Texte intégral
Monsieur le Ministre, Cher Miroslav,
Monsieur le Doyen,
Monsieur le Vice-Recteur
Chers Professeurs,
Chers Étudiants,
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
Je vous remercie de votre invitation. Pour moi c'est un grand honneur d'être ici devant vous, dans cette prestigieuse université Comenius, en Slovaquie, pays avec lequel la France entretient des relations régulières et surtout excellentes. Je suis heureux de parler devant des étudiantes et des étudiants, des jeunes pour qui l'Europe peut parfois être décevante mais qui est aussi une opportunité formidable. C'est parfois difficile de se projeter parce que pour les jeunes générations, l'Europe est une évidence, même si en même temps elle déçoit et qu'elle peut décourager. C'est une évidence notamment parce que l'Europe a été capable, après un XXème siècle terrible qui a conduit nos nations à s'affronter avec des horreurs et des tragédies, de construire une paix qui nous apparaît comme durable et définitive.
Le 18 septembre dernier, lors du sommet de Bratislava, le président de la République était ici, pour sa troisième visite depuis 2012. Le président slovaque, Andrej Kiska, s'est lui-même rendu à Paris en novembre dernier. Nous avons multiplié les visites. J'ai souvent reçu Miroslav Lajcak ; nous nous voyons souvent dans les réunions européennes et internationales. C'est non seulement un collègue, mais c'est devenu un ami, quelqu'un avec qui on peut parler, partager des points de vue, et le faire en confiance, à l'image du partenariat entre la France et la Slovaquie.
N'oublions pas que le partenariat entre la France et la Slovaquie est ancré dans l'histoire. Il y a des liens historiques qui nous unissent. Je pense notamment à un héros franco-slovaque, le général Stefanik. Nous allons raviver sa mémoire dans les prochains mois à l'occasion des célébrations du centenaire de la première république tchécoslovaque. Cette personnalité, dont j'ai relu l'histoire ces derniers jours, incarne sans doute mieux que quiconque cette relation ancienne et forte.
Nos échanges économiques illustrent la très grande qualité de notre relation bilatérale. Le tissu d'entreprises françaises installées en Slovaquie est dense, avec près de 400 filiales, et le commerce bilatéral progresse, la France étant redevenue le sixième partenaire commercial de la Slovaquie.
Mais je voudrais saluer en cet instant la présidence slovaque du conseil de l'UE, qui a permis d'apprécier la compétence, l'hospitalité et l'esprit de solidarité européenne des autorités slovaques. Je dois dire que j'ai beaucoup apprécié les échanges avec Miroslav Lajcak et ses équipes, avec l'ambassadeur slovaque à Paris. Et je suis venu à une réunion des ministres des affaires étrangères en septembre dernier ici à Bratislava. Cela avait été un moment fort, intense, utile sur le plan politique, avec beaucoup de franchise dans les échanges, mais aussi très amical.
Nos deux pays partagent, en effet, un attachement fort à l'Europe. Nous avons fait le choix politique conscient d'être dans le premier cercle de solidarité européenne. Nous appartenons ensemble à l'espace Schengen et à la zone euro. D'ailleurs, la Slovaquie est le seul pays du groupe de Visegrád à avoir adopté la monnaie unique, et elle joue un rôle décisif au service de l'unité et de la cohésion européennes, qui sont, vous le savez, exposées plus que jamais à des menaces de division, à la fois externes et internes.
Les tensions du monde, qui sont nombreuses, ont un impact direct sur nous, sur l'Europe et sur chacun de nos pays. Plusieurs régions de notre voisinage sont en proie à l'instabilité et à la guerre. Des millions de réfugiés quittent leur pays pour échapper à la guerre ou à la barbarie. Les groupes terroristes - c'est une réalité qui n'est pas nouvelle, mais qui s'est amplifiée et systématisée - nous menacent en s'efforçant de semer au sein de nos sociétés la division et la haine, remettant en cause même les conceptions de nos sociétés.
La crise financière de 2008 a été terrible. Elle aurait pu conduire à une catastrophe et a laissé des traces qui n'ont pas été toutes surmontées - loin de là - notamment en termes de conséquences économiques et sociales, en termes d'emploi et pour les Européens, c'est du concret. Cela a aussi pour conséquence d'avoir une croissance encore trop faible, qui n'est pas liée qu'à la crise de 2008, mais aussi à des mutations profondes de nos économies, qui créent des opportunités nouvelles, mais aussi des risques pour les plus modestes et les plus vulnérables.
Parmi les défis que l'Union européenne doit relever, il y a bien sûr celui du Brexit. C'est bien sûr un défi technique et juridique, car, pour la première fois, l'Union va devoir défaire les liens qu'elle a tissés avec l'un de ses membres.
Mais c'est surtout un défi politique. La décision britannique a mis en lumière les interrogations et les doutes des citoyens sur le projet européen. Il nous appartient d'y répondre vraiment, pour que le doute ne s'installe pas durablement et remette en cause l'avenir même de l'Union européenne. Il faut le faire non pas par des propos seulement généraux et théoriques, mais de façon concrète et efficace, en veillant à maintenir la cohésion de notre Union.
Nous devons faire en sorte que les liens et les coopérations que chacun de nos pays a avec le Royaume-Uni puissent perdurer, sans que les principes fondamentaux de l'Union soient mis à mal et en nous assurant que les règles du jeu soient équitables. Tout accord futur sur la relation entre le Royaume-Uni et l'UE devra reposer sur un équilibre entre droits et obligations. Le maintien d'une participation du Royaume-Uni au marché unique devrait passer obligatoirement par l'acceptation des quatre libertés, notamment celle relative à la libre circulation des personnes. Le Royaume-Uni a choisi une autre voie. Les Britanniques ont décidé de sortir non seulement de l'Union européenne, de ses institutions et de ses traités, mais aussi de l'union douanière, et de ses règles de droit, en sortant de la CJUE. Cela a des conséquences lourdes, qu'il faut bien mesurer. C'est une décision politique de sortie complète, qui aura des conséquences. Mais le Royaume-Uni l'assume avec clarté, et nous aussi nous devons être clairs. La négociation va commencer dans le cadre de l'article 50 du traité qui définit les conditions de sortie, sur une base juridique claire.
Il ne s'agit en aucun cas de punir le Royaume-Uni. Ce n'est pas la position de la France, ni de la Slovaquie, pas plus que notre intérêt. Mais il doit être clair que l'on ne peut bénéficier des avantages de l'Union sans en respecter les obligations.
Ma conviction est que l'Union européenne doit sortir plus forte de ces négociations. Cela suppose un engagement renouvelé de notre part.
Depuis soixante ans, le projet européen a été suffisamment solide pour surmonter les crises et à chaque étape sortir renforcée. Je crois qu'il faut parler de l'Europe avec fierté et ne pas seulement dire ce qui ne va pas. Il faut être fier de nos réalisations. Car nous ne parlons pas assez de l'Europe en termes positifs. Elle est pourtant la première puissance économique et commerciale mondiale. 510 millions d'habitants, 340 millions pour la seule zone euro - c'est une puissance, nous n'en sommes pas toujours conscients. Imaginons que chacune de nos nations ait eu à faire face seule à la crise de 2008 - dans quel état en serions-nous sortis ? Si nous avons surmonté cette crise, dans la douleur c'est vrai, c'est parce que nous étions ensemble, que des décisions politiques ont été prises à 28 et que la zone euro a été protectrice.
Dans les années 30, cela a été une catastrophe - chacun de nos pays s'est protégé, a mis des barrières, le nationalisme l'a emporté et vous connaissez la suite de l'histoire. Nous avons évité de tomber dans le piège de ce qu'avait été la tragédie des années 30. C'est parce qu'il y avait cette puissance politique réelle, une capacité de décision et des outils qui nous protégeaient, et en particulier la monnaie unique. L'Union européenne, c'est le plus grand espace de libre circulation pour les biens, les capitaux, les services et les hommes. C'est le plus grand espace - même si nous avons encore beaucoup de progrès à faire - où les normes sociales et environnementales sont les plus élevées. C'est l'acquis européen commun. Si nous ne sommes pas conscients de cette force, évidemment nous allons douter de l'Europe. Alors la tentation nationaliste l'emportera, et ce sera vraiment un retour en arrière terrible, qui aura des conséquences pour chacun de nous.
Mais en même temps, je ne veux pas sous-estimer les doutes, qui sont réels, car les citoyens veulent aujourd'hui une Europe qui réponde mieux, plus clairement, plus concrètement, plus rapidement à leurs préoccupations, qui leur garantissent la prospérité économique, le progrès social, qui offre à chacun d'entre nous des opportunités, des perspectives, et bien entendu d'abord à la jeunesse. Car même s'il y a dans certains pays le plein-emploi, il y a aussi beaucoup de jeunes au chômage, parce qu'il n'y a pas de qualifications suffisantes, d'emplois suffisants, parce que la mobilité n'est pas suffisamment garantie. Les citoyens, quelle que soit leur génération, veulent aussi une Europe qui les protège mieux, non pas seulement de manière défensive, mais en consolidant un modèle auquel nous sommes attachés. Il y a une identité politique et culturelle en Europe. Il faut créer les conditions pour assurer sa pérennité et en même temps moderniser ce modèle, en l'adaptant aux défis du monde. C'est ainsi que l'on pourra retrouver la confiance, en renforçant le lien démocratique avec les citoyens, car c'est vrai que parfois on a l'impression que les décisions sont prises très loin des citoyens.
L'Union européenne a lancé de nombreux projets pour mieux contrôler les trafics d'armes, mieux lutter contre le financement du terrorisme, assurer la maîtrise de nos frontières extérieures et doter l'Europe d'une défense qui permette d'assurer son autonomie stratégique. La présidence slovaque du conseil de l'UE a permis d'avancer sur ces différents sujets.
L'Union européenne est aussi utile au reste du monde en tant que pôle de paix et de stabilité. Elle a contribué de façon déterminante à la régulation de l'ordre mondial et à la propagation des valeurs démocratiques et de l'État de droit. C'est le combat qu'elle mène aussi sur le plan international.
Car l'Europe propose des solutions collectives aux grands défis du monde. La solidarité européenne est essentielle pour promouvoir la paix et la prospérité sur le continent européen, y compris dans notre voisinage oriental - je pense à l'Ukraine, si proche. Elle est indispensable pour faire face à la menace terroriste, qui a frappé, dans toute sa barbarie, la France, mais aussi de nombreux pays à travers l'Europe et au-delà.
La solidarité européenne est une responsabilité, un devoir à l'égard du reste du monde. Je pense aux migrants en Méditerranée - et je salue à cet égard les contributions slovaques à l'opération Sophia, menée par l'Europe au large de la Libye - mais aussi au continent africain. Nous devons être aux côtés de l'Afrique face aux immenses défis qu'elle doit relever pour assurer elle-même sa sécurité et son développement.
Je pense également à la question du climat. La présidence slovaque a joué un rôle moteur pour la ratification par l'UE et ses États membres de l'accord de Paris. C'est un enjeu essentiel et l'Union européenne doit être en pointe pour accompagner cette transition énergétique. Nous devons être l'avant-garde de la mise en oeuvre de l'accord de Paris.
Nous devons aussi être en accord avec la conception ouverte des relations internationales qui, depuis toujours, est celle de l'Union européenne, attachée au multilatéralisme. Ce multilatéralisme est aujourd'hui en danger et nous devons veiller à consolider un ordre mondial fondé sur des règles et sur la coopération.
À Munich, j'ai écouté le discours de notre homologue russe, Sergueï Lavrov, qui a évoqué un nouvel ordre international «post-occidental». Les valeurs au fondement de l'ordre international, qui a permis la paix après deux guerres mondiales, sont-elles occidentales ? C'est une question importante. Si l'on regarde l'histoire de l'ancienne Union soviétique elle-même, après la Seconde guerre mondiale, elle avait bien participé à la mise sur pied d'un système de sécurité collective, les Nations unies, fondées sur le droit, mais aussi à l'adoption, en 1948, de la déclaration universelle des droits de l'Homme. Il y a donc dans le propos de Sergueï Lavrov, qui mérite d'être débattu, y compris avec lui - il ne s'agit pas de diaboliser les Russes - comme une relecture de l'histoire. Cette relecture de l'histoire vise, en fait, à revenir à un monde - là est le danger - reposant exclusivement sur des rapports de force, sans le tempérament d'une régulation devenue trop contraignante par les quelques nations tentées de s'affranchir de leurs obligations internationales. Dans un monde où la plupart des enjeux appellent un surcroît de coopération internationale, cet affaiblissement du multilatéralisme est dangereux et je le dis haut et fort ! Il faut clarifier cette notion : il n'y a pas de monde «post-occidental», mais le véritable danger du retour au choc des nationalismes.
L'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait bien mettre également ce multilatéralisme à l'épreuve.
À Munich et à Bruxelles, le vice-président américain, Mike Pence, a réaffirmé l'importance de la relation transatlantique et la volonté de renforcer le partenariat avec l'Union européenne. C'est un pas dans la bonne direction, mais cette pétition de principe doit désormais se décliner dans les faits. Ce sont des actes concrets qu'attendent les Européens, dans tous les domaines, y compris en matière commerciale. Et nous jugerons sur pièce.
Je crois au règlement des crises par la négociation, comme nous l'avons fait avec le nucléaire iranien. Cet accord doit être respecté, afin que nous puissions faire porter nos efforts sur le rôle de l'Iran dans la région.
Au Proche-Orient, le conflit israélo-palestinien génère désillusions et frustrations. Tout le monde sait que le statu quo actuel n'est pas tenable. Tout le monde connait la solution, celle de deux États vivant côte à côte en paix et en sécurité. Il faut donc retrouver le chemin de la négociation. C'est ce que la France a essayé de faire à Paris, en organisant, le 15 janvier dernier, une conférence qui a réuni près de 75 délégations. Je remercie la Slovaquie du soutien qu'elle a apporté à cette initiative, dont le succès nous incite à poursuivre notre effort en faveur de la paix.
Mesdames et Messieurs, chers Amis,
La présidence slovaque a joué un rôle crucial en organisant le sommet de Bratislava, le 16 septembre. Les 27 États participants ont adopté une feuille de route ambitieuse à cette occasion. Ils ont ainsi souligné leur volonté de tracer collectivement des perspectives pour l'Union, en se concentrant sur un nombre limité de priorités fortes - la sécurité et l'exigence de protection, le soutien à l'économie et à l'emploi, mais aussi la jeunesse. Ce sont les thèmes sur lesquels nous avons travaillé depuis et bientôt à Rome.
Il nous faut continuer à réaffirmer cet engagement, dans le cadre de ce que l'on appelle désormais le «processus de Bratislava». Le soixantième anniversaire du traité de Rome, le 25 mars prochain, doit nous en donner l'occasion. Ce sera une étape importante. La Commission européenne vient de publier un livre blanc qui ouvre le débat avec cinq options, soumises au débat dans chacun de nos pays. Je souhaite que chaque État membre organise ce débat pour qu'à Rome on avance dans cette perspective.
On a évoqué l'Europe différenciée ; elle existe déjà - ne donnons pas l'impression qu'il s'agit de quelque chose de totalement en rupture, qui serait nouveau. Mais l'idée d'une Europe à plusieurs vitesses ne doit pas être en contradiction avec la nécessité d'une Europe unie. Nous ne pouvons pas nous permettre une division entre l'est et l'ouest de l'Europe ; cela appartient au passé.
Les populistes, partout en Europe, tirent argument des évolutions du monde, de la menace terroriste, de la crise migratoire et de la peur du déclin, pour remettre en cause le projet européen. L'Europe devient leur bouc émissaire. Ils font fausse route. Notre responsabilité est de ne pas les laisser concevoir un remède qui serait pire que le mal. C'est à nous de l'expliquer et d'être engagés concrètement pour apporter à nos concitoyens les réponses à leurs aspirations.
On voit bien que le débat est vif et que des menaces existent, et pas qu'en France. Le premier pays à voter bientôt, ce sont les Pays-Bas, où le parti d'extrême-droite, anti-européen et xénophobe peut arriver en tête. Il faut donc se battre, non pas seulement en donnant un cours de morale, mais en donnant des perspectives concrètes, en donnant de la confiance. Il est indispensable de le faire. On dit souvent que dans les débats de politique française, on se prononce d'abord sur des questions de politique intérieure, mais cette fois-ci, la question européenne est au coeur de la campagne des élections présidentielles françaises.
La France est l'un des pays fondateurs de l'Union européenne et reste un pays européen - un sondage vient de montrer que les 3/4 des Français restent attachés à l'Euro. Mais il y a quand même des doutes et des interrogations sur l'Europe telle qu'elle fonctionne - c'est légitime. Il y a ceux qui veulent sortir des traités, de l'euro et de l'Eurozone. Et il y a les autres, ceux qui parfois moulinent «l'Europe, l'Europe, l'Europe», mais cela ne suffit pas - il faut convaincre. Ceux qui croient en l'Europe doivent répondre à toutes les questions qui se posent et montrer quel rôle l'Union européenne peut jouer à l'échelle d'un monde qui est devenu de plus en plus incertain.
L'Europe doit rester notre boussole. Nous l'avons construite sur des valeurs, celles de la démocratie et de l'État de droit, qui justifient qu'on les défende et sur lesquelles il faut nous appuyer pour préparer notre avenir commun.
La Slovaquie, comme beaucoup des nations d'Europe centrale, a souffert du totalitarisme, s'est battue pour sa liberté et son indépendance. Elle a fait le choix de la démocratie et de ces valeurs en 1919, en 1989. Un choix renouvelé en adhérent, en 2004, à l'Union européenne. La Slovaquie est porteuse de la même ambition que la France.
Comme Louise Weiss - qui, au début du siècle dernier, a beaucoup fréquenté les exilés tchèques et slovaques -, comme Tomas Masaryk, Edvard Benes et Milan Stefanik, je suis convaincu que «l'Europe ne retrouvera son rayonnement qu'en rallumant les phares de la conscience». Nos deux pays, j'en suis sûr, vont y contribuer. Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 mars 2017