Déclaration de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, sur la fermeture des services maternité et chirurgie de l'hopital de Pithiviers, la sécurité hospitalière et les restructurations des établissements de proximité, Pithiviers (Loiret) le 8 septembre 1997.

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Circonstance : Déplacement à Pithiviers le 8 septembre 1997 de M. Bernard Kouchner pour annoncer la fermeture des services maternité, chirurgie et anesthésie de l'hopital de Pithiviers.

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je suis venu ce matin non pour m'opposer à vous, encore moins pour nier votre légitime émotion, mais au contraire, pour la partager et pour travailler avec vous, avec les dirigeants, avec les médecins, avec le personnel hospitalier, avec les élus et surtout avec la population de Pithiviers, c'est-à-dire les malades ou les futurs malades, ceux au nom de qui on parle à. tort et à travers et qui ne s'expriment jamais et subissent trop souvent.
Je suis venu, loin de tout esprit politicien, afin de construire avec vous un avenir pour l'hôpital de Pithiviers. Je tenais à vous présenter directement les conclusions du rapport que Martine AUBRY et moi-même avons demandé à l'inspection générale des Affaires sociales à la suite des accidents qui se sont déroulés ici et qui ont conduit le directeur de l'Agence régionale d'hospitalisation à suspendre les activités de l'anesthésie, de la chirurgie et de la maternité.
Si nous avons demandé un tel rapport, c'est que nous voulions, à partir d'une analyse objective, extérieure, entièrement et uniquement technique, du fonctionnement de ses services et de son environnement, nous puissions explorer avec vous les voies destinées à garantir à la population de Pithiviers et ses environs, une égalité d'accès aux soins avec toutes les garanties de sécurité.
Je suis venu ici vous tenir un langage de vérité. Dans des circonstances semblables, un Ministre, par prudence se déplace rarement lui-même. Il n'est pas dans mon caractère, dans ma conception de la politique de santé de prendre des décisions dans le huis clos de bureaux parisiens sans dialogue, sans explications, sans échanges, sans expression de respect mutuel.
S'il y a pour moi un mot qui compte plus que tout c'est celui d'humanité. L'humanité, (l'humanitude) c'est le dialogue et l'écoute indispensables de la population, du personnel et de leurs représentants. C'est le contraire de la seule maîtrise économique, comptable dont bien sûr on doit tenir compte, mais qui, ici, n'est pas en cause. Certains services de l'hôpital de Pithiviers n'ont pas été suspendus pour des raisons financières mais pour des motifs de sécurité.
La méthode d'humanité, c'est le respect de l'autre, et donc l'exigence d'égalité devant l'accès aux soins, que les malades résident à la campagne dans une grande ou une petite ville. C'est également la sécurité. L'humanité, c'est avant tout d'éviter les morts évitables. La politique de santé, vous le savez, vise aussi à lutter contre les morts évitables. C'est vrai pour la politique de prévention, de santé publique comme c'est vrai pour l'organisation des soins hospitaliers.
La sécurité doit être assurée pour tous. Pour vos parents, vos enfants, vous aussi, sans rapport avec les ressources, l'entregent, les relations ou la connaissance d'autres structures. C'est notre devoir d'y veiller. Il n'y aurait pas d'attitude plus hypocrite, ici à Pithiviers comme ailleurs, que de condamner à l'insécurité ceux qui n'ont pas le choix et de voir les catégories les plus favorisées de la population délaisser l'hôpital de leur commune pour une clinique ou un autre hôpital. Quelle est la proportion des notables de Pithiviers qui se font soigner à l'hôpital de leur ville ?
La sécurité à deux vitesses est intolérable à mes yeux. L'exigence de sécurité est indissociable de l'exigence d'égal accès aux soins, d'égal accès à des soins de qualité.
C'est pourquoi il nous faut absolument concilier qualité et proximité pour que nos hôpitaux répondent sans faille aux besoins de la population. Ce n'est pas une politique de résignation ni de brutale et parfois nécessaire comptabilité. Je vous l'ai dit en travaillant sur la loi de financement de la sécurité sociale, Martine Aubry et moi-même savons que l'exigence de modernité et le souhait du public poussent à l'accroissement - contrôlé - des dépenses. Et nous nous y préparons dans le cadre de la loi. Mais je veux tourner le dos à une politique qui laisse mourir lentement les petits hôpitaux, faute de reconnaître les problèmes auxquels ils font face, faute de faire jouer la complémentarité entre établissements, faute de prendre à temps les décisions, faute d'établir - à temps - les réseaux de soins. Réseau, c'est le maître-mot car il signe un changement d'état d'esprit du corps médical. Enfin !
Rien n'est moins politique, au sens partisan du terme. Rien n'est plus politique au sens noble. Je ne suis pas partisan de la méthode, souvent aveugle et autoritaire, du plan déployé par le gouvernement précédent. Procéder à l'asphyxie budgétaire sans changer l'hôpital, à la planification sanitaire par défaut, à la réduction d'effectifs prenant la forme d'un constat de carence, là où il fallait une capacité d'anticipation, une vision du futur : n'agir que par une régulation comptable, décidée depuis les bureaux parisiens. Je veux essayer, avec vous, de faire la démonstration que la méthode n'était pas bonne.
Je vais laisser les membres de l'inspection générale des affaires sociales auteurs du rapport, présenter leurs conclusions : elles ne sont malheureusement pas bonnes. Elles confirment la nécessité qu'il y avait de prendre une décision de suspension de l'activité du bloc opératoire et de la maternité de cet hôpital, par mesure de sécurité.
Après le décès d'une patiente, au cours d'une opération qui aurait dû être banale, après d'autres accidents, mortels ou invalidants (dont la liste s'allonge et s'allongera comme les langues se délieront) c'était un devoir de prendre cette responsabilité d'arrêter le fonctionnement d'une partie des services de cet l'hôpital. L'état des lieux dressé par l'IGAS met en évidence des carences dont certaines dépassent le seul cas de Pithiviers.
La pénurie constatée de praticiens, en anesthésie réanimation, en chirurgie, la rigidité des statuts des médecins, la surenchère des rémunérations dans le secteur privé, l'absence de candidats dans certaines régions, et notamment la vôtre, nous interpellent et nous conduisent à des décisions. Nous devons nous y atteler. Nous mettons en uvre un groupe de réflexion et d'urgence sur l'anesthésie au ministère. Nous recherchons des anesthésistes ; nous sommes sur de bonnes pistes. Ensemble continuons.
Il nous faut ici, réagir, préparer l'avenir, construire les indispensables réseaux.
C'est cela que je suis venu travailler avec vous.
Le langage de vérité, c'est aussi de dire, répéter, que les solutions ne sont pas budgétaires. Nous savons que nous devons maîtriser les dépenses de santé : mais si l'on veut que cela ne se fasse pas au détriment de la santé, il nous faut mieux organiser notre système de soins, et adapter l'hôpital aux besoins. Il y aura des crédits pour l'amélioration de l'hôpital de Pithiviers.
Mon ambition est de traiter les choses non en technocrate de la santé, mais avec humanité. Je sais, je le sens, je l'ai confirmé avec vous en recevant certains de vos représentants.
Je vous propose, de réfléchir et d'agir ensemble, sur le terrain, avec exigence, sans concession pour tirer le meilleur de ce qui existe, pour innover et faire que cet hôpital de proximité ne soit pas un établissement qui ait à rougir de ses manques mais un hôpital ayant les moyens de répondre aux besoins de population en liaison étroite avec d'autres établissements, comme avec la médecine de ville.
La chirurgie de cet établissement, pour les raisons qu'établit clairement le rapport de l'IGAS, était dangereuse. Moins en raison de fautes médicales personnelles de tel ou tel praticien, que parce que les conditions d'exercice dans cet hôpital où l'activité est trop faible, trop inégale, ne peuvent permettre une chirurgie de qualité.
Chacun sait en effet que la qualité et la sécurité du travail du chirurgien est garantie par la sûreté et la fréquence des gestes vitaux, des techniques indispensables, qu'il pratique quotidiennement, par le travail en équipe également qui n'était pas assez développé.
Parce que l'activité chirurgicale de l'hôpital de Pithiviers est source de danger pour la population, nous ne pouvons accepter de la maintenir comme telle. Cela conduit à confirmer le transfert de l'activité chirurgicale à Etampes. Personne ne saurait prendre, dans les conditions actuelles - quand le chef de service lui-même demande le transfert de son poste à Etampes -, une telle responsabilité, alors que des solutions peuvent être mises en oeuvre pour qu'à travers une coopération entre Pithiviers, Etampes et Orléans, les patients puissent avoir accès à un plateau technique de qualité. A des déplacements facilités, à un suivi amélioré.
La maternité du Centre Hospitalier de Pithiviers n'a pas souffert des même critiques : avec 500 accouchements et plus par an, elle apporte un service apprécié par la population. Elle bénéficie d'une solide, ancienne et originale réputation.
Mais, aucun des gynécologues accoucheurs de cet hôpital n'a la qualification chirurgicale, le suivi pédiatrique des nouveau-nés n'est pas suffisamment assuré comme, hélas, une dernière affaire de mort d'enfant vient de nous le rappeler. Là aussi, dans les cas difficiles, douloureux, il y a eu des accidents.
Dans les conditions actuelles de fonctionnement de cet hôpital, nous ne pouvons que maintenir la période de suspension. Mais je ne m'arrêterai pas là. Je comprends trop l'importance d'une maternité et surtout la symbolique d'une fermeture pour en rester là. Je demande donc que tout soit étudié et mis en uvre pour créer les conditions d'une relance de cette activité. Cela sous-entend des praticiens exercés à la chirurgie.
Nous les cherchons. Nous chercherons encore ensemble. Cela suppose également des mises en uvre dont je vous parlerai après.
Laissez-moi souligner que le travail en commun est une source d'amélioration de la qualité des soins. Chaque hôpital ne peut tout faire. Une complémentarité est nécessaire. Dans le domaine de l'obstétrique et de la néo-natalogie, une coordination régionale en réseaux de soins spécifiques à la sécurité périnatale est prévue dans un proche avenir. Convention volontaire entre établissement aux plateaux techniques différents (service de réanimation), convention constituant des liens privilégiés mais non exclusifs, permettant notamment la prise en charge des patientes à risques.
Mais si chaque situation locale doit être examinée au cas par cas, en tenant compte des hommes, il n'en reste pas moins que notre pays n'a pas des résultats satisfaisants en termes de mortalité périnatale ou maternelle. A la suite du rapport du Haut Comité de la Santé Publique que j'avais saisi, nous préparons des décrets de périnatalité afin de proposer des restructurations préventives et non pas d'intervenir au coup par coup lorsqu'un accident a été constaté. Nous avons un seul objectif : celui d'augmenter la sécurité par tous les moyens.
Un hôpital de proximité comme celui de Pithiviers n'a pas pour mission ni pour vocation de poursuivre 1a " course aux armements médicaux " : cette voie là est vaine, coûteuse, et à terme dangereuse.
L'hôpital de proximité, c'est le contact, la qualité de la prise en charge de la personne.
J'y crois, parce qu'il est porteur de valeurs humaines essentielles : l'hospitalité, le bon soin, l'écoute de l'autre, la solidarité.
Vous êtes, vous les hospitaliers, je le sais, résolument au service des autres et votre combat pour la défense de l'hôpital en témoigne.
Ensemble nous saurons adapter les réponses aux besoins de santé de la population.
Autour de ce thème fédérateur, nous allons pouvoir faire beaucoup pour la relance de l'hôpital de Pithiviers.
Dès maintenant, de nombreuses pistes de travail, destinées à améliorer la prise en charge des patients vont très prochainement pouvoir être explorées et mises en oeuvre, grâce à votre concours.
J'ai demandé à M. MARROT de travailler avec vous-même, avec M. DEBETZ, le directeur de l'hôpital, pour formuler des propositions concrètes, pérennes, gage d'un développement de cet hôpital.
Grâce à ce travail, je peux d'ores et déjà vous confirmer que ni le budget, ni l'emploi hospitalier ne seront remis en cause à Pithiviers.
L'installation très prochaine d'un SMUR, le renforcement de l'unité des urgences, la restructuration de la médecine du moyen séjour, la création d'un véritable pôle de consultations, le développement de l'hospitalisation à domicile, la modernisation enfin de cet établissement sont un programme auquel je vous invite à travailler, dès maintenant.
Je souhaite que les leçons tirées de Pithiviers, signal d'une profonde de mutation des hôpitaux soient un exemple et un message positif adressé à tous les professionnels de l'hospitalisation publique.
La sortie des difficultés est l'affaire de la communauté hospitalière toute entière.
Les usagers, et notamment les plus démunis ont de plus en plus besoin de cette réponse et de notre mobilisation. Ne leur tournons pas le dos.
Vous pouvez compter sur mon appui pour y parvenir.