Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur
Mesdames et Messieurs les Députés,
La proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations revient aujourd'hui en dernière lecture à l'Assemblée nationale. À l'issue de vos débats ce texte sera définitivement adopté et nous arriverons au terme d'un processus législatif qui aura duré un peu plus d'un an. Ce texte -est-il besoin de le rappeler- s'inscrit en pleine continuité avec le programme gouvernemental de lutte contre les discriminations. Le gouvernement de Lionel Jospin a mené sur ce front une politique résolue et construit un dispositif public d'analyse et de répression de la discrimination. Je souhaite les rappeler brièvement avant de reprendre les dispositions du texte qui vous est présenté.
En octobre 1998, Martine Aubry, alors ministre de l'emploi et de la solidarité, qui a présenté ce texte devant vous en première lecture, avait dans une communication au Conseil des ministres, souligné l'existence de discriminations à caractère racial dans le monde du travail. En mai 1999 une table ronde sur les discriminations raciales aboutissait à la déclaration de Grenelle sur les discriminations raciales dans le monde du travail. Le Premier ministre lui-même aux Assises de la citoyenneté en mars 2000 confirmait et renforçait cette orientation. En mai de la même année était mis en place un numéro vert anti discriminations, le 114 dont la gestion était confiée au Groupe d'études sur les discriminations, le GIP-GELD, lui-même constitué à l'automne 1999. Ce numéro vert offre un recours simple à toutes les victimes de discriminations et leur permet de se faire entendre et de pouvoir faire valoir leurs droits. Depuis son ouverture il a permis l'envoi de près de 10 000 fiches de signalement aux commissions départementales d'accès à la citoyenneté, les CODAC. Comme vous le savez, les CODAC mises en place depuis deux ans rassemblent autour du préfet et du procureur l'ensemble des acteurs locaux de terrain compétents en matière de discrimination, qu'il s'agisse des services de l'Etat (travail, éducation, services sociaux) ou des associations.
Création du GELD et des CODAC, mise en place du numéro vert 114, articulation de ces différentes structures entre elles ; en trois ans, le bilan du gouvernement en matière de lutte contre les discriminations est particulièrement important.
Il reste que combattre la discrimination est un travail de longue haleine. Les syndicats, certaines associations ont montré la voie pour mieux connaître les discriminations à l'uvre dans notre société, faire progresser les règles du droit pour combattre les comportements discriminants et modifier les pratiques sociales. L'inspection du travail a également joué en ce domaine un rôle essentiel que ce texte reconnaît en accroissant ses pouvoirs d'enquête. Nombre de difficultés doivent encore être surmontées. Nous devons mener un véritable travail de défrichage pour faire de la lutte contre les discriminations une préoccupation quotidienne de l'ensemble des acteurs sociaux concernés -entreprises, syndicats, associations-, des services publics et de tous les Français. C'est l'objectif que je me suis fixé comme Ministre de l'emploi et de la solidarité. Que la lutte contre les discriminations devienne un réflexe, que les instances que nous avons créées soient de plus en plus efficaces. C'est à cette fin que j'ai réuni en avril 2001 les partenaires sociaux et les associations anti-racistes pour évaluer ensemble le fonctionnement des CODAC, à la lumière d'un rapport conjoint de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection générale de l'administration. Cette réunion a notamment conduit à un renforcement de la présence des associations au sein des CODAC. Elle a également débouché sur des instructions très fermes aux préfets concernant la nécessité de traiter efficacement les affaires signalées aux CODAC, soit par médiation, soit par des suites judiciaires. J'ai également donné instruction à mes services de faire de la formation et de la sensibilisation des agents publics à la lutte contre les discriminations une priorité. Le GELD m'est sur cette question d'un précieux secours ; les agents de l'ANPE et de l'AFPA ont entre autres bénéficié de ces formations. Le GELD va d'ailleurs publier prochainement une étude sur la formation des agents publics à la lutte contre les discriminations qui rendra compte des efforts engagés et des thèmes prioritaires à traiter.
Parce que cela relève de ma responsabilité, je tiens tout particulièrement, à évoquer ici la question des discriminations à l'embauche et dans l'emploi. L'emploi est avant le logement ou les loisirs, le premier sujet d'inquiétudes pour les jeunes en matière de discriminations. Nous savons que le marché du travail reste marqué par de vrais dysfonctionnements en ce domaine. Les étrangers originaires des pays extérieurs à l'Union européenne sont 3 fois plus au chômage que les Français (27,7 % contre 9,1 %). Contrairement aux idées reçues, ces taux sont encore plus forts pour ceux qui ont le bac ou un niveau d'études supérieur ; ils sont quatre fois plus nombreux à être au chômage que les Français et trouvent souvent un emploi inférieur à leur qualification. Le refus d'embaucher une personne qui porte un nom étranger est une discrimination fréquente, le refus d'embauche à cause de la couleur de la peau existe. J'ai donné instruction à mes services au premier rang desquels l'Agence Nationale pour l'Emploi de tout mettre en uvre pour combattre ces pratiques inadmissibles. Il s'agit de veiller à ce que les offres d'emploi ne soient entachées d'aucun élément discriminatoire et que les demandeurs d'emploi trouvent auprès des agents de l'ANPE une information sur leurs droits et un appui particulièrement actif à leur recherche d'emploi. L'égal accès de tous à l'emploi est et restera une priorité de ce gouvernement.
Venons en maintenant aux dispositions de la proposition de loi qui vous est présentée aujourd'hui. Je tiens tout d'abord à souligner la qualité du travail parlementaire qui a été accompli entre les deux assemblées sur ce texte. Le texte initial a été enrichi sur plusieurs points grâce aux navettes. De manière générale les discussions autour de ce texte ont montré qu'existait une volonté réelle et consensuelle de combattre les discriminations dans notre société. Je souhaite remercier tout particulièrement Jean Le Garrec, président de la Commission des affaires sociales, et Philippe Vuilque, rapporteur de cette proposition, qui ont pendant tout ce processus su faire montre de la détermination et des convictions, qui leur sont habituelles, pour porter ce texte important. Je tiens également à remercier Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, et Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire, qui ont représenté le gouvernement et particulièrement le ministère dont j'ai la charge, lors de plusieurs étapes de ce processus législatif.
Les points de consensus entre les deux assemblées doivent être rappelés. Il s'agit :
- de la sanction de nouveaux motifs de discrimination : orientation sexuelle, apparence physique, âge et patronyme ;
- de l'élargissement du champ de la lutte contre les discriminations, notamment aux décisions concernant la rémunération, la formation, l'affectation et la promotion. Le refus d'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise sont également inclus. Les pouvoirs d'enquête des inspecteurs du travail sont renforcés ;
- de l'irrecevabilité des listes de candidature qui seraient présentées aux élections prud'homales par un parti politique ou par une organisation prônant des discriminations ;
- de donner une base légale au numéro vert 114 et de modifier le nom du FAS qui devient le fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations (FASID) ;
- de l'extension des motifs de discriminations aux fonctionnaires, par modification de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
Il n'en demeure pas moins que sur des points essentiels pour l'équilibre du texte il n'a pas été possible d'arriver à un accord entre les deux assemblées. Ces points sont les suivants :
- la question de la preuve. Le Sénat a tout au long du processus de navettes modifié la rédaction adoptée par l'Assemblée dans un sens restrictif. Pour la majorité sénatoriale, le salarié doit établir les faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination. Au contraire le texte initial de la proposition de loi rétabli à chaque navette par votre assemblée, prévoyait que la charge de la preuve revient à l'employeur lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer une discrimination directe ou indirecte. Je soutiens aujourd'hui le retour à cette disposition. En effet ce dispositif me semble le plus à même de respecter l'équilibre des responsabilités entre le salarié, l'employeur et le juge. Il est en outre parfaitement conforme aux textes communautaires adoptés sur la base du traité d'Amsterdam.
- Le renforcement des moyens d'action en justice notamment par le droit des associations dont la raison sociale est la lutte contre les discriminations et des syndicats, de saisir la justice pour le salarié sauf bien évidemment si celui-ci s'y oppose. Vos collègues sénateurs ont restreint la portée du texte en prévoyant que le droit à agir était conditionné par un accord écrit du salarié. Il est essentiel de revenir à votre formulation. Dans ces affaires souvent délicates la préservation de l'anonymat du salarié me semble être un point central. Le Conseil Constitutionnel a été précis sur ce point : l'action du syndicat repose alors sur un mandat implicite et ce sont donc les règles de droit du mandat qui s'appliquent.
- Enfin c'est parce que ce texte porte sur la lutte contre les discriminations en matière d'emploi mais pas exclusivement que je vous propose de revenir à son titre initial. Le Sénat a en effet modifié le titre de " proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations " en proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations à l'embauche et dans l'emploi ". On voit que la mise en uvre de ce dispositif repose sur l'implication de l'ensemble des acteurs du monde professionnel (salariés, employeurs, syndicats, inspecteurs du travail) et au-delà. C'est toute la société française qui est en définitive concernée par la lutte contre les discriminations. Cette loi doit porter pour cette raison le titre le plus large possible. Elle doit s'intituler " loi relative à la lutte contre les discriminations ".
Voilà Mesdames et Messieurs les députés ce que je tenais à vous dire avant que vous n'entamiez cette dernière lecture, en remerciant encore une fois Philippe Vuilque rapporteur de ce texte, Jean Le Garrec président de la Commission des affaires sociales et l'ensemble du groupe socialiste. En présentant cette proposition de loi ils ont mis l'accent sur l'importance fondamentale de la lutte contre la discrimination sous toutes ses formes. Notre détermination sur ce point est et restera totale.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 12 novembre 2001)