Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur la place de la langue française et l'utilisation du français "langue de la République", Paris le 8 mars 1994.

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Circonstance : Installation du Conseil supérieur de la langue française

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Messieurs les Secrétaires perpétuels,
Mesdames et Messieurs,
Un lien étroit a toujours existé entre l'Etat et la langue française. L'ordonnance de Villers Cotterêts fut une étape essentielle dans l'histoire de notre pays : elle annonçait l'unification de la justice et de l'administration, prémices de l'unité nationale et de l'égalité devant le droit. Un siècle plus tard, la création de l'Académie française, en 1635, entérinait la volonté du pouvoir royal de donner au français et aux règles de son usage le gardien qu'il leur fallait.
Les textes de l'an II ont confirmé la place du français dans la Nation. Sous la IIIe République, l'école à contribué de manière décisive à asseoir, sur l'ensemble du territoire, la pérennité de la langue française.
Mais depuis la deuxième guerre mondiale, l'influence de l'anglais n'a cessé de s'accroître : notre culture et notre langue à la fois en subissent les effets.
Un nouvel effort, inspiré par l'Etat, s'imposait pour endiguer cette évolution.
Le premier à l'avoir compris fut Georges Pompidou qui fit preuve, là encore, d'une grande clairvoyance. En 1966 était institué le Haut comité pour la défense et l'expansion de la langue française. En 1972 étaient créées les commissions ministérielles de terminologie, chargées d'établir, chacune pour un secteur déterminé, un inventaire des lacunes du français et de proposer les termes nécessaires pour désigner dans notre langue des réalités nouvelles.
Sous l'autorité de l'Académie française, ces commissions ont utilement enrichi notre vocabulaire dans les domaines les plus touchés par le progrès scientifique et technique. Nous leur devons des mots entrés aujourd'hui dans le langage courant comme : logiciel, disquette, baladeur, caméscope, gazole ou conteneur.
C'est dans le même esprit que fut votée la loi du 31 décembre 1975 relative à l'emploi de la langue française. Après en avoir fait le bilan le Gouvernement, sur la proposition de M. Jacques TOUBON, Ministre de la Culture et de la Francophonie, a décidé de la modifier.
Un projet de loi sera examiné au cours de la prochaine session parlementaire. L'Académie Française et le Vice-Président du Conseil Supérieur de la Langue Française ont été associés à toutes les phases de son élaboration.
Il faut se garder de voir dans ce projet une quelconque prétention du Gouvernement et du législateur à régir la langue française. Dans ce domaine, seul l'usage est souverain, et c'est à l'Académie Française, et à elle seule, qu'il revient de "donner à la langue des règles certaines".
Ce projet de loi ne remettra pas en cause la place des langues régionales, qui sont une des richesses de la France, et qui doivent être préservées. Il ira de pair avec l'ouverture de notre pays aux langues et aux cultures étrangères.
Il renforcera les dispositions de la loi du 31 décembre 1975 relatives à l'utilisation du français et donnera aux consommateurs, aux salariés et au public l'assurance de pouvoir comprendre l'information qui leur est destinée.
Le français ne pourra plus être exclu des colloques organisés sur notre sol.
Le respect de la langue française deviendra une obligation pour l'ensemble des organismes de radio et de télévision.
Les associations ayant pour objet la défense de la langue française pourront se constituer partie civile en cas d'infraction à la loi.
Mais, dans ce domaine, la responsabilité de l'Etat est d'abord de donner l'exemple : l'administration, les services publics, les agents et les représentants de l'Etat doivent respecter scrupuleusement la règle constitutionnelle, suivant laquelle "la langue de la République est le français". Je signerai prochainement une instruction générale sur l'emploi du français. Destinée à tous les fonctionnaires, elle veillera particulièrement à l'usage de la langue française dans les relations internationales.
Le Conseil supérieur dont vous avez été nommés membres est l'héritier direct du Haut Comité pour la défense et l'expansion de la langue française créé en 1966.
Le décret du 2 juin 1989 lui donne pour mission d'étudier, dans le cadre des grandes orientations définies par le Président de la République et par le Gouvernement, les questions relatives à l'usage, à l'enrichissement, à la promotion et à la diffusion de la langue française en France et hors de France et à la politique à l'égard des langues étrangères.
En vous nommant j'ai souhaité réunir des personnalités venues d'horizons très divers : la langue française n'est pas seulement l'objet des linguistes, elle est aussi la langue de tous.
Vous conduirez cette mission de réflexion sous la direction de votre vice-président, M. Bernard Quemada. J'ai tenu à reconduire son mandat car il a mené à bien la plus importante des réalisations lexicographiques jusqu'ici entreprises, le Trésor de la langue française.
Vous vous appuierez sur votre bras séculier : la Délégation générale à la langue française. Elle est chargée de coordonner l'ensemble des actions de l'administration en faveur de la langue française.
Une langue ne peut conserver sa capacité d'attraction que si elle est "capable de traiter ... des sciences" pour reprendre les termes des statuts de l'Académie française.
C'est pourquoi je souhaite que vous orientiez de manière prioritaire vos travaux dans les directions suivantes :
- l'utilisation du français dans les revues scientifiques et les moyens de remédier à la disparition inquiétante de notre langue dans les publications de recherches;
- les actions permettant au français d'être aussi la langue des nouvelles technologies de la communication, c'est le thème des "industries de la langue" dont M. DANZIN nous parlera tout à l'heure.
Comme vous le savez le français conserve dans le monde une place essentielle. Il demeure la deuxième langue internationale. Vous réfléchirez donc également aux moyens susceptibles de consolider la place de notre langue, et plus particulièrement, en liaison avec M. le Ministre de l'Education nationale, aux moyens de promouvoir l'enseignement dans les autres pays européens d'une seconde langue étrangère. En liaison avec M. le Ministre des Affaires européennes, vous évaluerez les conséquences de l'élargissement prochain de l'Union européenne sur l'utilisation du français dans les institutions communautaires, et proposerez les mesures appropriés.
Naturellement, il vous appartiendra également, à votre propre initiative, de suggérer au Gouvernement les actions qui vous paraîtront opportunes. L'usage et la pratique de la langue dans l'enseignement, dans les médias écrits et audiovisuels, susciteront sûrement des réflexions de votre part.
Si, pour le Gouvernement que je dirige, la sauvegarde de la langue française est une priorité politique, c'est parce qu'elle ne se réduit pas seulement à la défense de notre identité, à la protection de notre héritage culturel, et au respect d'une règle constitutionnelle.
Comme l'écrivait Georges POMPIDOU, "c'est à travers notre langue que nous existons dans le monde autrement que comme un pays parmi d'autres".
Par delà les frontières de la France, il y a une communauté francophone, celle des Etats que le français unit. Un Etat sur quatre dans le monde adhère librement à cette communauté.
Celle-ci se renforce, comme l'a démontré la Vème Conférence des pays ayant le français en partage.
Au-delà de la communauté francophone, la coopération culturelle, scientifique et technique est une dimension essentielle de la politique étrangère de la France et même la marque de sa singularité.
Rares sont les pays qui conduisent une véritable "diplomatie culturelle" et se sont dotés des moyens de le faire. La France figure au premier rang d'entre eux par l'ancienneté et la densité de son réseau culturel international.
Cette cause, celle du français, n'est pas celle du repli sur soi, ni celle du protectionnisme : notre langue demeure la langue de la liberté et de l'universalité.
Face à la puissance des industries étrangères des médias et des programmes, ce combat est aussi un combat en faveur de la diversité et du pluralisme culturel, en faveur de la capacité de chaque peuple à préserver son identité, comme l'ont montré les récentes négociations de l'accord général sur les tarifs et le commerce au terme desquelles la France est parvenue à faire admettre la thèse de l' "exception culturelle", grâce au soutien croissant des Etats de l'Union européenne et à celui, résolu, des Etats de la communauté francophone.
Mesdames, Messieurs, donner à la politique de la langue un nouvel essor est un acte de confiance dans l'avenir de notre pays, dans sa capacité à s'affirmer comme un exemple aux yeux du reste du monde, et aussi à se rassembler autour de ce qui est la marque de son génie.
C'est à ce nouvel essor que je vous invite à participer.