Texte intégral
Robert Hue répond aux 56 patrons qui, le 24 octobre dernier, avaient publié un manifeste contre le volet anti licenciements de la loi de Modernisation sociale.
Mesdames, Messieurs,
Le 24 octobre dernier, vous vous êtes adressés au Premier ministre, pour lui enjoindre de renoncer au volet anti-licenciements de la loi de modernisation sociale.
Je ne suis pas choqué par le fait que des citoyennes et des citoyens exerçant d'importantes responsabilités dans la vie du pays -c'est incontestablement votre cas- s'expriment dans le débat national.
En même temps, comment être dupes ? Votre courrier est une pression, à la limite du chantage, exercée sur les pouvoirs publics ; non par des citoyens agissant collectivement, mais pour une " opération " médiatique organisée au nom d'une corporation. Avec, en toile de fond, la volonté politique du Medef de se poser en relais de forces de droite afin de dire tout haut ce qu'elles ne pourraient que murmurer après la faillite des politiques qu'elles ont conduites ou inspirées.
Vous avez donc sommé le gouvernement de revenir sur une loi votée par sa majorité. La représentation nationale vous a répondu : elle a maintenu son vote. Peut-être aviez-vous oublié qu'elle n'obéit pas aux ordres ? Au-delà de cette péripétie qui devrait conduire les responsables du Medef à s'interroger sur leur rôle, leur importance, - voire leur tendance à les hypertrophier - et sur leurs relations avec les institutions nationales, je souhaite donner en toute franchise mon opinion sur quelques questions posées par votre lettre. Je le fais publiquement. Sans doute comprendrez-vous que c'est parce que j'y attache une grande importance.
Vous postulez qu'en raison de vos qualités de chefs d'entreprises vous seriez incontestablement les spécialistes du dialogue social et de la gestion des entreprises. Moyennant quoi, il faudrait en tous points se ranger à vos décisions.
Certains faits récents, impliquant directement des responsables du Medef, dans les domaines de l'aviation ou de la Sécurité sociale par exemple, montrent que cette prétention est, pour le moins, abusive. L'arrogance, la volonté de décider de tout sans être contredit, - y compris de la représentativité de ses interlocuteurs- ne leur permettent guère de se présenter en champions du dialogue social. L'acceptation de désastres sociaux conduisant à des licenciements massifs et à la destruction d'entreprises, au nom de la systématique soumission des chefs d'entreprises à l'appétit de gains financiers des actionnaires n'autorise pas à se poser en experts de la bonne gestion des entreprises et en garants de leur avenir !
Le Medef a décidé de participer au débat national à l'occasion des échéances de l'année 2002. Je voudrais à présent évoquer deux questions qui doivent être, selon moi, au cur de ce débat.
La première concerne le tissu, très dense et très riche, des très petites, petites et moyennes entreprises et exploitations industrielles, agricoles, commerciales, artisanales, dont l'existence est constitutive de l'identité de notre pays et contribue à assurer les potentialités de son développement économique et social.
Je vous le dis très franchement : je trouve outrancière et choquante la prétention du Medef à se présenter en défenseur, sinon en porte-parole, de leurs intérêts. En vérité, elles sont de plus en plus sous la coupe des grands groupes bancaires, financiers, commerciaux. Pour beaucoup d'entre elles, cette situation les conduit à l'asphyxie. La réflexion nécessaire sur l'évolution des charges sociales des entreprises, et notamment la question de l'assiette des cotisations, doit prendre en compte le fait que leur principale source de difficultés réside dans le poids des charges financières qu'elles supportent, et dans l'incapacité du système de crédit à faire face à leurs besoins et à contribuer à la souplesse qu'elles procurent au système économique français. Je ne pense pas que le discours du Medef sur cette question corresponde aux exigences de rigueur, de sincérité et d'efficacité dont se réclame le texte dont vous êtes signataires.
Je considère par ailleurs que l'un des phénomènes économiques et sociaux - et au-delà : géopolitique - de la dernière période est le fait que le capitalisme moderne en vient à s'attaquer aux entreprises, au nom des intérêts étroits et à très court terme de l'actionnariat. Un actionnariat de plus en plus détaché de la production des biens et des richesses nécessaires à la vie des populations, et de plus en plus indifférent au rôle social des entreprises. Un actionnariat exclusivement obsédé de la rentabilité financière et des exigences boulimiques des marchés financiers, par-delà les réalités et les exigences de développement national.
Le capitalisme d'aujourd'hui m'apparaît - et pas seulement à moi, mais aussi à des centaines de millions d'individus à travers le monde- à l'image de Chronos dévorant ses propres enfants : ce sont les entreprises par lesquelles il s'est développé qu'il dévore aujourd'hui, à coup de démantèlements, de restructurations, de délocalisations au coût social immense. Et la façon même dont ces sacrifices, multipliés sur l'autel du profit financier, se déroulent, porte un coup mortel à toute velléité - puisse-t-elle être sincère- de renouveau du dialogue social.
Le fait que les dirigeants du Medef se rangent résolument aux côtés des marchés financiers et de l'ultra-libéralisme, qui en est la théorisation politique, le disqualifie pour se présenter en défenseur des entreprises. Son mot d'ordre ne peut certainement pas être " En avant, les entreprises ", quand il encourage à les détruire. Et dès lors, il ne peut pas davantage proclamer " En avant, la France ! ".
Les dirigeants du Medef qui semblent vouloir parler et agir en votre nom, veulent intervenir dans le débat public à l'occasion des échéances électorales de 2002.
Fort bien. Mais alors, que l'on mette " cartes sur table ", sans démagogie ni faux-fuyant.
C'est, pour ma part, ce que je m'efforcerai de faire, en proposant une politique concertée de développement de l'industrie et des services, dans une dynamique européenne de croissance elle-même comprise dans une autre mondialisation. Une politique cohérente de services publics à la personne et aux entreprises. Une mixité public-privé donnant priorité au développement durable sur les marchés financiers. Et partout, des droits nouveaux d'information et de participation aux décisions essentielles pour les salariés, les citoyens.
Tels sont les objectifs avec lesquels, dans ces domaines, j'aborde le débat..
(source http://www.pcf.fr, le 12 décembre 2001)
Mesdames, Messieurs,
Le 24 octobre dernier, vous vous êtes adressés au Premier ministre, pour lui enjoindre de renoncer au volet anti-licenciements de la loi de modernisation sociale.
Je ne suis pas choqué par le fait que des citoyennes et des citoyens exerçant d'importantes responsabilités dans la vie du pays -c'est incontestablement votre cas- s'expriment dans le débat national.
En même temps, comment être dupes ? Votre courrier est une pression, à la limite du chantage, exercée sur les pouvoirs publics ; non par des citoyens agissant collectivement, mais pour une " opération " médiatique organisée au nom d'une corporation. Avec, en toile de fond, la volonté politique du Medef de se poser en relais de forces de droite afin de dire tout haut ce qu'elles ne pourraient que murmurer après la faillite des politiques qu'elles ont conduites ou inspirées.
Vous avez donc sommé le gouvernement de revenir sur une loi votée par sa majorité. La représentation nationale vous a répondu : elle a maintenu son vote. Peut-être aviez-vous oublié qu'elle n'obéit pas aux ordres ? Au-delà de cette péripétie qui devrait conduire les responsables du Medef à s'interroger sur leur rôle, leur importance, - voire leur tendance à les hypertrophier - et sur leurs relations avec les institutions nationales, je souhaite donner en toute franchise mon opinion sur quelques questions posées par votre lettre. Je le fais publiquement. Sans doute comprendrez-vous que c'est parce que j'y attache une grande importance.
Vous postulez qu'en raison de vos qualités de chefs d'entreprises vous seriez incontestablement les spécialistes du dialogue social et de la gestion des entreprises. Moyennant quoi, il faudrait en tous points se ranger à vos décisions.
Certains faits récents, impliquant directement des responsables du Medef, dans les domaines de l'aviation ou de la Sécurité sociale par exemple, montrent que cette prétention est, pour le moins, abusive. L'arrogance, la volonté de décider de tout sans être contredit, - y compris de la représentativité de ses interlocuteurs- ne leur permettent guère de se présenter en champions du dialogue social. L'acceptation de désastres sociaux conduisant à des licenciements massifs et à la destruction d'entreprises, au nom de la systématique soumission des chefs d'entreprises à l'appétit de gains financiers des actionnaires n'autorise pas à se poser en experts de la bonne gestion des entreprises et en garants de leur avenir !
Le Medef a décidé de participer au débat national à l'occasion des échéances de l'année 2002. Je voudrais à présent évoquer deux questions qui doivent être, selon moi, au cur de ce débat.
La première concerne le tissu, très dense et très riche, des très petites, petites et moyennes entreprises et exploitations industrielles, agricoles, commerciales, artisanales, dont l'existence est constitutive de l'identité de notre pays et contribue à assurer les potentialités de son développement économique et social.
Je vous le dis très franchement : je trouve outrancière et choquante la prétention du Medef à se présenter en défenseur, sinon en porte-parole, de leurs intérêts. En vérité, elles sont de plus en plus sous la coupe des grands groupes bancaires, financiers, commerciaux. Pour beaucoup d'entre elles, cette situation les conduit à l'asphyxie. La réflexion nécessaire sur l'évolution des charges sociales des entreprises, et notamment la question de l'assiette des cotisations, doit prendre en compte le fait que leur principale source de difficultés réside dans le poids des charges financières qu'elles supportent, et dans l'incapacité du système de crédit à faire face à leurs besoins et à contribuer à la souplesse qu'elles procurent au système économique français. Je ne pense pas que le discours du Medef sur cette question corresponde aux exigences de rigueur, de sincérité et d'efficacité dont se réclame le texte dont vous êtes signataires.
Je considère par ailleurs que l'un des phénomènes économiques et sociaux - et au-delà : géopolitique - de la dernière période est le fait que le capitalisme moderne en vient à s'attaquer aux entreprises, au nom des intérêts étroits et à très court terme de l'actionnariat. Un actionnariat de plus en plus détaché de la production des biens et des richesses nécessaires à la vie des populations, et de plus en plus indifférent au rôle social des entreprises. Un actionnariat exclusivement obsédé de la rentabilité financière et des exigences boulimiques des marchés financiers, par-delà les réalités et les exigences de développement national.
Le capitalisme d'aujourd'hui m'apparaît - et pas seulement à moi, mais aussi à des centaines de millions d'individus à travers le monde- à l'image de Chronos dévorant ses propres enfants : ce sont les entreprises par lesquelles il s'est développé qu'il dévore aujourd'hui, à coup de démantèlements, de restructurations, de délocalisations au coût social immense. Et la façon même dont ces sacrifices, multipliés sur l'autel du profit financier, se déroulent, porte un coup mortel à toute velléité - puisse-t-elle être sincère- de renouveau du dialogue social.
Le fait que les dirigeants du Medef se rangent résolument aux côtés des marchés financiers et de l'ultra-libéralisme, qui en est la théorisation politique, le disqualifie pour se présenter en défenseur des entreprises. Son mot d'ordre ne peut certainement pas être " En avant, les entreprises ", quand il encourage à les détruire. Et dès lors, il ne peut pas davantage proclamer " En avant, la France ! ".
Les dirigeants du Medef qui semblent vouloir parler et agir en votre nom, veulent intervenir dans le débat public à l'occasion des échéances électorales de 2002.
Fort bien. Mais alors, que l'on mette " cartes sur table ", sans démagogie ni faux-fuyant.
C'est, pour ma part, ce que je m'efforcerai de faire, en proposant une politique concertée de développement de l'industrie et des services, dans une dynamique européenne de croissance elle-même comprise dans une autre mondialisation. Une politique cohérente de services publics à la personne et aux entreprises. Une mixité public-privé donnant priorité au développement durable sur les marchés financiers. Et partout, des droits nouveaux d'information et de participation aux décisions essentielles pour les salariés, les citoyens.
Tels sont les objectifs avec lesquels, dans ces domaines, j'aborde le débat..
(source http://www.pcf.fr, le 12 décembre 2001)