Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Dans chaque entreprise, chaque année, un commissaire aux comptes est chargé de certifier sincères les comptes. De même, lors de l'examen d'un projet de loi de finance, le rôle du Parlement est de s'assurer de l'exactitude et de la sincérité des comptes, avant de se prononcer quant à la pertinence du projet.
Cette mission que nous exerçons tous les ans avec le sérieux que commande l'exercice d'un mandat représentatif, nous devons nous en acquitter cette année avec une attention toute particulière pour ce budget 2002, important à plus d'un titre : premier budget en euro, premier budget depuis la réforme de l'ordonnance de 1959, il est aussi le dernier budget avant l'échéance des élections présidentielles et législatives. Surtout, les débats vont avoir lieu dans un contexte économique et social de crise.
La croissance pour l'ensemble de l'année 2001 était initialement calculée à 3,3 %. Or, compte tenu de la récession qui a commencé début 2001 aux Etats-Unis, avant de toucher l'Europe et la France, et compte tenu du fait que les événements tragiques survenus le 11 septembre dernier, avec leurs suites, risquent d'accélérer cette récession, c'est plutôt autour de 2 % que la croissance française devrait se situer cette année.
Quant aux prévisions pour l'année prochaine, la plupart des économistes et analystes financiers font état d'une croissance située entre 1 et 1,5 %. Pourtant, le gouvernement maintient dans son projet de loi de finance pour 2002 une prévision de croissance située entre 2,3 et 2,5 %. Il apparaît que M. Fabius, dans son projet de loi, déploie des perspectives tronquées et biaise avec les chiffres.
Par exemple, le recours à l'augmentation des recettes non fiscales doit servir de palliatif pour la baisse d'impôts maintenue à 39 milliards de francs pour ce PLF 2002 : il équilibre ainsi artistiquement les comptes pour cette année ; mais il s'agit d'une ressource ponctuelle, qui ne pourra pas être mobilisée dans les mêmes proportions tous les ans. Cette manoeuvre ne sert qu'à masquer l'absence d'une volonté de réduire les déficits publics et la dette du pays, et par conséquent d'une politique rigoureuse de régulation des dépenses budgétaires.
Dans ces conditions, j'estime qu'il n'est pas possible à la représentation nationale de se porter garante de prévisions et de cautionner la stratégie de Monsieur Fabius. Elle dénote une absence d'anticipation toute entière fondée sur la consommation des ménages et la baisse programmée des impôts, elle ne prend pas la mesure des enjeux actuels et doit être urgemment révisée, pour répondre aux défis de la conjoncture.
M. Fabius avait fait un pari osé en programmant une baisse échelonnée des impôts. Un pari sur les recettes : il supposait que le volume de l'activité imposée compenserait la diminution des taux de prélèvement, et qu'ainsi les recettes resteraient constantes, voire augmenteraient.
Cette option ambitieuse se justifiait alors, elle ne se justifie plus maintenant que la récession, et le ralentissement de l'activité, menacent. Nous ne pouvons pas discuter un projet basé sur des expertises vieilles d'au moins six mois, et sur les illusions de la mondialisation heureuse. C'est à partir des réalités de la conjoncture actuelle que nous devons élaborer des solutions.
Ces réalités, les voici. La tendance est au ralentissement de l'économie, depuis que les Etats-Unis ont été touchés par une croissance zéro au début de l'année 2001. Les derniers mois en France ont été marqués par une remontée du chômage, ce qui remet naturellement en cause l'équilibre des comptes de la Sécurité Sociale et de la Nation.
Bref les indicateurs économiques et sociaux, du vert, sont passés à l'orange et menacent de passer au rouge si une politique de relance volontaire n'est pas engagée bientôt. Le laisser-faire budgétaire du gouvernement, et son optimisme apathique face aux menaces de récession ne sont pas des réponses satisfaisantes aux problèmes qui se posent.
A l'exemple des Etats-Unis, nous avons besoin de réactivité. Nous ne savons pas encore ce qui sortira exactement du plan Bush de relance, mais il est évident qu'il a pris la mesure des trois risques évoqués par M. Fabius lui-même, et qui pèsent sans exception sur toutes les économies européennes : un risque psychologique de baisse de la consommation ; un risque d'instabilité financière susceptible de déprimer l'investissement et l'activité ; un risque pétrolier de forte inflation qui amplifierait les deux crises de la consommation et de l'activité.
Pour faire face, le gouvernement a admis que la meilleure des stratégies était de " laisser jouer les stabilisateurs automatiques ".
C'est une vue absurde : dans la récession, le gouvernement ne doit pas rester inerte.
Les stabilisateurs automatiques sont un palliatif, un effet anesthésique : M. Fabius ne semble pas avoir d'états d'âme à laisser la France s'enliser doucement et sans douleur dans la récession. Il ne songe qu'à court terme, et feint de ne pas comprendre pas que ce qui menace la France c'est un ralentissement généralisé de l'activité.
Dans cette optique, la relance annoncée aujourd'hui de la politique de " prime à l'emploi " n'est pas à la hauteur du problème posé : toutes les incitations du monde ne suffiront pas, dans un contexte d'incertitude financière et d'affaiblissement de l'investissement, à faire embaucher par les employeurs des travailleurs dont ils n'ont pas l'utilité faute de travail, ou dont ils pensent qu'ils devront les licencier bientôt pour la même raison.
Il faut à la France et à l'Europe une politique de relance concertée. Les deux leviers de la relance économique sont la politique budgétaire et la politique monétaire ; les statuts de l'Union Européenne font que la politique monétaire est du ressort de la Banque Centrale Européenne, et la politique budgétaire du ressort des seuls Etats européens, dans le cadre des critères de convergence définis par le traité de Maastricht. C'est la faiblesse de l'UE par rapport aux Etats-Unis dans une situation de crise : le manque de coordination des deux politiques correspond au manque de réactivité que j'ai déjà évoqué.
La combinaison des deux politiques, baptisée policy mix par les économistes anglo-saxons, est indispensable quand sont affaiblis simultanément l'activité et la consommation, l'investissement et l'emploi.
Aujourd'hui, il apparaît que les entrepreneurs sont au moins aussi inquiets de l'avenir que les consommateurs, et réduisent leurs investissements en conséquence. La BCE doit donc sortir de sa rigidité, renoncer à la priorité quasi dogmatique qu'elle a donnée à la lutte contre l'inflation, et baisser ses taux d'intérêt. Le gouvernement français doit solliciter un appui de la part de ses voisins, dont c'est l'intérêt bien compris, afin de faire pression sur la BCE pour qu'elle pratique, à l'instar de la Federal Reserve américaine une politique d'argent bon marché.
Cela seul rendra possible et efficace une relance budgétaire, non seulement au niveau national, mais aussi au niveau européen. La relance conjoncturelle doit prioritairement s'appuyer sur des projets structurels de long terme, privilégiant l'amélioration de l'environnement économique des entreprises et la réduction du chômage.
Il apparaît aujourd'hui indispensable de relancer la politique des grands travaux, en particulier de développer en France un réseau complet de ferroutage connecté sur celui des pays voisins déjà avancés dans ce domaine (Suisse) ; il faut penser également à donner une impulsion forte à des projets partenariaux européens tels que la réalisation de la ligne de fret ferroviaire Lyon - Turin. Il convient également de réinvestir dans notre outil de défense pour l'adapter aux nouvelles exigences stratégiques qui se font jour (menace terroriste) ; réinvestir également dans les équipements urbains et la réhabilitation ou la rénovation de l'habitat social.
Pour donner leur plein effet à ces orientations, il serait souhaitable que le gouvernement annonce un plan de relance portant sur les infrastructures. Il y aurait alors grand intérêt à soutenir l'activité d'un certain nombre de secteurs, comme le BTP, afin d'alimenter la reprise.
Le gouvernement a appelé au " patriotisme économique ". Nul n'est plus enclin que moi à relayer cette proposition. La politique économique est affaire de confiance et de volonté. Il nous en faudra dans les mois qui viennent, parce que je crois qu'ils seront décisifs : entre reprise et récession, la marge est toujours assez restreinte. Aujourd'hui que le monde est entré dans une période d'instabilité, elle est infime.
C'est pourquoi j'espère qu'à la lumière des discussions sur le budget 2002, le gouvernement saura prendre toute la mesure de la crise qui s'annonce, en se fondant sur des critères de réalité économique, et qu'il admettra le principe d'un rectificatif à la loi de finance 2002. Dans le cas contraire, les députés du Mouvement des Citoyens ne pourraient voter le texte en l'état.
(source http://www.mdc-France.org, le 22 octobre 2001)
Dans chaque entreprise, chaque année, un commissaire aux comptes est chargé de certifier sincères les comptes. De même, lors de l'examen d'un projet de loi de finance, le rôle du Parlement est de s'assurer de l'exactitude et de la sincérité des comptes, avant de se prononcer quant à la pertinence du projet.
Cette mission que nous exerçons tous les ans avec le sérieux que commande l'exercice d'un mandat représentatif, nous devons nous en acquitter cette année avec une attention toute particulière pour ce budget 2002, important à plus d'un titre : premier budget en euro, premier budget depuis la réforme de l'ordonnance de 1959, il est aussi le dernier budget avant l'échéance des élections présidentielles et législatives. Surtout, les débats vont avoir lieu dans un contexte économique et social de crise.
La croissance pour l'ensemble de l'année 2001 était initialement calculée à 3,3 %. Or, compte tenu de la récession qui a commencé début 2001 aux Etats-Unis, avant de toucher l'Europe et la France, et compte tenu du fait que les événements tragiques survenus le 11 septembre dernier, avec leurs suites, risquent d'accélérer cette récession, c'est plutôt autour de 2 % que la croissance française devrait se situer cette année.
Quant aux prévisions pour l'année prochaine, la plupart des économistes et analystes financiers font état d'une croissance située entre 1 et 1,5 %. Pourtant, le gouvernement maintient dans son projet de loi de finance pour 2002 une prévision de croissance située entre 2,3 et 2,5 %. Il apparaît que M. Fabius, dans son projet de loi, déploie des perspectives tronquées et biaise avec les chiffres.
Par exemple, le recours à l'augmentation des recettes non fiscales doit servir de palliatif pour la baisse d'impôts maintenue à 39 milliards de francs pour ce PLF 2002 : il équilibre ainsi artistiquement les comptes pour cette année ; mais il s'agit d'une ressource ponctuelle, qui ne pourra pas être mobilisée dans les mêmes proportions tous les ans. Cette manoeuvre ne sert qu'à masquer l'absence d'une volonté de réduire les déficits publics et la dette du pays, et par conséquent d'une politique rigoureuse de régulation des dépenses budgétaires.
Dans ces conditions, j'estime qu'il n'est pas possible à la représentation nationale de se porter garante de prévisions et de cautionner la stratégie de Monsieur Fabius. Elle dénote une absence d'anticipation toute entière fondée sur la consommation des ménages et la baisse programmée des impôts, elle ne prend pas la mesure des enjeux actuels et doit être urgemment révisée, pour répondre aux défis de la conjoncture.
M. Fabius avait fait un pari osé en programmant une baisse échelonnée des impôts. Un pari sur les recettes : il supposait que le volume de l'activité imposée compenserait la diminution des taux de prélèvement, et qu'ainsi les recettes resteraient constantes, voire augmenteraient.
Cette option ambitieuse se justifiait alors, elle ne se justifie plus maintenant que la récession, et le ralentissement de l'activité, menacent. Nous ne pouvons pas discuter un projet basé sur des expertises vieilles d'au moins six mois, et sur les illusions de la mondialisation heureuse. C'est à partir des réalités de la conjoncture actuelle que nous devons élaborer des solutions.
Ces réalités, les voici. La tendance est au ralentissement de l'économie, depuis que les Etats-Unis ont été touchés par une croissance zéro au début de l'année 2001. Les derniers mois en France ont été marqués par une remontée du chômage, ce qui remet naturellement en cause l'équilibre des comptes de la Sécurité Sociale et de la Nation.
Bref les indicateurs économiques et sociaux, du vert, sont passés à l'orange et menacent de passer au rouge si une politique de relance volontaire n'est pas engagée bientôt. Le laisser-faire budgétaire du gouvernement, et son optimisme apathique face aux menaces de récession ne sont pas des réponses satisfaisantes aux problèmes qui se posent.
A l'exemple des Etats-Unis, nous avons besoin de réactivité. Nous ne savons pas encore ce qui sortira exactement du plan Bush de relance, mais il est évident qu'il a pris la mesure des trois risques évoqués par M. Fabius lui-même, et qui pèsent sans exception sur toutes les économies européennes : un risque psychologique de baisse de la consommation ; un risque d'instabilité financière susceptible de déprimer l'investissement et l'activité ; un risque pétrolier de forte inflation qui amplifierait les deux crises de la consommation et de l'activité.
Pour faire face, le gouvernement a admis que la meilleure des stratégies était de " laisser jouer les stabilisateurs automatiques ".
C'est une vue absurde : dans la récession, le gouvernement ne doit pas rester inerte.
Les stabilisateurs automatiques sont un palliatif, un effet anesthésique : M. Fabius ne semble pas avoir d'états d'âme à laisser la France s'enliser doucement et sans douleur dans la récession. Il ne songe qu'à court terme, et feint de ne pas comprendre pas que ce qui menace la France c'est un ralentissement généralisé de l'activité.
Dans cette optique, la relance annoncée aujourd'hui de la politique de " prime à l'emploi " n'est pas à la hauteur du problème posé : toutes les incitations du monde ne suffiront pas, dans un contexte d'incertitude financière et d'affaiblissement de l'investissement, à faire embaucher par les employeurs des travailleurs dont ils n'ont pas l'utilité faute de travail, ou dont ils pensent qu'ils devront les licencier bientôt pour la même raison.
Il faut à la France et à l'Europe une politique de relance concertée. Les deux leviers de la relance économique sont la politique budgétaire et la politique monétaire ; les statuts de l'Union Européenne font que la politique monétaire est du ressort de la Banque Centrale Européenne, et la politique budgétaire du ressort des seuls Etats européens, dans le cadre des critères de convergence définis par le traité de Maastricht. C'est la faiblesse de l'UE par rapport aux Etats-Unis dans une situation de crise : le manque de coordination des deux politiques correspond au manque de réactivité que j'ai déjà évoqué.
La combinaison des deux politiques, baptisée policy mix par les économistes anglo-saxons, est indispensable quand sont affaiblis simultanément l'activité et la consommation, l'investissement et l'emploi.
Aujourd'hui, il apparaît que les entrepreneurs sont au moins aussi inquiets de l'avenir que les consommateurs, et réduisent leurs investissements en conséquence. La BCE doit donc sortir de sa rigidité, renoncer à la priorité quasi dogmatique qu'elle a donnée à la lutte contre l'inflation, et baisser ses taux d'intérêt. Le gouvernement français doit solliciter un appui de la part de ses voisins, dont c'est l'intérêt bien compris, afin de faire pression sur la BCE pour qu'elle pratique, à l'instar de la Federal Reserve américaine une politique d'argent bon marché.
Cela seul rendra possible et efficace une relance budgétaire, non seulement au niveau national, mais aussi au niveau européen. La relance conjoncturelle doit prioritairement s'appuyer sur des projets structurels de long terme, privilégiant l'amélioration de l'environnement économique des entreprises et la réduction du chômage.
Il apparaît aujourd'hui indispensable de relancer la politique des grands travaux, en particulier de développer en France un réseau complet de ferroutage connecté sur celui des pays voisins déjà avancés dans ce domaine (Suisse) ; il faut penser également à donner une impulsion forte à des projets partenariaux européens tels que la réalisation de la ligne de fret ferroviaire Lyon - Turin. Il convient également de réinvestir dans notre outil de défense pour l'adapter aux nouvelles exigences stratégiques qui se font jour (menace terroriste) ; réinvestir également dans les équipements urbains et la réhabilitation ou la rénovation de l'habitat social.
Pour donner leur plein effet à ces orientations, il serait souhaitable que le gouvernement annonce un plan de relance portant sur les infrastructures. Il y aurait alors grand intérêt à soutenir l'activité d'un certain nombre de secteurs, comme le BTP, afin d'alimenter la reprise.
Le gouvernement a appelé au " patriotisme économique ". Nul n'est plus enclin que moi à relayer cette proposition. La politique économique est affaire de confiance et de volonté. Il nous en faudra dans les mois qui viennent, parce que je crois qu'ils seront décisifs : entre reprise et récession, la marge est toujours assez restreinte. Aujourd'hui que le monde est entré dans une période d'instabilité, elle est infime.
C'est pourquoi j'espère qu'à la lumière des discussions sur le budget 2002, le gouvernement saura prendre toute la mesure de la crise qui s'annonce, en se fondant sur des critères de réalité économique, et qu'il admettra le principe d'un rectificatif à la loi de finance 2002. Dans le cas contraire, les députés du Mouvement des Citoyens ne pourraient voter le texte en l'état.
(source http://www.mdc-France.org, le 22 octobre 2001)