Texte intégral
E. Martichoux Certains professionnels de la santé dénoncent régulièrement une dérive à l'anglaise du système français, vous l'avez entendu dans le journal de 8 heures. Est-ce que vous vous imaginez un jour devoir inciter les Français à aller se faire soigner à l'étranger comme l'a fait, hier, votre homologue britannique ?
- "Non, c'est très injurieux pour le système français de comparer les deux systèmes. C'est vraiment le jour et la nuit. Je crois que les Français devraient se réjouir. Ils ne sont jamais suffisamment contents et il faut donc toujours améliorer un système qui est classé par l'OMS comme le meilleur du monde ; il est imparfait mais c'est le meilleur du monde. Ne comparez pas les deux ans d'attente, les impossibilités de voir un spécialiste, le blocage chez les généralistes, les 7 % du produit intérieur brut dépensé chez les Anglais, près de 10 % chez nous : c'est vraiment le jour et la nuit. Ce n'est pas vrai seulement pour les comparaisons avec l'Angleterre, c'est vrai pour les comparaisons avec tous les pays européens, avec les Etats-Unis et avec le reste du monde."
C'est une affaire entendue : la France n'est évidemment pas débordée comme l'est le système britannique mais un de vos soucis, le gros souci social de la rentrée pour le Gouvernement, va être la mise en place des 35 heures dans le secteur hospitalier. Parlons un peu des infirmières : on dit - ce sont les chiffres officiels - qu'il y a 10 000 postes à pourvoir aujourd'hui. Comment va-t-on faire pour mettre en place la réduction du temps de travail ?
- "Nous allons former des infirmières. Je regrette qu'on n'en est pas formé plus dans les années précédentes. Nous étions dans une situation économique différente. Former un professionnel de santé - un médecin, une infirmière - est une perspective de dépenses mais ce n'est pas comme cela qu'il faut raisonner. Il faudrait un jour changer ce système, avoir un ministère de la Santé avec un budget de la santé et des choix clairs. On constate que les gens ne savent pas qu'il s'agit de leur argent, un argent particulier qui n'est pas l'argent du budget de la France. C'est un argent pour la santé, pour le social, une enveloppe close. Si les Français donnent plus d'argent, c'est plus facile de former des infirmières et d'en avoir plus. Mais si on ne réforme pas ce système, ce sera toujours très difficile à l'intérieur d'une somme réduite."
Vous savez bien qu'il reste huit mois. Vous n'allez pas en huit mois réformer un système ?
- "Certainement pas."
La question reste entière : le premier rendez-vous entre E. Guigou, vous-même et tous les partis prenants dans cette négociation des 35 heures est le 30 août. Vous allez annoncer des créations de postes ?
- "Les 35 heures sont un bénéfice pour les travailleurs. Ce n'est pas une catastrophe, c'est un bienfait, une avancée."
Mais du point de vue des patients ?
- "C'est un progrès aussi pour eux. Avoir des personnels moins fatigués, plus attentifs, ce sera un progrès. Nous progressons. Ce n'est pas une catastrophe, pas de misérabilisme !"
Ce n'est pas de misérabilisme : il y a une loi qui va s'appliquer au secteur public.
- "On va l'appliquer, c'est nous qui l'avons faite ! Ce n'est pas une catastrophe. Transformez vos questions critiques en questions positives : nous allons avoir des gens qui seront plus disponibles pour les patients puisqu'ils travailleront 35 heures. Il y aura des créations de postes - il y a demain une réunion d'arbitrage chez le Premier ministre - puis une formation qui prendra trois ans pour les infirmières et puis beaucoup plus d'années pour les médecins."
Vous ne voulez pas présenter la question ou le dossier des infirmières sous l'angle de la difficulté mais c'est vrai qu'il y a un défaut d'attractivité de la profession. Comment pouvez-vous faire pour rendre ce métier tellement populaire plus attractif pour les jeunes ? Il paraît qu'on va recourir à l'immigration dans le public ? C'est vrai ou c'est faux ?
- "Le service public n'a pas recouru à l'immigration."
Est-ce qu'il va le faire ?
- "Peut-être, éventuellement. Encore une fois, il faut former et au minimum cela prend trois ans pour les infirmières. Donc s'il y a des besoins nous verrons. Pour le moment, c'est le service privé qui passe des contrats - et pourquoi pas ! - avec des infirmières espagnoles - bien formées d'ailleurs. Je vous signale que tout cela vise à l'amélioration du système parce que le service public paye beaucoup plus ses infirmières. Il y a un mouvement des cliniques, du service privé vers le service public. Ce métier n'est pas attractif ? Il l'est moins. Il y a une espèce de glissement des vocations qu'il faut bien considérer dans ce pays. Tous les métiers pénibles chez les médecins, chez les infirmières, certaines spécialités - les urgences dont nous parlerons j'espère - recueillent moins d'adhésions et voient se diriger moins de vocations vers eux. Pourquoi ? Parce que prendre la garde, passer des heures la nuit, n'être peut-être pas assez payé - c'est vrai qu'il faut faire des efforts, nous l'avons fait pour les obstétriciens et nous tenterons de le faire pour d'autres - n'est plus dans l'air du temps : on s'intéresse à soi, à sa famille, à sa vie beaucoup plus qu'on ne le faisait avant. Le malade dans cette affaire - pardonnez-moi de le dire avec gravité - n'est peut-être pas suffisamment au centre du raisonnement de ces professions. Il faut le remettre."
Les urgences : vous êtes allé, de façon plus ou moins impromptue la semaine dernière, rendre visite à deux services d'urgence à Paris, dont Saint-Antoine. Il y avait, là, vous l'avez constaté, des malades qui ne trouvaient pas de lits pour être traités en aval comme on dit. De quelle nature est ce problème ?
- "Des visites comme celles-là, j'en fais depuis dix ans, c'est la meilleure façon de se rendre compte. Il ne faut pas prévenir pour éviter que le tralala soit là pour vous accueillir. A Saint-Antoine en particulier, et à Montreuil un peu moins - je visiterai d'autres hôpitaux, je les connais bien - c'est vrai qu'il y a un engorgement, c'est vrai qu'on ne porte pas assez attention au service des urgences. Il n'y a pas de spécialité d'urgence dans notre pays et je pense que c'est une erreur : il faut la créer. Je le crois depuis longtemps. De plus, les urgences recueillent beaucoup plus de patients d'abord parce que le service en ville, le service des médecins privés, des médecins libéraux n'est plus assuré comme auparavant. Il faut faire un effort en amont."
Pour que tout le monde n'aille pas systématiquement aux urgences ? 10 % des malades qui devraient aller en ville vont aux urgences ?
- "Cela dépend de ce qu'on entend par "demandes sociales" et par ce qu'on appelle péjorativement la "bobologie." Si les gens vont vers l'hôpital, c'est parce qu'ils ont confiance dans l'hôpital, dans son service, dans son écoute, dans les gens qui sont là nuit et jour. C'est une donnée sociologique : on ira de plus en plus vers les urgences. Il faut donc intégrer l'urgence dans le service hospitalier, pas comme un parent pauvre, pas comme la médecine pour les pauvres ou les exclus, pas comme une médecine moins intéressante. Pour cela, il faut que l'hôpital change et que les services hospitaliers - particulièrement en médecine et en chirurgie - acceptent plus de malades venus des urgences. Il faut qu'on discute avec les médecins à ce propos. Il ne faut pas qu'ils repoussent ou qu'ils disent toujours que leur service est plein."
Cela passe par la discussion et le dialogue. Vous allez l'engager maintenant ?
- "Oui. C'est long de changer les mentalités médicales. C'est beaucoup mieux d'avoir un patient qu'on connaît, qui a rendez-vous pour une médecine que l'on juge plus noble. Mais je crois que ce n'est pas comme cela qu'il faut raisonner. D'ailleurs les jeunes médecins ne raisonnent plus comme cela."
Une autre actualité nous ramène quand même aux questions de santé publique : les OGM. Une nouvelle action, hier, de la Confédération paysanne. C'est une action hors-la-loi ? C'est de la délinquance ? C'est au contraire une provocation salutaire ?
- "C'est difficile. C'est vraiment un très grand malentendu comme il y en a toujours dans les grandes découvertes scientifiques et en particulier en médecine. Il y a toujours eu des réactions difficiles à comprendre longtemps après, quand les vaccins ont été inventés, lorsque les premières transplantations ont été faites. Les grands progrès de la médecine se sont accompagnés d'une grande réflexion. Dans les OGM, il n'y a pas que la médecine mais il y a des recherches, comme on a beaucoup cherché le substitut du sang avec le plant du tabac par exemple. C'est vrai que j'ai réagi et je réagirai encore lorsqu'on arrache des plants qui étaient destinés au traitement de la mucovicidose. Je trouve que ce n'est pas acceptable. Il faut que les progrès soient faits. Mais il y a aussi une légitime demande d'informations et une peur, qu'on comprend ou qu'on ne comprend pas, de la part des paysans et de la Confédération paysanne en particulier. J. Glavany a été sage de dire qu'il faut à nouveau en parler. Il faut s'expliquer. Ce sera long. Le mot "génétique" est lui-même porteur de mystères, de dangers potentiels. Qu'est-ce qu'ils craignent ? Je voudrais le savoir. J'ai lancé avec R.-G. Schwartzenberg une étude pour savoir ce qu'on craint. Qu'est-ce que veut dire cette dissémination sur le maïs, sur le colza ?"
Elle a été reconnue par l'Afssa d'ailleurs.
- "Bien sûr. Mais qui a créé l'Afssa ? C'est nous. Notre agence sert à cela. Il faut discuter mais il ne faut pas non plus accepter des réactions que je juge très négatives devant le progrès. Autant la Confédération, à propos de la mondialisation, a raison de se méfier des firmes internationales qui cherchent avant tout le profit - et on voit d'ailleurs que les semences en question souvent sont destinées à tester la résistances aux herbicides et aux pesticides, c'est très dangereux, on voit bien derrière la pensée un peu dominante qui se dessine - mais il faut laisser faire la recherche scientifique. Il ne faut pas se laisser impressionner par des réactions qui ne sont pas dans le sens du progrès."
Un mot de la rentrée du Gouvernement. Demain, L. Jospin prend la parole. C'est assez inhabituel. En général, il la réserve aux militants socialistes des universités d'été. Le dossier corse, la cacophonie gouvernementale sur le tunnel du Mont-Blanc : comment vivez-vous cette rentrée ?
- "Cela fait longtemps que je m'aperçois qu'à la rentrée, on découvre toujours une cacophonie."
C'est la première fois que le Premier ministre parle avant les universités d'été. C'est un signe.
- "Cela prouve qu'il a quelque chose à dire. Cela vous surprendra positivement, du moins je l'espère. La cacophonie c'est comme les marronniers de la rentrée. Les universités d'été ne sont pas cacophoniques."
Il n'y a pas de cacophonie ?
- "Non, il y a avant les élections - ce qui assez traditionnel -, un renforcement d'une certaine agressivité : on se repositionne. On oublie que R. Hue, par exemple, il y a quelques mois, courait après sa gauche. Maintenant, il court après l'image du parti par rapport à sa gauche. C'est normal. Ce sont les majorités d'idées qui font les majorités présidentielles et parlementaires en France. Vous découvrez que cela fonctionne de la sorte ? Chaque groupe de la majorité a sa personnalité. Heureusement qu'il n'y a pas une homogénéisation parfaite et qu'on ne les secoue pas tous pour qu'ils pensent la même chose ! Cela me paraît sain."
Vous ne pouvez quand même pas nier que par exemple sur la Corse ou sur le tunnel du Mont-Blanc, il y a une forme d'incohérence des débats à l'intérieur du Gouvernement et à l'extérieur qui bouscule le Gouvernement ?
- "Je le nie totalement et réfute ce mot. Il n'y a pas d'incohérences : il y a des opinions bien difficiles à faire sur un sujet difficile. Je serais bienheureux d'écouter, si vous avez une opinion tranchée en dehors des propositions qui ont été faites ouvertement."
Ce n'est pas moi qui gouverne.
- "Vous posez des questions, je vous en pose une : est-ce qu'il y a une autre proposition qui a été faite sur la Corse - dossier que je connais un peu ? Je vous assure que les Corses attendent qu'on poursuive le processus de Matignon. Rien d'autre n'a été proposé sauf par certains farfelus qui auraient mieux fait de se taire."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 28 août 2001)
- "Non, c'est très injurieux pour le système français de comparer les deux systèmes. C'est vraiment le jour et la nuit. Je crois que les Français devraient se réjouir. Ils ne sont jamais suffisamment contents et il faut donc toujours améliorer un système qui est classé par l'OMS comme le meilleur du monde ; il est imparfait mais c'est le meilleur du monde. Ne comparez pas les deux ans d'attente, les impossibilités de voir un spécialiste, le blocage chez les généralistes, les 7 % du produit intérieur brut dépensé chez les Anglais, près de 10 % chez nous : c'est vraiment le jour et la nuit. Ce n'est pas vrai seulement pour les comparaisons avec l'Angleterre, c'est vrai pour les comparaisons avec tous les pays européens, avec les Etats-Unis et avec le reste du monde."
C'est une affaire entendue : la France n'est évidemment pas débordée comme l'est le système britannique mais un de vos soucis, le gros souci social de la rentrée pour le Gouvernement, va être la mise en place des 35 heures dans le secteur hospitalier. Parlons un peu des infirmières : on dit - ce sont les chiffres officiels - qu'il y a 10 000 postes à pourvoir aujourd'hui. Comment va-t-on faire pour mettre en place la réduction du temps de travail ?
- "Nous allons former des infirmières. Je regrette qu'on n'en est pas formé plus dans les années précédentes. Nous étions dans une situation économique différente. Former un professionnel de santé - un médecin, une infirmière - est une perspective de dépenses mais ce n'est pas comme cela qu'il faut raisonner. Il faudrait un jour changer ce système, avoir un ministère de la Santé avec un budget de la santé et des choix clairs. On constate que les gens ne savent pas qu'il s'agit de leur argent, un argent particulier qui n'est pas l'argent du budget de la France. C'est un argent pour la santé, pour le social, une enveloppe close. Si les Français donnent plus d'argent, c'est plus facile de former des infirmières et d'en avoir plus. Mais si on ne réforme pas ce système, ce sera toujours très difficile à l'intérieur d'une somme réduite."
Vous savez bien qu'il reste huit mois. Vous n'allez pas en huit mois réformer un système ?
- "Certainement pas."
La question reste entière : le premier rendez-vous entre E. Guigou, vous-même et tous les partis prenants dans cette négociation des 35 heures est le 30 août. Vous allez annoncer des créations de postes ?
- "Les 35 heures sont un bénéfice pour les travailleurs. Ce n'est pas une catastrophe, c'est un bienfait, une avancée."
Mais du point de vue des patients ?
- "C'est un progrès aussi pour eux. Avoir des personnels moins fatigués, plus attentifs, ce sera un progrès. Nous progressons. Ce n'est pas une catastrophe, pas de misérabilisme !"
Ce n'est pas de misérabilisme : il y a une loi qui va s'appliquer au secteur public.
- "On va l'appliquer, c'est nous qui l'avons faite ! Ce n'est pas une catastrophe. Transformez vos questions critiques en questions positives : nous allons avoir des gens qui seront plus disponibles pour les patients puisqu'ils travailleront 35 heures. Il y aura des créations de postes - il y a demain une réunion d'arbitrage chez le Premier ministre - puis une formation qui prendra trois ans pour les infirmières et puis beaucoup plus d'années pour les médecins."
Vous ne voulez pas présenter la question ou le dossier des infirmières sous l'angle de la difficulté mais c'est vrai qu'il y a un défaut d'attractivité de la profession. Comment pouvez-vous faire pour rendre ce métier tellement populaire plus attractif pour les jeunes ? Il paraît qu'on va recourir à l'immigration dans le public ? C'est vrai ou c'est faux ?
- "Le service public n'a pas recouru à l'immigration."
Est-ce qu'il va le faire ?
- "Peut-être, éventuellement. Encore une fois, il faut former et au minimum cela prend trois ans pour les infirmières. Donc s'il y a des besoins nous verrons. Pour le moment, c'est le service privé qui passe des contrats - et pourquoi pas ! - avec des infirmières espagnoles - bien formées d'ailleurs. Je vous signale que tout cela vise à l'amélioration du système parce que le service public paye beaucoup plus ses infirmières. Il y a un mouvement des cliniques, du service privé vers le service public. Ce métier n'est pas attractif ? Il l'est moins. Il y a une espèce de glissement des vocations qu'il faut bien considérer dans ce pays. Tous les métiers pénibles chez les médecins, chez les infirmières, certaines spécialités - les urgences dont nous parlerons j'espère - recueillent moins d'adhésions et voient se diriger moins de vocations vers eux. Pourquoi ? Parce que prendre la garde, passer des heures la nuit, n'être peut-être pas assez payé - c'est vrai qu'il faut faire des efforts, nous l'avons fait pour les obstétriciens et nous tenterons de le faire pour d'autres - n'est plus dans l'air du temps : on s'intéresse à soi, à sa famille, à sa vie beaucoup plus qu'on ne le faisait avant. Le malade dans cette affaire - pardonnez-moi de le dire avec gravité - n'est peut-être pas suffisamment au centre du raisonnement de ces professions. Il faut le remettre."
Les urgences : vous êtes allé, de façon plus ou moins impromptue la semaine dernière, rendre visite à deux services d'urgence à Paris, dont Saint-Antoine. Il y avait, là, vous l'avez constaté, des malades qui ne trouvaient pas de lits pour être traités en aval comme on dit. De quelle nature est ce problème ?
- "Des visites comme celles-là, j'en fais depuis dix ans, c'est la meilleure façon de se rendre compte. Il ne faut pas prévenir pour éviter que le tralala soit là pour vous accueillir. A Saint-Antoine en particulier, et à Montreuil un peu moins - je visiterai d'autres hôpitaux, je les connais bien - c'est vrai qu'il y a un engorgement, c'est vrai qu'on ne porte pas assez attention au service des urgences. Il n'y a pas de spécialité d'urgence dans notre pays et je pense que c'est une erreur : il faut la créer. Je le crois depuis longtemps. De plus, les urgences recueillent beaucoup plus de patients d'abord parce que le service en ville, le service des médecins privés, des médecins libéraux n'est plus assuré comme auparavant. Il faut faire un effort en amont."
Pour que tout le monde n'aille pas systématiquement aux urgences ? 10 % des malades qui devraient aller en ville vont aux urgences ?
- "Cela dépend de ce qu'on entend par "demandes sociales" et par ce qu'on appelle péjorativement la "bobologie." Si les gens vont vers l'hôpital, c'est parce qu'ils ont confiance dans l'hôpital, dans son service, dans son écoute, dans les gens qui sont là nuit et jour. C'est une donnée sociologique : on ira de plus en plus vers les urgences. Il faut donc intégrer l'urgence dans le service hospitalier, pas comme un parent pauvre, pas comme la médecine pour les pauvres ou les exclus, pas comme une médecine moins intéressante. Pour cela, il faut que l'hôpital change et que les services hospitaliers - particulièrement en médecine et en chirurgie - acceptent plus de malades venus des urgences. Il faut qu'on discute avec les médecins à ce propos. Il ne faut pas qu'ils repoussent ou qu'ils disent toujours que leur service est plein."
Cela passe par la discussion et le dialogue. Vous allez l'engager maintenant ?
- "Oui. C'est long de changer les mentalités médicales. C'est beaucoup mieux d'avoir un patient qu'on connaît, qui a rendez-vous pour une médecine que l'on juge plus noble. Mais je crois que ce n'est pas comme cela qu'il faut raisonner. D'ailleurs les jeunes médecins ne raisonnent plus comme cela."
Une autre actualité nous ramène quand même aux questions de santé publique : les OGM. Une nouvelle action, hier, de la Confédération paysanne. C'est une action hors-la-loi ? C'est de la délinquance ? C'est au contraire une provocation salutaire ?
- "C'est difficile. C'est vraiment un très grand malentendu comme il y en a toujours dans les grandes découvertes scientifiques et en particulier en médecine. Il y a toujours eu des réactions difficiles à comprendre longtemps après, quand les vaccins ont été inventés, lorsque les premières transplantations ont été faites. Les grands progrès de la médecine se sont accompagnés d'une grande réflexion. Dans les OGM, il n'y a pas que la médecine mais il y a des recherches, comme on a beaucoup cherché le substitut du sang avec le plant du tabac par exemple. C'est vrai que j'ai réagi et je réagirai encore lorsqu'on arrache des plants qui étaient destinés au traitement de la mucovicidose. Je trouve que ce n'est pas acceptable. Il faut que les progrès soient faits. Mais il y a aussi une légitime demande d'informations et une peur, qu'on comprend ou qu'on ne comprend pas, de la part des paysans et de la Confédération paysanne en particulier. J. Glavany a été sage de dire qu'il faut à nouveau en parler. Il faut s'expliquer. Ce sera long. Le mot "génétique" est lui-même porteur de mystères, de dangers potentiels. Qu'est-ce qu'ils craignent ? Je voudrais le savoir. J'ai lancé avec R.-G. Schwartzenberg une étude pour savoir ce qu'on craint. Qu'est-ce que veut dire cette dissémination sur le maïs, sur le colza ?"
Elle a été reconnue par l'Afssa d'ailleurs.
- "Bien sûr. Mais qui a créé l'Afssa ? C'est nous. Notre agence sert à cela. Il faut discuter mais il ne faut pas non plus accepter des réactions que je juge très négatives devant le progrès. Autant la Confédération, à propos de la mondialisation, a raison de se méfier des firmes internationales qui cherchent avant tout le profit - et on voit d'ailleurs que les semences en question souvent sont destinées à tester la résistances aux herbicides et aux pesticides, c'est très dangereux, on voit bien derrière la pensée un peu dominante qui se dessine - mais il faut laisser faire la recherche scientifique. Il ne faut pas se laisser impressionner par des réactions qui ne sont pas dans le sens du progrès."
Un mot de la rentrée du Gouvernement. Demain, L. Jospin prend la parole. C'est assez inhabituel. En général, il la réserve aux militants socialistes des universités d'été. Le dossier corse, la cacophonie gouvernementale sur le tunnel du Mont-Blanc : comment vivez-vous cette rentrée ?
- "Cela fait longtemps que je m'aperçois qu'à la rentrée, on découvre toujours une cacophonie."
C'est la première fois que le Premier ministre parle avant les universités d'été. C'est un signe.
- "Cela prouve qu'il a quelque chose à dire. Cela vous surprendra positivement, du moins je l'espère. La cacophonie c'est comme les marronniers de la rentrée. Les universités d'été ne sont pas cacophoniques."
Il n'y a pas de cacophonie ?
- "Non, il y a avant les élections - ce qui assez traditionnel -, un renforcement d'une certaine agressivité : on se repositionne. On oublie que R. Hue, par exemple, il y a quelques mois, courait après sa gauche. Maintenant, il court après l'image du parti par rapport à sa gauche. C'est normal. Ce sont les majorités d'idées qui font les majorités présidentielles et parlementaires en France. Vous découvrez que cela fonctionne de la sorte ? Chaque groupe de la majorité a sa personnalité. Heureusement qu'il n'y a pas une homogénéisation parfaite et qu'on ne les secoue pas tous pour qu'ils pensent la même chose ! Cela me paraît sain."
Vous ne pouvez quand même pas nier que par exemple sur la Corse ou sur le tunnel du Mont-Blanc, il y a une forme d'incohérence des débats à l'intérieur du Gouvernement et à l'extérieur qui bouscule le Gouvernement ?
- "Je le nie totalement et réfute ce mot. Il n'y a pas d'incohérences : il y a des opinions bien difficiles à faire sur un sujet difficile. Je serais bienheureux d'écouter, si vous avez une opinion tranchée en dehors des propositions qui ont été faites ouvertement."
Ce n'est pas moi qui gouverne.
- "Vous posez des questions, je vous en pose une : est-ce qu'il y a une autre proposition qui a été faite sur la Corse - dossier que je connais un peu ? Je vous assure que les Corses attendent qu'on poursuive le processus de Matignon. Rien d'autre n'a été proposé sauf par certains farfelus qui auraient mieux fait de se taire."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 28 août 2001)