Entretien de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, avec le site Euractiv.fr le 29 août 2017, sur la construction européenne.

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Média : Euractiv.fr

Texte intégral


* Union européenne - Politique économique
La conférence à laquelle j'ai participé - qui rassemblait des représentants des patronats italiens, espagnols et allemands - portait un titre que je n'aurais pas osé suggérer : «La France est-elle l'avenir de l'Europe ?». Si le gouvernement avait fait cela, on nous aurait taxés d'arrogance, mais il est vrai qu'aujourd'hui il y a une attente très forte en Europe vis-à-vis de la France depuis l'élection d'Emmanuel Macron, le premier président européen qui a gagné une élection sur un programme résolument et audacieusement pro-européen.
(Question)
R - La question des 3% de déficit est une question intéressante. Les critères de Maastricht ne nous sont pas venus de la Lune, nous avons contribué à leur fixation. Lorsque l'on dit : «Bruxelles a décidé de...», Bruxelles c'est nous. Ce sont toujours les États membres qui se mettent d'accord sur un principe. Respecter les critères de Maastricht, respecter les 3% de déficit, c'est respecter un engagement pris et c'est donc se mettre en mesure d'être écoutés, d'être influents, d'avoir de la marge de manoeuvre au niveau de l'Union européenne, au niveau où les grands problèmes se traitent.
Au-delà de cela, au niveau purement national, respecter ces engagements en matière de déficit, en matière d'endettement, c'est faire en sorte de ne pas faire porter par nos enfants ou nos petits-enfants nos négligences et nos laisser-aller d'aujourd'hui. Ce n'est pas pour faire plaisir à Bruxelles qu'il faut diminuer nos déficits, c'est pour gérer notre pays, pour ne pas laisser d'héritage négatif aux générations qui viennent et qui n'ont rien demandé.
Très simplement, l'ensemble de nos partenaires européens respecte le critère des 3% et l'ensemble de nos partenaires européens se sort de la crise plus vite et mieux que nous, en particulier en matière de lutte contre le chômage. On a cru longtemps qu'en s'épargnant le respect des critères de Maastricht, on serait capables d'assurer une relance et donc d'assurer le plein emploi. On a lamentablement échoué.
(Question)
R - Il faut sortir de cette idée, il faut libérer la croissance, il faut permettre davantage la création d'emplois. On ne peut plus être dans une politique qui consiste exclusivement à panser les plaies, à gérer les indemnisations des chômeurs, plutôt qu'à faire en sorte de créer le plus d'emplois possibles dans le plus de secteurs porteurs possibles.
Ce que l'on voit dans l'euro baromètre lorsqu'on interroge les populations européennes sur leur confiance dans l'avenir de l'Union européenne, c'est une remontée spectaculaire, en particulier dans notre pays, où la confiance dans l'Union européenne - sur le plan économique notamment - est passée très au-dessus de la barre des 50% et a pris 15 points en quelques mois. Plus précisément, je dirais que le Brexit a servi de réveil à un certain nombre de gens qui caressaient l'idée de sortir de l'euro ou éventuellement même, de sortir de l'Union européenne en se disant : si l'on revenait à un monde d'avant, tout ne serait-il pas plus simple ?
D'un seul coup, on a vu les Britanniques prendre une décision et j'ose le dire, s'empêtrer dans leur décision. Cela ne fait envie à personne. Aujourd'hui au contraire, il y a davantage de solidarité, il y a la compréhension que les enjeux mondiaux nécessitent des réponses continentales. Ce n'est pas un pays - la France, l'Italie ou l'Allemagne - qui pourra répondre seul aux grands défis d'aujourd'hui. Que ce soient les grands défis commerciaux ou les grands défis numériques, quand on a des acteurs du numérique qui se comportent quasiment comme des États, que ce soient les grands défis de la lutte contre le réchauffement climatique, pour tous ces défis, il n'y a pas de réponses nationales, il n'y a que des réponses européennes. Cela veut-il dire que, parce qu'on est pro-européens, on se contente de l'Europe telle qu'elle est et que rien ne doit être réformé ni transformé ? Pas du tout.
(Question)
R - Vous avez raison, ce scepticisme reste présent dans nos sociétés, un certain nombre de nos concitoyens doutent, s'interrogent, sont mécontents de l'Europe telle qu'elle est.
Il faut la rendre plus efficace, plus protectrice, plus à l'écoute des citoyens, plus transparente et plus démocratique. C'est précisément notre mission. Tout d'abord, la croissance économique repart partout dans la zone euro, y compris en France. Les investissements doivent repartir encore davantage et c'est un sujet dont on parle notamment avec nos partenaires allemands, parce que la vertu et la rigueur allemande ont apporté beaucoup à l'Union européenne, mais aujourd'hui, face à un pays qui est en excédent budgétaire structurel, le besoin de davantage d'investissement est reconnu par la chancelière Angela Merkel.
L'Europe est capable de porter des projets de haut niveau, on l'a vu avec Airbus, avec Ariane. Elle doit avoir des champions européens, elle doit être présente dans la course et elle a tous les atouts.
Vous me demandez pourquoi avoir confiance, tout simplement parce qu'aujourd'hui l'Europe a tous les atouts pour réussir dans la compétition mondiale. Elle a une population formée et une démographie encore dynamique dans un pays comme la France, elle a des infrastructures de très bonne qualité, elle a du savoir-faire, elle a du dynamisme. C'est en elle-même qu'elle a besoin d'avoir confiance.
* Union européenne - Slovaquie - Groupe de Visegrad
Q - Emmanuel Macron s'est rendu cette semaine à Salzbourg, Bucarest et Varna. Quelles sont les retombées de ce déplacement et comment s'inscrivent-elles dans les relations de la France avec l'Europe centrale et orientale ?
R - Cette première tournée du président en Europe centrale et de l'Est est un signal fort donné par la France. Notre message c'est que chaque pays européen a sa place et son importance dans les discussions menées sur la refonte du projet européen. Le président Macron a une vision très claire pour une Europe ambitieuse et protectrice. Il a eu la possibilité d'exposer l'agenda de protection qu'il veut porter autour de 4 grands thèmes : la réforme du travail détaché, l'Europe de la défense, la politique de l'asile et de la migration, et les politiques commerciales.
Les discussions qu'il a pu avoir avec ses interlocuteurs en Autriche, en Roumanie et en Bulgarie ont fait apparaître de vraies convergences et une volonté commune d'avancer sur les dossiers importants. La révision de la directive sur les travailleurs détachés en est un, parce qu'elle a des effets pervers et conduit à des fraudes et au dumping social. C'est le contraire de la convergence et de l'harmonisation qui sont l'essence du projet européen. La tournée du président Macron a permis de marquer une étape vers un compromis, nous l'espérons, au cours de l'automne sous présidence estonienne. Les discussions de la semaine dernière ont permis aussi d'avancer sur la sécurité et la défense.
Q - Le gouvernement slovaque se dit enthousiaste à l'égard de l'approfondissement de l'intégration européenne, notamment en matière de défense, ou encore s'agissant de la zone euro et des affaires sociales. Il n'a cependant admis qu'une poignée de réfugiés. Vue de Paris, la solidarité dans la crise migratoire fait-elle partie d'une Europe plus intégrée ?
R - La volonté résolue des autorités slovaques d'être un élément moteur de l'Union européenne est très appréciée en France. Nous partageons cette volonté de faire avancer l'Europe. Le président Macron le disait il y a quelques jours à l'issue de la rencontre quadripartite à Salzbourg avec les pays du format dit «de Slavkov», il croit «dans l'Europe des ambitions et dans l'Europe des bonnes volontés».
La crise de 2015 a été d'une ampleur exceptionnelle et a conduit à des mesures de solidarité indispensables pour faire face à l'afflux massif de demandeurs d'asile. Cette solidarité, nous la devons aux pays de première entrée, qui sont en première ligne face à l'afflux de migrants pour des raisons qui ne tiennent qu'à leur géographie. Aujourd'hui nous devons nous concentrer sur la réforme du régime européen de l'asile, le renforcement du contrôle extérieur des frontières et une action efficace pour lutter contre les réseaux de trafic d'êtres humains. Nous travaillons activement en outre avec les pays d'origine des migrants économiques et avec les pays de transit.
Q - La Slovaquie a récemment signé un mémorandum sur la coopération structurée avec l'Allemagne afin de se rapprocher du «noyau dur» européen. La France prévoit-elle elle aussi une initiative visant à intensifier ses relations sectorielles avec les pays d'Europe centrale ?
R - Bénéficier de l'appui, de l'expertise et de l'expérience des autres pour se rapprocher du «noyau dur européen», pour reprendre l'expression de Robert Fico lui-même, est un choix qui me paraît très avisé !
Vous avez noté que le président Macron dès son élection a voulu renforcer nos relations avec les pays d'Europe centrale, qui ont trop longtemps été négligés par les responsables français. Il a eu une première réunion avec les pays du groupe de Visegrad en marge de son premier Conseil européen, à la fin du mois de juin dernier. Sa première tournée européenne, qui vient de s'achever, lui a permis de s'entretenir avec ses homologues autrichien, slovaque, tchèque , roumain et bulgare , des entretiens de travail très concrets qui ont permis d'aborder des sujets qui sont de réelles préoccupations pour les citoyens de nos pays respectifs.
Je m'investis également très directement pour rencontrer le plus rapidement possible tous nos partenaires. Je participerai par exemple au forum stratégique de Bled en Slovénie les 4 et 5 septembre, c'est une enceinte de haut niveau pour discuter des sujets régionaux et des enjeux globaux qui touchent l'Europe centrale et du Sud-est et un lieu d'échanges irremplaçable avec les décideurs de la région. Il me semble que cela manifeste une volonté plus que claire de la France d'intensifier nos relations avec les pays d'Europe centrale.
Q - Le groupe de Visegrad est actuellement divisé entre, d'une part, la République tchèque et la Slovaquie, plus favorables à une intégration européenne approfondie et, d'autre part, la Hongrie et la Pologne. Le groupe de Visegrad reste-il un partenaire fiable pour la France sur le long terme ?
R - Bien sûr. Notre approche est simple: il faut parler, dialoguer, échanger avec tous nos partenaires. Les contacts dans des formats comme le groupe de Visegrad ou d'autres regroupements régionaux ont toute leur place. Ils ne sont pas exclusifs et ne remplacent pas les relations bilatérales fortes que nous voulons développer avec chacun des États membres de l'Union européenne.
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* Diplomatie - Parité
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Q - Militante des droits de femmes et ancienne directrice de l'ENA, vous travaillez dans la diplomatie depuis 26 ans. La diplomatie comme métier a beaucoup changé. Quels sont les défis à affronter par les diplomates aujourd'hui en général et par les femmes diplomates en particulier ?
R - Vaste question. En effet le monde dans lequel nous vivons change à vive allure et se prête mal à la reproduction des pratiques du passé tant notre société connaît de bouleversements profonds. Cela vaut pour le métier de diplomate comme pour tous les aspects de l'action publique.
Aujourd'hui en matière diplomatique, ces changements bouleversent la donne. Les enjeux de la mondialisation dépassent les frontières de la seule politique étrangère: le changement climatique, les pandémies, les informations - vraies ou fausses -, les cyberattaques se jouent des frontières. Certaines entreprises de la nouvelle économie sont des acteurs mondiaux parfois plus puissants que bien des États. La diplomatie doit évoluer au rythme d'un monde toujours plus en mouvement.
Cela concerne tous les diplomates, hommes et femmes ! Les qualités et les talents pour être bon diplomates sont également répartis entre les sexes, malheureusement il y a des habitudes sociales, culturelles qui persistent. Dans bien des pays, les femmes diplomates doivent aussi se battre contre les stéréotypes, les préjugés, les plafonds de verre, l'autocensure... J'en ai parlé dans un ouvrage, non pas pour pointer du doigt la diplomatie française, mais parce que c'est le milieu professionnel que je connais le mieux sur lequel je peux donner des pistes et agir. La diplomatie française a beaucoup progressé pour l'égalité professionnelle, grâce à une politique volontariste, mais il reste beaucoup à faire et il faut rester vigilant. Il ne faut surtout pas croire que les améliorations vont de soi et que nous sommes à l'abri des retours en arrière.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2017