Texte intégral
Pendant trop longtemps, les femmes victimes de violences ont été tenues comme principales responsables de leur sort : " provocantes et sortant seules ", elles récoltaient le fruit de leur impudence ; " futiles et captatives ", elles attisaient la colère de leurs conjoints. L'évolution de la société, le combat que mènent des mouvements féministes depuis si longtemps et la reconnaissance de l'égalité des droits des femmes et des hommes ont permis de porter un autre regard sur les victimes.
Les premiers résultats de l'Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, que je présentais le 6 décembre 2000 devant la presse, ont constitué pour moi la base d'une réflexion de fond pour l'élaboration d'une politique publique contre les violences. Je l'ai longuement exposée lors des Assises sur les violences qui se sont tenues à Paris le 25 janvier dernier.
Aujourd'hui, ce sont les résultats définitifs que je souhaite vous livrer, en insistant sur deux volets de l'enquête ENVEFF : les violences sur les lieux de travail et les violences sur les lieux publics. Je présenterai aussi des données qualitatives complémentaires très intéressantes, concernant ma première communication du 6 décembre 2000 sur les violences privées.
Je veux bien sûr rappeler le travail rigoureux et de haute qualité scientifique réalisé par l'équipe de chercheurs et de chercheuses de l'Institut de démographie de Paris I, sous la direction de Maryse Jaspard, responsable de l'enquête.
Au total 6 970 femmes résidant en métropole et âgées de 20 à 59 ans ont été interrogées, vous le savez, entre les mois de mars et de juillet 2000, par téléphone, à partir d'un questionnaire comportant 400 questions. Elles ont été interrogées dans leur cadre de vie, dans leur univers quotidien, sur leur vécu de l'année 2000.
VIOLENCES SUR LES LIEUX DE TRAVAIL
C'est assurément dans la sphère du travail que de nouvelles données vont alimenter notre réflexion. Dans un contexte où la loi sur l'égalité professionnelle a été renforcée au mois de mai dernier, et dans la perspective de l'adoption du projet de loi de modernisation sociale, je suis particulièrement attentive aux violences sur les lieux de travail.
On distingue cinq catégories de violences dans l'enquête ENVEFF.
Les pressions psychologiques qui se traduisent par les faits suivants : imposer des horaires, des tâches, des services dont personne ne veut ; critiques répétées et injustes ; être mises à l'écart. Ces pressions sont dénoncées par 17 % de femmes. Elles atteignent donc presque une femme sur cinq. La multiplicité et la répétition de ces faits constituent ce que les chercheuses appellent du harcèlement psychologique et qu'on appelle aussi du harcèlement moral. Près de 4 % de femmes au travail subissent cette violence en 2000. Et si j'essaie d'évoquer tous ces visages de femmes, non pas en pourcentage mais en êtres humains, elles sont près de 480 000 victimes puisque, entre 20 et 60 ans, 12 millions de femmes sont présentes sur le marché du travail.
Le harcèlement moral ne concerne pas que les femmes bien sûr. Ce comportement a fait l'objet, dans le cadre du projet de loi de modernisation sociale en cours de discussion, d'une claire dénonciation, d'une définition, d'une sanction.
Plus d'un million de femmes au travail subissent des agressions verbales, incluant injures et menaces. Elles sont mentionnées par 8,5 % des femmes et viennent pour 80 % des hommes, les clients, et ceci toujours sur un an.
Les agressions physiques, comprenant les coups et blessures et les menaces avec une arme, concernent 0,6 % des femmes. Le pourcentage peut paraître faible mais ce sont quand même 72 000 femmes qui ont connu cette forme de violence en 2000.
Les destructions du travail et de l'outil de travail sont dénoncées par 2,2 % des femmes et relèvent de relations parfois conflictuelles entre collègues de travail, que ce soient des hommes ou des femmes.
En ce qui concerne le harcèlement sexuel, tel que compris par l'opinion publique, je souhaiterais, pour éviter toute confusion, rappeler aussi les critères choisis par l'équipe de chercheurs pour analyser l'ensemble des violences sexuelles au travail.
On définit, dans la loi de 1992, le harcèlement sexuel comme le fait pour un supérieur hiérarchique de harceler autrui en usant de pressions, d'ordres, de menaces, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle. Le harcèlement sexuel, dans le Code Pénal, peut entraîner un an de prison et 100 000 francs d'amende. Cette définition a été complétée dans la loi du 9 mai 2001 sur l'égalité professionnelle en l'élargissant aux mesures discriminatoires.
L'équipe des chercheurs a tenté de cerner davantage les violences sexuelles au travail, quel qu'en soit l'auteur et pas seulement le supérieur hiérarchique.
Deux niveaux ont été distingués :
les avances et pressions sexuelles, qu'on pourrait appeler harcèlement d'ordre sexuel ;
les agressions sexuelles caractérisées que sont les attouchements du sexe, les tentatives de viol et les viols.
2 % des femmes sont concernées par l'une ou l'autre de ces violences, 240 000 êtres humains de sexe féminin au cours de l'année 2000.
Un rapport équilibré des effectifs d'hommes et de femmes sur le lieu de travail évite une part significative des violences au travail, alors qu'une sur-représentation masculine les accroît : la mixité tend donc à pacifier les relations de travail et constitue un atout pour l'entreprise.
Cependant, là encore, certains facteurs sont sources de discriminations importantes. Les jeunes femmes, âgées de 20 à 24 ans, font deux fois plus l'objet d'injures sexistes et subissent six fois plus souvent des faits de harcèlement d'ordre sexuel.
Le mode de vie des femmes fait également partie des facteurs aggravants. Les femmes divorcées se font le plus souvent injurier. Les femmes célibataires subissent le taux le plus élevé d'agressions et de harcèlement d'ordre sexuel.
Être en situation concurrentielle avec les hommes renforce les violences. Ainsi, les femmes exerçant une profession libérale ont le taux le plus élevé de violences sexuelles au travail.
Enfin, dans un contexte où l'on met en place les 35 heures, où l'on parle d'articulation entre la vie professionnelle et la vie familiale, être mère est le plus souvent pénalisant puisqu'elles subissent plus systématiquement des brimades et se voient imposer des horaires non négociés dans leur travail.
Il ressort de ces exemples que l'organisation et le fonctionnement du monde du travail restent profondément masculins sinon machistes
VIOLENCES DANS L'ESPACE PUBLIC
Si le terme " espace public " évoque souvent " la rue ", la sphère à laquelle il se réfère ici recouvre des lieux aussi divers que les grands magasins, les clubs de sport, les restaurants ou les boîtes de nuit, la plage ou les jardins publics, les transports en commun, etc.
La rue est l'un des espaces publics où se produit le plus grand nombre d'agressions (38 %). Je ne mentionnerai que quelques chiffres : une femme sur cinq, au cours de l'année 2000, a été insultée dans la rue, suivie dans son déplacement, a subi la vue d'exhibitionnistes ou a été importunée sexuellement. Je souhaite ajouter que les agressions verbales et insultes sont multipliées par trois pour les femmes d'origine étrangère.
Les brutalités physiques comprenant les gifles et coups, menaces ou attaques armées concernent 1,7 % des femmes au cours de l'année. Je rappelle que les femmes entre 20 et 60 ans en France représentent 16 millions d'êtres humains. Là encore, ce sont vraisemblablement au moins 270 000 femmes qui sont concernées.
Si ce ne sont pas des violences portant atteinte directement à leur corps, les femmes subissent néanmoins un ensemble de brimades dans leurs mouvements et leurs déplacements qui fait peser une réelle menace sur elles et entrave leur liberté de circulation. La fréquence de ces agressions décroît fortement avec l'âge mais s'accroît avec la taille de l'agglomération. Les jeunes femmes sont encore une fois les premières victimes dans l'espace public car elles sont davantage perçues comme objets sexuels disponibles.
Est-ce à dire pour autant que ces violences sont exercées dans des espaces particulièrement dangereux ? C'est surtout la banalisation de ces actes, qui s'exercent dans les circonstances ordinaires du quotidien, qui ressort de cette enquête. 75,5 % de ces faits ont ainsi lieu dans un endroit fréquenté régulièrement et concernent les plus vulnérables.
VIOLENCES CONJUGALES
Le 6 décembre dernier, souvenez-vous, j'avais plus particulièrement attiré l'attention des médias sur l'importance des violences dans la sphère privée, sphère de l'intime où les violences sont cachées.
Ainsi, l'annonce faite en décembre se confirme. Près d'une femme sur dix, 9,5 % exactement, ont subi des violences de la part de leur conjoint, qu'elles soient verbales, psychologiques, physiques ou sexuelles, au cours des douze derniers mois.
Le terme de " femmes battues ", couramment utilisé, ne rend pas compte de la réalité des violences conjugales puisque les pressions psychologiques y sont prépondérantes. Ces atteintes psychologiques comprennent les actions de contrôle (exiger de savoir avec qui et où l'on a été, empêcher de rencontrer des amis ou un membre de la famille ou de leur parler), d'autorité (imposer des façons de s'habiller, de se coiffer ou de se comporter en public), les attitudes de dénigrement ou de mépris.
Cette violence psychologique - aussi destructrice que la violence physique - est une forme moderne et contemporaine, peut-on penser, de la domination d'un sexe sur l'autre, dans un contexte social, en droit, égalitaire.
On peut distinguer deux niveaux de violences.
Le niveau grave regroupe les femmes victimes de harcèlement psychologique, d'insultes répétées ou de violences physiques voire sexuelles. Il correspond au plus grand nombre et concerne près de 7 % des femmes en couple. Presque 1 million de femmes connaissent cette situation, sur les 14 millions concernées.
Le niveau très grave correspond au cumul de plusieurs types de violences. Près de 3 % des femmes en couple ont vécu ces enfers en l'an 2000, c'est-à-dire près de 420 000 femmes, quel que soit leur milieu social. Et le chômage, le retrait du monde du travail, des lieux extérieurs, est toujours un facteur aggravant.
Il existe un lien assez fort entre les situations de violences et la répartition inégalitaire du travail domestique et de l'éducation des enfants. Les femmes vivant en couple subissent quatre fois plus de violences graves lorsqu'elles s'occupent seules de leurs enfants.
J'ai hésité à m'exprimer sur une autre question plus intimement culturelle, mais son importance mérite d'être soulignée : 2 % des femmes ayant reçu une éducation laïque connaissent des violences de niveau très grave, mais elles sont plus de 5 % à connaître une telle situation parmi celles qui accordent une grande importance à la religion et qui sont le plus souvent issues de l'immigration.
Enfin, deux autres facteurs doivent retenir l'attention des pouvoirs publics.
D'abord le chômage. Il constitue un facteur aggravant de la violence. Les situations de précarité face à l'emploi, en particulier la multiplication des périodes de chômage pour l'un ou l'autre des partenaires, double la proportion de femmes victimes de violence.
Ensuite, les situations vécues durant l'enfance. Les enfants sont témoins dans les deux tiers des cas de scènes de violences très graves. L'enquête a montré par ailleurs que les femmes qui ont connu dans leur enfance des situations de conflits très graves entre leurs parents sont à leur tour victimes de violence, près de quatre fois plus que les autres à l'âge adulte. Et celles qui ont subi directement des sévices et des coups dans leur enfance sont, presque dix fois plus que les autres, victimes de violence très graves à l'âge adulte.
Je ne manquerai pas de communiquer à Ségolène Royal, ministre déléguée à la Famille et à l'Enfance, ces données scientifiques. Elles constituent, j'en suis convaincue, des informations fondamentales qui s'inscrivent dans le cadre de la politique de protection de l'enfance conduite par le gouvernement.
COMPORTEMENTS DES FEMMES
Je tiens à souligner que cette enquête n'a pas uniquement le mérite de nous fournir une évaluation quantitative scientifique ; elle contribue, par son analyse, à mettre fin à l'image de la femme victime qui se résigne et accepte cette violence comme une fatalité liée à sa condition.
Avant même de refuser, les femmes réagissent. 80,9 % d'entre elles tentent d'instaurer un dialogue avec leur conjoint, et dans 40 % des cas elles répliquent et se débattent. Dans les autres sphères de la vie publique où la violence se déploie, le dialogue est également privilégié, avant la fuite et in fine la défense physique.
" Céder n'est pas consentir ", déclare l'anthropologue Nicole-Claude Mathieu.
En effet, si les femmes cèdent, c'est toujours face à la force et dans la douleur. A cet égard, cette enquête a permis à un nombre considérable de femmes de parler pour la première fois, de briser le non-dit dans lequel elles s'étaient enfermées depuis parfois des années.
Je pense particulièrement aux femmes victimes de violences sexuelles. Près de la moitié des femmes victimes d'agressions sexuelles au cours de leur vie en ont parlé à quelqu'un, tandis que les femmes victimes de viol n'osent pas en parler. Les trois quart des victimes de viol avant l'âge de 15 ans l'ont évoqué pour la première fois au cours de l'enquête.
Le harcèlement sexuel dans la rue ou au travail reste toujours un sujet profondément tabou : moins de deux sur trois des victimes d'avances et d'agressions sexuelles en avaient parlé avant d'être interrogées.
Le slogan - " En cas de violence, brisez le silence " - que j'ai choisi pour mener ma campagne d'information et de communication dans toute la France doit faire prendre conscience aux femmes qu'il faut dire NON. Libérer la parole est un préalable nécessaire. C'est une étape d'autant plus décisive à franchir pour recouvrer ses droits et combattre pour sa dignité que les secours juridiques ne sanctionnent pas systématiquement les auteurs. Savoir nommer cette violence, pour les victimes comme pour les institutions, c'est la désigner et déjà la condamner.
Vous me permettrez cependant d'avoir, dans l'une de mes dernières phrases, un regard global plus optimiste sur les relations hommes-femmes dans notre société française : la très grande majorité des femmes interrogées disent avoir confiance en leur compagnon et en être amoureuse
C'est peut-être pourquoi j'accepte d'autant moins les tentatives de viols collectifs chez les très jeunes filles de moins de 15 ans, même si ces pratiques deviennent inexistantes après 25 ans.
C'est pourquoi aussi, mesdames et messieurs, on ne peut accepter qu'une femme sur dix en France, vivant en couple, soit victime de violences répétées, qu'une sur cinq soit agressée verbalement dans la rue, une sur quatre sur son lieu de travail. C'est beaucoup, beaucoup trop.
Je poursuis moi-même ma campagne nationale, département après département, ma mallette à la main. Je peux vous annoncer aujourd'hui la création effective, à la date du 3 octobre 2001, de la Commission nationale de lutte contre les violences subies par les femmes.
Je sais pouvoir compter sur vous, dans le cadre des responsabilités de chacun et le respect de nos philosophies, pour lutter contre cet insupportable comportement de société.
(Source http://www.social.gouv.fr, le 8 novembre 2001)
Les premiers résultats de l'Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, que je présentais le 6 décembre 2000 devant la presse, ont constitué pour moi la base d'une réflexion de fond pour l'élaboration d'une politique publique contre les violences. Je l'ai longuement exposée lors des Assises sur les violences qui se sont tenues à Paris le 25 janvier dernier.
Aujourd'hui, ce sont les résultats définitifs que je souhaite vous livrer, en insistant sur deux volets de l'enquête ENVEFF : les violences sur les lieux de travail et les violences sur les lieux publics. Je présenterai aussi des données qualitatives complémentaires très intéressantes, concernant ma première communication du 6 décembre 2000 sur les violences privées.
Je veux bien sûr rappeler le travail rigoureux et de haute qualité scientifique réalisé par l'équipe de chercheurs et de chercheuses de l'Institut de démographie de Paris I, sous la direction de Maryse Jaspard, responsable de l'enquête.
Au total 6 970 femmes résidant en métropole et âgées de 20 à 59 ans ont été interrogées, vous le savez, entre les mois de mars et de juillet 2000, par téléphone, à partir d'un questionnaire comportant 400 questions. Elles ont été interrogées dans leur cadre de vie, dans leur univers quotidien, sur leur vécu de l'année 2000.
VIOLENCES SUR LES LIEUX DE TRAVAIL
C'est assurément dans la sphère du travail que de nouvelles données vont alimenter notre réflexion. Dans un contexte où la loi sur l'égalité professionnelle a été renforcée au mois de mai dernier, et dans la perspective de l'adoption du projet de loi de modernisation sociale, je suis particulièrement attentive aux violences sur les lieux de travail.
On distingue cinq catégories de violences dans l'enquête ENVEFF.
Les pressions psychologiques qui se traduisent par les faits suivants : imposer des horaires, des tâches, des services dont personne ne veut ; critiques répétées et injustes ; être mises à l'écart. Ces pressions sont dénoncées par 17 % de femmes. Elles atteignent donc presque une femme sur cinq. La multiplicité et la répétition de ces faits constituent ce que les chercheuses appellent du harcèlement psychologique et qu'on appelle aussi du harcèlement moral. Près de 4 % de femmes au travail subissent cette violence en 2000. Et si j'essaie d'évoquer tous ces visages de femmes, non pas en pourcentage mais en êtres humains, elles sont près de 480 000 victimes puisque, entre 20 et 60 ans, 12 millions de femmes sont présentes sur le marché du travail.
Le harcèlement moral ne concerne pas que les femmes bien sûr. Ce comportement a fait l'objet, dans le cadre du projet de loi de modernisation sociale en cours de discussion, d'une claire dénonciation, d'une définition, d'une sanction.
Plus d'un million de femmes au travail subissent des agressions verbales, incluant injures et menaces. Elles sont mentionnées par 8,5 % des femmes et viennent pour 80 % des hommes, les clients, et ceci toujours sur un an.
Les agressions physiques, comprenant les coups et blessures et les menaces avec une arme, concernent 0,6 % des femmes. Le pourcentage peut paraître faible mais ce sont quand même 72 000 femmes qui ont connu cette forme de violence en 2000.
Les destructions du travail et de l'outil de travail sont dénoncées par 2,2 % des femmes et relèvent de relations parfois conflictuelles entre collègues de travail, que ce soient des hommes ou des femmes.
En ce qui concerne le harcèlement sexuel, tel que compris par l'opinion publique, je souhaiterais, pour éviter toute confusion, rappeler aussi les critères choisis par l'équipe de chercheurs pour analyser l'ensemble des violences sexuelles au travail.
On définit, dans la loi de 1992, le harcèlement sexuel comme le fait pour un supérieur hiérarchique de harceler autrui en usant de pressions, d'ordres, de menaces, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle. Le harcèlement sexuel, dans le Code Pénal, peut entraîner un an de prison et 100 000 francs d'amende. Cette définition a été complétée dans la loi du 9 mai 2001 sur l'égalité professionnelle en l'élargissant aux mesures discriminatoires.
L'équipe des chercheurs a tenté de cerner davantage les violences sexuelles au travail, quel qu'en soit l'auteur et pas seulement le supérieur hiérarchique.
Deux niveaux ont été distingués :
les avances et pressions sexuelles, qu'on pourrait appeler harcèlement d'ordre sexuel ;
les agressions sexuelles caractérisées que sont les attouchements du sexe, les tentatives de viol et les viols.
2 % des femmes sont concernées par l'une ou l'autre de ces violences, 240 000 êtres humains de sexe féminin au cours de l'année 2000.
Un rapport équilibré des effectifs d'hommes et de femmes sur le lieu de travail évite une part significative des violences au travail, alors qu'une sur-représentation masculine les accroît : la mixité tend donc à pacifier les relations de travail et constitue un atout pour l'entreprise.
Cependant, là encore, certains facteurs sont sources de discriminations importantes. Les jeunes femmes, âgées de 20 à 24 ans, font deux fois plus l'objet d'injures sexistes et subissent six fois plus souvent des faits de harcèlement d'ordre sexuel.
Le mode de vie des femmes fait également partie des facteurs aggravants. Les femmes divorcées se font le plus souvent injurier. Les femmes célibataires subissent le taux le plus élevé d'agressions et de harcèlement d'ordre sexuel.
Être en situation concurrentielle avec les hommes renforce les violences. Ainsi, les femmes exerçant une profession libérale ont le taux le plus élevé de violences sexuelles au travail.
Enfin, dans un contexte où l'on met en place les 35 heures, où l'on parle d'articulation entre la vie professionnelle et la vie familiale, être mère est le plus souvent pénalisant puisqu'elles subissent plus systématiquement des brimades et se voient imposer des horaires non négociés dans leur travail.
Il ressort de ces exemples que l'organisation et le fonctionnement du monde du travail restent profondément masculins sinon machistes
VIOLENCES DANS L'ESPACE PUBLIC
Si le terme " espace public " évoque souvent " la rue ", la sphère à laquelle il se réfère ici recouvre des lieux aussi divers que les grands magasins, les clubs de sport, les restaurants ou les boîtes de nuit, la plage ou les jardins publics, les transports en commun, etc.
La rue est l'un des espaces publics où se produit le plus grand nombre d'agressions (38 %). Je ne mentionnerai que quelques chiffres : une femme sur cinq, au cours de l'année 2000, a été insultée dans la rue, suivie dans son déplacement, a subi la vue d'exhibitionnistes ou a été importunée sexuellement. Je souhaite ajouter que les agressions verbales et insultes sont multipliées par trois pour les femmes d'origine étrangère.
Les brutalités physiques comprenant les gifles et coups, menaces ou attaques armées concernent 1,7 % des femmes au cours de l'année. Je rappelle que les femmes entre 20 et 60 ans en France représentent 16 millions d'êtres humains. Là encore, ce sont vraisemblablement au moins 270 000 femmes qui sont concernées.
Si ce ne sont pas des violences portant atteinte directement à leur corps, les femmes subissent néanmoins un ensemble de brimades dans leurs mouvements et leurs déplacements qui fait peser une réelle menace sur elles et entrave leur liberté de circulation. La fréquence de ces agressions décroît fortement avec l'âge mais s'accroît avec la taille de l'agglomération. Les jeunes femmes sont encore une fois les premières victimes dans l'espace public car elles sont davantage perçues comme objets sexuels disponibles.
Est-ce à dire pour autant que ces violences sont exercées dans des espaces particulièrement dangereux ? C'est surtout la banalisation de ces actes, qui s'exercent dans les circonstances ordinaires du quotidien, qui ressort de cette enquête. 75,5 % de ces faits ont ainsi lieu dans un endroit fréquenté régulièrement et concernent les plus vulnérables.
VIOLENCES CONJUGALES
Le 6 décembre dernier, souvenez-vous, j'avais plus particulièrement attiré l'attention des médias sur l'importance des violences dans la sphère privée, sphère de l'intime où les violences sont cachées.
Ainsi, l'annonce faite en décembre se confirme. Près d'une femme sur dix, 9,5 % exactement, ont subi des violences de la part de leur conjoint, qu'elles soient verbales, psychologiques, physiques ou sexuelles, au cours des douze derniers mois.
Le terme de " femmes battues ", couramment utilisé, ne rend pas compte de la réalité des violences conjugales puisque les pressions psychologiques y sont prépondérantes. Ces atteintes psychologiques comprennent les actions de contrôle (exiger de savoir avec qui et où l'on a été, empêcher de rencontrer des amis ou un membre de la famille ou de leur parler), d'autorité (imposer des façons de s'habiller, de se coiffer ou de se comporter en public), les attitudes de dénigrement ou de mépris.
Cette violence psychologique - aussi destructrice que la violence physique - est une forme moderne et contemporaine, peut-on penser, de la domination d'un sexe sur l'autre, dans un contexte social, en droit, égalitaire.
On peut distinguer deux niveaux de violences.
Le niveau grave regroupe les femmes victimes de harcèlement psychologique, d'insultes répétées ou de violences physiques voire sexuelles. Il correspond au plus grand nombre et concerne près de 7 % des femmes en couple. Presque 1 million de femmes connaissent cette situation, sur les 14 millions concernées.
Le niveau très grave correspond au cumul de plusieurs types de violences. Près de 3 % des femmes en couple ont vécu ces enfers en l'an 2000, c'est-à-dire près de 420 000 femmes, quel que soit leur milieu social. Et le chômage, le retrait du monde du travail, des lieux extérieurs, est toujours un facteur aggravant.
Il existe un lien assez fort entre les situations de violences et la répartition inégalitaire du travail domestique et de l'éducation des enfants. Les femmes vivant en couple subissent quatre fois plus de violences graves lorsqu'elles s'occupent seules de leurs enfants.
J'ai hésité à m'exprimer sur une autre question plus intimement culturelle, mais son importance mérite d'être soulignée : 2 % des femmes ayant reçu une éducation laïque connaissent des violences de niveau très grave, mais elles sont plus de 5 % à connaître une telle situation parmi celles qui accordent une grande importance à la religion et qui sont le plus souvent issues de l'immigration.
Enfin, deux autres facteurs doivent retenir l'attention des pouvoirs publics.
D'abord le chômage. Il constitue un facteur aggravant de la violence. Les situations de précarité face à l'emploi, en particulier la multiplication des périodes de chômage pour l'un ou l'autre des partenaires, double la proportion de femmes victimes de violence.
Ensuite, les situations vécues durant l'enfance. Les enfants sont témoins dans les deux tiers des cas de scènes de violences très graves. L'enquête a montré par ailleurs que les femmes qui ont connu dans leur enfance des situations de conflits très graves entre leurs parents sont à leur tour victimes de violence, près de quatre fois plus que les autres à l'âge adulte. Et celles qui ont subi directement des sévices et des coups dans leur enfance sont, presque dix fois plus que les autres, victimes de violence très graves à l'âge adulte.
Je ne manquerai pas de communiquer à Ségolène Royal, ministre déléguée à la Famille et à l'Enfance, ces données scientifiques. Elles constituent, j'en suis convaincue, des informations fondamentales qui s'inscrivent dans le cadre de la politique de protection de l'enfance conduite par le gouvernement.
COMPORTEMENTS DES FEMMES
Je tiens à souligner que cette enquête n'a pas uniquement le mérite de nous fournir une évaluation quantitative scientifique ; elle contribue, par son analyse, à mettre fin à l'image de la femme victime qui se résigne et accepte cette violence comme une fatalité liée à sa condition.
Avant même de refuser, les femmes réagissent. 80,9 % d'entre elles tentent d'instaurer un dialogue avec leur conjoint, et dans 40 % des cas elles répliquent et se débattent. Dans les autres sphères de la vie publique où la violence se déploie, le dialogue est également privilégié, avant la fuite et in fine la défense physique.
" Céder n'est pas consentir ", déclare l'anthropologue Nicole-Claude Mathieu.
En effet, si les femmes cèdent, c'est toujours face à la force et dans la douleur. A cet égard, cette enquête a permis à un nombre considérable de femmes de parler pour la première fois, de briser le non-dit dans lequel elles s'étaient enfermées depuis parfois des années.
Je pense particulièrement aux femmes victimes de violences sexuelles. Près de la moitié des femmes victimes d'agressions sexuelles au cours de leur vie en ont parlé à quelqu'un, tandis que les femmes victimes de viol n'osent pas en parler. Les trois quart des victimes de viol avant l'âge de 15 ans l'ont évoqué pour la première fois au cours de l'enquête.
Le harcèlement sexuel dans la rue ou au travail reste toujours un sujet profondément tabou : moins de deux sur trois des victimes d'avances et d'agressions sexuelles en avaient parlé avant d'être interrogées.
Le slogan - " En cas de violence, brisez le silence " - que j'ai choisi pour mener ma campagne d'information et de communication dans toute la France doit faire prendre conscience aux femmes qu'il faut dire NON. Libérer la parole est un préalable nécessaire. C'est une étape d'autant plus décisive à franchir pour recouvrer ses droits et combattre pour sa dignité que les secours juridiques ne sanctionnent pas systématiquement les auteurs. Savoir nommer cette violence, pour les victimes comme pour les institutions, c'est la désigner et déjà la condamner.
Vous me permettrez cependant d'avoir, dans l'une de mes dernières phrases, un regard global plus optimiste sur les relations hommes-femmes dans notre société française : la très grande majorité des femmes interrogées disent avoir confiance en leur compagnon et en être amoureuse
C'est peut-être pourquoi j'accepte d'autant moins les tentatives de viols collectifs chez les très jeunes filles de moins de 15 ans, même si ces pratiques deviennent inexistantes après 25 ans.
C'est pourquoi aussi, mesdames et messieurs, on ne peut accepter qu'une femme sur dix en France, vivant en couple, soit victime de violences répétées, qu'une sur cinq soit agressée verbalement dans la rue, une sur quatre sur son lieu de travail. C'est beaucoup, beaucoup trop.
Je poursuis moi-même ma campagne nationale, département après département, ma mallette à la main. Je peux vous annoncer aujourd'hui la création effective, à la date du 3 octobre 2001, de la Commission nationale de lutte contre les violences subies par les femmes.
Je sais pouvoir compter sur vous, dans le cadre des responsabilités de chacun et le respect de nos philosophies, pour lutter contre cet insupportable comportement de société.
(Source http://www.social.gouv.fr, le 8 novembre 2001)