Texte intégral
Jean-Pierre ELKABBACH
François BAYROU, bonsoir.
FRANÇOIS BAYROU
Bonsoir.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous êtes l'invité de ce deuxième grand rendez-vous politique, Europe 1 2002, avec Catherine NAY, je vous en remercie. Je vous remercie d'intervenir dans ce climat de menaces et d'inquiétudes. Aujourd'hui Wall Street a limité les pertes. La solidarité joue, pour l'instant la catastrophe redoutée est évitée, mais les risques restent élevés et les bourses européennes, elles sont en hausse. François BAYROU, vous faites partie des candidats à l'Elysée, vous êtes le premier à vous exprimer sur la crise nouvelle. Quand le monde est ainsi engagé dans un conflit majeur et dans la tragédie, qu'est-ce qu'un homme politique français aspirant au pouvoir qu'il n'a pas, peut apporter sinon son soutien à ceux qui gouvernent ? Face au danger lui aussi mondialisé, quelle doit être la réponse pays après pays, des dirigeants et chefs de partis ? Jusqu'où faut-il manifester la solidarité française à l'égard des Etats-Unis et de sa prochaine riposte ? Quel monde et quelle société rebâtir sur les décombres des deux tours jumelles de Manhattan ? Qu'apportez-vous, que croyez-vous apporter de singulier ? Et la première question en France, la campagne présidentielle n'avait pas vraiment commencé, est-elle déjà finie ?
FRANÇOIS BAYROU
Je pense qu'il faut prendre la mesure de ce qui se passe. Ce qui se passe est un drame pour le monde et une remise en cause profonde de ce que nous sommes et de ce que nous avons fait. Dans un moment aussi grave, naturellement et à mes yeux, la campagne électorale est mise entre parenthèses. On a un devoir, il est simple, c'est un devoir de solidarité et d'union nationale. Il y a un président de la République, il y a un Premier ministre qui servent à leur manière, nous devons servir à la nôtre. Et c'est la raison pour laquelle, pour ma part, je ferai tout ce que je pourrai pour que la société française montre sa solidarité pendant cette période, sa détermination et sa volonté.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire que vous n'êtes plus en campagne électorale ?
FRANÇOIS BAYROU
Ce n'est pas le moment de la campagne électorale. Ce moment viendra sans doute pour une raison très simple, c'est que les problèmes de la France et du monde, on les a sous les yeux, demeurent. Il faudra que nous les désignions, que nous les montrions, que nous les nommions et que nous proposions des réponses. Mais ça ne doit pas se faire dans une ambiance de compétition, de querelles ou de divisions. C'est aujourd'hui l'union nationale qui doit être dans les esprits.
CATHERINE NAY
Et cette parenthèse de campagne à votre avis, vous l'estimez à combien de temps ? Quel laps de temps ?
FRANÇOIS BAYROU
Je ne sais pas. Ce n'est pas nous qui fixons le calendrier de cette crise. Mais vous sentez bien qu'aujourd'hui, si j'étais devant vous avec les petites phrases habituelles des campagnes électorales qui sont la loi du genre, votre jugement ou votre sentiment serait évidemment qu'on n'est pas dans le sujet.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les Français trouveraient ça indécents ?
FRANÇOIS BAYROU
Les Français jugeraient cela indécent et ils auraient raison. On a le devoir, comment dirais-je, de hisser le débat politique à la hauteur de ces enjeux qui sont majeurs. Non pas que les problèmes aient changé, pour un responsable politique comme moi, qui dit depuis des années que la question fondamentale est celle de savoir si oui ou non, la France est armée et si oui ou non nous voulons construire l'Europe. Naturellement ces questions sont au centre du débat que nous allons avoir. Mais l'ambiance ne doit pas être à la campagne électorale. Les actes et les mots qui sont les nôtres ne doivent pas être des mots de campagne électorale, ils doivent être dirigés par le sentiment d'union nationale
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Aux Etats-Unis, François BAYROU, tous, le Congrès, tous les présidents y compris, Bill CLINTON, se sont mis derrière George BUSH. Est-ce que vous dites aujourd'hui, pour les encourager et les aider, tous derrière CHIRAC et JOSPIN ?
FRANÇOIS BAYROU
Il y a un président de la République, il y a un Premier ministre, nous avons le devoir de nous serrer les coudes. Ils servent dans les fonctions qui sont les leurs, nous devons servir dans les responsabilités qui sont les nôtres.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais l'offensive de grande envergure, la vraie, la riposte de caractère de militaire, celle qui est annoncée comme devant être terrible, par Dick CHENEY, par le président BUSH et Colin POWELL. Elle se prépare, elle pourrait ne pas avoir lieu avant trois mois. Est-ce que ça veut dire qu'on peut imaginer la campagne électorale avec en fond les missiles, les bombes, l'intervention même terrestre en Afghanistan ? Est-ce qu'il faut aussi, une question probablement stupide, inimaginable, faut-il reporter l'élection présidentielle ?
FRANÇOIS BAYROU
Encore une fois, ce ne sont pas les responsables politiques qui ont la maîtrise du calendrier, les démocraties ont des rendez-vous avec elles-mêmes. Mais vous savez, on a fait plusieurs fois l'expérience, que quelques semaines peuvent suffire pour poser les problèmes et quelquefois les résoudre. Pour moi ce n'est pas une question de calendrier, je ne veux pas mettre sur le même plan une campagne électorale et les enjeux majeurs que le monde a devant lui. Et je m'efforcerai de faire la différence entre l'un et l'autre. Cependant je le répète, les problèmes du pays demeurent, les Français vont les vivre avec d'autant plus de difficultés que la crise va être grave. Et il faut bien qu'il y ait des esprits pour les entendre et des voix pour porter leurs paroles. Cela fait partie du débat et non pas de la campagne électorale.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les voix s'expriment, elles s'expriment ce soir, François BAYROU, mais elles s'exprimeront avec moins de vivacité ou d'esprit polémique et partisan, si je comprends bien. Mais pendant combien de temps comme disait tout à l'heure Catherine NAY ? Est-ce que vous imaginez que ce silence, cette discrétion vous le tiendrez des mois, des semaines ?
FRANÇOIS BAYROU
Pendant le temps nécessaire. Encore une fois, je ne pense pas qu'il faille que les responsables disparaissent du débat. La France est là, elle a des difficultés et les Français rencontrent des problèmes qui vont être, je le crains, plus graves et plus ardus au fur et à mesure que la crise se développera. Il faut être là, sur le terrain et avec eux. Je m'efforcerai d'y être. Mais la manière
CATHERINE NAY
Donc vous allez reprendre vos voyages à travers la France ?
FRANÇOIS BAYROU
mais la manière dont je le ferai ne sera pas de compétition et de campagne électorale. Je m'efforcerai de servir pendant cette période l'union du pays et de répondre aux questions qui se posent, pas de faire campagne électorale avec les petites phrases habituelles.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ni avec le bus ? Le bus de BAYROU, il reste au garage longtemps ?
FRANÇOIS BAYROU
Non, mais un bus, c'est un élément de proximité. Ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui.
CATHERINE NAY
Puisqu'un temps de réflexion nouveau est venu, en raison de ces évènements, comment allez-vous, est-ce que vous allez changer peut-être votre programme ? Peut-être affiner vos positions sur l'économie, sur la politique étrangère ? Est-ce qu'il y a des sujets que vous n'aviez pas abordés et sur lesquels vous allez essayer d'approfondir votre réflexion ?
FRANÇOIS BAYROU
Catherine NAY, si vous me permettez, je vois trois questions majeures. La première, est-ce que la France est armée pour la crise qui vient ? Moralement armée, armée dans son organisation, capable d'y répondre ? Deuxième question, est-ce que nous allons avoir l'Europe qui permet de faire face au drame que nous vivons ? Et la troisième, quel ordre du monde avons-nous à l'esprit pour la suite ? Le monde d'après le 11 septembre. Quel ordre du monde avons-nous ? Ces trois questions-là, pardonnez-moi.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est bien qu'un leader et qu'un grand politique pose les questions. Mais ce que l'on attend parce que c'était un peu
FRANÇOIS BAYROU
C'est des réponses.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais ce sont les réponses. Mais est-ce que
FRANÇOIS BAYROU
Attendez, Catherine NAY me demandait si j'allais changer de message. Pardonnez-moi de vous le dire, ces trois questions là, ce sont les trois questions que je pose depuis que ce chapitre de la campagne présidentielle a été ouvert. Il faut un projet nouveau, je le crois pour ce pays et pour notre Union Européenne. Parce que jusqu'à maintenant, les réponses que nous avons, je ne dis pas qu'elles sont mal orientées, mais elles sont faibles par rapport aux enjeux qui sont devant nous. Et donc il n'y a pas à changer de message. Il y a au contraire à constater que les faits dramatiques que nous avons sous les yeux nous permettent de vérifier que les questions que nous posions étaient les bonnes.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Nous allons reprendre presque une à une, avec Catherine NAY, les questions essentielles qui se posent, mais pour rester dans le conflit dans lequel nous sommes entrés, François BAYROU, est-ce que vous estimez que vous êtes assez informé, directement ou par le président de la République ou par le Premier ministre ou par les deux ?
FRANÇOIS BAYROU
J'évoquais un climat d'union nationale ; il me semble en effet que le Premier ministre et le président de la République, qui échangent sur ces sujets avec les responsables politiques européens devraient songer, je pense qu'ils y pensent, d'ailleurs, à informer les responsables politiques français, à les entendre, à parler avec eux. Je me souviens que le président MITTERRAND l'avait fait dans la crise très importante que nous avions eue avec la guerre du Golfe. Il me semble que le moment vient où le Premier ministre et le président de la République devraient s'entretenir avec les responsables politiques français, précisément pour que l'idée de se serrer les coudes ne soit pas un vain mot, que ce soit une réalité.
CATHERINE NAY
Alors vous n'êtes peut-être pas encore informé de ce qui se passe aux Etats-Unis, mais quand vous regardez agir et parler le président BUSH, quelle impression vous fait ce président en quête de leadership ? Et est-ce que vous êtes d'accord avec lui quand il dit nous allons mener la guerre du bien contre le mal ? Est-ce que c'est les mots qu'il fallait dire ?
FRANÇOIS BAYROU
Je pense que la guerre contre le mal, c'est une idée juste. Mais imaginer que nous avons ou que nous sommes les représentants du bien, disons que c'est une formule un peu incertaine. C'est aller un peu vite en besogne. Je ne pense pas que l'Occident, que l'Amérique et que l'Europe puissent s'arroger d'être à eux seuls le bien.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui parce qu'on entend
FRANÇOIS BAYROU
Voilà pourquoi les formules de western ne sont pas exactement adaptées. Je comprends la communication de masse qui explique que l'on veuille trouver une formule qui fait image. Mais nous avons à conduire le combat contre un mal qui a beaucoup de visages, et cela est juste. Evitons de croire que nous sommes, à nous tous seuls, le bien de la planète.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce qu'on entend, un Dieu contre un Dieu. Le God save America. Le Dieu des Américains et en même temps, l'Allah d'en face. Ce n'est peut-être pas le conflit ?
FRANÇOIS BAYROU
Je pense qu'une des précautions très importantes qu'il va falloir prendre dans les mois qui viennent, c'est que nous n'ayons pas une guerre de religions à vivre. Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas que nous nous adressions directement à l'Islam. Je pense que nous avons un dialogue à conduire avec l'Islam sur des bases de fermeté. Je veux bien
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On va en parler tout à l'heure.
FRANÇOIS BAYROU
On va en parler.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Parce que l'Islam modéré, c'est un certain type d'Islam. Catherine NAY, parlait du langage du président BUSH. Il a dit il y a quelques minutes, " je veux la justice et il existe chez nous, une vieille affiche du Far West, qui dit : Wanted dead or alive. Je veux BEN LADEN mort ou vivant. " On est dans un western ?
FRANÇOIS BAYROU
Je vous ai dit qu'il ne me semblait pas que le vocabulaire du western soit exactement adapté à la gravité des temps que nous vivons et que nous allons vivre. Et deuxièmement, il y a une responsabilité très importante pour les dirigeants américains, c'est que la preuve soit apportée ou le plus de preuves possibles, pour que la culpabilité soit prouvée. Alors il semble qu'il y ait un faisceau d'éléments qui aille dans le même sens. Si l'on veut éviter qu'il y ait un effet de contagion ou d'exemplarité ou un effet d'image de martyr dans toute une partie du monde, il faut que la culpabilité soit clairement établie et prouvée. Et il est légitime que face à ces alliés américains, l'Europe dise faisons ce chemin ensemble, montrons que les éléments que nous avons nous conduisent sans erreur possible à penser qui est le coupable.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors nous allons voir tout à l'heure, ce que nous pouvons faire, enfin nous, Européens et en tout cas nous Français. Il y a à vous interroger sur le fond, François BAYROU, je note la gravité, la solennité de votre intervention de ce soir. En tout cas, du début de votre intervention. La première page de publicité et on se retrouve.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Europe 1 2002, invité ce soir jusqu'à 20h00 François BAYROU. La Banque Fédérale, monsieur BAYROU, avec Alan GREENSPAN, les banques américaines, les investisseurs, les petits porteurs américains sont en train de jouer en ce moment une forme de solidarité comme si le patriotisme jouait aussi en matière économique. Les banques se sont apparemment donné le mot pour soutenir pendant quelques jours les marchés financiers, estimez-vous que la crise financière est évitée ?
FRANÇOIS BAYROU
D'abord, financière je ne sais pas exactement ce que ça veut dire, mais une crise économique, il me semble qu'il existe de grands risques. Toutes les autorités et toutes les puissances qui interviennent sur les marchés se sont liguées pour éviter un krach brutal aujourd'hui, elles l'ont fait et avec succès et c'est bien. A présent tout le monde voit bien que la période dans laquelle nous entrons est marquée par l'incertitude, et l'incertitude en matière économique, ça veut dire des menaces sur l'investissement et sur la consommation. Cela signifie que la crise n'est pas derrière nous, qu'il y a de très grands risques et il faut les affronter les yeux ouverts, notamment en se demandant, ça viendra un jour, si la France est armée pour ce monde-là.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ca fait deux fois que vous vous posez la question, quelle est votre réponse ?
FRANÇOIS BAYROU
Je pense qu'aujourd'hui la France n'est pas armée pour ce monde-là, pour ce que nous allons vivre et qu'il est nécessaire qu'en perspective des échéances très importantes où l'on évoque le risque de guerre, le risque de crise, nous réfléchissions à l'état de la France.
CATHERINE NAY
Qu'est-ce que ça veut dire exactement " la France n'est pas armée " ? C'est-à-dire la France, l'Europe l'est-elle, la France non et qu'est-ce qui fait qu'elle n'est pas armée, qu'est-ce qui lui manque ?
FRANÇOIS BAYROU
Je vais prendre un exemple crucial. Nous avons à faire face probablement pour longtemps à des menaces de terrorisme, en tout cas à des craintes que nous pouvons nourrir sur ce sujet. Est-ce que la France a appris cette vigilance-là ? Est-ce que nous avons les réserves nécessaires, peut-être la mobilisation civique nécessaire
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les réserves en hommes.
FRANÇOIS BAYROU
militaires et puis aussi civiques, les hommes et les femmes capables, formés pour veiller aux lieux publics, faire attention aux événements qui se préparent, aux gestes qu'il faut faire quand la menace est précise. On vient de voir qu'aux Etats-Unis il y a une Garde nationale, on vient de voir qu'aux Etats-Unis, il y a une mobilisation de réserve possible, est-ce que cette défense civique, civile de la France, est-ce que nous l'avons construite au travers du temps ? Ma conviction est que non. On a cru un peu béatement que les risques étaient derrière nous, or nous le voyons hélas aujourd'hui, les risques sont devant nous
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous êtes en train de dire que la réforme du service militaire, l'armée professionnelle est une erreur
FRANÇOIS BAYROU
S'il vous plait, je ne souhaite pas que l'on transforme en accusation toutes préconisations ou tous problèmes que nous soulèverons dans les temps qui viennent J'ai proposé un service civique vous le savez bien, au printemps, on était très loin de croire ou de penser que ces événements étaient devant nous, seulement quelques esprits mettaient en garde. Mais je suis persuadé que si l'on veut une société de vigilance, songez aux quartiers par exemple dans lesquels on nous explique qu'il y a des trafics d'armes, est-ce que c'est admissible cette espèce d'immense zone de non-droit qu'on a laissé se construire dans le monde ? Non, une société de vigilance, une France armée pour faire face à ces menaces là, ça reste à construire et il me semble que c'est le travail de responsables que de le dire, avant qu'on en vienne à regretter de ne pas les avoir entendu.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que le responsable, François BAYROU, qui peut-être redeviendra candidat à l'Elysée a dans son programme une révision de la réforme du service militaire et la mise en route d'un service civique et de la modernisation d'une armée française qui en vous écoutant est surtout prête pour faire la dernière guerre ?
FRANÇOIS BAYROU
A votre question la réponse est évidemment oui, je ne me permettrais pas de parler de ce sujet à votre micro si je n'avais pas fait cette proposition précise il y a déjà six mois. Encore une fois on a cru pendant longtemps qu'on n'avait devant nous que du beau temps. On s'est laissé porter par une espèce d'euphorie de la croissance économique et au fond, de la facilité de ce que nous allions vivre. On vérifie aujourd'hui que les temps que nous allons vivre sont beaucoup plus difficiles et dangereux que ceux-là. Il est légitime que nous nous préparions à les affronter.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais quand vous dites nous ne sommes pas armés, est-ce que vous le dites sur le plan économique, nous ne le sommes pas, par exemple il y a demain Catherine NAY, la présentation du budget 2002.
CATHERINE NAY
Certains de vos amis, le groupe DL par exemple demandent le report de la présentation du budget
FRANÇOIS BAYROU
Ce n'est pas l'idée qui est la mienne parce que je crois que les marges de manuvres ne seront pas plus grandes dans un mois qu'elles ne le sont aujourd'hui
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous voulez dire que ce qui s'est passé entre les deux tours et à l'encontre des deux tours américaines de Manhattan aura des conséquences telles sur l'économie mondiale et l'économie française qu'il faudra modifier les bases sur lesquelles on travaille aujourd'hui ?
FRANÇOIS BAYROU
Je pense que le risque existe, que les bases sur lesquelles ce budget a été construit ne soient pas des bases réalistes, et ce n'est pas un report de quelques semaines qui changera cela. La France n'a pas les marges de manuvres qu'elle devrait avoir. Les Etats-Unis ont mobilisé 40 milliards de dollars alors que le président n'en demandait que 20, 40 milliards de dollars pour lutter contre cet ennemi et pour combattre les conséquences de ce drame. Mais nous ne pourrions pas mobiliser une somme équivalente ou proportionnelle parce que nous n'avons plus les marges de manuvres. On est obligé de jouer avec des acrobaties budgétaires terribles pour passer au-dessous de la barre des 200 milliards de déficit, ce qui est évidemment une présentation de vitrine et pas une réalité.
CATHERINE NAY
Oui mais alors, sans vouloir faire de polémique, cette absence de marge de manuvre, c'est une situation française ou tous les pays européens connaissent plus ou moins cette situation ?
FRANÇOIS BAYROU
Non c'est une situation française et allemande. Mais beaucoup d'autres pays européens ont conduit les efforts nécessaires pour ne pas être dans la même situation de risques. C'est comme ça, c'est un fait.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Anne-Marie MOREAU et la rédaction d'Europe 1 viennent de me dire que Wall Street repart à la baisse, moins 6,35% et que Laurent FABIUS vient de dire à propos de la baisse du taux par la Banque Centrale Européenne, qu'elle était positive pour le démarrage en France de l'activité économique. C'est quoi ?
FRANÇOIS BAYROU
C'est une déclaration du ministre de l'Economie.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais enfin il ne joue pas le catastrophisme ?
FRANÇOIS BAYROU
Non, c'est normal que les dirigeants dans leur rôle disent que ça va aller mieux. Mais il est tout aussi normal que les responsables politiques, dans leur rôle à eux, allument le projecteur sur les risques qui sont devant nous sans faire de catastrophisme
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et sans polémique
FRANÇOIS BAYROU
et en manifestant la volonté la plus forte de mobiliser l'énergie nationale pour franchir ces obstacles là qui sont les obstacles de l'histoire Toutes les générations ont connu ce genre d'obstacles.
CATHERINE NAY
Alors si la France manque de marges de manuvre, est-ce que vous pensez que pour rassurer les Français, il serait bon, comme le propose Charles PASQUA par exemple, de suspendre Schengen et de remettre le contrôle aux frontières ?
FRANÇOIS BAYROU
Pour les terroristes, les frontières ne sont pas une gêne mais un atout. Parce que les réseaux terroristes eux, sont internationaux. Si donc chaque fois, comme c'est hélas le cas encore aujourd'hui, vous avez une frontière qui s'applique à la police, une frontière qui s'applique à la douane et une frontière qui s'applique à la justice, chaque fois qu'un terroriste passe une frontière, il pousse un " ouf " de soulagement parce qu'il va avoir huit jours, dix jours ou quinze jours peut-être trois mois de répit. Le temps que les polices se téléphonent, que les réseaux de renseignements se fassent passer, ce qu'ils ne font hélas je crois pas souvent, les renseignements qu'ils ont acquis et que les juges puissent faire leur travail, les frontières sont une protection pour les terroristes. Quand est-ce qu'on va s'en rendre compte ? Vous voyez bien, dans les drames que nous vivons, nous continuons à vivre dans notre système avec quinze réseaux de renseignements différents et de surcroît rivaux parce que les vieilles cultures de rivalité entre réseaux
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors les Européens doivent changer ça ?
FRANÇOIS BAYROU
Les Européens doivent changer ça. Le général MORILLON est là à côté de nous, il sait ce que coûte l'absence de coordination de nos réseaux de renseignements dans des temps comme ceux-là. Nous avons à construire une Europe capable de résister aux défis qui sont en face de nous. Elle ne l'est pas encore, nous disons qu'elle est faite, mais elle n'est pas faite évidemment
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il faut plus d'Europe là aussi selon François BAYROU.
FRANÇOIS BAYROU
Edouard BALLADUR a eu une très bonne formule hier, il a dit " depuis le 11 septembre en tout cas, il y a un mort, c'est le souverainisme ", l'idée qu'on peut se refermer sur nos frontières pour faire entre nous et tout seul quelque chose qui requiert la collaboration, la coopération et le travail de tous en commun.
CATHERINE NAY
Mais enfin en disant cela, je sais bien qu'il ne faut pas parler de campagne présidentielle, vous venez de flinguer quelques candidats à la présidentielle ?
FRANÇOIS BAYROU
Non, j'espère que vous ne l'entendez pas comme ça, en plus ce sont des hommes que j'estime. On n'en est pas aux petites phrases. Ecoutez, on vient de voir 5 500 personnes qui sont mortes sous les tours du World Trade Center. Tout le monde vient de voir les avions entrer dans ces tours et leur effondrement, on nous dit que ce sont des réseaux internationaux qui ont monté cela et qui l'ont fait dans la plus totale impunité. Est-ce que l'on continue à les laisser faire ou est-ce qu'on bâtit une organisation de nos pays et de nos peuples capable de résister à cela ? En tout cas moi c'est cet objectif que j'ai devant les yeux. Est-ce qu'on continue à être comme l'agneau qui vient de naître et à ne rien faire pour se battre sauf des mots, des paroles verbales, qu'on envoie dans l'air ou on bâtit quelque chose ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Eh bien justement, comment se battre contre ce fléau, ce mal du début du 21ème siècle qui s'est aggravé avec ce qu'on a vu il y a quelques jours aux Etats-Unis. Vous allez répondre d'une manière plus concrète dans quelques minutes après une nouvelle page de publicités François BAYROU.
(Suite de l'interview sous la référence 013002715-002)
(Début de l'interview sous la référence 013002715-001)
JEAN-PIERRE ELKABBACH
François BAYROU, les agences de presse reprennent ce que vous venez de dire : la campagne électorale présidentielle pour ce qui concerne François BAYROU est mise entre parenthèses
FRANÇOIS BAYROU
J'ai dit que la campagne électorale doit être mise entre parenthèses et je crois pour tout le monde devant la gravité de ce que nous sommes en train de vivre. Et cela me paraît de décence élémentaire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous le dites pour vous ou vous le souhaitez pour les autres ?
FRANÇOIS BAYROU
Je le dis pour moi et je pense que tout le monde arrivera à la même conclusion. Nous vivons tous dans le même pays, nous avons tous les enjeux sous les yeux, nous savons tous ce qu'il en est de ce peuple que nous aspirons à représenter, il me semble que nous lui devons cette attitude de responsabilité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On peut arriver à l'élection présidentielle pratiquement sans campagne ?
FRANÇOIS BAYROU
Franchement, ce serait la première fois dans l'histoire
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Comment la France et l'Europe sont-elles en train de gérer la crise naissante ? La Président Chirac a renouvelé aujourd'hui sa solidarité sans faille avec les Etats-Unis. Monsieur Jospin avait dit à peu près la même chose. S'il y a une réaction américaine d'envergure, l'Europe vit sa solidarité d'allié, la France doit-elle s'associer y compris militairement, je veux dire avec son armée professionnelle, si on lui demande ?
FRANÇOIS BAYROU
Nous sommes des alliés. Nous avons un traité d'alliance qui a cinquante ans, un peu plus même, et nous venons de rappeler que toute agression contre l'un des nôtres devait être considérée comme une agression contre tous. Cela ne se discute pas. Mais allié ne veut pas dire servile, cela signifie que l'on parle, que l'on échange des points de vue, que l'on essaie de bâtir ensemble les décisions à prendre. Et je ne recommanderai jamais que mon pays ou l'Union européenne à laquelle j'appartiens soient en situation d'obéissance, d'alignement. Il ne s'agit pas de cela. D'une certaine manière, je l'ai souvent dit, allié et alignement, c'est contradictoire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Solidarité, pas alignement.
FRANÇOIS BAYROU
C'est ce que les responsables politiques principaux ont dit en France. Cette attaque là est une attaque dirigée contre nous tous. On a lu dans les journaux que le Parlement européen était il y a quelques semaines la cible de je ne sais quel fou. Cela peut nous arriver demain matin. Si nous ne sommes pas capables de bâtir ensemble une campagne de long terme pour couper ces réseaux de leurs bases et de leurs appuis, pour les isoler et les faire disparaître, alors franchement nous avons du souci à nous faire pour l'avenir.
CATHERINE NAY
Pour les combattre, est-ce qu'il ne faut pas d'abord essayer, tous ensemble, de comprendre les raisons pour lesquelles ils ont agi de la sorte ?
FRANÇOIS BAYROU
C'est la question que je posais en disant quel ordre nouveau voulons-nous pour le monde ? Il y avait un avant, il y a un après 11 septembre. Les événements du World Trade Center sont aussi importants pour la conscience universelle que la chute du mur de Berlin. Ils auront des conséquences aussi lourdes et de même nature. Et une partie de ce que nous avons à construire pour l'avenir, outre l'Europe dont je disais qu'elle est pour moi le point de passage obligé, et pas l'Europe dont on parle, une Europe qu'on fait, avec des dirigeants responsables devant les peuples, capable de prendre des responsabilités face aux services secrets ou de diriger un corps d'armée européen, et bien l'Europe est un point de passage obligé.
Il y a un autre point de passage obligé,, quel ordre du monde voulons-nous ? Et en particulier comment faire, question centrale, pour que le sentiment de la justice se substitue à la loi du plus fort ? On ne dit pas que la loi n'est pas nécessaire, ou que la force ne puisse pas être utile. Je dis que nous aurons gagné vraiment le jour où les peuples de la terre, et notamment les plus pauvres, auront le sentiment que le système que nous bâtissons est un système de justice et pas un système qui avantage les uns au détriment des autres. Force est de reconnaître que pour l'instant nous n'en sommes pas là. Force est de reconnaître que pour une immense partie de l'humanité, naturellement pas celle que l'on voit sur les écrans, son quotidien c'est plus souvent le sida, le fanatisme et la corruption que le bien-être dans lequel nous vivons.
Et il y a des valeurs dont il va falloir parler. Je crois qu'il y a un dialogue à ouvrir avec l'Islam, un dialogue ouvert, responsable, de respect réciproque sur un point précis. Tout le monde parle d'Islam modéré et d'Islam intégriste. Mais ce sont des mots et des adjectifs qui sont quelques fois blessants. Il y a à mon avis une question simple qu'il faudra aborder : est-ce que les pays musulmans acceptent sur leur sol d'autres religions, d'autres philosophies que l'Islam ? Vous savez qu'il y a en Afghanistan huit responsables humanitaires qui sont en prison et pour quelques-uns menacés de mort parce qu'on a découvert une bible dans leurs bagages ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais les Talibans ne sont pas modèles même pour l'Islam
FRANÇOIS BAYROU
Et bien il y a d'autres pays dans lesquels le même genre d'intolérance règne.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il n'y a pas de dialogue possible ?
FRANÇOIS BAYROU
C'est là où l'Europe peut aider. Il y a 402 ans que nous avons eu, en France, ce formidable événement qu'était l'édit de Nantes. L'édit de Nantes reconnaissait une religion d'Etat mais cette religion est obligée d'accepter la religion des autres. Je crois qu'il faut dans le cadre des Nations-Unies que nous ouvrions le débat avec les pays qui revendiquent l'Islam comme leur religion d'Etat
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pas comme à Durban !
FRANÇOIS BAYROU
A Durban, on a fait en sorte que le fossé se creuse davantage. Cette démarche élémentaire d'une laïcité ouverte doit être l'un des fondements du nouvel ordre du monde que nous allons essayer de construire. On a le droit de parler avec les pays musulmans qui sont nos partenaires de ce qui leur tient à ce point à cur et qui est très important pour nous aussi, c'est-à-dire la liberté de l'esprit. On a le droit de poser les questions à ce niveau là et pas toujours en termes de rapports de force.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mails il est possible que l'on ait le droit de poser ces questions quand on est en Europe et en démocratie et qu'on ait moins le droit quand on est dans ces pays-là.
FRANÇOIS BAYROU
Vous voyez les deux faces de l'ordre du monde dont nous parlons. On en est très loin pour l'instant. 1 la justice. Que le travail de l'humanité vise à faire que les pauvres soient moins pauvres et moins abandonnés. Et 2, qu'on ait le droit de parler avec eux d'une organisation du monde qui fasse que toute religion et toute philosophie y soit respectée et non pas une espèce de totalitarisme religieux qui ne peut que provoquer des drames comme ceux que nous vivons.
CATHERINE NAY
Il y a trois ans dans une fatwa Ben Laden explicitait les raisons de la guerre qu'il voulait mener contre les Etats-Unis. Elles étaient au nombre de trois. D'abord l'occupation des lieux saints, le non règlement de la situation palestinienne promise aux pays arabes au moment de la guerre du Golfe et la troisième chose le sort du peuple irakien, un million de morts pour cause de famine et de maladie à cause de l'embargo. Est-ce que les occidentaux peuvent l'entendre ou est-ce que c'est une question taboue ?
FRANÇOIS BAYROU
Aucune question désormais n'est taboue. Le temps où n'avait pas le droit d'aborder les questions est derrière nous parce qu'autrement nous ne sommes pas à la hauteur du drame que nous sommes en train de vivre. La question de la paix au Proche-Orient comme la question du sort du peuple irakien, tout cela peut être l'objet d'une discussion au niveau de celles que j'évoquais à l'instant.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pourquoi on ne commence pas au Parlement européen ou au Parlement français ?
FRANÇOIS BAYROU
Au Parlement européen on a fait beaucoup de choses. Vous savez que le Commandant Massoud qui vient de mourir avait été invité au Parlement européen. Les autorités françaises avaient refusé de le voir. Nous avions pendant des heures accompagné sa réflexion et sa démarche, en particulier la présidente du Parlement européen. C'est une chose utile et juste.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Aujourd'hui il faut balayer le régime des Talibans et aider l'opposition sans Massoud.
FRANÇOIS BAYROU
Le plus utile et le plus efficace qui puisse se faire en Afghanistan étant donné la difficulté du terrain que les russes ont expérimentée, c'est aider ceux qui en Afghanistan défendent cette conception de la tolérance et de la liberté, et en particulier les amis orphelins du Commandant Massoud.
CATHERINE NAY
Les aider en leur donnant des armes ?
FRANÇOIS BAYROU
Les aider ! Pas par des mots, par des faits, par des gestes, par des réalités, les armes en sont une, bien sûr.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
François BAYROU jusqu'à 20H00 pour EUROPE 1 2002. C'est le deuxième invité de cette émission politique qui commence. François BAYROU, vous n'avez pas tout à fait, si vous me le permettez, répondu à la question que nous vous avons posée avec Catherine NAY : jusqu'où doit aller l'engagement militaire français s'il y a une riposte militaire américaine ? Jusqu'où Si l'Amérique vous le demande ?
FRANÇOIS BAYROU
L'engagement militaire français doit être total, à la condition que la France ait préalablement donné son accord à ce qui va se faire, que ce soit une démarche d'allié, et naturellement là il faudra que nous prenions nos responsabilités. Mais vous voyez bien que cela suppose, pour éviter une contagion, que l'action entreprise soit non seulement marquée par la justice mais par la justesse. Que l'on donne au monde, au monde musulman si c'est de lui qu'il s'agit comme au reste du monde occidental ou oriental, la certitude que nous avons les éléments nécessaires pour agir, qu'il ne s'agit pas de faire des gestes pour des gestes mais que c'est une volonté construite, américains et européens
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord. Ce que vous dites, si vous me le permettez, François BAYROU, c'est beau comme la poésie et on voit bien les racines philosophiques et morales de votre intervention, de votre discours
FRANÇOIS BAYROU
Ecoutez, ce n'est déjà pas si mal
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est déjà pas mal mais dans le concret, on vous dit : " est-ce qu'on survole le territoire français ? " vous dites : " oui/non ". " Est-ce qu'on envoie des hommes et peut-être des avions si on nous le demande, pour tel ou tel rôle ? ". " Est-ce qu'on les met sous autorité américaine ? " Vous dites " oui/non ".
CATHERINE NAY
Et est-ce qu'on accepte qu'il y ait des morts ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Américains, Français.
FRANÇOIS BAYROU
Vous avez posé tout à l'heure la question au président de la République, il vous a dit : " Je n'ai aucune information ". Il vous a dit
CATHERINE NAY
" L'Amérique ne nous a rien demandé ".
FRANÇOIS BAYROU
L'Amérique ne nous a rien demandé encore, mais c'est évident, pour moi, que l'Alliance est un engagement, l'Alliance ce n'est pas seulement de la sympathie. Quand on signe un traité d'alliance militaire, c'est qu'on pense qu'il peut y avoir une menace et que l'on doit se défendre ensemble contre une menace qui, lorsqu'elle vise l'un des alliés, les vise tous. Donc pour moi, c'est un engagement. Pour le reste vous me demandez : " survol du territoire français ? " Evidemment la réponse est oui, mais je ne sais rien de tout cela. " Engagement des troupes ? " Je n'ai aucune information, je ne peux pas répondre à la légère à des questions qui touchent la guerre, la paix, la vie et la mort.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous avez dit tout à l'heure et vous avez noté que le Congrès américain avait donné 40 milliards de dollars au président des Etats-Unis pour réparer si c'est possible, en tout cas sur le plan matériel, les dégâts pour aider les familles etc., et renforcer les moyens d'espionnage, de renseignements et en armement des Etats-Unis. Si on demandait au si le Parlement Français ou le Parlement Européen, mais en tout cas le Parlement Français, demandait un effort financier supplémentaire pour la défense française, est-ce que votre parti, l'UDF, serait d'accord, si ça se produisait ?
FRANÇOIS BAYROU
Je crois que oui et il n'est pas inimaginable que cela soit nécessaire un jour dans les mois qui viennent, pour assurer la sécurité de la France. S'il faut faire des efforts, ces efforts devront être faits. Evidemment ce serait plus facile si on avait des marges de manuvre, on ne les a pas.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On a noté tout à l'heure avec Catherine NAY que vous disiez : il faut que les pauvres soient moins pauvres, il faut plus de justice et de justesse, il faut plus d'équilibre dans un monde et un ordre mondial à créer, il faut le dire aux Américains, ce qui impliquerait une révision déchirante de leur politique, de leurs comportements, de leur mode de vie à l'intérieur. Non ?
FRANÇOIS BAYROU
Jean-Pierre ELKABBACH, pourquoi déchirante ? Le déchirement ils l'ont eu le 11 septembre
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc une révision, j'enlève " déchirement ", je me donne une gifle, le garde
FRANÇOIS BAYROU
Le 11 septembre, ils ont vécu le drame le plus déchirant qu'on pouvait trouver. Je ne crois pas les Américains assez éloignés des réalités pour ne pas voir que désormais nous avons à reconstruire, pas seulement le World Trade Center, mais nous avons à reconstruire un ordre différent du monde et je suis certain que là aussi l'Alliance peut jouer à condition que dans cette alliance l'Europe ait une voix et la France soit capable de peser sur cette voix.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On n'a pas dit grand chose du conflit actuel du Proche Orient, est-ce que vous pensez qu'il faut faire une pression pour que SHARON et ARAFAT, sans parler peut-être de leurs successeurs un jour, en tout cas SHARON et ARAFAT tout de suite, se retrouvent et renouent le dialogue en tout cas la mise en route ou la remise en route du processus de paix.
FRANÇOIS BAYROU
Je pense que s'il y a eu un moment dans l'histoire des deux peuples et dans l'histoire du conflit, où il était urgent de faire un pas l'un vers l'autre, dans l'intérêt d'Israël et dans l'intérêt de la Palestine, et dans l'intérêt des Israéliens et des Palestiniens, ce moment est venu, parce que vous voyez bien, ce que peut avoir comme conséquence sur la région un conflit qui se nouerait ailleurs. C'est le moment d'essayer de faire un pas l'un vers l'autre, voilà ce que je leur dirais si j'avais l'occasion de le leur dire.
CATHERINE NAY
Et est-ce que vous estimez que le président BUSH, dans les premiers mois de sa présidence, a perdu du temps ou n'a pas A manqué de présence sur ce terrain ?
FRANÇOIS BAYROU
Je ne sais pas. Je lis comme vous les journaux, l'accusation d'isolationnisme, le fait qu'il a voulu prendre ce problème avec des pincettes et de loin et on dit que c'est pour cette raison que ça s'est aggravé, honnêtement je ne suis pas certain.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et aujourd'hui.
FRANÇOIS BAYROU
Je ne le sens pas comme ça, parce que Bill CLINTON s'était beaucoup engagé, et les résultats n'avaient pas été à la hauteur de cet engagement là. Je pense que c'est aux Israéliens et aux Palestiniens de sentir que désormais il est urgent pour eux de faire un pas l'un vers l'autre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce qu'aujourd'hui, comme les Américains, vous diriez que BUSH
se défend bien ?
FRANÇOIS BAYROU
Je ne suis pas américain, je respecte le président des Etats Unis pour ce qu'il est, je n'ai pas de jugement à porter, sensationnel, sur ce point.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et on a noté que vous dites : pas la punition, la prévention et en même temps l'injustice.
FRANÇOIS BAYROU
Oui, je dis justice et justesse.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
François BAYROU merci d'avoir participé à cette émission d'EUROPE 1 2002. Le journal de 20H00 maintenant.
(Source http://www.udf.org, le 24 septembre 2001)
François BAYROU, bonsoir.
FRANÇOIS BAYROU
Bonsoir.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous êtes l'invité de ce deuxième grand rendez-vous politique, Europe 1 2002, avec Catherine NAY, je vous en remercie. Je vous remercie d'intervenir dans ce climat de menaces et d'inquiétudes. Aujourd'hui Wall Street a limité les pertes. La solidarité joue, pour l'instant la catastrophe redoutée est évitée, mais les risques restent élevés et les bourses européennes, elles sont en hausse. François BAYROU, vous faites partie des candidats à l'Elysée, vous êtes le premier à vous exprimer sur la crise nouvelle. Quand le monde est ainsi engagé dans un conflit majeur et dans la tragédie, qu'est-ce qu'un homme politique français aspirant au pouvoir qu'il n'a pas, peut apporter sinon son soutien à ceux qui gouvernent ? Face au danger lui aussi mondialisé, quelle doit être la réponse pays après pays, des dirigeants et chefs de partis ? Jusqu'où faut-il manifester la solidarité française à l'égard des Etats-Unis et de sa prochaine riposte ? Quel monde et quelle société rebâtir sur les décombres des deux tours jumelles de Manhattan ? Qu'apportez-vous, que croyez-vous apporter de singulier ? Et la première question en France, la campagne présidentielle n'avait pas vraiment commencé, est-elle déjà finie ?
FRANÇOIS BAYROU
Je pense qu'il faut prendre la mesure de ce qui se passe. Ce qui se passe est un drame pour le monde et une remise en cause profonde de ce que nous sommes et de ce que nous avons fait. Dans un moment aussi grave, naturellement et à mes yeux, la campagne électorale est mise entre parenthèses. On a un devoir, il est simple, c'est un devoir de solidarité et d'union nationale. Il y a un président de la République, il y a un Premier ministre qui servent à leur manière, nous devons servir à la nôtre. Et c'est la raison pour laquelle, pour ma part, je ferai tout ce que je pourrai pour que la société française montre sa solidarité pendant cette période, sa détermination et sa volonté.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire que vous n'êtes plus en campagne électorale ?
FRANÇOIS BAYROU
Ce n'est pas le moment de la campagne électorale. Ce moment viendra sans doute pour une raison très simple, c'est que les problèmes de la France et du monde, on les a sous les yeux, demeurent. Il faudra que nous les désignions, que nous les montrions, que nous les nommions et que nous proposions des réponses. Mais ça ne doit pas se faire dans une ambiance de compétition, de querelles ou de divisions. C'est aujourd'hui l'union nationale qui doit être dans les esprits.
CATHERINE NAY
Et cette parenthèse de campagne à votre avis, vous l'estimez à combien de temps ? Quel laps de temps ?
FRANÇOIS BAYROU
Je ne sais pas. Ce n'est pas nous qui fixons le calendrier de cette crise. Mais vous sentez bien qu'aujourd'hui, si j'étais devant vous avec les petites phrases habituelles des campagnes électorales qui sont la loi du genre, votre jugement ou votre sentiment serait évidemment qu'on n'est pas dans le sujet.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les Français trouveraient ça indécents ?
FRANÇOIS BAYROU
Les Français jugeraient cela indécent et ils auraient raison. On a le devoir, comment dirais-je, de hisser le débat politique à la hauteur de ces enjeux qui sont majeurs. Non pas que les problèmes aient changé, pour un responsable politique comme moi, qui dit depuis des années que la question fondamentale est celle de savoir si oui ou non, la France est armée et si oui ou non nous voulons construire l'Europe. Naturellement ces questions sont au centre du débat que nous allons avoir. Mais l'ambiance ne doit pas être à la campagne électorale. Les actes et les mots qui sont les nôtres ne doivent pas être des mots de campagne électorale, ils doivent être dirigés par le sentiment d'union nationale
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Aux Etats-Unis, François BAYROU, tous, le Congrès, tous les présidents y compris, Bill CLINTON, se sont mis derrière George BUSH. Est-ce que vous dites aujourd'hui, pour les encourager et les aider, tous derrière CHIRAC et JOSPIN ?
FRANÇOIS BAYROU
Il y a un président de la République, il y a un Premier ministre, nous avons le devoir de nous serrer les coudes. Ils servent dans les fonctions qui sont les leurs, nous devons servir dans les responsabilités qui sont les nôtres.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais l'offensive de grande envergure, la vraie, la riposte de caractère de militaire, celle qui est annoncée comme devant être terrible, par Dick CHENEY, par le président BUSH et Colin POWELL. Elle se prépare, elle pourrait ne pas avoir lieu avant trois mois. Est-ce que ça veut dire qu'on peut imaginer la campagne électorale avec en fond les missiles, les bombes, l'intervention même terrestre en Afghanistan ? Est-ce qu'il faut aussi, une question probablement stupide, inimaginable, faut-il reporter l'élection présidentielle ?
FRANÇOIS BAYROU
Encore une fois, ce ne sont pas les responsables politiques qui ont la maîtrise du calendrier, les démocraties ont des rendez-vous avec elles-mêmes. Mais vous savez, on a fait plusieurs fois l'expérience, que quelques semaines peuvent suffire pour poser les problèmes et quelquefois les résoudre. Pour moi ce n'est pas une question de calendrier, je ne veux pas mettre sur le même plan une campagne électorale et les enjeux majeurs que le monde a devant lui. Et je m'efforcerai de faire la différence entre l'un et l'autre. Cependant je le répète, les problèmes du pays demeurent, les Français vont les vivre avec d'autant plus de difficultés que la crise va être grave. Et il faut bien qu'il y ait des esprits pour les entendre et des voix pour porter leurs paroles. Cela fait partie du débat et non pas de la campagne électorale.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les voix s'expriment, elles s'expriment ce soir, François BAYROU, mais elles s'exprimeront avec moins de vivacité ou d'esprit polémique et partisan, si je comprends bien. Mais pendant combien de temps comme disait tout à l'heure Catherine NAY ? Est-ce que vous imaginez que ce silence, cette discrétion vous le tiendrez des mois, des semaines ?
FRANÇOIS BAYROU
Pendant le temps nécessaire. Encore une fois, je ne pense pas qu'il faille que les responsables disparaissent du débat. La France est là, elle a des difficultés et les Français rencontrent des problèmes qui vont être, je le crains, plus graves et plus ardus au fur et à mesure que la crise se développera. Il faut être là, sur le terrain et avec eux. Je m'efforcerai d'y être. Mais la manière
CATHERINE NAY
Donc vous allez reprendre vos voyages à travers la France ?
FRANÇOIS BAYROU
mais la manière dont je le ferai ne sera pas de compétition et de campagne électorale. Je m'efforcerai de servir pendant cette période l'union du pays et de répondre aux questions qui se posent, pas de faire campagne électorale avec les petites phrases habituelles.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ni avec le bus ? Le bus de BAYROU, il reste au garage longtemps ?
FRANÇOIS BAYROU
Non, mais un bus, c'est un élément de proximité. Ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui.
CATHERINE NAY
Puisqu'un temps de réflexion nouveau est venu, en raison de ces évènements, comment allez-vous, est-ce que vous allez changer peut-être votre programme ? Peut-être affiner vos positions sur l'économie, sur la politique étrangère ? Est-ce qu'il y a des sujets que vous n'aviez pas abordés et sur lesquels vous allez essayer d'approfondir votre réflexion ?
FRANÇOIS BAYROU
Catherine NAY, si vous me permettez, je vois trois questions majeures. La première, est-ce que la France est armée pour la crise qui vient ? Moralement armée, armée dans son organisation, capable d'y répondre ? Deuxième question, est-ce que nous allons avoir l'Europe qui permet de faire face au drame que nous vivons ? Et la troisième, quel ordre du monde avons-nous à l'esprit pour la suite ? Le monde d'après le 11 septembre. Quel ordre du monde avons-nous ? Ces trois questions-là, pardonnez-moi.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est bien qu'un leader et qu'un grand politique pose les questions. Mais ce que l'on attend parce que c'était un peu
FRANÇOIS BAYROU
C'est des réponses.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais ce sont les réponses. Mais est-ce que
FRANÇOIS BAYROU
Attendez, Catherine NAY me demandait si j'allais changer de message. Pardonnez-moi de vous le dire, ces trois questions là, ce sont les trois questions que je pose depuis que ce chapitre de la campagne présidentielle a été ouvert. Il faut un projet nouveau, je le crois pour ce pays et pour notre Union Européenne. Parce que jusqu'à maintenant, les réponses que nous avons, je ne dis pas qu'elles sont mal orientées, mais elles sont faibles par rapport aux enjeux qui sont devant nous. Et donc il n'y a pas à changer de message. Il y a au contraire à constater que les faits dramatiques que nous avons sous les yeux nous permettent de vérifier que les questions que nous posions étaient les bonnes.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Nous allons reprendre presque une à une, avec Catherine NAY, les questions essentielles qui se posent, mais pour rester dans le conflit dans lequel nous sommes entrés, François BAYROU, est-ce que vous estimez que vous êtes assez informé, directement ou par le président de la République ou par le Premier ministre ou par les deux ?
FRANÇOIS BAYROU
J'évoquais un climat d'union nationale ; il me semble en effet que le Premier ministre et le président de la République, qui échangent sur ces sujets avec les responsables politiques européens devraient songer, je pense qu'ils y pensent, d'ailleurs, à informer les responsables politiques français, à les entendre, à parler avec eux. Je me souviens que le président MITTERRAND l'avait fait dans la crise très importante que nous avions eue avec la guerre du Golfe. Il me semble que le moment vient où le Premier ministre et le président de la République devraient s'entretenir avec les responsables politiques français, précisément pour que l'idée de se serrer les coudes ne soit pas un vain mot, que ce soit une réalité.
CATHERINE NAY
Alors vous n'êtes peut-être pas encore informé de ce qui se passe aux Etats-Unis, mais quand vous regardez agir et parler le président BUSH, quelle impression vous fait ce président en quête de leadership ? Et est-ce que vous êtes d'accord avec lui quand il dit nous allons mener la guerre du bien contre le mal ? Est-ce que c'est les mots qu'il fallait dire ?
FRANÇOIS BAYROU
Je pense que la guerre contre le mal, c'est une idée juste. Mais imaginer que nous avons ou que nous sommes les représentants du bien, disons que c'est une formule un peu incertaine. C'est aller un peu vite en besogne. Je ne pense pas que l'Occident, que l'Amérique et que l'Europe puissent s'arroger d'être à eux seuls le bien.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui parce qu'on entend
FRANÇOIS BAYROU
Voilà pourquoi les formules de western ne sont pas exactement adaptées. Je comprends la communication de masse qui explique que l'on veuille trouver une formule qui fait image. Mais nous avons à conduire le combat contre un mal qui a beaucoup de visages, et cela est juste. Evitons de croire que nous sommes, à nous tous seuls, le bien de la planète.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce qu'on entend, un Dieu contre un Dieu. Le God save America. Le Dieu des Américains et en même temps, l'Allah d'en face. Ce n'est peut-être pas le conflit ?
FRANÇOIS BAYROU
Je pense qu'une des précautions très importantes qu'il va falloir prendre dans les mois qui viennent, c'est que nous n'ayons pas une guerre de religions à vivre. Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas que nous nous adressions directement à l'Islam. Je pense que nous avons un dialogue à conduire avec l'Islam sur des bases de fermeté. Je veux bien
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On va en parler tout à l'heure.
FRANÇOIS BAYROU
On va en parler.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Parce que l'Islam modéré, c'est un certain type d'Islam. Catherine NAY, parlait du langage du président BUSH. Il a dit il y a quelques minutes, " je veux la justice et il existe chez nous, une vieille affiche du Far West, qui dit : Wanted dead or alive. Je veux BEN LADEN mort ou vivant. " On est dans un western ?
FRANÇOIS BAYROU
Je vous ai dit qu'il ne me semblait pas que le vocabulaire du western soit exactement adapté à la gravité des temps que nous vivons et que nous allons vivre. Et deuxièmement, il y a une responsabilité très importante pour les dirigeants américains, c'est que la preuve soit apportée ou le plus de preuves possibles, pour que la culpabilité soit prouvée. Alors il semble qu'il y ait un faisceau d'éléments qui aille dans le même sens. Si l'on veut éviter qu'il y ait un effet de contagion ou d'exemplarité ou un effet d'image de martyr dans toute une partie du monde, il faut que la culpabilité soit clairement établie et prouvée. Et il est légitime que face à ces alliés américains, l'Europe dise faisons ce chemin ensemble, montrons que les éléments que nous avons nous conduisent sans erreur possible à penser qui est le coupable.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors nous allons voir tout à l'heure, ce que nous pouvons faire, enfin nous, Européens et en tout cas nous Français. Il y a à vous interroger sur le fond, François BAYROU, je note la gravité, la solennité de votre intervention de ce soir. En tout cas, du début de votre intervention. La première page de publicité et on se retrouve.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Europe 1 2002, invité ce soir jusqu'à 20h00 François BAYROU. La Banque Fédérale, monsieur BAYROU, avec Alan GREENSPAN, les banques américaines, les investisseurs, les petits porteurs américains sont en train de jouer en ce moment une forme de solidarité comme si le patriotisme jouait aussi en matière économique. Les banques se sont apparemment donné le mot pour soutenir pendant quelques jours les marchés financiers, estimez-vous que la crise financière est évitée ?
FRANÇOIS BAYROU
D'abord, financière je ne sais pas exactement ce que ça veut dire, mais une crise économique, il me semble qu'il existe de grands risques. Toutes les autorités et toutes les puissances qui interviennent sur les marchés se sont liguées pour éviter un krach brutal aujourd'hui, elles l'ont fait et avec succès et c'est bien. A présent tout le monde voit bien que la période dans laquelle nous entrons est marquée par l'incertitude, et l'incertitude en matière économique, ça veut dire des menaces sur l'investissement et sur la consommation. Cela signifie que la crise n'est pas derrière nous, qu'il y a de très grands risques et il faut les affronter les yeux ouverts, notamment en se demandant, ça viendra un jour, si la France est armée pour ce monde-là.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ca fait deux fois que vous vous posez la question, quelle est votre réponse ?
FRANÇOIS BAYROU
Je pense qu'aujourd'hui la France n'est pas armée pour ce monde-là, pour ce que nous allons vivre et qu'il est nécessaire qu'en perspective des échéances très importantes où l'on évoque le risque de guerre, le risque de crise, nous réfléchissions à l'état de la France.
CATHERINE NAY
Qu'est-ce que ça veut dire exactement " la France n'est pas armée " ? C'est-à-dire la France, l'Europe l'est-elle, la France non et qu'est-ce qui fait qu'elle n'est pas armée, qu'est-ce qui lui manque ?
FRANÇOIS BAYROU
Je vais prendre un exemple crucial. Nous avons à faire face probablement pour longtemps à des menaces de terrorisme, en tout cas à des craintes que nous pouvons nourrir sur ce sujet. Est-ce que la France a appris cette vigilance-là ? Est-ce que nous avons les réserves nécessaires, peut-être la mobilisation civique nécessaire
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les réserves en hommes.
FRANÇOIS BAYROU
militaires et puis aussi civiques, les hommes et les femmes capables, formés pour veiller aux lieux publics, faire attention aux événements qui se préparent, aux gestes qu'il faut faire quand la menace est précise. On vient de voir qu'aux Etats-Unis il y a une Garde nationale, on vient de voir qu'aux Etats-Unis, il y a une mobilisation de réserve possible, est-ce que cette défense civique, civile de la France, est-ce que nous l'avons construite au travers du temps ? Ma conviction est que non. On a cru un peu béatement que les risques étaient derrière nous, or nous le voyons hélas aujourd'hui, les risques sont devant nous
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous êtes en train de dire que la réforme du service militaire, l'armée professionnelle est une erreur
FRANÇOIS BAYROU
S'il vous plait, je ne souhaite pas que l'on transforme en accusation toutes préconisations ou tous problèmes que nous soulèverons dans les temps qui viennent J'ai proposé un service civique vous le savez bien, au printemps, on était très loin de croire ou de penser que ces événements étaient devant nous, seulement quelques esprits mettaient en garde. Mais je suis persuadé que si l'on veut une société de vigilance, songez aux quartiers par exemple dans lesquels on nous explique qu'il y a des trafics d'armes, est-ce que c'est admissible cette espèce d'immense zone de non-droit qu'on a laissé se construire dans le monde ? Non, une société de vigilance, une France armée pour faire face à ces menaces là, ça reste à construire et il me semble que c'est le travail de responsables que de le dire, avant qu'on en vienne à regretter de ne pas les avoir entendu.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que le responsable, François BAYROU, qui peut-être redeviendra candidat à l'Elysée a dans son programme une révision de la réforme du service militaire et la mise en route d'un service civique et de la modernisation d'une armée française qui en vous écoutant est surtout prête pour faire la dernière guerre ?
FRANÇOIS BAYROU
A votre question la réponse est évidemment oui, je ne me permettrais pas de parler de ce sujet à votre micro si je n'avais pas fait cette proposition précise il y a déjà six mois. Encore une fois on a cru pendant longtemps qu'on n'avait devant nous que du beau temps. On s'est laissé porter par une espèce d'euphorie de la croissance économique et au fond, de la facilité de ce que nous allions vivre. On vérifie aujourd'hui que les temps que nous allons vivre sont beaucoup plus difficiles et dangereux que ceux-là. Il est légitime que nous nous préparions à les affronter.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais quand vous dites nous ne sommes pas armés, est-ce que vous le dites sur le plan économique, nous ne le sommes pas, par exemple il y a demain Catherine NAY, la présentation du budget 2002.
CATHERINE NAY
Certains de vos amis, le groupe DL par exemple demandent le report de la présentation du budget
FRANÇOIS BAYROU
Ce n'est pas l'idée qui est la mienne parce que je crois que les marges de manuvres ne seront pas plus grandes dans un mois qu'elles ne le sont aujourd'hui
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous voulez dire que ce qui s'est passé entre les deux tours et à l'encontre des deux tours américaines de Manhattan aura des conséquences telles sur l'économie mondiale et l'économie française qu'il faudra modifier les bases sur lesquelles on travaille aujourd'hui ?
FRANÇOIS BAYROU
Je pense que le risque existe, que les bases sur lesquelles ce budget a été construit ne soient pas des bases réalistes, et ce n'est pas un report de quelques semaines qui changera cela. La France n'a pas les marges de manuvres qu'elle devrait avoir. Les Etats-Unis ont mobilisé 40 milliards de dollars alors que le président n'en demandait que 20, 40 milliards de dollars pour lutter contre cet ennemi et pour combattre les conséquences de ce drame. Mais nous ne pourrions pas mobiliser une somme équivalente ou proportionnelle parce que nous n'avons plus les marges de manuvres. On est obligé de jouer avec des acrobaties budgétaires terribles pour passer au-dessous de la barre des 200 milliards de déficit, ce qui est évidemment une présentation de vitrine et pas une réalité.
CATHERINE NAY
Oui mais alors, sans vouloir faire de polémique, cette absence de marge de manuvre, c'est une situation française ou tous les pays européens connaissent plus ou moins cette situation ?
FRANÇOIS BAYROU
Non c'est une situation française et allemande. Mais beaucoup d'autres pays européens ont conduit les efforts nécessaires pour ne pas être dans la même situation de risques. C'est comme ça, c'est un fait.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Anne-Marie MOREAU et la rédaction d'Europe 1 viennent de me dire que Wall Street repart à la baisse, moins 6,35% et que Laurent FABIUS vient de dire à propos de la baisse du taux par la Banque Centrale Européenne, qu'elle était positive pour le démarrage en France de l'activité économique. C'est quoi ?
FRANÇOIS BAYROU
C'est une déclaration du ministre de l'Economie.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais enfin il ne joue pas le catastrophisme ?
FRANÇOIS BAYROU
Non, c'est normal que les dirigeants dans leur rôle disent que ça va aller mieux. Mais il est tout aussi normal que les responsables politiques, dans leur rôle à eux, allument le projecteur sur les risques qui sont devant nous sans faire de catastrophisme
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et sans polémique
FRANÇOIS BAYROU
et en manifestant la volonté la plus forte de mobiliser l'énergie nationale pour franchir ces obstacles là qui sont les obstacles de l'histoire Toutes les générations ont connu ce genre d'obstacles.
CATHERINE NAY
Alors si la France manque de marges de manuvre, est-ce que vous pensez que pour rassurer les Français, il serait bon, comme le propose Charles PASQUA par exemple, de suspendre Schengen et de remettre le contrôle aux frontières ?
FRANÇOIS BAYROU
Pour les terroristes, les frontières ne sont pas une gêne mais un atout. Parce que les réseaux terroristes eux, sont internationaux. Si donc chaque fois, comme c'est hélas le cas encore aujourd'hui, vous avez une frontière qui s'applique à la police, une frontière qui s'applique à la douane et une frontière qui s'applique à la justice, chaque fois qu'un terroriste passe une frontière, il pousse un " ouf " de soulagement parce qu'il va avoir huit jours, dix jours ou quinze jours peut-être trois mois de répit. Le temps que les polices se téléphonent, que les réseaux de renseignements se fassent passer, ce qu'ils ne font hélas je crois pas souvent, les renseignements qu'ils ont acquis et que les juges puissent faire leur travail, les frontières sont une protection pour les terroristes. Quand est-ce qu'on va s'en rendre compte ? Vous voyez bien, dans les drames que nous vivons, nous continuons à vivre dans notre système avec quinze réseaux de renseignements différents et de surcroît rivaux parce que les vieilles cultures de rivalité entre réseaux
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors les Européens doivent changer ça ?
FRANÇOIS BAYROU
Les Européens doivent changer ça. Le général MORILLON est là à côté de nous, il sait ce que coûte l'absence de coordination de nos réseaux de renseignements dans des temps comme ceux-là. Nous avons à construire une Europe capable de résister aux défis qui sont en face de nous. Elle ne l'est pas encore, nous disons qu'elle est faite, mais elle n'est pas faite évidemment
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il faut plus d'Europe là aussi selon François BAYROU.
FRANÇOIS BAYROU
Edouard BALLADUR a eu une très bonne formule hier, il a dit " depuis le 11 septembre en tout cas, il y a un mort, c'est le souverainisme ", l'idée qu'on peut se refermer sur nos frontières pour faire entre nous et tout seul quelque chose qui requiert la collaboration, la coopération et le travail de tous en commun.
CATHERINE NAY
Mais enfin en disant cela, je sais bien qu'il ne faut pas parler de campagne présidentielle, vous venez de flinguer quelques candidats à la présidentielle ?
FRANÇOIS BAYROU
Non, j'espère que vous ne l'entendez pas comme ça, en plus ce sont des hommes que j'estime. On n'en est pas aux petites phrases. Ecoutez, on vient de voir 5 500 personnes qui sont mortes sous les tours du World Trade Center. Tout le monde vient de voir les avions entrer dans ces tours et leur effondrement, on nous dit que ce sont des réseaux internationaux qui ont monté cela et qui l'ont fait dans la plus totale impunité. Est-ce que l'on continue à les laisser faire ou est-ce qu'on bâtit une organisation de nos pays et de nos peuples capable de résister à cela ? En tout cas moi c'est cet objectif que j'ai devant les yeux. Est-ce qu'on continue à être comme l'agneau qui vient de naître et à ne rien faire pour se battre sauf des mots, des paroles verbales, qu'on envoie dans l'air ou on bâtit quelque chose ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Eh bien justement, comment se battre contre ce fléau, ce mal du début du 21ème siècle qui s'est aggravé avec ce qu'on a vu il y a quelques jours aux Etats-Unis. Vous allez répondre d'une manière plus concrète dans quelques minutes après une nouvelle page de publicités François BAYROU.
(Suite de l'interview sous la référence 013002715-002)
(Début de l'interview sous la référence 013002715-001)
JEAN-PIERRE ELKABBACH
François BAYROU, les agences de presse reprennent ce que vous venez de dire : la campagne électorale présidentielle pour ce qui concerne François BAYROU est mise entre parenthèses
FRANÇOIS BAYROU
J'ai dit que la campagne électorale doit être mise entre parenthèses et je crois pour tout le monde devant la gravité de ce que nous sommes en train de vivre. Et cela me paraît de décence élémentaire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous le dites pour vous ou vous le souhaitez pour les autres ?
FRANÇOIS BAYROU
Je le dis pour moi et je pense que tout le monde arrivera à la même conclusion. Nous vivons tous dans le même pays, nous avons tous les enjeux sous les yeux, nous savons tous ce qu'il en est de ce peuple que nous aspirons à représenter, il me semble que nous lui devons cette attitude de responsabilité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On peut arriver à l'élection présidentielle pratiquement sans campagne ?
FRANÇOIS BAYROU
Franchement, ce serait la première fois dans l'histoire
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Comment la France et l'Europe sont-elles en train de gérer la crise naissante ? La Président Chirac a renouvelé aujourd'hui sa solidarité sans faille avec les Etats-Unis. Monsieur Jospin avait dit à peu près la même chose. S'il y a une réaction américaine d'envergure, l'Europe vit sa solidarité d'allié, la France doit-elle s'associer y compris militairement, je veux dire avec son armée professionnelle, si on lui demande ?
FRANÇOIS BAYROU
Nous sommes des alliés. Nous avons un traité d'alliance qui a cinquante ans, un peu plus même, et nous venons de rappeler que toute agression contre l'un des nôtres devait être considérée comme une agression contre tous. Cela ne se discute pas. Mais allié ne veut pas dire servile, cela signifie que l'on parle, que l'on échange des points de vue, que l'on essaie de bâtir ensemble les décisions à prendre. Et je ne recommanderai jamais que mon pays ou l'Union européenne à laquelle j'appartiens soient en situation d'obéissance, d'alignement. Il ne s'agit pas de cela. D'une certaine manière, je l'ai souvent dit, allié et alignement, c'est contradictoire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Solidarité, pas alignement.
FRANÇOIS BAYROU
C'est ce que les responsables politiques principaux ont dit en France. Cette attaque là est une attaque dirigée contre nous tous. On a lu dans les journaux que le Parlement européen était il y a quelques semaines la cible de je ne sais quel fou. Cela peut nous arriver demain matin. Si nous ne sommes pas capables de bâtir ensemble une campagne de long terme pour couper ces réseaux de leurs bases et de leurs appuis, pour les isoler et les faire disparaître, alors franchement nous avons du souci à nous faire pour l'avenir.
CATHERINE NAY
Pour les combattre, est-ce qu'il ne faut pas d'abord essayer, tous ensemble, de comprendre les raisons pour lesquelles ils ont agi de la sorte ?
FRANÇOIS BAYROU
C'est la question que je posais en disant quel ordre nouveau voulons-nous pour le monde ? Il y avait un avant, il y a un après 11 septembre. Les événements du World Trade Center sont aussi importants pour la conscience universelle que la chute du mur de Berlin. Ils auront des conséquences aussi lourdes et de même nature. Et une partie de ce que nous avons à construire pour l'avenir, outre l'Europe dont je disais qu'elle est pour moi le point de passage obligé, et pas l'Europe dont on parle, une Europe qu'on fait, avec des dirigeants responsables devant les peuples, capable de prendre des responsabilités face aux services secrets ou de diriger un corps d'armée européen, et bien l'Europe est un point de passage obligé.
Il y a un autre point de passage obligé,, quel ordre du monde voulons-nous ? Et en particulier comment faire, question centrale, pour que le sentiment de la justice se substitue à la loi du plus fort ? On ne dit pas que la loi n'est pas nécessaire, ou que la force ne puisse pas être utile. Je dis que nous aurons gagné vraiment le jour où les peuples de la terre, et notamment les plus pauvres, auront le sentiment que le système que nous bâtissons est un système de justice et pas un système qui avantage les uns au détriment des autres. Force est de reconnaître que pour l'instant nous n'en sommes pas là. Force est de reconnaître que pour une immense partie de l'humanité, naturellement pas celle que l'on voit sur les écrans, son quotidien c'est plus souvent le sida, le fanatisme et la corruption que le bien-être dans lequel nous vivons.
Et il y a des valeurs dont il va falloir parler. Je crois qu'il y a un dialogue à ouvrir avec l'Islam, un dialogue ouvert, responsable, de respect réciproque sur un point précis. Tout le monde parle d'Islam modéré et d'Islam intégriste. Mais ce sont des mots et des adjectifs qui sont quelques fois blessants. Il y a à mon avis une question simple qu'il faudra aborder : est-ce que les pays musulmans acceptent sur leur sol d'autres religions, d'autres philosophies que l'Islam ? Vous savez qu'il y a en Afghanistan huit responsables humanitaires qui sont en prison et pour quelques-uns menacés de mort parce qu'on a découvert une bible dans leurs bagages ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais les Talibans ne sont pas modèles même pour l'Islam
FRANÇOIS BAYROU
Et bien il y a d'autres pays dans lesquels le même genre d'intolérance règne.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il n'y a pas de dialogue possible ?
FRANÇOIS BAYROU
C'est là où l'Europe peut aider. Il y a 402 ans que nous avons eu, en France, ce formidable événement qu'était l'édit de Nantes. L'édit de Nantes reconnaissait une religion d'Etat mais cette religion est obligée d'accepter la religion des autres. Je crois qu'il faut dans le cadre des Nations-Unies que nous ouvrions le débat avec les pays qui revendiquent l'Islam comme leur religion d'Etat
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pas comme à Durban !
FRANÇOIS BAYROU
A Durban, on a fait en sorte que le fossé se creuse davantage. Cette démarche élémentaire d'une laïcité ouverte doit être l'un des fondements du nouvel ordre du monde que nous allons essayer de construire. On a le droit de parler avec les pays musulmans qui sont nos partenaires de ce qui leur tient à ce point à cur et qui est très important pour nous aussi, c'est-à-dire la liberté de l'esprit. On a le droit de poser les questions à ce niveau là et pas toujours en termes de rapports de force.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mails il est possible que l'on ait le droit de poser ces questions quand on est en Europe et en démocratie et qu'on ait moins le droit quand on est dans ces pays-là.
FRANÇOIS BAYROU
Vous voyez les deux faces de l'ordre du monde dont nous parlons. On en est très loin pour l'instant. 1 la justice. Que le travail de l'humanité vise à faire que les pauvres soient moins pauvres et moins abandonnés. Et 2, qu'on ait le droit de parler avec eux d'une organisation du monde qui fasse que toute religion et toute philosophie y soit respectée et non pas une espèce de totalitarisme religieux qui ne peut que provoquer des drames comme ceux que nous vivons.
CATHERINE NAY
Il y a trois ans dans une fatwa Ben Laden explicitait les raisons de la guerre qu'il voulait mener contre les Etats-Unis. Elles étaient au nombre de trois. D'abord l'occupation des lieux saints, le non règlement de la situation palestinienne promise aux pays arabes au moment de la guerre du Golfe et la troisième chose le sort du peuple irakien, un million de morts pour cause de famine et de maladie à cause de l'embargo. Est-ce que les occidentaux peuvent l'entendre ou est-ce que c'est une question taboue ?
FRANÇOIS BAYROU
Aucune question désormais n'est taboue. Le temps où n'avait pas le droit d'aborder les questions est derrière nous parce qu'autrement nous ne sommes pas à la hauteur du drame que nous sommes en train de vivre. La question de la paix au Proche-Orient comme la question du sort du peuple irakien, tout cela peut être l'objet d'une discussion au niveau de celles que j'évoquais à l'instant.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pourquoi on ne commence pas au Parlement européen ou au Parlement français ?
FRANÇOIS BAYROU
Au Parlement européen on a fait beaucoup de choses. Vous savez que le Commandant Massoud qui vient de mourir avait été invité au Parlement européen. Les autorités françaises avaient refusé de le voir. Nous avions pendant des heures accompagné sa réflexion et sa démarche, en particulier la présidente du Parlement européen. C'est une chose utile et juste.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Aujourd'hui il faut balayer le régime des Talibans et aider l'opposition sans Massoud.
FRANÇOIS BAYROU
Le plus utile et le plus efficace qui puisse se faire en Afghanistan étant donné la difficulté du terrain que les russes ont expérimentée, c'est aider ceux qui en Afghanistan défendent cette conception de la tolérance et de la liberté, et en particulier les amis orphelins du Commandant Massoud.
CATHERINE NAY
Les aider en leur donnant des armes ?
FRANÇOIS BAYROU
Les aider ! Pas par des mots, par des faits, par des gestes, par des réalités, les armes en sont une, bien sûr.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
François BAYROU jusqu'à 20H00 pour EUROPE 1 2002. C'est le deuxième invité de cette émission politique qui commence. François BAYROU, vous n'avez pas tout à fait, si vous me le permettez, répondu à la question que nous vous avons posée avec Catherine NAY : jusqu'où doit aller l'engagement militaire français s'il y a une riposte militaire américaine ? Jusqu'où Si l'Amérique vous le demande ?
FRANÇOIS BAYROU
L'engagement militaire français doit être total, à la condition que la France ait préalablement donné son accord à ce qui va se faire, que ce soit une démarche d'allié, et naturellement là il faudra que nous prenions nos responsabilités. Mais vous voyez bien que cela suppose, pour éviter une contagion, que l'action entreprise soit non seulement marquée par la justice mais par la justesse. Que l'on donne au monde, au monde musulman si c'est de lui qu'il s'agit comme au reste du monde occidental ou oriental, la certitude que nous avons les éléments nécessaires pour agir, qu'il ne s'agit pas de faire des gestes pour des gestes mais que c'est une volonté construite, américains et européens
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord. Ce que vous dites, si vous me le permettez, François BAYROU, c'est beau comme la poésie et on voit bien les racines philosophiques et morales de votre intervention, de votre discours
FRANÇOIS BAYROU
Ecoutez, ce n'est déjà pas si mal
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est déjà pas mal mais dans le concret, on vous dit : " est-ce qu'on survole le territoire français ? " vous dites : " oui/non ". " Est-ce qu'on envoie des hommes et peut-être des avions si on nous le demande, pour tel ou tel rôle ? ". " Est-ce qu'on les met sous autorité américaine ? " Vous dites " oui/non ".
CATHERINE NAY
Et est-ce qu'on accepte qu'il y ait des morts ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Américains, Français.
FRANÇOIS BAYROU
Vous avez posé tout à l'heure la question au président de la République, il vous a dit : " Je n'ai aucune information ". Il vous a dit
CATHERINE NAY
" L'Amérique ne nous a rien demandé ".
FRANÇOIS BAYROU
L'Amérique ne nous a rien demandé encore, mais c'est évident, pour moi, que l'Alliance est un engagement, l'Alliance ce n'est pas seulement de la sympathie. Quand on signe un traité d'alliance militaire, c'est qu'on pense qu'il peut y avoir une menace et que l'on doit se défendre ensemble contre une menace qui, lorsqu'elle vise l'un des alliés, les vise tous. Donc pour moi, c'est un engagement. Pour le reste vous me demandez : " survol du territoire français ? " Evidemment la réponse est oui, mais je ne sais rien de tout cela. " Engagement des troupes ? " Je n'ai aucune information, je ne peux pas répondre à la légère à des questions qui touchent la guerre, la paix, la vie et la mort.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous avez dit tout à l'heure et vous avez noté que le Congrès américain avait donné 40 milliards de dollars au président des Etats-Unis pour réparer si c'est possible, en tout cas sur le plan matériel, les dégâts pour aider les familles etc., et renforcer les moyens d'espionnage, de renseignements et en armement des Etats-Unis. Si on demandait au si le Parlement Français ou le Parlement Européen, mais en tout cas le Parlement Français, demandait un effort financier supplémentaire pour la défense française, est-ce que votre parti, l'UDF, serait d'accord, si ça se produisait ?
FRANÇOIS BAYROU
Je crois que oui et il n'est pas inimaginable que cela soit nécessaire un jour dans les mois qui viennent, pour assurer la sécurité de la France. S'il faut faire des efforts, ces efforts devront être faits. Evidemment ce serait plus facile si on avait des marges de manuvre, on ne les a pas.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On a noté tout à l'heure avec Catherine NAY que vous disiez : il faut que les pauvres soient moins pauvres, il faut plus de justice et de justesse, il faut plus d'équilibre dans un monde et un ordre mondial à créer, il faut le dire aux Américains, ce qui impliquerait une révision déchirante de leur politique, de leurs comportements, de leur mode de vie à l'intérieur. Non ?
FRANÇOIS BAYROU
Jean-Pierre ELKABBACH, pourquoi déchirante ? Le déchirement ils l'ont eu le 11 septembre
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc une révision, j'enlève " déchirement ", je me donne une gifle, le garde
FRANÇOIS BAYROU
Le 11 septembre, ils ont vécu le drame le plus déchirant qu'on pouvait trouver. Je ne crois pas les Américains assez éloignés des réalités pour ne pas voir que désormais nous avons à reconstruire, pas seulement le World Trade Center, mais nous avons à reconstruire un ordre différent du monde et je suis certain que là aussi l'Alliance peut jouer à condition que dans cette alliance l'Europe ait une voix et la France soit capable de peser sur cette voix.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On n'a pas dit grand chose du conflit actuel du Proche Orient, est-ce que vous pensez qu'il faut faire une pression pour que SHARON et ARAFAT, sans parler peut-être de leurs successeurs un jour, en tout cas SHARON et ARAFAT tout de suite, se retrouvent et renouent le dialogue en tout cas la mise en route ou la remise en route du processus de paix.
FRANÇOIS BAYROU
Je pense que s'il y a eu un moment dans l'histoire des deux peuples et dans l'histoire du conflit, où il était urgent de faire un pas l'un vers l'autre, dans l'intérêt d'Israël et dans l'intérêt de la Palestine, et dans l'intérêt des Israéliens et des Palestiniens, ce moment est venu, parce que vous voyez bien, ce que peut avoir comme conséquence sur la région un conflit qui se nouerait ailleurs. C'est le moment d'essayer de faire un pas l'un vers l'autre, voilà ce que je leur dirais si j'avais l'occasion de le leur dire.
CATHERINE NAY
Et est-ce que vous estimez que le président BUSH, dans les premiers mois de sa présidence, a perdu du temps ou n'a pas A manqué de présence sur ce terrain ?
FRANÇOIS BAYROU
Je ne sais pas. Je lis comme vous les journaux, l'accusation d'isolationnisme, le fait qu'il a voulu prendre ce problème avec des pincettes et de loin et on dit que c'est pour cette raison que ça s'est aggravé, honnêtement je ne suis pas certain.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et aujourd'hui.
FRANÇOIS BAYROU
Je ne le sens pas comme ça, parce que Bill CLINTON s'était beaucoup engagé, et les résultats n'avaient pas été à la hauteur de cet engagement là. Je pense que c'est aux Israéliens et aux Palestiniens de sentir que désormais il est urgent pour eux de faire un pas l'un vers l'autre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce qu'aujourd'hui, comme les Américains, vous diriez que BUSH
se défend bien ?
FRANÇOIS BAYROU
Je ne suis pas américain, je respecte le président des Etats Unis pour ce qu'il est, je n'ai pas de jugement à porter, sensationnel, sur ce point.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et on a noté que vous dites : pas la punition, la prévention et en même temps l'injustice.
FRANÇOIS BAYROU
Oui, je dis justice et justesse.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
François BAYROU merci d'avoir participé à cette émission d'EUROPE 1 2002. Le journal de 20H00 maintenant.
(Source http://www.udf.org, le 24 septembre 2001)