Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, à "France 2" le 1er juin 2017, sur la réforme fiscale à venir, la hausse de la CSG, et la nécessité de maintenir l'objectif des 3e déficit public.

Prononcé le 1er juin 2017

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Texte intégral

CAROLINE ROUX
Alors, Gérald DARMANIN, il était directeur de campagne de Nicolas SARKOZY, il est aujourd'hui ministre des Comptes publics. Et depuis ce matin, il a sur son bureau un rapport, celui de la Cour des comptes.
CAROLINE ROUX
Bonjour Gérald DARMANIN.
GÉRALD DARMANIN
Bonjour.
CAROLINE ROUX
Alors c'est vrai que vous avez sur votre bureau le rapport de la Cour des comptes, qui tacle clairement le bilan du précédent gouvernement en matière de finances publiques. Les ministres précédents avaient promis de laisser une maison impeccable, visiblement, ce n'est pas le cas ?
GERALD DARMANIN
En tout cas, la Cour dit que pour le budget 2016, il y a un certain nombre de difficultés que nous imaginions dans la campagne électorale, quels que soient d'ailleurs les bords politiques, et surtout, le président de la République a demandé au président de la Cour de faire un rapport pour 2017, pour le budget de cette année et qui sera rendu au 1er juillet au Premier ministre ; c'est sans doute le rapport le plus important ; parce qu'il va conditionner évidemment cette année et puis le quinquennat.
CAROLINE ROUX
Vous apprenez apprenait quand même deux, trois choses dans le rapport de la Cour des comptes, tel qu'il est présenté aujourd'hui. Je sais bien que vous avez commandé un audit, et que vous attendez pour début juillet, mais il y a déjà des éléments qui sont donnés, avec des dépenses engagées qu'il va falloir assumer. Est-ce que l'objectif d'un retour sur la barre des 3 %, avec ce que vous avez découvert-là, va être compliqué ?
GERALD DARMANIN
Eh bien, c'est toujours compliqué de tenir des engagements budgétaires difficiles, parce que depuis 2008, la France est au-dessus de ces 3 %, et depuis 1974, la France n'a pas un budget en équilibre, donc si c'était facile, je pense que d'autres l'auraient fait. Ce qui est sûr, c'est que nous allons tenir nos engagements européens, et nous allons nous battre pour que, effectivement, nous puissions sortir de la procédure de déficit excessif, et avoir, vis-à-vis des Européens…
CAROLINE ROUX
Pardonnez-moi, je vous coupe, parce que c'est important ce que vous êtes en train de dire, quels que soient les résultats, encore une fois du rapport de la Cour des comptes, quel que soit l'état des finances publiques, vous tiendrez l'objectif de retour sur la barre des 3 % ? C'est ça que vous nous dites ce matin ?
GERALD DARMANIN
Il faut évidemment tenir la barre sur les 3 %, parce que les partenaires européens, ça fait deux fois qu'ils nous demandent déjà de décaler cette date, et il faut qu'on soit crédible vis-à-vis de notre dette, vis-à-vis des autres partenaires, vis-à-vis du monde économique, le président de la République souhaite que nous tenions nos engagements européens, et nous les tiendrons. Depuis 2008, nous n'avons pas réussi à les tenir, il y a eu la crise, c'est vrai. Mais nous devons les tenir. Ce qui est vrai, c'est que nous allons attendre le rapport de la Cour pour 2017. Au 1er juillet, on aura exactement l'état de l'art, et c'est un juge indépendant que Didier MIGAUD, et nous verrons ce qu'il nous rendra.
CAROLINE ROUX
Y a-t-il eu à votre avis, de ce que vous avez découvert, encore une fois, un tour de passe-passe dans la présentation des comptes publics par l'équipe précédente ?
GERALD DARMANIN
On verra ce que dira la Cour des comptes, en tout cas, ce qui est sûr…
CAROLINE ROUX
Non, mais là, vous le savez, là, c'est la Cour des comptes, ce n'est pas une succursale de la Cour des comptes qui fait ce rapport-là…
GERALD DARMANIN
Non, là, aujourd'hui, la Cour des comptes, elle a certifié les comptes 2016. Voilà, donc c'est cette année budgétaire est passée, c'est riche d'enseignements. Ce qui est sûr, c'est qu'aujourd'hui…
CAROLINE ROUX
Lesquels vous avez retenus ?
GERALD DARMANIN
Eh bien, ce qui est sûr, c'est qu'il faut faire des dépenses réelles, il faut effectivement considérer que lorsqu'on fait une politique, on budgétise quelque chose qui correspond exactement à ce que vont dépenser les ministres, et pas simplement faire un budget qui est dépassé dans son exécution, c'est-à-dire aussi que le Parlement doit faire son travail de contrôle de l'action de chacun des ministères, et que les ministres doivent être patrons de leur administration et considérer que l'argent public, c'est bien l'argent de tout le monde, ce n'est pas l'argent de personne. Ce qui est certain, c'est qu'il n'y aura pas de collectif budgétaire cet été, c'est-à-dire qu'il n'y aura pas d'impôts nouveaux pour les Français, il peut y avoir effectivement un changement structurel dans les économies de notre pays, c'est-à-dire que le ministre des Comptes publics va faire des propositions au Premier ministre, mais il n'y aura pas d'augmentation d'impôts parce qu'il y aurait des mauvaises nouvelles au 1er juillet.
CAROLINE ROUX
Bon, c'est compliqué comme exercice de se retrouver dans la position qui est la vôtre aujourd'hui, vous êtes obligé d'assumer, de présenter une forme de tolérance vis-à-vis de l'exercice comptable de la précédente équipe…
GERALD DARMANIN
Non, j'essaie d'être…
CAROLINE ROUX
C‘est compliqué comme exercice, on imagine le Gérald DARMANIN d'il y a encore un mois, vous auriez été beaucoup plus sévère sur la façon dont les comptes publics ont été gérés pendant ce quinquennat ?
CAROLINE ROUX
Non, il y a une différence entre faire campagne électorale, parfois, faire assaut de démagogie, ce qu'on fait malheureusement un peu tous en campagne, être en responsabilité et être ministre de la République. Ça, c'est sûr qu'il y a une différence. Par ailleurs, moi, je ne me sens pas lié comme le gouvernement, comme le président de la République, par la gestion précédente, il y a une alternance politique. Emmanuel MACRON, il incarne une alternance politique, Edouard PHILIPPE, il incarne une alternance politique, donc ça veut dire qu'il ne faut pas faire trop de démagogie avec le budget de l'Etat, c'est tout ça est très sérieux, et en même temps, il ne faut pas fermer les yeux sur la gestion passée. Attendons le rapport de la Cour.
CAROLINE ROUX
Dans ce que vous avez vu – c'est ma dernière question sur ce sujet-là – dans ce que vous avez vu sur ce rapport de la Cour des comptes, là, sur l'exercice 2016, est-ce que vous diriez qu'il y a une forme d'insincérité dans la présentation des comptes ?
GERALD DARMANIN
L'insincérité, c'est un mot très dur, très difficile, il n'a pas été utilisé par le premier magistrat, on verra bien si au premier…
CAROLINE ROUX
Vous utilisez quoi comme mot, vous ?
GERALD DARMANIN
Eh bien, on verra pour 2017, ce qui est sûr, c'est que…
CAROLINE ROUX
Mais pour 2016, c'est la question…
GERALD DARMANIN
… Manifestement, un budget très difficile à tenir, et entre les annonces du budget et l'exécution, il y a eu manifestement un décalage, il ne faut pas qu'il y ait de décalage, parce que ce décalage, ça détruit la parole publique et ça détruit la parole de la France vis-à-vis de nos partenaires européens.
CAROLINE ROUX
Gérald DARMANIN, est-ce que vous considérez qu'un retraité est riche à partir de 1.200 euros ?
GERALD DARMANIN
Non, je ne considère pas qu'un retraité soit riche à 1.200 euros…
CAROLINE ROUX
Alors, pourquoi augmenter la CSG pour les retraités aisés à partir de 1.200 euros ?
GERALD DARMANIN
Je comprends que cette question soit posée ainsi, mais vous auriez pu dire aussi : pourquoi on supprime la taxe d'habitation pour la plupart de ces retraités ? Il y a plus de la moitié des retraités qui ne sont pas concernés par la hausse de cette CSG. J'entends des dirigeants des Républicains dire : c'est injuste, je rappelle qu'ils ont défendu un projet que moi : j'ai combattu dans ma famille politique : qui était celui de François FILLON, qui a augmentait de 2 points la TVA pour absolument tout le monde. Ce qui est sûr, c'est que, il y aura suppression de la taxe d'habitation et il y aura pour les travailleurs, une augmentation de pouvoir d'achat, pour les retraités, plus de la moitié ne sont pas concernés. Et il y a une augmentation de 1,7…
CAROLINE ROUX
Ça fait combien de retraités concernés par l'augmentation ?
GERALD DARMANIN
A peu près la moitié.
CAROLINE ROUX
Ça fait combien la moitié des retraités ?
GERALD DARMANIN
A peu près la moitié…
CAROLINE ROUX
Ça fait combien de retraités ?
GERALD DARMANIN
Ce qui est sûr, on n'est pas dans… dès le matin, vous savez, une interrogation écrite, ce n'est pas facile.
CAROLINE ROUX
Ah, ce n'est pas du tout ça ! C'est que je pense que les gens qui vous regardent ont envie de savoir. C'est quoi, c'est quatre millions de retraités ?
GÉRALD DARMANIN
Non, mais, ce qui est sûr aujourd'hui, c'est que le président de la République et le Premier ministre, à l'occasion des prochains arbitrages budgétaires qui vont être faits, vont pouvoir dire exactement quelle est la réforme fiscale dans son ensemble.
CAROLINE ROUX
Le seuil de 1.200 euros, qui est effectivement un argument de campagne des Républicains, pourrait-il être bougé, modifié, est-ce que le taux sera un taux unique de 1,7 % de hausse de CSG, de manière uniforme ? Est-ce que, en tout cas, sur la question de ce seuil, il peut y avoir des ajustements ?
GERALD DARMANIN
Alors, d'abord, il n'y a pas un taux unique de CSG. La CSG, c'est un bon impôt, et où il n'y a pas de niches, il est proportionnel. Il y a plusieurs taux déjà pour les retraités, ce qui est certain, c'est qu'il y a une réforme fiscale dans son ensemble, le gouvernement va proposer cette réforme. Il y a le projet de loi sur la moralisation de la vie politique, il y a le projet de loi sur le retour de la confiance dans les institutions, il y a effectivement la volonté de faire le droit à l'erreur, et il y aura la réforme fiscale dans son ensemble, la baisse de l'impôt sur les sociétés, la baisse des charges, les heures supplémentaires défiscalisées, la baisse de la taxe d'habitation et sa suppression pour une grande partie d'entre eux, et une augmentation de la CSG qui va avec la baisse de cotisations. La réforme fiscale, c'est l'ensemble, sinon, si on ne prenait que des mesures catégorielles, Madame ROUX, on risque de faire comme le gouvernement précédent, c'est-à-dire des coups de communication, et finalement, un budget qui paraît compliqué pour les successeurs.
CAROLINE ROUX
Ce que j'entends, c'est que le seuil des 1.200 euros bruts n'est pas gravé dans le marbre.
GERALD DARMANIN
Mais, le président de la République a toujours dit qu'il protégerait les plus faibles, les plus modestes.
CAROLINE ROUX
D'accord. Si vous étiez à la place de Richard FERRAND, est-ce que vous démissionneriez pour faciliter la campagne des futurs peut-être députés En Marche et du président de la République ?
GERALD DARMANIN
Moi, je ne suis pas à la place de Richard FERRAND, ce qui est sûr, c'est que, aujourd'hui, le Premier ministre a mis une règle claire : si on est mis en examen, si on est battu par les électeurs, on s'en va du gouvernement, je m'appliquerai ces deux règles claires.
CAROLINE ROUX
Que dites-vous à ceux qui, comme Dany COHN-BENDIT ou Jean-Louis BOURLANGES, expliquent qu'il faut qu'il parte, qu'il faut qu'il parte, parce que ça gêne la mise en place de la politique du gouvernement, ça fait un focus sur cette affaire, alors même que, une loi de moralisation de la vie publique est attendue pour la semaine prochaine ; qu'est-ce que vous leur dites à eux ? Ils manquent de solidarité ?
GERALD DARMANIN
Non, je crois que, eh bien, d'abord, ils ne sont pas membres du gouvernement…
CAROLINE ROUX
Non, ils sont soutiens d'En Marche quand même, enfin…
GERALD DARMANIN
Non, mais ça, je pense qu'il faut d'abord être solidaire d'un homme qui vit des moments difficiles, je considère d'ailleurs que les arguments qui valaient pour François FILLON – c'est-à-dire la présomption d'innocence ou la manipulation politique – aujourd'hui ont disparu du vocabulaire des Républicains, ce qui est un peu dommage, il ne faut pas avoir deux poids, deux mesures, et par ailleurs, je crois que, aujourd'hui, le Premier ministre a mis des règles claires : si on est battu par les électeurs, Richard FERRAND va devant les électeurs, moi, je souhaite qu'il soit élu, si, par ailleurs, il y a une mise en examen, on part ; ces règles claires, ça évite le règne du soupçon et ça permet en effet d'avoir des changements de comportement par rapport à ce qui se passait avant.
CAROLINE ROUX
Bruno LE MAIRE a expliqué à son arrivée à Bercy que c'était le plus beau moment de sa vie politique. Et vous ?
GERALD DARMANIN
Non, moi, le plus beau moment de ma vie politique, c'était d'être maire de ma commune.
CAROLINE ROUX
C'est dit. Merci beaucoup Gérald DARMANIN.
CAROLINE ROUX
C'est à vous, William !
WILLIAM LEYMERGIE
Et de venir aux « 4 V » face à vous Caroline !
CAROLINE ROUX
Ah oui, ça aussi !
GERALD DARMANIN
C'était la première fois, c'est vrai.
WILLIAM LEYMERGIE
Deuxième grand moment de sa vie politique. Merci beaucoup Monsieur le Ministre.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 juin 2017