Texte intégral
S. Paoli Il se tient aujourd'hui un Conseil interministériel des villes. Pourra-t-on échapper à cette sorte de reproduction du monde, c'est-à-dire d'un côté les riches, de l'autre les pauvres ? Est-ce que la ville restera un territoire vraiment ouvert ?
C. Bartolone : "C'est une volonté collective et cela doit être la volonté de tous les républicains. Nous ne pouvons pas menacer les mots magnifiques que sont "Liberté, Egalité, Fraternité" dans nos villes. Il faut absolument que l'ensemble de nos concitoyens puissent vivre ensemble."
Cela veut dire que vous estimez qu'aujourd'hui, il existe un risque que la ville ne soit plus cela ?
C. Bartolone : "Bien sûr. Il y a un certain nombre de quartiers où l'on voit bien que la souffrance sociale s'accumule à la souffrance sociale. Cela donne quelquefois de grands mouvements de désespérance. C'est pourquoi, depuis quatre ans, le travail du Gouvernement et le mien a été de permettre aux habitants de se sentir à nouveau concernés par le mouvement de la société : 50.000 emplois-jeunes, le recul du chômage de 25 % pour la première fois ces deux dernières années dans les quartiers. L'instauration, à nouveau, d'entreprises, l'aide aux municipalités pour qu'elles reconstruisent les écoles, pour que les habitants se sentent de nouveau partie prenante du pacte républicain. C'est pour cela que le Premier ministre, L. Jospin, nous réunit aujourd'hui : c'est parce que cela bouge. Eh bien, il faut donner un coup d'accélérateur et en finir une bonne fois pour toute, dans les dix ans qui viennent, avec les cités dortoirs."
Il y a le regard politique, mais il y a aussi celui de l'homme qui construit la ville. C'est vous P. Andreux, avec tous les architectes. Comment voyez vous la ville aujourd'hui ? Territoire de violence ou pas ?
P. Andreux : "C'est un territoire très contrasté dans lequel, effectivement, les architectes en général font une part d'intervention - et une part seulement. Finalement, elle est importante, mais elle est modeste quand on y regarde de près. Je la vois donc comme quelque chose de très contrasté, dans laquelle il y a beaucoup de possibilité de vivre, de liberté, et en même temps, une cruauté extrême. Je crois qu'il ne fait pas bon - le ministre l'a dit - être pauvre en ville. Et je crois qu'entre pauvres, la situation est terrible. C'est une relation qui n'est pas un échange généralisé, mais plutôt une séparation terrible."
Dans le plan de 35 milliards de francs qui est engagé, il y a des points importants, tels que "en finir avec les cités dortoirs." Qu'est-ce que cela veut dire ? Démolir ?
C. Bartolone : "Pour une partie de ces logements qui ont été construits dans l'urgence du lendemain de la guerre, oui. Mais la priorité pour moi, ce n'est pas forcément la démolition : c'est de remettre des adultes référents, de remettre des services publics, de remettre des femmes et des hommes qui permettront aux habitants, cassés par la crise, de se reconstruire. Après, et en même temps, on reconstruira la ville. La première des choses, c'est de mettre des policiers de proximité pour assurer la sécurité, comme nous l'avons fait avec J.-P. Chevènement et D. Vaillant, pour lutter contre ce sentiment d'impunité qui existe dans les quartiers. C'est également casser un certain nombre de logements, qui ne correspondent plus aux normes de confort. C'est d'autant plus important à un moment où il y a reprise économique, parce que chaque fois que des femmes et des hommes retrouvent du travail, quel que soit l'effort que font les maires ou les élus au niveau local, ils viennent nous voir et nous disent - je le vois au Pré-Saint-Gervais - qu'il y a eu des travaux dans telle ou telle cité, mais qu'ils n'ont pas l'impression de vivre comme les autres. Donc, quelles que soient les améliorations, et si nous n'y prenons pas garde, la reprise économique peut renforcer le ghetto. C'est pour cela que L. Jospin a décidé d'investir encore une fois 35 milliards. La population la plus populaire de ces quartiers, notre jeunesse, ont besoin d'investissements massifs et sur le long terme, pour sauver l'idée de la ville française et de la ville européenne."
La ville, c'est quelque chose qui se construit aujourd'hui pour demain - c'est la fameuse question du développement durable. Est-ce que les architectes et les politiques se parlent ? Y a-t-il une sorte de réflexion collective sur ce grand projet politique qu'est la ville ?
P. Andreux : "Oui. Dans beaucoup d'occasions et dans de grandes opérations, les politiques et les architectes se parlent. Et j'ajoute que les politiques ont souvent une vision très large : ce n'est pas de la politique de leur parti dont ils parlent, c'est de la politique en général. Ce sont de vraies discussions et des discussions très larges, très difficiles, parce qu'entre la forme de la ville et la manière dont on l'utilisera, il y a une relation qui n'est pas évidente."
C. Bartolone : "Il y a de plus en plus souvent un débat entre architectes et élus, mais n'oublions pas le troisième homme - ou la troisième femme, si je peux employer l'expression - : la population. Actuellement, on voit bien que les élus et les hommes de l'art, architectes et urbanistes se rendent bien compte - et quelles que soient les villes ou je vais, je m'en rends compte - qu'il faut qu'il y ait débat avec la population, pour qu'elle s'approprie ces rénovations, cette construction de ville, qu'elle puisse dire quelquefois aux élus ou aux architectes que leur geste architectural est sympa, mais que des passerelles au-dessus de la nationale ne correspondent à rien et que donc, elle veut une autre forme de ville."
A Toulouse, une partie de la population de la ville, au Mirail, dit qu'elle a été oubliée, se demande si elle est vraiment dans la ville. Il y a à nouveau cette perception du fait que la ville n'est pas partagée par tous ?
C. Bartolone : "Je me suis souvent rendu au Mirail et il est vrai que c'est une population qui a l'impression qu'on l'a mise à côté de la ville dans l'urgence. Nous avons décidé de faire un grand projet de ville avec les Toulousain en mobilisant massivement de l'argent pour changer à la fois la physionomie sociale et architecturale. Et parce que Toulouse a été victime de ce terrible accident, nous avons décidé de renforcer - comme l'a annoncé le Premier ministre - les moyens financiers à la disposition de la ville et notamment sur les quartiers populaire du Mirail, nous avons doublé les crédits mis à leur disposition pour reconstruire socialement et physiquement cette ville."
Et la question de la beauté, d'être fier de là où on est ? Si on prend l'exemple de Pays basque, qui était une zone presque sinistrée : un grand architecte arrive, il fait un musée formidable et c'est toute la région qui change. Est-ce que, s'agissant des jeunes qui sont un peu oubliés, est-ce qu'un geste architectural peut changer la forme, le climat d'une ville sa sécurité ?
C. Bartolone : "Quand vous discutez avec les habitants, notamment à Saint-Denis où la ville a fait un effort considérable, ils nous demandent avant tout des gestes au quotidien. A Saint-Denis, ils ont réinstallé le débat et renforcer la démocratie en étant plus attentif à la propreté des quartiers. Aujourd'hui, dans le cadre de la réunion avec L. Jospin, nous allons insister une nouvelle fois sur ces questions de propreté, de gestion... C'est très difficile d'inviter la population à s'intéresser à la ville pour dans dix ans, quand depuis trois mois, l'ascenseur est en panne. Nous allons renforcer la présence humaine, en fixant notamment une nouvelle règle : un gardien pour 100 logements. Parce que la première des choses est de casser ce sentiment d'abandon qui existe quelquefois. La culture, aussi, est importante au-delà du geste "opéra, maison de la culture." La culture et l'échange, parce que trop souvent, on voit comment la peur, l'inquiétude par rapport à l'autre, par rapport à la culture de l'autre, peut s'installer dans une ville avec les ravages que cela peut provoquer. C'est vrai que l'échange culturel, l'échange sur les modes de vie, les modes de communication, permettent à la fois de faire reculer le racisme et de donner plus de sens à l'idée de vivre ensemble."
Avec le climat terrible que nous connaissons aujourd'hui, cette inquiétude partagée par tout le monde, comment la ville va-t-elle choisir entre la sécurité et la liberté ?
C. Bartolone : "Il faut les deux. Je pense à une grande partie de vos auditeurs : est-ce qu'ils se sentent en liberté lorsqu'ils ont l'impression, le soir, qu'en se couchant, ils ne savent pas exactement comment ils vont retrouver leur véhicule le lendemain ? Le sentiment qui existe chez certains de ces habitants de rentrer sur un territoire de non-droit. Quelquefois, ils rentrent et dans le hall d'immeuble, il y a des jeunes qui, parfois ne font aucune bêtise, mais ils ont le sentiment de ne pas être en sécurité et donc pas en liberté. Eh bien, il faut jumeler les deux : il faut qu'il puisse y avoir plus de police, plus de médiateurs, plus de paroles pour que les gens se sentent capable d'aller et venir dans les quartiers populaires, sans se sentir victime potentielle d'une agression quelconque."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 2 octobre 2001)
C. Bartolone : "C'est une volonté collective et cela doit être la volonté de tous les républicains. Nous ne pouvons pas menacer les mots magnifiques que sont "Liberté, Egalité, Fraternité" dans nos villes. Il faut absolument que l'ensemble de nos concitoyens puissent vivre ensemble."
Cela veut dire que vous estimez qu'aujourd'hui, il existe un risque que la ville ne soit plus cela ?
C. Bartolone : "Bien sûr. Il y a un certain nombre de quartiers où l'on voit bien que la souffrance sociale s'accumule à la souffrance sociale. Cela donne quelquefois de grands mouvements de désespérance. C'est pourquoi, depuis quatre ans, le travail du Gouvernement et le mien a été de permettre aux habitants de se sentir à nouveau concernés par le mouvement de la société : 50.000 emplois-jeunes, le recul du chômage de 25 % pour la première fois ces deux dernières années dans les quartiers. L'instauration, à nouveau, d'entreprises, l'aide aux municipalités pour qu'elles reconstruisent les écoles, pour que les habitants se sentent de nouveau partie prenante du pacte républicain. C'est pour cela que le Premier ministre, L. Jospin, nous réunit aujourd'hui : c'est parce que cela bouge. Eh bien, il faut donner un coup d'accélérateur et en finir une bonne fois pour toute, dans les dix ans qui viennent, avec les cités dortoirs."
Il y a le regard politique, mais il y a aussi celui de l'homme qui construit la ville. C'est vous P. Andreux, avec tous les architectes. Comment voyez vous la ville aujourd'hui ? Territoire de violence ou pas ?
P. Andreux : "C'est un territoire très contrasté dans lequel, effectivement, les architectes en général font une part d'intervention - et une part seulement. Finalement, elle est importante, mais elle est modeste quand on y regarde de près. Je la vois donc comme quelque chose de très contrasté, dans laquelle il y a beaucoup de possibilité de vivre, de liberté, et en même temps, une cruauté extrême. Je crois qu'il ne fait pas bon - le ministre l'a dit - être pauvre en ville. Et je crois qu'entre pauvres, la situation est terrible. C'est une relation qui n'est pas un échange généralisé, mais plutôt une séparation terrible."
Dans le plan de 35 milliards de francs qui est engagé, il y a des points importants, tels que "en finir avec les cités dortoirs." Qu'est-ce que cela veut dire ? Démolir ?
C. Bartolone : "Pour une partie de ces logements qui ont été construits dans l'urgence du lendemain de la guerre, oui. Mais la priorité pour moi, ce n'est pas forcément la démolition : c'est de remettre des adultes référents, de remettre des services publics, de remettre des femmes et des hommes qui permettront aux habitants, cassés par la crise, de se reconstruire. Après, et en même temps, on reconstruira la ville. La première des choses, c'est de mettre des policiers de proximité pour assurer la sécurité, comme nous l'avons fait avec J.-P. Chevènement et D. Vaillant, pour lutter contre ce sentiment d'impunité qui existe dans les quartiers. C'est également casser un certain nombre de logements, qui ne correspondent plus aux normes de confort. C'est d'autant plus important à un moment où il y a reprise économique, parce que chaque fois que des femmes et des hommes retrouvent du travail, quel que soit l'effort que font les maires ou les élus au niveau local, ils viennent nous voir et nous disent - je le vois au Pré-Saint-Gervais - qu'il y a eu des travaux dans telle ou telle cité, mais qu'ils n'ont pas l'impression de vivre comme les autres. Donc, quelles que soient les améliorations, et si nous n'y prenons pas garde, la reprise économique peut renforcer le ghetto. C'est pour cela que L. Jospin a décidé d'investir encore une fois 35 milliards. La population la plus populaire de ces quartiers, notre jeunesse, ont besoin d'investissements massifs et sur le long terme, pour sauver l'idée de la ville française et de la ville européenne."
La ville, c'est quelque chose qui se construit aujourd'hui pour demain - c'est la fameuse question du développement durable. Est-ce que les architectes et les politiques se parlent ? Y a-t-il une sorte de réflexion collective sur ce grand projet politique qu'est la ville ?
P. Andreux : "Oui. Dans beaucoup d'occasions et dans de grandes opérations, les politiques et les architectes se parlent. Et j'ajoute que les politiques ont souvent une vision très large : ce n'est pas de la politique de leur parti dont ils parlent, c'est de la politique en général. Ce sont de vraies discussions et des discussions très larges, très difficiles, parce qu'entre la forme de la ville et la manière dont on l'utilisera, il y a une relation qui n'est pas évidente."
C. Bartolone : "Il y a de plus en plus souvent un débat entre architectes et élus, mais n'oublions pas le troisième homme - ou la troisième femme, si je peux employer l'expression - : la population. Actuellement, on voit bien que les élus et les hommes de l'art, architectes et urbanistes se rendent bien compte - et quelles que soient les villes ou je vais, je m'en rends compte - qu'il faut qu'il y ait débat avec la population, pour qu'elle s'approprie ces rénovations, cette construction de ville, qu'elle puisse dire quelquefois aux élus ou aux architectes que leur geste architectural est sympa, mais que des passerelles au-dessus de la nationale ne correspondent à rien et que donc, elle veut une autre forme de ville."
A Toulouse, une partie de la population de la ville, au Mirail, dit qu'elle a été oubliée, se demande si elle est vraiment dans la ville. Il y a à nouveau cette perception du fait que la ville n'est pas partagée par tous ?
C. Bartolone : "Je me suis souvent rendu au Mirail et il est vrai que c'est une population qui a l'impression qu'on l'a mise à côté de la ville dans l'urgence. Nous avons décidé de faire un grand projet de ville avec les Toulousain en mobilisant massivement de l'argent pour changer à la fois la physionomie sociale et architecturale. Et parce que Toulouse a été victime de ce terrible accident, nous avons décidé de renforcer - comme l'a annoncé le Premier ministre - les moyens financiers à la disposition de la ville et notamment sur les quartiers populaire du Mirail, nous avons doublé les crédits mis à leur disposition pour reconstruire socialement et physiquement cette ville."
Et la question de la beauté, d'être fier de là où on est ? Si on prend l'exemple de Pays basque, qui était une zone presque sinistrée : un grand architecte arrive, il fait un musée formidable et c'est toute la région qui change. Est-ce que, s'agissant des jeunes qui sont un peu oubliés, est-ce qu'un geste architectural peut changer la forme, le climat d'une ville sa sécurité ?
C. Bartolone : "Quand vous discutez avec les habitants, notamment à Saint-Denis où la ville a fait un effort considérable, ils nous demandent avant tout des gestes au quotidien. A Saint-Denis, ils ont réinstallé le débat et renforcer la démocratie en étant plus attentif à la propreté des quartiers. Aujourd'hui, dans le cadre de la réunion avec L. Jospin, nous allons insister une nouvelle fois sur ces questions de propreté, de gestion... C'est très difficile d'inviter la population à s'intéresser à la ville pour dans dix ans, quand depuis trois mois, l'ascenseur est en panne. Nous allons renforcer la présence humaine, en fixant notamment une nouvelle règle : un gardien pour 100 logements. Parce que la première des choses est de casser ce sentiment d'abandon qui existe quelquefois. La culture, aussi, est importante au-delà du geste "opéra, maison de la culture." La culture et l'échange, parce que trop souvent, on voit comment la peur, l'inquiétude par rapport à l'autre, par rapport à la culture de l'autre, peut s'installer dans une ville avec les ravages que cela peut provoquer. C'est vrai que l'échange culturel, l'échange sur les modes de vie, les modes de communication, permettent à la fois de faire reculer le racisme et de donner plus de sens à l'idée de vivre ensemble."
Avec le climat terrible que nous connaissons aujourd'hui, cette inquiétude partagée par tout le monde, comment la ville va-t-elle choisir entre la sécurité et la liberté ?
C. Bartolone : "Il faut les deux. Je pense à une grande partie de vos auditeurs : est-ce qu'ils se sentent en liberté lorsqu'ils ont l'impression, le soir, qu'en se couchant, ils ne savent pas exactement comment ils vont retrouver leur véhicule le lendemain ? Le sentiment qui existe chez certains de ces habitants de rentrer sur un territoire de non-droit. Quelquefois, ils rentrent et dans le hall d'immeuble, il y a des jeunes qui, parfois ne font aucune bêtise, mais ils ont le sentiment de ne pas être en sécurité et donc pas en liberté. Eh bien, il faut jumeler les deux : il faut qu'il puisse y avoir plus de police, plus de médiateurs, plus de paroles pour que les gens se sentent capable d'aller et venir dans les quartiers populaires, sans se sentir victime potentielle d'une agression quelconque."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 2 octobre 2001)