Déclaration de M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur, sur la réforme de l'Etat territorial, au Sénat le 10 janvier 2017.

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Circonstance : Débat organisé à la demande de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, au Sénat le 10 janvier 2017

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, sur les conclusions du rapport d'information : Où va l'État territorial ? Le point de vue des collectivités (rapport d'information n° 181).
(…)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, l'angle d'approche qui a été retenu pour ce rapport d'information me semble particulièrement intéressant. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Il me semble que ce qui est un réflexe acquis chez les sénatrices et les sénateurs l'est aussi dorénavant pour le Gouvernement.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Gérard Bailly. Il est temps !
M. Bruno Le Roux, ministre. Ce réflexe, de bonne administration, qui consiste à s'interroger sur les conséquences de ses choix politiques sur les collectivités territoriales a d'ailleurs été formalisé. Je pense concrètement – il ne s'agit pas pour moi d'en rester à de simples phrases – au Conseil national de l'évaluation des normes, le CNEN, et aux études d'impact des projets de loi.
Pour le ministère de l'intérieur, c'est plus qu'un réflexe ! Rien de plus normal, pour nous, que de considérer l'administration territoriale de la République dans son ensemble et de peser chaque décision au double trébuchet de la déconcentration et de la décentralisation, sans antagonisme.
C'est d'ailleurs le seul regret que le ministre de l'intérieur que je suis peut formuler à la lecture de votre rapport, madame Marie-Françoise Perol-Dumont et monsieur Éric Doligé. Vous avez retenu une présentation plus duale qu'elle ne l'est en réalité, et cette présentation ne résiste ni aux remontées des collectivités ni même aux propositions que vous formulez.
Je note donc la qualité de ce rapport, dont je partage volontiers une grande partie des conclusions.
Toutefois, je commencerais par rappeler une évidence – le contenu du rapport ne me laisse pas d'autre choix : on ne peut naturellement pas demander au gouvernement actuel d'endosser des décisions autres que celles qui ont été prises par lui-même ou par son administration !
Oui, la révision générale des politiques publiques de 2007, comme cela a été dit voilà quelques instants, a laissé de profondes cicatrices sur nos territoires, en sabrant dans les effectifs sans logique d'ensemble, sur le seul fondement d'une recherche d'économies. Oui, la réforme de l'État de 2008 aurait pu donner lieu à une plus grande concertation avec les élus. Oui, la succession de réformes, menées rapidement et emboîtées les unes dans les autres sans vision globale, nuit à la cohérence de l'action publique.
Mais ce n'est pas là le bilan du Gouvernement !
Je souhaite donc ramener ce débat, y compris dans l'hypothèse d'un futur rapport que vous ne manquerez pas de faire dans les prochaines années, mesdames, messieurs les sénateurs, à ce que le Gouvernement a réalisé depuis 2013 et, précisément, depuis le comité interministériel pour la modernisation de l'action publique de juillet 2013.
D'abord, le Gouvernement s'est engagé dans la stabilisation des organisations existantes pour donner la priorité à l'amélioration du fonctionnement de l'administration déconcentrée au bénéfice d'un meilleur service public.
C'est bien cet objectif que visait initialement le mouvement de modernisation de l'action publique, et c'est cet objectif qui, je le pense, a été atteint, dans une concertation renouvelée avec les collectivités locales. Au fil d'une démarche participative, la modernisation de l'action publique, ou MAP, dès 2013, puis les chantiers de l'administration territoriale en 2014 et 2015 ont dessiné – redessiné, devrais-je dire – les lignes de force d'un État territorial plus cohérent, mieux armé et plus proche de nos concitoyens. (M. Jean-François Husson s'exclame.)
Depuis près de cinq ans, l'État territorial s'est sans conteste donné les moyens d'une plus grande cohérence.
C'est le cas lorsque l'on donne au préfet de région les leviers pour véritablement gérer les moyens budgétaires sur son territoire, en le désignant responsable des budgets opérationnels de programme.
C'est aussi le cas lorsque l'on réaffirme le rôle du préfet dans la conduite et la coordination des politiques publiques, y compris de celles qui sont entre les mains d'établissements publics. Je vous renvoie sur ce point au décret du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration, aux efforts de rationalisation qui ont été consentis à l'égard des opérateurs ou encore, plus récemment, au plan Préfectures nouvelle génération, qui identifie ce rôle de coordination comme l'une des quatre missions prioritaires des préfectures, en prévoyant les moyens humains correspondants.
La cohérence de l'action de l'État territorial est un point essentiel : les collectivités – vous l'avez noté à plusieurs reprises – ont besoin d'un État présentant un seul visage et s'exprimant d'une seule voix. Ce visage et cette voix, à quelques exceptions près, sont incarnés par les préfets et je suis fier de redire ici, rejoignant, là encore, le jugement émanant de votre assemblée, l'excellence du travail exercé par ces hauts fonctionnaires partout sur le territoire.
Mais je veux aussi souligner que l'État territorial est aujourd'hui mieux armé.
Le Gouvernement a immédiatement fait le choix de mettre un terme à l'effondrement des effectifs départementaux, porté à son paroxysme par la RGPP, pour renforcer l'échelon départemental.
Certes, je suis prêt à le reconnaître, cela ne se vérifie pas pour un certain nombre, marginal, de politiques publiques, mais pour l'essentiel, le département est très clairement désigné comme l'échelon où sont mises en œuvre les politiques publiques de l'État. Pour employer une formule lapidaire, l'échelon départemental, c'est l'État tout entier !
C'est le niveau où sont prises les décisions concernant le quotidien des Français, le niveau des polices administratives, de l'accompagnement de leurs projets économiques ou associatifs, de leur sécurité et de la gestion des événements graves ou extraordinaires, du respect de l'État de droit et de la cohésion sociale. D'où notre souhait de continuer à renforcer cet échelon départemental.
Le passage de 22 à 13 régions a naturellement conduit à renouveler l'acuité de ce constat. Loin de remettre en cause l'échelon départemental, la réforme régionale l'a une nouvelle fois légitimé.
Cet échelon départemental, voire infradépartemental quand cela est nécessaire, doit aujourd'hui s'affirmer comme la véritable priorité d'action de l'État.
On retrouve cette même logique de renforcement dans le plan Préfectures nouvelle génération.
Nul ne peut prétendre – et je ne le ferais certainement pas devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs – que la contrainte budgétaire épargne l'administration territoriale de l'État. L'impératif de redressement des finances publiques est fort et celle-ci doit, comme chacun, y prendre sa part. Mais il y a diverses manières de faire face à cet impératif : le ministère de l'intérieur, sous l'impulsion de mon prédécesseur, Bernard Cazeneuve, a fait le pari de s'y adapter, plutôt que de le subir.
Au nombre des missions prioritaires, figurent, je l'ai dit, la coordination territoriale des politiques publiques – l'impact est sensible pour les collectivités –, mais aussi le contrôle de légalité.
J'entends ce qui a été dit à ce sujet. Les moyens actuels peuvent sembler insuffisants, mais ce sont tout de même 136 équivalents temps plein – ou ETP – qui vont être redistribués sur le territoire pour assurer le contrôle de légalité. (Sourires sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) C'est déjà un « plus », même si ce n'est pas assez, et c'est en tout cas une rupture (Même mouvement.) par rapport aux politiques de suppression de postes qui étaient menées sur tout le territoire.
Je préfère les petits plus aux grands moins ! C'est tout de même préférable pour assurer un service au plus proche des collectivités ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Dominique de Legge. Ce n'est pas sérieux !
M. Bruno Le Roux, ministre. Autre élément, les petites préfectures voyaient leurs effectifs baisser sans discontinuité,…
M. Jean-François Husson. Ça baisse toujours !
M. Bruno Le Roux, ministre. … et la réduction était telle qu'elles finissaient par se demander si elles n'allaient pas devoir se regrouper à plusieurs pour assurer leur service. Là encore, la réforme a conduit à fixer un socle à 95 ETP, permettant de remplir toutes les missions et de garantir la présence de l'État, indépendamment de la taille des préfectures.
Je n'évoquerai pas en détail la capacité de mobilisation des personnels, au travers de déroulements de carrière plus bénéfiques pour eux, mais je pense tout de même que l'on peut voir dans toutes ces mesures – je le dis avec prudence, car les membres de cette assemblée connaissent beaucoup mieux que moi les collectivités locales – quelque chose de différent par rapport à ce qui existait par le passé.
M. François Bonhomme. Et l'ATESAT ?
M. Bruno Le Roux, ministre. Je voudrais conclure ce propos en évoquant le troisième axe fort de l'action gouvernementale : la proximité.
Ce gouvernement croit profondément aux vertus de la proximité : près de 1 000 maisons de services au public créées, 65 maisons de l'État mises en place, et presque autant en projet, des schémas départementaux d'accessibilité des services au public en cours d'élaboration partout sur le territoire, un droit d'alerte mis entre les mains des préfets de département, une directive nationale d'orientation sur l'ingénierie d'État dans les territoires et, pour finir, une modernisation d'ensemble de la carte des arrondissements à la faveur d'une réforme de la coopération intercommunale ayant permis de réduire de près de 40 %, et je pense que cela apporte une cohérence supplémentaire à l'action publique dans notre pays, le nombre d'établissements publics de coopération. Tout cela, en outre, s'est fait dans la concertation la plus riche avec les élus locaux. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Ainsi, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l'État territorial sait aujourd'hui où il va ! (Mme Françoise Gatel rit.)
Un sénateur du groupe Les Républicains. C'est déjà pas mal ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Le Roux, ministre. Il sort de ces dernières années renforcé d'une régionalisation assumée, corollaire de l'instauration de collectivités régionales plus puissantes, mises en situation de rivaliser – c'est bien là l'objectif – avec leurs homologues européennes et de dynamiser le développement économique de la France.
Je ne sais pas où ira l'État territorial au cours du prochain quinquennat, mais il sort de l'actuelle mandature en présentant un nouveau visage, celui d'une articulation améliorée – j'allais dire parfaite (MM. François Bonhomme et Jean-François Husson s'exclament.), mais c'est probablement ma fonction qui me pousserait à employer ce terme – entre l'organisation des collectivités territoriales et celle des services déconcentrés de l'État.
Dans une République qui, de par notre Constitution, est unitaire tout autant qu'elle est décentralisée, c'est un signe de force.
La grande force de votre rapport, madame Perol-Dumont, monsieur Doligé, est de montrer que nous avons besoin de cette nouvelle organisation territoriale, telle qu'elle existe aujourd'hui, que celle-ci ne peut être mise en œuvre sans concertation et qu'elle exige une ambition sans cesse renouvelée. Or, de l'ambition pour les collectivités locales, il me semble qu'il en a manqué beaucoup par le passé !
Je suis donc fier de réaffirmer la volonté du Gouvernement de continuer sur le chemin qu'il a emprunté,…
M. Jean-François Husson. Un grand exercice de déni !
M. Bruno Le Roux, ministre. … si tant est qu'il lui soit accordé la possibilité de le faire dans les prochaines années. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. François Bonhomme. Amen !
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d'information Où va l'État territorial ? Le point de vue des collectivités.Source http://www.senat.fr, le 16 janvier 2017