Texte intégral
Monsieur le Président de la commission des affaires européennes, Cher Jean Bizet,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Je vous remercie de votre invitation. Vous avez rappelé les points clés de ce Conseil européen des 20 et 21 octobre derniers qui était le premier rendez-vous à 28 après le Sommet informel à 27 réuni le 16 septembre à Bratislava.
Il importait pour la France qu'il s'inscrive résolument dans la mise en oeuvre de la feuille de route de Bratislava.
Il le fait, par des conclusions qui correspondent aux priorités fixées en particulier sur les enjeux de sécurité intérieure et le suivi des questions liées aux migrations, mais également sur un certain nombre de questions économiques prioritaires dont l'extension du Plan Juncker.
Il s'agissait également du premier Conseil européen de Theresa May qui a eu l'occasion de renouveler les déclarations faites au début du mois, annonçant une activation de l'article 50 «avant la fin mars 2017». Ce qui n'a pas donné lieu à un débat conformément à la ligne convenue par les 27 : pas de pré-négociations avant l'article 50.
Je voudrais revenir sur les trois sujets principaux de débat du Conseil européen : la question des migrations, la politique commerciale de l'Union européenne, et les relations avec la Russie.
1. Sur les questions de migration et de sécurité
Les conclusions du Conseil européen nous conviennent puisqu'elles reprennent le premier volet de la déclaration de Bratislava en mettant l'accent sur ses deux premiers objectifs : le contrôle de la frontière extérieure et la maîtrise des flux qui reste toujours la priorité.
- Sur le contrôle de la frontière extérieure, le lancement du corps européen de garde-frontières et garde-côtes le 6 octobre est une avancée majeure. Il doit encore atteindre sa pleine capacité grâce au déploiement de personnels et d'équipements issus des États membres et à la constitution d'une réserve de 1.500 personnels mobilisables d'ici la fin de l'année.
Le Conseil européen a également rappelé les objectifs que nous devons nous fixer avec des calendriers sur plusieurs textes :
1/ Une adoption rapide du code frontières Schengen révisé pour permettre le contrôle systématique et coordonné de tous les voyageurs franchissant les frontières extérieures de l'Union.
Cet appel du Conseil européen s'adresse particulièrement au Parlement européen.
Une position doit également être établie sur un système d'entrée/sortie avant la fin 2016 qui fait partie du paquet frontières intelligentes.
2/ De même, nous attendons la proposition de la Commission en vue de la mise en place d'un système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (ETIAS). L'objectif de ce nouvel instrument est de soumettre les voyageurs exemptés de visa à des contrôles de sécurité préalables permettant, si nécessaire, de leur refuser l'entrée en Europe.
- Sur le deuxième volet, la maîtrise des flux, l'enjeu est d'abord la poursuite de la mise en oeuvre de la déclaration UE-Turquie de mars 2016.
Les flux ont considérablement diminué en Méditerranée orientale (de l'ordre de 80 personnes par jour en moyenne arrivent en Grèce depuis le mois de juin) mais la situation reste toujours difficile pour la Grèce en raison de la saturation des centres d'accueil : selon les autorités grecques, 60.067 migrants sont actuellement bloqués en Grèce dont 14.500 dans les îles.
Il faut donc que les États membres continuent à aider EASO et à accélérer les relocalisations.
La France en prend une grande part : elle est le premier pays en termes de relocalisations depuis la Grèce avec 1.756 Syriens, Irakiens et Erythréens relocalisés depuis le 1er janvier.
Concernant la feuille de route relative à la libéralisation du régime des visas, le Conseil européen a appelé au respect des engagements et à un accord sur la révision du mécanisme de suspension en matière de visas comme préalable à toute décision.
Le Conseil européen a également porté une insistance particulière sur l'action sur les causes profondes des migrations. Il s'agit de mettre en oeuvre des cadres de partenariats avec les pays d'origine ou de transit, et en particulier avec les pays africains.
Le Conseil européen a invité la Haute représentante, Federica Mogherini, à présenter lors de la réunion de décembre, les résultats obtenus avec les cinq pays africains choisis pour le développement des premiers pactes migratoires : l'Éthiopie, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Nigéria. Il s'agit de mobiliser l'ensemble des politiques de l'Union européenne, notamment les politiques de développement et de commerce et d'avoir des coopérations sur les migrations légales, sur les retours.
Sur le volet financier, l'objectif fixé par le Conseil européen est que le Plan d'investissement extérieur (sorte de Plan Juncker pour l'Afrique) soit l'objet d'une position du Conseil d'ici à la fin de l'année et d'une adoption par les co-législateurs en mars 2017. L'Europe doit investir massivement dans le développement de l'Afrique.
2. Concernant le deuxième grand sujet à l'agenda, la politique commerciale
- Les discussions ont d'abord porté sur le CETA pour lequel il a été constaté un accord des 27 États membres et l'impossibilité pour un autre de signer, la Belgique.
La position de la France est qu'après de longues années de négociations nous sommes arrivés à un bon accord. La reconnaissance des indications géographiques, l'ouverture des marchés publics, les garanties pour les normes sociales et environnementales, la protection des services publics, le mécanisme de règlement des différends sous contrôle public. Tout cela nous convient, nous sommes donc favorables à l'entrée en vigueur de ce traité comme le Premier ministre l'a réaffirmé lors de son déplacement au Canada.
La signature de l'accord est suspendue comme vous le savez à l'approbation de la Belgique en raison de l'opposition de parlements régionaux, notamment celui de Wallonie. Le sommet UE-Canada a été reporté.
Nous pensons qu'il est possible d'apporter des réponses aux questions soulevées par le Parlement de Wallonie au travers de la déclaration interprétative qui a été discutée ces dernières semaines et qui aura la même valeur que le traité. Nous espérons donc qu'un accord sera trouvé au plus tôt.
Sur le TTIP, en revanche, les conditions nécessaires à un accord ambitieux et équilibré n'ont pas été trouvées. L'offre américaine est faible, en particulier pour les marchés publics sub-fédéraux, l'absence de reconnaissance des IG. De plus les conditions de non-réciprocité entre les entreprises américaines et françaises, le refus des normes environnementales ne nous permettent pas d'accepter un tel accord. La situation de blocage actuelle doit être dépassée pour repartir, le moment venu, sur de nouvelles bases.
Ce qui se passe sur le CETA est la démonstration que la substance est plus importante que le calendrier. Les accords de commerce doivent être négociés de façon plus transparente, ils doivent être fondés sur la réciprocité, offrir toutes les garanties de respect des normes environnementales, sociales et ne pas mettre en cause le droit à réguler des États. Sans quoi, ils ne seront pas soutenus par les Parlements. Nous pensons que de bons accords commerciaux sont possibles et qu'en les négociant avec ces exigences fortes, l'Europe peut contribuer à une mondialisation mieux régulée et mieux acceptée.
- C'était l'un des aspects de la discussion sur la modernisation de la politique commerciale de l'Union européenne qui a porté sur la modernisation des instruments de défense commerciale et en particulier la règle du droit moindre, «lesser duty rule». L'Europe ne dispose pas de cette règle. Les États-Unis peuvent appliquer 200% de droit anti-dumping, l'Europe 25%.
Le Conseil européen a fixé comme objectif la conclusion rapide, d'ici la fin 2016, d'un accord sur cette modernisation.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, lors de ce Conseil européen, d'autres questions importantes ont été abordées.
Le débat sur les relations entre l'Union européenne et la Russie a largement porté sur le rôle de la Russie en Syrie du fait de la situation à Alep et de l'urgence. Le Conseil européen a condamné avec force les attaques perpétrées par le régime syrien et ses alliés, notamment la Russie, contre des civils à Alep. Ces atrocités doivent cesser et un processus humanitaire doit être mis en place le plus rapidement possible. Le Conseil européen a appelé à la mise en oeuvre d'un cessez-le-feu pour créer les conditions propices à l'ouverture de négociations relatives à une transition politique en Syrie. Ceux qui se sont rendus coupables de violation du droit international humanitaire doivent répondre de leurs actes. L'Union européenne n'exclue aucune option disponible si les atrocités commises se poursuivent.
L'initiative d'urgence humanitaire annoncée par la Haute représentante, Federica Mogherini, avec la Commission doit se poursuivre, de même que l'organisation des évacuations sanitaires en coopération avec les Nations unies.
Sur le volet ukrainien, la chancelière Merkel et le président Hollande ont présenté les résultats de la réunion de la veille (19 octobre) à Berlin : les discussions avaient été très dures, les difficultés avec les Russes étaient réelles ; il fallait malgré tout poursuivre le dialogue avec eux, et continuer le travail en format Normandie ; une feuille de route allait être mise au point.
Sur la relation avec la Russie en général, des interventions ont suivi notamment évoqué les problèmes de survols aériens, de cyber attaques, des campagnes de désinformation et des efforts de l'UE pour les contrer.
Enfin, le Conseil européen a salué la ratification par l'Union de l'accord de Paris issu de la COP21. Cette ratification a permis l'entrée en vigueur de l'Accord. La dynamique ainsi lancée doit se poursuivre avec une ratification, au plus vite, de l'ensemble des États membres.
Voilà Mesdames et Messieurs les Sénateurs les principaux éléments dont je souhaitais vous rendre compte à l'occasion de cette audition. L'objectif est la mise en oeuvre de ce qui a été établi à Bratislava. Le Conseil de décembre reviendra sur d'autres aspects importants notamment la défense.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 novembre 2016