Interview de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé à France 2 le 30 novembre 2016, sur les propositions de François Fillon sur la sécurité sociale et l'IVG.

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Média : France 2

Texte intégral


WILLIAM LEYMERGIE
« Les 4 Vérités », ce matin Caroline ROUX reçoit Marisol TOURAINE.
CAROLINE ROUX
Oui, Marisol TOURAINE qui a commencé la campagne contre François FILLON, en l'accusant de vouloir privatiser la Sécurité sociale. Le candidat réplique et explique qu'il veut tout simplement sauver la Sécu.
- Jingle -
CAROLINE ROUX
Bonjour Marisol TOURAINE.
MARISOL TOURAINE
Bonjour Caroline ROUX.
CAROLINE ROUX
Alors, nous allons parler de François FILLON et de son projet pour la Sécurité sociale, mais d'abord ce sujet. Le président de la Conférence des évêques de France a écrit à François HOLLANDE, il vaut alerter le gouvernement sur une proposition de la majorité, qui interdit les sites de communication qui proposent aux femmes une alternative à l'IVG, pour lui c'est un déni de démocratie.
MARISOL TOURAINE
De quoi s'agit-il ? D'empêcher que des sites fassent de la désinformation. Je veux être extrêmement claire. Le délit d'entrave, ça n'est pas une question d'opinion. On a le droit, en France, d'être contre l'avortement, et on a droit en France de dire qu'on est contre l'avortement. En revanche, et ça, ça n'est pas un délit d'entrave. En revanche, le délit d'entrave c'est tromper volontairement, intentionnellement, des femmes, en les amenant sur des sites dont elles pensent qu'ils vont leur donner l'information qu'elles attendent, et en réalité se servir de ces sites pour les dissuader d'avorter. Vous savez, jusqu'à il n'y a pas longtemps, on voyait des femmes qui s'enchainaient aux grilles de hôpitaux ou des services de gynécologie, aujourd'hui on n'a plus besoin de cela, il s'agit d'aller sur Internet pour tromper. Et donc ce sont les juges, ce sont les juges, ce n'est pas le gouvernement qui va décider...
CAROLINE ROUX
Qui va évaluer que ce sont des sites d'information ou des sites qui font une sorte de pression psychologique ?
MARISOL TOURAINE
Eh bien ça sera aux juges de décider s'il y a volonté intentionnelle, j'insiste là-dessus. On n'est pas dans une proposition de loi qui est très générale.
CAROLINE ROUX
Juste, j'ai peur de ne pas comprendre : volonté intentionnelle de quoi ? Volonté intentionnelle d'informer...
MARISOL TOURAINE
De tromper, de tromper, c'est-à-dire de prétendre que l'on propose une information objective, et puis, progressivement, en réalité, d'amener les femmes qui sont souvent dans une situation de trouble, de confusion, de les amener à renoncer, et donc c'est cela...
CAROLINE ROUX
Il vous interroge dans cette lettre, il dit : « Le moindre encouragement à garder son enfant peut-il être qualifié de pression morale et psychologique ? ».
MARISOL TOURAINE
Mais l'encouragement à garder son enfant n'est en soi pas un sujet. Ce qui est problématique c'est si on dit : « Venez sur ce site, ce site va vous donner toutes les informations que vous recherchez, sur l'Interruption volontaire de grossesse ». Et en réalité, on rentre dans le cycle, et progressivement vous êtes amené à renoncer à une interruption volontaire de grossesse. Donc il y a une tromperie. Je rappelle qu'il y a un site institutionnel, qui est neutre, qui ne dit pas « vous devez avorter ou vous ne devez pas avorter », ça n'est pas le sens d'un site institutionnel, mais qui donne toutes les informations, les numéros de téléphone, les médecins, les psychologues, tous ceux qu'on a besoin de consulter.
CAROLINE ROUX
Donc le gouvernement entend cette crainte exprimée par le président de la Conférence des évêques de France, mais ne bougera pas sur ce texte, même si c'est une proposition de loi.
MARISOL TOURAINE
Ecoutez, franchement, ce sont les parlementaires qui portent cela. J'entends l'inquiétude, je veux y répondre de manière extrêmement calme, en disant : il n'y a pas de délit d'opinion en jeu dans cette affaire, je m'interroge simplement sur le fait que l'on assiste, depuis quelques années, régulièrement, à des offensives contre l'interruption volontaire de grossesse, je l'ai vu moi-même lorsque j'ai fait supprimer la condition de deux jours pour pouvoir décider d'avorter, une femme peut décider toute seule sans avoir besoin d'un délai de réflexion, on l'a vu quand on a supprimé la notion de détresse, on peut avorter sans être en situation de détresse. Il y a donc un climat culturel qui pèse et qui tend à culpabiliser les femmes qui s'interrogent sur l'avortement.
CAROLINE ROUX
Est-ce que l'objectif du gouvernement, c'est de réduire le nombre d'IVG ?
MARISOL TOURAINE
L'objectif ce serait évidemment de réduire le nombre d'IVG, et c'est pour ça que je lance régulièrement des campagnes sur la prévention, sur la contraception, et que par exemple j'ai permis aux jeunes femmes qui sont souvent financièrement en situation plus difficile, d'avoir les consultations et la prescription de contraception gratuite et entièrement prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale, c'est tout cas ce que nous faisons, peut-être que demain ça ne sera plus possible.
CAROLINE ROUX
Un mot sur le 1er décembre. Demain c'est la Journée mondiale de lutte contre le sida, est-ce que le nombre de contaminations, qui est autour de 6 000 par an peut baisser ? On voit que depuis quelques années ce chiffre est stable.
MARISOL TOURAINE
C'est stable. Le chiffre est stable, ce qui veut dire que nous devons travailler à toujours renforcer le ciblage des actions que nous menons. Concrètement, nous savons qu'aujourd'hui nous avons besoin d'atteindre des populations particulières, qui sont particulièrement plus à risques, d'où la campagne de prévention par voie d'affichage, que j'ai lancée il y a quelques petites semaines, enfin, qui était encore sur les murs la semaine dernière et qui provoqué des réactions assez incompréhensibles, je dois dire, parce que l'objectif c'est précisément, si on veut faire diminuer le nombre de nouvelles contaminations chaque année, c'est d'atteindre en particulier les hommes qui ont des relations sexuelles avec d'autres hommes, sans pour autant être gays, homosexuels fréquentant la communauté homosexuelle, avec des messages particuliers qui leur sont destinés. Donc nous devons cibler ces actions-là, et puis toute une série de mesures sont en place pour démultiplier les outils de prévention.
CAROLINE ROUX
On parle de François FILLON ?
MARISOL TOURAINE
Oui, bien sûr.
CAROLINE ROUX
Parlons de François FILLON. Vous l'avez accusé de vouloir privatiser la Sécu, il vous répond : « Non je veux sauver la Sécu », et il veut rassurer les personnes les plus modestes et les personnes âgées, en disant : « Vous serez mieux remboursés ».
MARISOL TOURAINE
Écoutez, la Sécurité sociale va bien, et ce n'est pas simplement moi qui le dis, ce sont tous les organismes indépendants qui, en regardant les comptes, disent que ça n'a jamais été aussi bien depuis 2001.
CAROLINE ROUX
Ça va mieux.
MARISOL TOURAINE
Non, mais ça n'a jamais été aussi bien depuis 2001. Les comptes sont maitrisés et des prises en charge ont été étendues. Qu'est-ce que...
CAROLINE ROUX
Toujours déficitaires, il faut quand même le préciser, toujours déficitaires, mais maitrisés.
MARISOL TOURAINE
Mais très peu déficitaires aujourd'hui et nous savons, pour l'assurance maladie uniquement, puisque pour les retraites c'est excédentaire. Bon. Donc, globalement, nous sommes à l'équilibre, mais il y a encore des économies à faire en matière de santé, que nous réalisons à travers toute une série de réformes, sur lesquelles je ne reviens pas, parce que, ce que dit François FILLON, ça revient à donner les clefs de la santé aux assurances privées, aux complémentaires ou aux mutuelles. Je vous donne des exemples, parce que ça n'est pas moi qui le dis, j'ai lu très attentivement son programme de campagne pour les primaires. Il dit que la Sécurité sociale se concentrera, pour les remboursements, sur les maladies graves ou les maladies chroniques, disons, ce que l'on appelle les affections longue durée, vous êtes pris en charge à 100 %. Donc moi je pose des questions très simples, ça veut dire que si on n'est pas avec une maladie grave et une affection chronique, on ne sera plus remboursé. Alors qu'est-ce que devient par exemple une femme enceinte ? Une femme enceinte, une grossesse, les consultations, les examens, si on vous pratique le tarif de base de la Sécu, c'est-à-dire sans dépassements d'honoraires, c'est à peu près 600 € le suivi, sans parler de l'accouchement. Vous m'accorderez, Caroline ROUX, qu'une grossesse, un accouchement, ça n'est pas une maladie grave, c'est même plutôt un évènement heureux. Donc, est-ce que ça va être remboursé ou pas ? Un accouchement à l'hôpital aujourd'hui c'est 2 500 €. Alors, les questions sont posées. Je prends un autre exemple, une personne âgée, un peu plus âgée, un homme, pour changer, qui fait de l'hypertension, hyper classique, hyper banal, ça n'est pas grave. L'hypertension, le suivi, les, consultations, les médicaments, ce n'est pas loin de 350 € par an. 350 € par an qui donc ne seront plus remboursés. Et donc, lorsque François FILLON...
CAROLINE ROUX
Alors, attendez, je vous coupe, pardonnez-moi, parce que j'écoute attentivement ce que vous êtes en train de dire, il y a aussi des rapports de la Cour des Comptes qui vont dans ce sens-là, depuis des années. Récemment, le dernier disant en fait qu'on pouvait sortir complètement les dépenses d'optique ou de prothèses dentaires, d'une partie des transports sanitaires, plus anciens, de resserrer le panier de soins remboursables, réinvestir dans les domaines plus essentiels, mieux financier le progrès social, en réalité c'est aussi des recommandations qu'on trouve dans des rapports très sérieux qui sont ceux de la Cour des Comptes.
MARISOL TOURAINE
Oui. Ce ne sont pas de recommandations, ce sont des suggestions d'une partie et de personnes qui font des propositions à titre quasiment de suggestion, mais qui n'ont jamais été retenues jusqu'à maintenant. Et c'est donc une rupture dans le consensus français pour la Sécurité sociale, et de ce point de vue là je le dis, le programme de François FILLON en matière de santé, est un programme dangereux, de retour en arrière, qui va fragiliser...
CAROLINE ROUX
Vous n'êtes pas dans la caricature, Marisol TOURAINE.
MARISOL TOURAINE
... qui va fragiliser les classes moyennes, les personnes âgées qui ont des petites retraites, les familles, puisque les enfants vont souvent chez le médecin, et donc c'est un programme qui au fond consiste à dire : vous êtes pauvre, on vous rembourse complètement, vous n'êtes pas pauvre, eh bien vous devrez payer nettement davantage. Et cela, c'est le contraire de la Sécurité sociale, c'est un système à l'américaine. Moi je ne veux pas de ça pour mon pays, parce que je crois à la Sécurité sociale.
CAROLINE ROUX
Merci beaucoup Marisol TOURAINE.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er décembre 2016