Point de presse de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur l'annulation de la dette des pays les plus pauvres, la sécurité alimentaire, l'accord entre Russes et Américains sur la participation militaire des russes à la KFOR, la répartition de l'effort financier des pays créanciers des pays les plus pauvres, l'aide à la Russie et le financement de la fermeture de la centrale de Tchernobyl, Cologne le 18 juin 1999.

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Circonstance : Sommet du G7 - G8 du 18 au 20 juin 1999 à Cologne (Allemagne)- Séance de travail des Chefs d'Etat et de gouvernement du G7 à Cologne le 18

Texte intégral

Mesdames, messieurs, bonsoir,
Je remercie tous les journalistes, européens ou dailleurs, qui ont bien voulu venir à lissue de cette première séance de notre réunion du G7, avant de nous retrouver dès ce soir en formation du G8, puisque, vous le savez, le Premier ministre russe, Monsieur Stepachine, nous rejoint tout à lheure. Et jaurai dailleurs un entretien immédiatement, dans une demi-heure, avec lui.
On le voit bien, nous sommes dans un monde un peu fou : le Kosovo ; ces crimes contre lhumanité que lon découvre, hélas, chaque jour ; mais aussi les autres conflits qui se déroulent, moins spectaculaires, mais aussi porteurs dhorreurs, en Afrique, en Asie, ailleurs ; les crises économiques et financières qui éclatent soudain, imprévues, dévastatrices ; la misère qui saccroît dans bien des régions du monde pendant que les mouvements de capitaux prennent des proportions inquiétantes par leur ampleur et par leur rapidité ; la démocratie qui peine, parfois pour diverses raisons, à sexprimer.
Tout ceci exige, notamment de la part des puissances les plus importantes du monde, un effort. Un effort pour limiter les risques de toute nature qui saccumulent aujourdhui, pour réduire les inégalités entre les nations, les peuples, ou au sein dun peuple ou dune nation, pour, enfin, humaniser cette mondialisation dont tout le monde parle sans que lon sache exactement quelles conséquences, à la fois positives et négatives, elle comporte.
Et, je le répète, le G7 - G8 doit donner limpulsion. Il doit montrer lexemple.
Il faut un monde plus sûr et plus stable pour limiter les risques.
Il faut, par conséquent - et cest lobjet, cétait lobjet de notre réunion daujourdhui -, renforcer le système financier international. Des progrès ont été faits. Pour moi, ils sont insuffisants et ne marquent quune étape vers une meilleure organisation.
Il faut renforcer notre coopération économique pour favoriser linvestissement, la croissance et donc lemploi. Il faut un monde plus solidaire et donc lutter contre lexploitation du travail des femmes mais, aussi, des enfants.
Pour adapter, et cest complémentaire, notre système déducation et de formation à la rapidité de changement des techniques, il faut alléger les charges de la dette qui pèsent sur les plus pauvres. Cela a été lun des sujets les plus largement débattus, aujourdhui, à partir dailleurs du rapport des ministres des Finances des 7 qui ont proposé à notre réunion des mesures à la fois intelligentes, généreuses et courageuses.
Je rappelle que le problème du traitement de la dette des pays les plus pauvres a été inscrit à lordre du jour de ce Sommet. Comme nous lavions fait à Lyon, à linitiative de la France, cela a été, cette fois-ci, à linitiative de la présidence allemande, et je men réjouis.
Aujourdhui, les décisions que nous avons prises font que leffort des pays créanciers devrait dépasser 65 milliards de dollars dont 15 milliards au titre de lannulation de laide publique au développement. Cest dire que cest un effort substantiel, très important. Pour sa part, la France annulera de lordre de 38 milliards de Francs, cette fois-ci.
La position de la France, sur ce point, est fondée sur trois principes. Trois principes que javais eu loccasion de développer dans mon intervention devant le Fonds monétaire et la Banque mondiale, à Washington, en février dernier.
Trois principes qui sont : la générosité qui doit exprimer la nécessaire solidarité du monde. Deuxièmement, une répartition équitable des efforts, ce qui veut dire que ceux qui ont prêté davantage ne doivent pas être, en quelque sorte, sanctionnés et que, par conséquent, la charge doit être répartie de façon équilibrée, cest-à-dire que les pays qui ont prêté moins doivent participer plus au financement de lannulation des dettes du FMI et de la Banque mondiale.
Jajoute que, dans ce domaine, jai indiqué -tout le monde était naturellement daccord- quil fallait être très attentif à faire en sorte que les engagements pris soient rapidement tenus. Un débat sest ouvert pour regretter que les décisions prises à Lyon naient encore profité quà un nombre réduit moins dune dizaine- de pays. Un engagement a été pris par les 7 aujourdhui pour faire en sorte quil y ait une accélération importante, ce qui suppose la mise en place des financements nécessaires, notamment au niveau du Fonds monétaire, de la Banque mondiale et des banques de développement, pour que les engagements pris puissent bénéficier à tous les pays concernés dans des délais les plus brefs possibles.
Le troisième principe, que javais évoqué à Washington et qui caractérise notre position, mais qui a été adopté aussi par les autres pays du G7, est que les bénéficiaires de ces mesures fassent un effort sérieux dans le domaine de la gestion de leurs affaires, je dirais, pour reprendre un terme que jai souvent employé, un effort de bonne gouvernance, un terme employé très souvent par les Africains.
Jajoute que jai souligné quil ne fallait pas que les pays riches considèrent que lessentiel est fait lorsque les dettes ont été annulées et je nai pu que regretter la tendance qui, depuis quelques années, caractérise les pays riches, cest-à-dire la tendance à diminuer laide publique au développement. En dehors de la France et du Japon qui continuent à faire des efforts, non négligeables bien quen diminution, lensemble du G7 diminue très fortement son aide publique au développement.
Or, à mon avis, il ny a pas de solution possible en termes de développement pour les pays pauvres si laide publique ne leur est pas donnée pour créer les infrastructures nécessaires à la vie des populations et au développement de léconomie.
Je signale, au passage, quà lissue de lopération qui a été décidée, aujourdhui, la France, pour sa part je parle delle, cest normal -, aura annulé la totalité de ses créances sur les pays les plus pauvres. Ce geste, je le note au passage, bénéficie, cest vrai, essentiellement à nos partenaires africains.
Enfin, pour terminer un sujet que nous navons pas évoqué, aujourdhui, que nous évoquerons, demain, à mon initiative, qui est un sujet vital pour nous et pour nos enfants, pouvoir et savoir se nourrir.
Je voudrais rappeler ici que, dans ce domaine, il y a deux grands défis à relever : que chacun, sur notre planète, puisse manger à sa faim. Je pense, évidemment, aux pays les plus pauvres mais je pense, aussi, aux hommes et aux femmes les plus pauvres dans les pays riches. Et deuxième défi : que chacun puisse se nourrir et nourrir sa famille en toute confiance ce qui souligne limportance dun problème devenu, aujourdhui, essentiel, celui de la sécurité de lalimentation.
Les biologies, les biotechnologies ont fait des progrès impressionnants, et cest tant mieux parce quon peut en tirer, bien sûr, des avantages considérables. Mais on peut également en craindre les risques dans toute la mesure où certaines évolutions ne sont pas maîtrisées. Par conséquent, le principe de précaution, celui qui consiste à sabstenir lorsquon doute, est un principe qui doit être retenu par la communauté internationale sans aucune exception.
Nos peuples, en effet, ont été secoués par toute une série de traumatismes qui ont commencé, notamment sur le plan mondial, avec le problème de la vache folle, dont on vient de voir encore les effets avec laffaire de la dioxine, ces derniers jours
Il y a deux problèmes qui doivent être maîtrisés. Cest celui de la sécurité alimentaire mais aussi des éventuelles catastrophes environnementales que peuvent impliquer les projets que jévoquais à linstant. Je pense, par exemple, aux végétaux chargés en métaux lourds. Alors, cest une préoccupation que je considère pour ma part comme majeure, qui implique une grande attention au plan national, qui implique sans aucun doute un effort dorganisation au plan européen mais qui implique aussi un effort dorganisation au plan mondial. Jai donc fait une proposition de création dun Haut Conseil scientifique mondial pour la sécurité de lalimentation. Jai saisi par lettre les chefs dEtat et de Gouvernements du G8, avant cette réunion, naturellement. Jen ai parlé longuement, hier matin, à Paris, avec le Président Clinton à loccasion dun entretien de travail que nous avons eu. Je présenterai demain ce projet au G8, du fait que jai saisi tous nos partenaires. Vous serez informés, je ne veux pas ce soir, je vous le dis tout de suite, entrer dans le détail de mon projet dans la mesure où je dois lexprimer au moment où il vient à lordre du jour, cest-à-dire demain devant mes partenaires, et je vous en reparlerai donc dimanche. Voilà ? en gros, les principaux axes de ce que nous avons fait aujourdhui et je suis naturellement tout disposé à répondre à vos questions.
QUESTION Monsieur le Président, vous nêtes pas sans savoir que des sources diplomatiques, notamment à Bruxelles, font état dun accord à Helsinki entre Russes et Américains qui permettrait à la fois à lOTAN de sauvegarder les principes pour lesquels elle sest battue, et aux Russes de sauver les apparences et davoir une présence qui ne contredise pas les accords passés à Belgrade et aux Nations unies. Alors, est-ce que vous connaissez cet accord, est-ce que vous pouvez porter un jugement sur laccord auquel on serait donc arrivé à Helsinki ?
LE PRESIDENT Je nai pas au moment où nous parlons confirmation de laccord. Mais jen connais les éléments. Laccord qui est pour moi encore en négociation, même si vous avez raison et même sil est finalisé et même sil est signé, je ne le sais pas officiellement, cet accord, je crois, est un bon accord. Il était souhaitable de trouver, la France a toujours souhaité trouver avec les Russes, un accord permettant la participation des troupes russes à lensemble de laction de la KFOR dans des conditions qui ne remettent pas en cause la bonne organisation du commandement et le bon fonctionnement de la Force. Donc, je me réjouis que des forces russes soient associées à la KFOR, je souhaite que l'accord soit techniquement bon, mais je ne le connais pas encore dans le détail. Ce qui me paraît en tous les cas certain, cest que sil nest pas signé en ce moment, ce que jignore, je nimagine pas que la semaine se termine sans quil soit signé.
QUESTION Monsieur le Président, vous avez dit tout à lheure que vous souhaitiez que les pays qui ont fait peu defforts sur le plan de laide bi-latérale en fassent plus pour annuler la partie multilatérale de la dette. Est-ce à dire quil ny a pas encore daccord sur le sujet, quil ny a pas encore de répartition sur le financement de cet effort de Cologne.
LE PRESIDENT - Laccord a été passé, il a été signé, il a été paraphé par nos ministres des Finances et adopté par la réunion du G7 daujourdhui. Il est de notre point de vue parfaitement satisfaisant. Le Premier ministre britannique a suggéré quon y ajoute quelque chose, cest-à-dire un système qui permettrait aux grandes entreprises privées qui sont créancières dEtats, pour des travaux réalisés, parmi les plus pauvres, participent également par un effort propre volontaire, à lopération générale dannulation de dettes. Nous avons tous accepté la proposition de M. BLAIR, elle nest pas encore rédigée, elle, dans ses détails. Le reste est acquis, cest-à-dire que la répartition du fardeau, telle que nous la demandions, est acquise.
QUESTION Monsieur le Président, jaimerais savoir si vous allez discuter du problème de Chypre ?
LE PRESIDENT - Oui, chère Madame, il est à lordre du jour du dîner de travail de ce soir. Je ne veux pas préjuger de ce que nous dirons.
QUESTION Monsieur le Président, est-ce que vous avez parlé de la crise financière russe et de possibles mesures pour alléger cette crise ?
LE PRESIDENT - Nous parlerons de ce sujet, en présence du Premier ministre russe demain. Nous sommes naturellement tout à fait déterminés à apporter une aide à la Russie dans la période difficile quelle traverse, aide qui est justifiée tout de même par les progrès que lon enregistre sur le plan économique et financier dans léconomie russe daujourdhui, enfin depuis quelque temps. Vous savez quun accord a été passé entre le gouvernement russe et le Fonds monétaire international. Cet accord ouvre la possibilité, notamment au Club de Paris, dun certain nombre de décisions permettant daider la Russie. Les modalités de cette aide ne sont pas encore arrêtées.
QUESTION Est-ce quil a été question de sûreté nucléaire et est-ce que les Allemands ont fait leurs propositions de remplacer le financement des centrales nucléaires ukrainiennes par le financement de centrales nucléaires classiques au gaz ?
LE PRESIDENT - Je ne crois pas que ce soit là une proposition très réaliste, mais je comprends parfaitement la position allemande qui au fond est simple. Premièrement, il faut tout faire, en priorité, pour que lobjectif de fermeture de Tchernobyl en lan 2000 soit atteint et le Chancelier a confirmé cette priorité. Deuxièmement, compte tenu des positions du Parlement allemand, le Chancelier estime quil a besoin dun court délai de temps pour avoir avec le Président Koutchma dUkraine les entretiens permettant dexaminer si véritablement il ny a pas une solution alternative au financement des deux centrales, R4 et K2, qui doivent se substituer pour les Ukrainiens à la fermeture de Tchernobyl en ce qui concerne la production délectricité. Donc, ce qui est prévu et ce que vous trouverez dans le texte qui sera distribué, cest une espèce de note en bas de page indiquant que le Chancelier prendra lattache du Président Koutchma pour voir sil y a une autre solution possible. Sil ny en a pas, il considère que la fermeture de Tchernobyl est la priorité mais il fera tout pour trouver une autre solution et nous attendons quil ait eu ces entretiens.
QUESTION Monsieur le Président, est-ce quil est prévu à lissue du G8 un petit mot ou une déclaration à part sur la Russie ?
LE PRESIDENT - Oui, il y a un document qui est dailleurs pratiquement prêt, et qui sappelle le Partenariat pour la prospérité, je crois que cest le titre exact. Ce document sera naturellement adopté, je me réjouis de cette position. Vous savez que la France est très attachée à lintégration complète de la Russie dans la communauté internationale et considère que la Russie est un élément essentiel, non seulement de léquilibre du monde mais aussi et surtout de léquilibre de lEurope.
QUESTION Les relations commerciales entre lEurope et lAmérique, il y a eu des conflits ces derniers temps, est-ce que cétait un sujet de vos discussions aujourdhui avec les autres partenaires ?
LE PRESIDENT - Des difficultés existent notamment dans certains domaines qui touchent à lalimentation, en particulier les organismes génétiquement modifiés ou la viande aux hormones. Tout ceci, sera évoqué demain, elles nétaient pas à lordre du jour aujourdhui, cest à lordre du jour de demain. Et jaurai loccasion de défendre la position française qui dans ce domaine est extrêmement ferme et je dois le reconnaître assez éloignée de la position américaine, cest vrai. Je vous en parlerai à notre prochaine conférence de presse.
Je vous remercie.