Déclaration de Mme Juliette Méadel, secrétaire d'Etat à l'aide aux victimes, sur l'accompagnement des jeunes victimes en situation post-traumatique, à Paris le 24 janvier 2017.

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Circonstance : Ouverture d'une table ronde consacrée à "l'accompagnement psychologique des enfants et adolescents, victimes directes, victimes indirectes ou témoins" d'actes terroristes, aux Cordeliers, université Paris Descartes, à Paris le 24 janvier 2017

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie chaleureusement de votre présence ce matin, qui témoigne de votre engagement au côté de l'État pour améliorer l'accompagnement psychologique des victimes. De l'hétérogénéité des profils des professionnels présents - car il n'y a pas que des psychiatres et des psychologues aujourd'hui mais aussi des travailleurs sociaux, des éducateurs, des acteurs de la Justice et de la police, des médecins et autres professionnels de santé – j'en conclus que le rôle de coordination confié à mon secrétariat d'Etat est conforté et je me réjouis de constater que vous adhérez à cette volonté de construire ensemble les dispositifs d'aide aux victimes.
Je remercie également le doyen de la faculté de médecine de l'université Paris Descartes, Gérard Friedlander, qui nous accueille chaleureusement dans ce beau et grand cadre et l'aide précieuse de l'université pour l'organisation de cette seconde table ronde.
Le terrorisme, comme nous le savons trop bien, peut frapper partout, tout le monde. Que ce soit dans une salle de concert, en terrasse des restaurants ou sur la promenade des anglais, la folie meurtrière frappe aveuglément, jusqu'au coeur des familles, jusqu'à nos enfants.
L'attentat de Nice nous a tous profondément bouleversés. 86 morts, des centaines de blessés, de traumatisés, et parmi eux de nombreux enfants. Cette nuit-là, le professionnalisme du personnel médical et des secouristes a permis une mobilisation rapide de tous les moyens humains et matériels pour la prise en charge spécifique des jeunes victimes. Dès l'activation du plan blanc, le jeudi soir à 23 heures, une cellule d'urgence médico-psychologique, spécialement dédiée à la prise en charge des jeunes victimes, était mise en place à l'hôpital pédiatrique Lenval. Le personnel soignant a pu ainsi effectuer vis à vis des enfants, des adolescents, ainsi que leurs familles, un accompagnement psychologique d'urgence, quelques dizaines de minutes seulement après le drame.
Mère de quatre enfants, je me suis pleinement engagée, avant d'être ministre, sur les questions de l'enfance et de la jeunesse, notamment dans le domaine associatif. Je poursuis, aujourd'hui, cet engagement en tant secrétaire d'Etat chargée de l'aide aux victimes avec comme objectif d'approfondir le travail mené pour améliorer le suivi post-traumatique des enfants et adolescents victimes lors de crises graves.
Mieux que quiconque, vous savez la particularité de traiter avec de jeunes victimes en situation post-traumatique. Il est indispensable que l'accompagnement des jeunes victimes soit fait par des professionnels spécialisés, en lien très étroit avec les familles. Nous devons continuer à vous donner les moyens d'agir. Il nous faut identifier les obstacles auxquels vous faites face, auxquels les familles des enfants font face, sans autre objectif que l'accompagnement de toutes les jeunes victimes. Aider les enfants, c'est aussi aider les familles. Les parents, traumatisés eux aussi car bien souvent présents sur le lieu du drame, doivent pouvoir s'appuyer sur une aide extérieure, et les professionnels médicaux en sont l'un des piliers. Mais l'entourage des jeunes victimes peut aussi jouer un rôle de soutien, complémentaire à celui du thérapeute, et l'accompagnement mérite une approche globale, si possible dans un système de soins bien coordonné. Je pense que le Docteur Jean CHAMBRY pourra souligner l'importance de telles approches systémiques et synchronisées.
La résilience des enfants face à l'horreur n'est pas simplement un objectif de santé publique, il est un impératif moral, qui engage l'État. C'est pourquoi je m'efforcerai que nos discussions alimentent les réflexions plus larges du Conseil national de santé mentale, tout juste installé en ce début d'année par la ministre de la Santé, Marisol TOURAINE. Je souhaite également porter le débat au niveau international et l'un des axes de travail que j'ai donné au prochain comité CIVIC sera la définition d'un statut international des enfants victimes.
Il a fallu que nous apprenions à vivre avec la menace terroriste. C'est également le cas pour les enfants. Savoir trouver les mots pour expliquer et rassurer n'est pas chose aisée pour les parents. Dans une société où l'information est partout, les images anxiogènes omniprésentes, nous avons plus que jamais besoin des professionnels de santé pour nous guider dans l'appréhension de la menace par les enfants. Au niveau de l'éducation nationale, comme de la santé, l'État s'est emparé de ce sujet, mais il nous faut continuer d'épauler les familles et approfondir notre réflexion pour mettre en place de nouveaux outils adaptés au jeune public.
L'intégration de la menace par tous pour y répondre au mieux ne peut se faire que par la formation aux bons comportements. Le travail spécifique effectué pour les jeunes enfants doit être complété, les bonnes pratiques partagées. J'insiste sur le fait qu'instaurer une culture de la prévention n'est pas instaurer une culture de la peur, mais bel et bien une culture de la protection.
Enfin, dans sa grande perversité, le terrorisme que nous connaissons aujourd'hui attire certains de nos adolescents et adolescentes les plus fragiles. Dans notre pays, six cent adolescents font l'objet d'un suivi par les autorités judiciaires pour radicalisation. Jeudi dernier, le Premier ministre annoncé la mise en place d'un comité de pilotage qui devra élaborer sous six semaines un plan de prise en charge des mineurs embrigadés dans les groupes djihadistes en Irak ou en Syrie et revenant en France. Face à ces jeunes à la dérive, la pédopsychiatrie nous apporte également des solutions, dans la prévention, la détection, ou encore dans le traitement de ces jeunes radicalisés ou en voie de radicalisation. La réponse médicale doit pouvoir accompagner pleinement la réponse judiciaire. La volonté du gouvernement est de continuer à mobiliser tous les acteurs pertinents dans la lutte contre la radicalisation et la place de la pédopsychiatrie dans cette mobilisation est centrale.
Qu'ils soient victimes, blessés, traumatisés, endeuillés ou spectateurs effrayés d'événements terribles qu'ils ne comprennent pas toujours, nos enfants et nos adolescents méritent que nous consacrions toute notre énergie à répondre à leurs traumatismes, à leurs peurs, à leurs questions. Le travail psychologique et psychiatrique est primordial particulièrement en cas de crise majeure.
Je me suis rendue la semaine dernière à l'hôpital Lenval, où j'ai pu notamment rencontrer le professeur Florence Azkenazy, cheffe du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Nous avons évoquée l'importance d'une prise en charge psychologique dès les premières minutes après le drame, mais également l'impérieuse nécessité d'un suivi post-traumatique au long cours, en particulier pour les jeunes publics.
Encore trop de victimes ou de familles ne bénéficient pas d'un suivi psychologique directement après les faits, et ce malgré un important travail de pédagogie pour les inciter à consulter. L'importance d'une prise en charge psychologique rapide s'est trouvée une nouvelle fois confirmée par les résultats de l'étude épidémiologique menée par l'ARS d'Ile-de-France et Santé Publique France à la suite des attentats de Janvier 2015, qui ont montré que les personnes ayant bénéficié d'une prise en charge psychologique immédiate souffrent deux fois moins de troubles post-traumatique six mois après les faits.
En particulier, une prise en charge immédiate nécessite un dépistage précoce des troubles psychologiques chez les enfants et les adolescents. Ce dépistage précoce est nécessaire pour reconnaitre les victimes de violences et d'actes de pédophilie et constitue en ce sens une des réponses au combat mené par Flavie Flament contre l'impunité des pédophiles.
Il faut également faciliter l'accès aux soins, dans un contexte d'offre rare, comme cela fut souligné lors de notre première table ronde en décembre dernier, nous faisons face à un manque important de pédopsychiatres en France, en baisse de 50% en dix ans, ou de soins pas nécessairement bien remboursés par la Sécurité sociale. Je pense ici aux psychologues ou à d'autres thérapeutes dont le service rendu n'est pourtant plus à prouver.
Cette table ronde doit ainsi permettre d'identifier les pistes d'amélioration à apporter à l'environnement familial, scolaire ou médical des jeunes victimes afin de favoriser le dépistage des troubles, une prise en charge immédiate et garantir un suivi dans la durée.
Qu'il s'agisse de mieux faire connaitre la pédopsychiatrie auprès des étudiants en médecine, de sensibiliser, aux questions de la santé mentale, les praticiens généralistes et tous ceux qui sont au contact des enfants, qu'ils soient enseignants, orthophonistes, infirmiers scolaires, de mettre en place une approche globale, interdisciplinaire associant pleinement les familles, ce sont autant de pistes qui pourront être approfondies aujourd'hui.
Mais d'ores et déjà, l'ensemble de ces acteurs doivent pouvoir disposer d'un lieu commun au sein duquel ils pourront échanger et de partager leurs savoirs. C'est la raison pour laquelle, je souhaite que le centre de ressources et de résilience, porté par Françoise Rudetzki et dont je soutiens la création, ait un département de pédopsychiatrie.
Le travail que vous faites est essentiel ; comme l'a dit Georges Bernanos : « Béni soit celui qui a préservé du désespoir un coeur d'enfant ».
Je vous remercie de votre attention, je compte sur votre participation active lors des échanges avec la salle et je laisse le soin à Madame Marie-Aude PIOT, que je remercie d'avoir accepté de remplacer au pied levé Maurice Corcos, d'introduire la première séquence de travail. Merci à vous tous.Source http://www.gouvernement.fr, le 26 janvier 2017