Interview de M. François Hollande, Premier secrétaire du PS, à "France 2" , le 13 novembre 2001, sur la situation en Afghanistan, le bilan de la gauche au pouvoir de 1997 à 2002, l'élection présidentielle 2002, la cohabitation et la Sécurité sociale.

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Texte intégral

F. Laborde Avec vous, nous allons parler de la campagne électorale en France, mais d'abord de ce qui se passe en Afghanistan. Hier, ici même, A. Richard nous disait que l'Alliance du Nord ne prendrait pas Kaboul aussi facilement que cela, que cela prendrait plusieurs jours, que ce serait des combats intenses. Manifestement, ce n'est pas le cas. Ils sont dans Kaboul. Cela pose des problèmes ?
- "En Afghanistan, il y a un conflit qui dure depuis vingt ans. Donc, on trouve toujours des issues militaires. Aujourd'hui, les taliban sont en retrait, nous ne nous en plaindrons pas. C'était quand même l'objectif qui était recherché. En revanche, ce qu'il faut trouver, c'est une solution politique. C'est de faire en sorte que toutes les fractions afghanes, celles qui veulent vivre en paix se retrouvent et gouvernent ce pays, de façon à ce qu'il échappe aux tragédies et aux drames. Il ne faudrait pas que maintenant, il y ait, là encore, l'Alliance du Nord qui s'installe - contre les taliban, très bien -, mais qui ne crée pas l'alliance indispensable de tous les Afghans."
Cela veut dire que les Pachtouns qui sont au sud ne se sentent pas mis à l'écart par les hommes de feu commandant Massoud, qui s'étaient d'ailleurs mal conduits, il y a quelques années, à Kaboul, y compris avec les femmes afghanes ?
- "Il faut en terminer avec les taliban, mais il faut aussi en terminer avec tous les fauteurs de guerre en Afghanistan, qui ont pu se livrer à des exactions ces dernières années. Donc, il faut que la communauté internationale, tous ceux qui appuient le mouvement contre les taliban, fassent pression pour qu'on trouve une solution politique en Afghanistan."
N'est-ce pas trop tard maintenant ?
- "Je ne pense pas.[L'Alliance du Nord] n'y serait pas arrivée seule, je suppose, contre les taliban. Il y a eu ces frappes, il y a eu cette intervention légitime par rapport à ce qui s'était passé aux Etats-Unis. Mais il faut aussi que les populations civiles soient quand même concernées, c'est-à-dire qu'il faut qu'on évite de faire des Afghans une chair à martyrs, par rapport à ce qui se passe."
Cela veut dire qu'il pourrait y avoir des Casques bleus qui prendraient position sur place et qui joueraient une sorte de force de maintien de la paix en attendant ?
- "Il faut qu'il y ait un gouvernement qui regroupe tous les Afghans, tous ceux qui les représentent, ceux qui veulent la paix, qui veulent vivre avec le respect des droits de l'homme et de la femme - car en Afghanistan, c'est indispensable. Que ceux-là forment un gouvernement et qu'ensuite, il puisse y avoir le processus de développement et de pacification."
Revenons à la situation en France et à la campagne. Vous avez présenté hier le bilan : "La France qui change." Joli opuscule en couleur, avec toutes sortes de thèmes, sur lesquels vous défendez votre bilan. Cela fait un peu bizarre, en termes de calendrier, de présenter d'abord le bilan ; après, vous allez présenter le projet ; et puis, en fin de course, on va savoir qui est candidat. Encore que, je le signale, il y a une photo, où on imagine que cela pourrait être "lui" ?
- "En tout cas, c'est le Premier ministre, c'est lui qui a fait, depuis quatre ans et demi - avec d'autres, avec les Français -, changer notre pays. Pourquoi avons-nous fait cette opération, ce magazine, ce bilan de la législature ? Parce que c'est la moindre des choses en démocratie. J'ai le sentiment que nous vivons une période lourde, grave, on vient de l'évoquer. Et en même temps, nous aurons des élections, chacun le sait. Est-ce qu'on va vers les élections avec des promesses, avec simplement le souci pour tel ou tel de se faire élire ? Qu'importe d'ailleurs, s'il n'y a pas véritablement le respect des Français. Donc, quand nous avons voulu faire - certains s'en sont étonnés, curieusement - c'est de dire aux Français que nous n'avons tout bien fait, mais qu'au moins, nous avons réussi - ce qui était peut-être nouveau - à tenir parole sur un certain nombre de sujets : les emplois-jeunes, les 35 heures, la Couverture maladie universelle, le Pacs, etc. Nous allons devant les Français en leur disant que nous avons fait cela, mais il faut aller encore beaucoup plus loin. C'est ce que nous leur proposerons après. D'où la deuxième étape du projet, et puis après, le choix du candidat."
Franchement, c'est une fiction. Tout le monde sait que c'est L. Jospin. Pourquoi garder cette espèce de faux suspens ?
- "La logique va à l'évidence dans ce sens et ma préférence aussi. Mais, nous sommes à un moment, je le disais, grave où il faut prendre les choses, sérieusement, où on a besoin d'un gouvernement qui agisse. La moindre des courtoisies républicaines est de faire le bilan de ce que nous avons fait, de présenter ce que nous leur proposerons pour la prochaine législature, et que le choix du candidat se fasse au moment où la campagne s'ouvrira."
Et en attendant février, on fait comme si de rien n'était ?
- "Je n'ai pas le sentiment que les Français soient en train de se poser des questions anxieuses - est-ce que J. Chirac va être candidat ? Je crois qu'ils ne se posent pas la question. Mais est-ce que Jospin va vraiment être lui aussi dans la campagne ? Ils savent bien qu'à partir du mois de février, nous serons dans cette configuration. La campagne démarrera bien assez tôt. Ce qu'il faut, c'est que ce soit une campagne utile, qu'il y ait des idées, qu'il y ait des propositions et qu'on puisse répondre."
La cohabitation est un peu tendue. Prenons l'exemple concret : en fin d'année, il y a les voeux traditionnels. Le Premier ministre va aller présenter ses voeux au président de la République en lui disant : "Je vous souhaite mille bonnes choses pour 2002..." ?
- "On est dans une République, heureusement, où la politesse et la courtoisie demeurent. On ne va dire que puisque ce sont les voeux, on n'ira pas aux voeux du président de la République, parce qu'il n'a pas les mêmes que nous. Ce n'est pas la bonne façon de faire. Vous pouvez quelquefois avoir des échanges avec des gens que vous n'appréciez pas ou dont vous contestez l'action. Mais la moindre des choses, c'est de vivre ensemble. Je crois qu'on peut le faire dans notre République, dans notre démocratie, sans déchoir."
Au fond, vous allez faire pour L. Jospin ce qu'avait fait L. Jospin pour F. Mitterrand, en 1988. Il avait au fond entretenu le suspens, jusqu'au dernier moment ?
- "Si cela se termine de la même manière, je suis prêt effectivement à copier L. Jospin."
Il y a dans ce bilan un certain nombre de thèmes sur lesquels vous êtes extrêmement diserts. Il y en a peut-être un sur lequel il y a moins de choses et sur lequel vous serez évidemment critiqués, ce sont les retraites. Vous annoncez effectivement une garantie de la retraite par répartition, mais c'est quand même le grand thème sur lequel on n'a pas beaucoup avancé ces derniers temps ?
- "On a avancé tout de même. On a créé un fonds qui a été doté, pour que les retraites soient financées. Il y a eu des excédents de la Sécurité sociale, pour la première fois depuis une quinzaine d'années. Donc, nous avons respecté, là aussi, les grandes données de la retraite, notamment par répartition. Nous n'avons pas créé - c'est vrai, et je le revendique - la retraite par capitalisation, même si nous avons fait l'épargne salariale."
Vous n'avez pas non plus réglé le problème, parce qu'on sait qu'en 2009, ce sera totalement déficitaire ?
- "Dans l'élection de 2002, chacun viendra avec ses propositions. D'où il nous semble possible de garantir le régime par répartition."
Vous voulez dire que vous avez fait exprès d'en garder un peu sous le pied, pour avoir des réformes à l'avenir ?
- "Il ne s'agissait pas de tout régler, même s'il y a encore beaucoup de problèmes, et même si, là-dessus, ce sera un grand enjeu : comment assure-t-on la retraite des Français ? En prônant plus d'impôts ? En prônant une baisse des pensions ? En faisant en sorte que nous puissions trouver d'autres ressources ? Je pense qu'on peut retrouver d'autres ressources, qu'on peut aussi organiser le temps de travail différemment sur la vie."
Est-ce que la gauche plurielle va se retrouver au deuxième tour ? On voit Chevènement qui part très bien, les Verts qui vous font de nouvelles demandes en matière d'investitures pour les législatives. Cela ne va pas être un peu cacophonique ?
- "Nous sommes dans une pré-campagne, où chacun part avec son drapeau, c'est normal. Mais nous avons le même oriflamme, celui de continuer à gouverner le pays, à faire en sorte que la justice sociale progresse et à faire en sorte que des domaines essentiels, comme celui de la sécurité de l'emploi, constituent les vraies priorités. Après, chacun fera selon ses responsabilités. Mais je n'ai pas de doute. J.-P. Chevènement a été dix ans ministre à gauche. Je ne le vois pas - finir au deuxième tour, je ne crois pas que ce soit la plus grande probabilité - faire élire un président de droite. Cela me paraît difficile à imaginer. Quant aux Verts, ils sont dans la majorité plurielle. S'ils sont venus au Gouvernement, ce n'est pas pour en partir."
A droite, justement, le RPR parle de "dépôt de bilan", un jeu de mots, sur votre bilan...
-"J'aimerais bien que le RPR présente le bilan de J. Chirac. Après sept ans, ce serait normal. Est-ce que cela pourrait faire un magazine de 45 pages, avec beaucoup de photos ? Je le pense."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 22 novembre 2001)