Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Chers camarades, mes chers amis,
C'est un grand plaisir pour moi de m'adresser à vous aujourd'hui, en tant que ministre français des Affaires européennes, en tant que socialiste, et aussi en tant qu'ancien député européen. Je remercie d'ailleurs très sincèrement le président Baron de son invitation, qui me permet, trois ans après, de revenir devant le groupe qui m'est cher.
Dans quelques semaines, la France va assurer la présidence de l'Union. Nous le savons tous, une présidence est un moment de la vie européenne, qui s'inscrit dans une continuité - c'est l'occasion pour moi de saluer le remarquable travail qui est accompli par nos amis portugais - mais c'est aussi l'opportunité d'inspirer des évolutions.
C'est bien ainsi que les autorités françaises, que le gouvernement de Lionel Jospin entendent aborder ce moment, avec ce que j'appellerai une ambition pragmatique.
Je sais que notre présidence suscite des attentes, y compris dans ce Parlement. C'est donc bien volontiers que je suis venu vous présenter nos orientations pour le second semestre, alors même qu'il sera essentiel pour nous de travailler en étroite symbiose avec votre Institution, de même, bien sûr, qu'avec la Commission européenne. Je viendrai d'ailleurs régulièrement rendre compte devant vos Commissions de l'état d'avancement de nos actions. J'y reviendrai plus longuement tout à l'heure.
J'ajoute que j'attacherai personnellement la plus grande attention à ce qu'un dialogue particulier soit maintenu avec votre groupe, car nous aurons ainsi de plus grandes chances de faire avancer la vision progressiste de l'Europe qui est la nôtre. Vous connaissez le contexte institutionnel français ; il est ce qu'il est ; mais cela ne nous empêchera ni de travailler ensemble, ni de proposer à nos partenaires ainsi qu'à vous-mêmes les évolutions que le gouvernement français juge souhaitables !
Chers camarades,
Je voudrais tout d'abord vous dire un mot sur le contexte politique et institutionnel bien particulier en Europe dans lequel notre présidence va s'inscrire. Cinquante ans et un jour après la déclaration Schuman, l'Europe apparaît à un grand nombre de nos concitoyens, et d'entre vous sûrement, comme connaissant un palier.
De grandes réalisations ont été accomplies, de l'achèvement du marché intérieur à l'euro, en passant par les progrès économiques et sociaux résultant de la mise en oeuvre des politiques communautaires. Après plus de vingt années de crise, la croissance est enfin de retour - et je me dois d'ajouter que les politiques conduites par les gouvernements socialistes et sociaux-démocrates y ont pris toute leur part. Même l'Europe de la politique étrangère, de sécurité commune et de la défense, que certaines divergences largement artificielles ont trop longtemps entravée, a accompli des progrès décisifs depuis deux ans.
Pourtant, en dépit de ce contexte flatteur, l'Europe s'interroge, car il est exact que les Européens ne perçoivent pas encore la réalité politique de l'Europe. Les explications à ce scepticisme européen sont d'ailleurs multiples et vous les connaissez.
Il y a tout d'abord, paradoxalement, la rançon du succès de la méthode engagée précisément par Jean Monnet et Robert Schuman voici cinquante ans. La volonté d'avancer pas à pas, par des réalisations concrètes, vers les "solidarités de fait" que la déclaration Schuman appelait de ses vux, a eu l'inconvénient de donner parfois le sentiment d'avancer à court terme, sans idée précise de l'objectif à atteindre.
De plus, l'entrée en vigueur de l'euro a semblé clore une grande étape économique, engagée avec le charbon et l'acier, nous plaçant face à une forme d'interrogation existentielle : et maintenant, quelle Europe voulons-nous, pour quoi faire ?
Je n'insiste pas sur deux autres éléments, qui ajoutent à cet état d'esprit : le premier, nous ne devons pas nous en cacher, c'est une certaine usure du système institutionnel communautaire ; le second, c'est la crise de la Commission, qui, l'an dernier, a montré l'émergence d'un nouvel équilibre des pouvoirs, mais aussi ce que Romano Prodi, ici même, a appelé, le besoin d'une "gouvernance" européenne.
Or, ce besoin de gouvernance devient crucial face à l'échéance historique de l'élargissement de l'Europe. La France, vous le savez, est totalement engagée dans cette perspective de réunification du continent : l'adhésion de "l'autre Europe" parachèvera le rêve des Pères fondateurs, celui d'une Europe unie, pacifiée et démocratique. Mais, au-delà, l'élargissement nous contraint à aborder de front, sans plus de faux-fuyant, les questions essentielles sur le fonctionnement et la raison d'être de la construction européenne.
Bien sûr, nous n'avons pas la prétention - il paraît que c'est un défaut parfois reproché aux Français - de tracer, en six mois, l'ensemble des perspectives de l'Europe des prochaines décennies. Mais nous souhaitons, pour le moins, contribuer à tracer quelques orientations, autour des valeurs et des principes qui nous sont chers, du modèle politique et culturel qui fonde notre identité.
Chers camarades,
Voilà donc ce que sera le contexte politique de notre présidence et son ambition. Il me faut, à présent, vous dire, dans leurs grandes lignes, ce que seront les deux grands axes prioritaires que nous entendons promouvoir.
I. Le premier axe portera sur la consolidation de l'Europe des citoyens, une Europe qui retrouve à leurs yeux un sens politique. Nous voulons donc à la fois réaffirmer les valeurs communes qui fondent l'Europe, et nous efforcer de répondre concrètement aux attentes de nos concitoyens.
Nous devons donc, d'abord, préserver l'unité de l'ambition commune. Et cela passe, avant tout, par la réaffirmation des principes essentiels sur lesquels se fonde le projet européen.
C'est dans cet esprit que nous entendons faire aboutir le projet de Charte des droits fondamentaux pour lequel, comme vous, nous souhaitons une ambition forte dans le domaine des droits économiques et sociaux. Je forme le vu, qu'à côté des Parlementaires, qui sont majoritaires et activement mobilisés dans la "Convention", la majorité de gouvernements socialistes et social-démocrates manifestera la même détermination.
C'est dans le même esprit que nous aborderons la question des relations avec le gouvernement autrichien. Nous maintiendrons donc la politique de sanctions qui a été définie, à Quatorze, sous l'égide de la présidence portugaise, et vous pouvez compter sur nous pour ne témoigner d'aucune complaisance à l'égard de ce gouvernement. Il en va de la cohérence de notre message politique comme de notre vision de l'Europe.
Notre volonté sera ensuite de montrer que l'Europe constitue aussi un échelon de décision pertinent pour aller à la rencontre des besoins concrets des Européens. Cette volonté, nous entendons la traduire en actes, naturellement en étroite collaboration avec le Parlement, co-législateur de l'Union.
Le premier champ dans lequel doit porter cet effort, et qui est pour nous tous, socialistes et sociaux-démocrates, une ardente obligation, est bien sûr l'emploi et le domaine social, que le gouvernement français a mis au cur de son action depuis 1997, et qu'il a contribué à placer au centre de l'action européenne : vous avez à l'esprit les étapes d'Amsterdam, de Luxembourg, de Cardiff, et de Cologne.
Et c'est avec la même persévérance que nous travaillons aujourd'hui, avec les Portugais - je tiens à cette occasion à saluer le travail en tous points remarquable effectué par le gouvernement de notre ami Antonio Guterres.
La conjugaison de ces efforts nous a permis de parvenir, lors du Conseil européen de Lisbonne, à la définition d'un objectif stratégique, qui fait écho à celui que le gouvernement français s'est fixé pour lui-même : la reconquête du plein emploi à l'horizon de la décennie, et, pour y parvenir, la volonté de consolider en Europe une croissance à hauteur de 3% en moyenne dans les années à venir. Qui, il y a quelques mois encore, aurait parié que nous pourrions afficher une telle ambition ?
Nous avons donc l'occasion de confirmer, lors de notre présidence, notre conviction que la modernisation économique en Europe est inséparable du renforcement du modèle social européen, qui est la base même de notre engagement à tous. C'est donc dans cet esprit que nous allons travailler, après les avoir largement sollicitées, à la mise en oeuvre des propositions très concrètes qui ont été adoptées à Lisbonne.
Notre première priorité sera l'adoption d'un "agenda social". Le programme de travail, à l'horizon de 5 ans, que nous définirons en commun avec la Commission européenne et tous les acteurs concernés - les gouvernements, le Parlement européen, bien entendu, notamment à travers sa Commission de l'Emploi et des Affaires sociales, dont je salue le président et les membres ici présents, les partenaires sociaux, les milieux associatifs - devra traduire en un programme de mesures concrètes notre volonté de renforcer la cohésion sociale en Europe.
Vous pouvez compter sur notre détermination pour que, avec votre soutien, son contenu soit le plus ambitieux possible, et qu'il contribue à renforcer l'ensemble des composantes du modèle social européen : une protection élevée, un droit adapté aux évolutions de l'organisation du travail, une politique de l'emploi qui tienne compte des mutations de l'appareil industriel, la lutte contre toutes les formes de discrimination, et la mise en place d'une véritable politique de lutte contre l'exclusion.
Nous privilégierons aussi l'accès de tous à la société de l'information. A cet égard, il nous faudra viser surtout à exploiter, sans faire de nouveaux exclus, les gisements d'emplois offerts les services issus de l'Internet et à préciser le cadre européen, juridique et fiscal, du commerce électronique.
Enfin, une autre dimension majeure, pour nous, sera le lancement d'un véritable espace européen de la connaissance et de la recherche, sous la forme d'un programme de travail qui permettra de lever, dans un délai rapproché, les obstacles qui s'opposent encore à la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs à travers le continent.
Mais, plus encore, cette présidence doit être mise à profit pour apporter la preuve que l'Europe constitue aussi le niveau de décision adéquat pour résoudre d'autres types de préoccupations concrètes, que je qualifierai de "citoyennes", et dont certaines s'inspirent naturellement de l'actualité la plus récente :
- D'abord, le renforcement de l'Euro-11, qui est potentiellement l'un des principaux instruments de la "gouvernance européenne" que j'évoquais, et qui est, en cela, une des réponses les plus fortes que nous devons apporter à la baisse de l'euro. Par ailleurs, si l'échéance du 1er janvier 2002 est encore éloignée, il nous semble nécessaire de mettre en place un échange plus étroit d'informations, ainsi qu'une meilleure coordination entre les Etats membres sur la préparation au grand basculement, qui sera un événement concret d'une importance majeure pour les citoyens des onze participants à la monnaie unique.
- Ensuite, bien sûr, la santé et la protection des consommateurs : c'est en ayant à l'esprit les conséquences du dossier de la "vache folle" que nous nous donnons pour objectif de jeter les bases d'une "autorité alimentaire européenne indépendante", telle que la Commission l'a préconisée dans son Livre blanc sur la sécurité des aliments.
A cet égard, je dois vous avouer notre préoccupation de voir que le Parlement européen pourrait n'adopter sa position, en première lecture, qu'en octobre, voire en novembre, ce qui retarderait d'autant les travaux du Conseil sous notre présidence.
- Ensuite, la sécurité dans les transports, à laquelle nous a rendu plus sensible encore le naufrage du navire Erika : nous souhaitons que notre présidence soit l'occasion de réfléchir à l'adoption d'un ensemble cohérent et concret de mesures sur l'amélioration de la sécurité du transport maritime. Mais nous souhaitons faire aussi des progrès dans l'harmonisation du temps de travail dans les transports routiers.
- La maîtrise de l'asile et l'immigration justifie une action d'envergure européenne. Nous engagerons la mise en oeuvre des orientations décidées à Tampere, sur la délivrance des titres de séjour de longue durée, sur une plus grande harmonisation des conditions d'accueil, et sur le renforcement de la lutte contre l'immigration irrégulière.
- En ce qui concerne la réalisation d'un espace judiciaire européen, la multiplication de situations, souvent dramatiques, concernant par exemple les enfants de couples binationaux divorcés, doit se traduire par l'adoption de mesures visant notamment la reconnaissance mutuelle des jugements et des décisions judiciaires.
- Enfin, il semble utile que le second semestre, qui sera riche, dans le domaine du sport - je pense en particulier à l'Euro 2000 ou au Tour de France - soit l'occasion de renforcer l'efficacité de l'action européenne contre le dopage, et de traiter des rapports du sport avec le droit communautaire. J'ai d'ailleurs constaté que votre groupe, par la voix de votre président, nous avait apporté son soutien, et je voulais très sincèrement l'en remercier.
Chers camarades,
Toutes ces orientations seront de nature à renforcer la crédibilité de l'action européenne auprès de nos concitoyens, de faire naître une confiance nouvelle à l'égard de l'Europe. Mais il est évident que ces évolutions ne seront possibles que si nous parvenons à faire évoluer les structures et le fonctionnement politique de l'Union, dans la perspective de l'élargissement que j'ai évoquée plus tôt.
II. Le deuxième axe prioritaire de notre action, ce sera donc, bien sûr, de faire un pas décisif dans la marche vers la grande Europe politique de demain.
Ceci me conduit à évoquer, tout naturellement, la réforme, l'indispensable réforme des institutions de l'Union que, dès la signature du Traité d'Amsterdam, le gouvernement français, avec l'Italie et la Belgique, avait appelé de ses vux.
Notre volonté est double : réussir une bonne réforme, pour éviter qu'un échec ne retarde l'élargissement. A cet égard, je crois que les polémiques sur le périmètre de cette réforme, et les débats qui ont pu avoir lieu, ici ou là, sur son manque d'ambition sont maintenant un peu derrière nous. C'est heureux : chacun s'est rallié à l'idée que regarder plus loin, avoir à l'esprit le fonctionnement d'une Union élargie à une trentaine de membres, ne doit pas conduire à bâcler les réformes que nous devons faire aujourd'hui.
Vous savez tous que nous devons régler en premier lieu les trois questions centrales non réglées à Amsterdam : rendre à la Commission une taille et une organisation susceptibles de lui permettre d'exercer effectivement, dans une Union élargie, son rôle, irremplaçable, d'impulsion ; généraliser à quelques exceptions près, le champ du vote à la majorité qualifiée, pour éviter la paralysie ; rendre enfin plus fidèle aux réalités le poids relatif de chaque Etat membre dans les décisions prises par le Conseil de l'Union.
Il nous reviendra de tenter de conduire à son terme la négociation engagée au début de l'année sous les auspices de la présidence portugaise, après quoi le Parlement européen et les Parlements nationaux en seront saisis. J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt le débat sur la CIG au sein de votre assemblée, et je connais bien les positions que vous avez adoptées en mars dernier. Je constate que sur les questions qui sont à l'ordre du jour de la CIG, nos positions vont maintenant assez largement dans le même sens. Pour le reste, je comprends le souhait de votre assemblée d'être partie prenante des piliers intergouvernementaux et de renforcer son rôle dans certains domaines communautaires. Prenons garde cependant à ne pas trop toucher aux équilibres actuels !
Ces réformes sont strictement indispensables au fonctionnement de l'Union, je l'ai dit, mais nous savons aussi qu'elles ne seront pas suffisantes.
Tout d'abord parce que d'autres mesures, également très importantes mais qui ne relèvent pas des traités, sont nécessaires : je pense à l'organisation et aux méthodes de travail de la Commission et du Conseil, qui doivent être drastiquement améliorées. Nous y travaillerons activement, notamment dans le cadre du Conseil Affaires générales.
Ensuite, parce que nous savons aussi que pour consolider les fondations de la maison commune et les préparer aux prochaines adhésions, il faudra faire plus :
- il faudra se doter d'un mécanisme souple et efficace nous permettant de poursuivre plus avant le processus d'intégration, en évitant de relancer l'éternel débat entre les différents modèles d'intégration, mais en poursuivant, et en lui faisant accomplir un saut qualitatif, la démarche pragmatique qui a toujours prévalu, et que nous avions retenue dans le manifeste du PSE pour les élections européennes de juin dernier.
C'est tout l'intérêt des coopérations renforcées, dont il faut assouplir le mécanisme, afin de disposer d'un instrument permettant à une avant-garde de progresser dans l'intégration, d'ouvrir le chemin, en laissant toujours aux autres membres la possibilité de les rejoindre. Cette perspective, nous en sommes tous conscients, est essentielle, et elle le sera encore davantage dans une Union élargie à près de 30 participants.
Justement, au-delà de la nécessaire réforme des institutions, la présidence française veillera à maintenir la dynamique du processus d'élargissement avec l'ensemble des candidats et, à cet égard, nous lirons avec beaucoup d'attention les rapports que votre assemblée prépare sur chacun de ces pays.
Je sais que certains d'entre eux attendent particulièrement notre présidence, car ils y voient l'occasion, pour les Quinze, de prendre des décisions importantes, concernant le calendrier des prochains élargissements. Nous répondrons, autant que faire se peut, à ces attentes. Et nous nous attacherons en particulier, au travers des réunions que nous organiserons, notamment, lors du Conseil européen de Nice, à renforcer le forum collectif que constitue la Conférence européenne, préfiguration de l'Europe de demain.
Un mot enfin, chers camarades, sur la perspective historique que nous avons ouverte depuis maintenant près de deux ans, avec l'ébauche d'une Europe de la défense, et que nous espérons concrétiser au second semestre, sous notre présidence. Là encore, nous entendons mettre à profit notre présidence pour franchir une étape supplémentaire, en préparant le passage aux structures définitives de la défense européenne.
Nous aurons ainsi préparé la voie à un rapprochement de nos forces, afin de permettre à l'Europe, demain, de jouer son rôle dans le maintien de la paix. Le déploiement réussi de l'Eurocorps au Kosovo en est un heureux présage. Il nous faut aller plus loin.
***
Je veux vous dire, pour conclure, que la détermination qui nous guide, dans la perspective de cette présidence, c'est celle de donner de l'Europe, à nos concitoyens, mais aussi au reste du monde, une image de force et de cohérence, l'image d'une Europe animée par une volonté politique, une Europe unie et capable de prendre aussi, sur la scène internationale, toute la place qui lui revient.
Il suffit de regarder le chemin parcouru depuis 50 ans pour mesurer ce que l'Europe nous a donné, et deviner ce qu'elle peut encore apporter à notre vieux Continent.
Mais cela ne peut se faire qu'à condition que les règles du jeu soient parfaitement définies et appliquées, en un mot que cette Europe, avec l'originalité institutionnelle et parfois la complexité qui est la sienne, soit dirigée. C'est là une exigence incontournable, à laquelle je sais que vous êtes particulièrement sensibles.
L'exercice de la présidence semestrielle nous donne une grande occasion de montrer que notre pays est demeuré fidèle à son ambition de contribuer à l'édification d'une Europe forte. Nous avons su, il y a 50 ans, ouvrir la voie. Nous devons aujourd'hui, tous ensemble, poursuivre le chemin en restant en harmonie avec les valeurs fondatrices. "Allons", comme l'aurait dit Jaures, "vers la mer pour rester fidèles à nos sources". Sachons réunir la famille européenne et lui donner les moyens d'être un des acteurs majeurs du XXIe siècle, en préservant cette combinaison unique de souverainetés partagées et d'identités respectées qui a fait la force de notre beau projet européen.
Alors, quelques mots, avant de vous rendre la parole, sur la façon dont nous souhaitons travailler activement, en confiance, avec le Parlement européen durant notre présidence.
Nous souffrons - en tant que Français - de nombreux préjugés sur notre vision du Parlement européen. Ils sont injustes. La France a pleinement conscience du nouveau rôle dévolu au Parlement européen par les Traités, au niveau politique comme sur le plan législatif. Aussi avons-nous décidé plusieurs initiatives, qui constituent des premières et dont nous avons saisi la présidente du Parlement européen en mars dernier :
- il s'agit pour nous de tenir informé - presque en temps réel - le Parlement européen des travaux du Conseil Affaires générales, qui concentrera beaucoup des dossiers lourds de notre présidence. J'ai donc proposé à la Commission des Affaires étrangères et à la Commission constitutionnelle -dont je salue ici les membres et le président Napolitano- de venir leur rendre compte tous les mardis après-midi, dès la fin des travaux du CAG ;
- nous avons souhaité également répondre à une demande ancienne du Parlement, en ne faisant plus coïncider les Conseil Affaires générales et les semaines de sessions. Nous espérons que cette initiative pourra être reprise par les présidences suivantes.
Ces initiatives visent essentiellement à tenter de construire une nouvelle relation entre le Conseil et le Parlement, fondée sur une coopération intelligente, dans l'intérêt de nos concitoyens européens. Et je n'oublie pas, bien entendu, le dossier du statut des députés sur lequel nous devons, après les Portugais, avancer. J'en profite pour saluer le rapporteur Willi Rothley dont je connais l'activité sur ce dossier.
Un dernier mot, à cet égard, sur la question du siège de votre Institution. C'est une question délicate, qui suscite des réactions récurrentes au Parlement, y compris au sein de votre groupe. Nous n'ignorons pas les problèmes que plusieurs Parlementaires rencontrent pour rejoindre Strasbourg durant les semaines de sessions : nous allons redoubler d'énergie pour apporter des solutions.
En accord avec la présidente du Parlement, nous allons vous adresser dans les tout prochains jours un questionnaire destiné à mieux connaître vos besoins réels. Nous pourrons alors modifier et renforcer le schéma actuel de desserte aérienne. Nous voulons également réfléchir à l'accessibilité de Strasbourg à travers les aéroports voisins (et notamment Stuttgart, Sollingen, Francfort et Bâle-Mulhouse), ce qui permettrait sans doute de raccourcir les temps d'acheminement.
Mais, au-delà de ces difficultés que nous voulons résoudre, nous comprenons mal la volonté de certains, y compris à gauche, de remettre en cause, dans son principe même, le siège de Strasbourg.
L'argument du coût des sessions plénières à Strasbourg ne me convainc pas : le caractère original de l'Union, la diversité des nations et des peuples qui la composent font qu'il n'est pas possible, et qu'il n'est certainement pas souhaitable, d'avoir un siège unique pour les Institutions et les organes européens.
Le Conseil ne fait d'ailleurs pas autrement, puisque les réunions du Conseil européen et du Conseil des ministres sont organisées, chaque semestre, dans un pays et une ville différente. N'est-ce pas un peu la même chose avec le Parlement européen, dont le siège et les différents lieux de travail, conformément au Traité, a été fixé d'un commun accord entre les gouvernements des Etats membres ?
Vous connaissez les raisons qui ont présidé, depuis des décennies, au choix de Strasbourg : celui d'ancrer une des grandes Institutions de l'Union dans cette ville symbole de la réconciliation franco-allemande et de la paix européenne retrouvée. Cinquante ans après la "Déclaration Schuman", ces raisons conservent toute leur force.
Je suis donc convaincu, et l'ensemble des autorités françaises avec moi, que si nous devons progresser dans la desserte et dans les conditions matérielles destinées aux Députés européens, nous devons nous garder d'une remise en cause politique du choix de Strasbourg comme siège de votre Assemblée. Je tenais à le redire devant vous.
Merci de votre attention./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mai 2000)