Texte intégral
LIBERATION, (Vendredi 2 novembre 2001)
Question : les divergences semblent aussi fortes qu'à Seattle. Pourquoi s'accrocher ?
François Huwart : certains progrès ont été réalisés depuis Seattle ! La question de la culture ne sera pas intégrée dans les négociations. Et la partie du programme de discussions sur les services ne menace pas nos services publics, en particulier l'éducation et la santé. Nénamoins, c'est vrai, il reste des désaccords. Comme l'ouverture de nos marchés aux produits textiles, ou l'antidumping. Les oppositions demeurent aussi très vives sur l'agriculture ou les normes sociales. Certes, le texte de résolution finale proposé est plus complet qu'il ne l'était à Seattle, mais il comporte beaucoup trop d'insuffisances de fond. Ainsi, sur l'environnement, le texte renvoie son intégration éventuelle dans les négociations à la prochaine réunion ministérielle en 2003.
Quels sont donc les sujets qui vous donnent satisfaction ?
FH : la meilleure prise en compte des préoccupations des pays en développement.
Ce n'est pas leur avis
FH : tout peut encore changer. Chacun essaie de tirer le texte vers lui. La situation est très tendue.
Un accord sur la question de l'accès aux médicaments essentiels, dont les pays du Sud font un casus belli, semble très hypothétique.
FH : ce sujet majeur à Doha, et essentiel pour la France, reste effectivement un blocage. Dans leur lutte contre l'anthrax, les Etats-Unis ont envisagé d'accorder une licence obligatoire pour la molécule du Cipro, l'antibiotique vendu par Bayer, si celui-ci ne réduisait pas son prix de vente. En une semaine, un accord a été trouvé. Les pays en développement peuvent légitimement avoir l'impression qu'il existe deux poids deux mesures.
La France a un temps laissé entendre une autre singularité, refusant l'idée d'un accord à tout prix. Est-elle rentrée dans le rang depuis ?
FH : on a simplement essayé de réfléchir à un plan alternatif, sans aller jusqu'au lancement d'un nouveau cycle à Doha. Depuis, le texte a été présenté et nous travaillons sur cette base. La France n'est pas rentrée dans le rang, c'est le rang qui a bougé !
Le multilatéralisme a-t-il du plomb dans l'aile ?
FH : il n'y a pas de résurgence de l'unilatéralisme. Y compris pour les Etats-Unis Mais les difficultés qui subsistent nous préoccupent. L'équilibre n'est pas trouvé entre la libéralisation supplémentaire nécessaire et la régulation supplémentaire encore plus nécessaire.
Quel impact aurait un nouvel échec, un " Seattle bis " ?
FH : les plus faibles en subiraient les conséquences. Car les accords se feraient de pays à pays. Et la loi du plus fort s'exprimerait encore davantage
Propos recueillis par Vittorio de Filippis et Christian Losson
(Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 4 décembre 2001)
LE PARISIEN ( 9 novembre 2001) Question : peu d'ONG et de mouvements antimondialisation seront présents. Le regrettez-vous ?
François Huwart : il est clair que le contexte international actuel a pesé sur l'organisation de cette conférence. Certains pays, dont les Etats-Unis, ont d'ailleurs décidé de réduire de façon très importante leur délégation. Cela dit, la Commission européenne s'est attachée à obtenir que la participation pacifique des ONG soit assurée. C'était à nos yeux l'essentiel. Le débat sur la mondialisation est tout à fait nécessaire.
L'agriculture sera l'un des dossiers chauds. Sur ce point, le texte qui sert de base de discussion vous satisfait-il ?
FH : l'inscription dans ce texte de la disparition des subventions à l'exportation n'est pas acceptable pour nous. Nous ne voulons pas que cette négociation décide de l'évolution de la politique agricole commune européenne fixée à Berlin, au travers de l'agenda 2000. En revanche, nous sommes satisfaits de voir que, dans ce texte, la spécificité de l'agriculture est préservée. On ne la banalise pas en en faisant un secteur soumis aux mêmes règles que l'industrie.
Y a-t-il d'autres points qui vous déplaisent ?
FH : oui. Le texte doit être substantiellement amélioré sur trois autres thèmes : la dimension sociale de la mondialisation, l'environnement et l'accès aux médicaments essentiels
La France monte au créneau sur ce thème. N'est-ce pas pour amadouer certains pays très touchés par le sida qui aimeraient accéder au marché agricole européen ?
FH : Absolument pas. Il n'y a pas de marchandage de ce genre. Ce serait inacceptable à tous égards, à commencer sur le plan moral. On ne peut jouer avec un problème aussi grave que celui de la santé. L'enjeu est que l'OMC montre que les normes commerciales ne s'opposent pas aux exigences de la santé publique.
Qu'est-ce qui a changé depuis Seattle ?
FH : le fait que l'avis des pays en développement soit devenu incontournable et que les Etats-Unis ne prennent plus systématiquement le contrepied de d'Europe.
Votre pronostic sur cette conférence ?
FH : cela ne va pas être facile. S'il est vrai que beaucoup de pays qui vont à Doha souhaitent un accord, beaucoup ne le souhaitent pas à n'importe quel prix. Les difficultés sont donc réelles, même si le texte qui sert de base de discussion prend désormais en compte la plupart des sujets et préoccupation de l'ensemble des pays membres de l'OMC.
Propos recueillis par Aline Gérard.
(Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 4 décembre 2001)