, leur équilibre personnel en péril.
En parallèle de cette reconnaissance, la loi apporte enfin un nouveau droit social pour les aidants.
Leurs besoins sont ainsi pris en compte dans le cadre de l'Allocation Personnalisée d'Autonomie (APA), à travers 3 dispositifs :
- Le premier, c'est le droit au répit. Dorénavant, lorsque l'équipe médico-sociale du conseil départemental définit le plan d'aide APA de la personne âgée, elle évalue également vos besoins et peut alors mettre en place des dispositifs répondant à vos besoins de répit.
Le plan d'aide APA de la personne âgée peut ainsi être majoré jusqu'à près de 500 euros par an, au-delà des plafonds de l'APA, pour financer par exemple le recours à de l'accueil temporaire en établissement ou en accueil familial ou des heures d'aide à domicile supplémentaires. Cette mesure est entrée en vigueur le 1er mars 2016.
- Le deuxième dispositif, c'est un relais auprès de la personne aidée, en cas d'hospitalisation de son proche aidant. Il s'agit ici de décharger l'aidant hospitalisé, qui n'aura plus le souci de savoir qui pourrait le remplacer.
C'est donc un « confort » pour celles et ceux d'entre vous qui ne comptent que sur eux-mêmes, étant seuls à prendre en charge un ou une aîné(e). Cette aide ponctuelle, dont le montant peut atteindre jusqu'à 992 euros au-delà des plafonds de l'APA, pourra ainsi servir à financer un hébergement temporaire de la personne aidée, ou un relais à domicile.
Cette mesure est elle-aussi entrée en vigueur le 1er mars 2016.
- Le troisième dispositif enfin, c'est un assouplissement et élargissement du congé de soutien familial en congé au proche aidant. Le congé est donc désormais ouvert aux aidants sans lien de parenté avec la personne qu'ils aident. Il faut néanmoins que l'aidant réside avec la personne âgée ou entretienne avec elle des liens étroits. Et qu'il vienne en aide de manière régulière et fréquente à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes et des activités de la vie quotidienne. Un décret d'application est en cours de rédaction.
Cette réflexion et les mutations nécessaires qu'elle engendre ne peuvent pas toutes être résolues uniquement par les pouvoirs publics.
Je suis d'accord avec vous. Les entreprises doivent aussi prendre leur part de cet effort et de cette adaptation.
Et les mutations du monde du travail constituent une réelle opportunité. Car, de plus en plus, émanant des nouvelles générations, s'impose une nouvelle réalité : travailler autrement, avec des horaires adaptés, en n'étant pas nécessairement au quotidien sur son lieu de travail, est une demande de plus en plus répandue. Concilier vie personnelle et professionnelle, même lorsqu'on ne s'occupe pas d'un proche, est une revendication de plus en plus partagée.
Ces visions de la société en évolution et du monde du travail doivent offrir l'opportunité de réfléchir collectivement à de nouveaux modes de fonctionnement, partout où cela est possible.
Ces réflexions sont urgentes. D'autant plus que, vous le savez, près de 57% des aidants sont des femmes. Déjà plus exposées à la précarité de l'emploi, elles subissent une forme de double peine qui n'est pas tolérable.
Oui, vous avez raison, « légiférer sur le sujet des aidants actifs » était une nécessité. Et oui, vous avez raison d'ajouter que les entreprises doivent, à leur tour, « proposer des réponses innovantes et adaptées » à leurs salariés confrontés à la perte d'autonomie d'un proche. En cela, les propositions contenues dans le Livre Blanc sont de véritables pistes à explorer et à développer.
Je parle de l'aménagement des horaires de travail quotidien, de l'élargissement des autorisations d'absence, de la conversion des jours de congés et de RTT dans le cadre du compte épargne temps (CET), de l'amélioration des droits à la retraite…
La question de la qualité de vie au travail se pose également de manière pertinente. Elle se pose, disons-le, globalement pour tous les salariés. Et de manière plus accrue pour les aidants. Mais vous le constatez, il y a un paradoxe. Près d'un aidant sur deux n'a jamais parlé de son rôle sur son lieu de travail. Cette question est donc primordiale. Pouvoir libérer la parole, écouter et entendre : voilà quels sont les premiers enjeux. Et cela participe évidemment de cette exigence d'environnement bienveillant.
Certaines initiatives, recensées dans ce Livre Blanc, vont dans le sens d'une meilleure prise en compte de la conciliation entre vie d'aidant et vie de salarié. Je pense par exemple à DomusVi, troisième groupe privé d'accueil et de services aux personnes âgées. Ce groupe a signé un accord d'entreprise pour le don de jours de repos en faveur des salariés aidants. Ou encore à Responsage, une plateforme de services pour aidants salariés auquel l'employeur peut adhérer, au bénéfice de ses employés.
Il est temps de réfléchir et d'inventer des solutions, pour que les salariés aidants ne soient pas doublement pénalisés. Il est temps que, dans un élan collectif de prise de conscience, nous trouvions ensemble, des accords de branche ou d'entreprise qui permettent à chacune et chacun de rester dans la vie active, tout en donnant du temps pour ses proches, en perte d'autonomie.
Pour cela, vous en conviendrez, la première chose à faire est de libérer la parole. Car, c'est en prenant la mesure des besoins, en prenant conscience que de nombreuses personnes au sein d'une entreprise sont confrontées aux mêmes difficultés et aux mêmes impératifs, que nous ferons évoluer positivement les choses. De manière réaliste et pragmatique.
Je remercie une fois encore pour votre implication et votre travail quotidien.
Source http://social-sante.gouv.fr, le 4 octobre 2016