Déclaration de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur la position de la France sur le cycle des négociations commerciales multilatérales, les missions de l'OMC et ses relations avec les autres organisations internationales, Paris, le 28 août 2001.

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Circonstance : Conférence des ambassadeurs, à Paris, le 28 août 2001

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Je suis très heureux d'avoir l'occasion de faire avec vous un point sur les négociations en cours au sein de l'Organisation mondiale du commerce, à quelques semaines de la réunion ministérielle de Doha qui constituera un rendez-vous très important pour cette organisation.
Vous avez tous en mémoire l'échec de la conférence de Seattle en novembre 1999. Cet échec fut marqué par deux faits nouveaux :
- une " contestation de l'intérieur ", animée par une grande majorité de pays en développement, avec comme principal cheval de bataille la question des normes sociales.
- l'émergence d'un vaste mouvement anti-mondialiste qui n'a cessé de prendre de l'ampleur, comme l'ont montré récemment les manifestations massives et les incidents sanglants de Göteborg et de Gênes.
Depuis Seattle, l'OMC est donc devenue un bouc émissaire commode du combat contre la mondialisation, dans la vision délibérément caricaturale d'une organisation gérée par des bureaucrates mercantiles au service des marchés et d'une " mondialisation sans âme ".
Dans ce contexte troublé où ce que fait réellement l'OMC a parfois moins de visibilité que ce qui se passe dans les médias ou dans la rue, je crois nécessaire de vous rappeler en quelques mots la vision qu'a le gouvernement du rôle de cette organisation, et vous dire ce que nous attendons de la ministérielle de Doha. Je le ferai en développant la thématique des liens avec les autres organisations internationales sur laquelle vous avez souhaité que je m'exprime au cours de ce déjeuner. Je ne prétends évidemment pas couvrir l'ensemble des sujets qui seront traités lors de la ministérielle dans un propos liminaire qui se veut bref pour laisser le maximum de temps à un échange libre avec vous.
Je voudrais tout d'abord lever un éventuel malentendu. On entend dire parfois - dans certains des pays où vous résidez - que la France ne souhaite pas un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales. Confrontée à un mouvement anti-mondialiste très actif, prisonnière de ses échéances électorales, la France se satisferait volontiers d'un nouveau report des échéances. Si vous entendez de tels propos ou si vous les lisez dans la presse, je vous demande de les démentir fermement. La France est et reste solidaire de ses partenaires européens dans une démarche visant à lancer un cycle large et équilibré. Je l'ai dit et répété depuis que j'occupe mes fonctions, y compris dans mes contacts réguliers avec les ONG ou dans des rencontres " contestataires " comme celle de Porto-Alegre où je me suis rendu en début d'année. Nous souhaitons clairement un nouveau cycle de négociations, mais pas n'importe lequel, et nous ne plaçons pas le calendrier avant le contenu, comme seraient peut être tentés de le faire certains de nos partenaires, y compris européens.
Quel cycle souhaitons nous et pour quelle OMC ? Sans entrer dans les détails, je citerai les principaux objectifs que nous poursuivons, qui touchent à la fois les missions de l'OMC et la nature de ses relations avec les autres organisations internationales :
1. Il nous faut tout d'abord apporter une réponse à la " contestation de l'intérieur ", celle des pays en développement.
L'OMC n'est plus le GATT. Composée de 85 membres à sa naissance, elle en compte aujourd'hui 140 et sera bientôt, après l'entrée de grands pays comme la Chine, la Russie, l'Arabie Saoudite, le Vietnam, une organisation quasi-universelle. Cette organisation doit mieux prendre en compte les besoins d'une grande majorité de ses membres, qui ont participé activement à l'Uruguay Round et qui ont le sentiment de ne pas en avoir tiré tous les bénéfices.
La meilleure prise en compte de la problématique du développement ne sera pas facile. Elle implique l'acceptation d'engagements différenciés et un effort beaucoup plus soutenu d'assistance technique. Elle suppose également que l'ouverture commerciale soit pleinement intégrée dans les stratégies globales de développement. C'est tout le sens du " cadre intégré " mis en place récemment par l'OMC et 5 autres organisations multilatérales, dont le FMI et la Banque mondiale, au profit des pays les moins avancés. Nous avons là l'ébauche d'une coopération inter-institutionnelle au service du développement, dont la France souhaite qu'elle prenne une dimension nouvelle. Laurent Fabius a d'ailleurs présenté plusieurs propositions touchant au lien entre commerce et développement lors des dernières réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale.
Il a en particulier proposé la création d'une facilité FMI destinée à compenser temporairement les pertes de recettes douanières liées à l'ouverture commerciale des pays en voie de développement.
2. Notre second objectif pour l'OMC et pour Doha est d'apporter des réponses aux interrogations multiples de la société civile.
Dans une vision de la " mondialisation maîtrisée " que le premier ministre a eu l'occasion de développer à différentes reprises et que vous connaissez bien, nous devons trouver un juste équilibre entre l'ouverture des marchés, dont il ne faut pas oublier que la France a été jusqu'à présent largement bénéficiaire en termes de croissance et d'emploi, et la préservation de nos préférences collectives dans des domaines non-commerciaux tels que l'environnement, la sécurité alimentaire, la santé, l'éducation, la diversité culturelle ou les services publics.
Cette problématique de la " cohérence " entre des objectifs économiques et commerciaux et des préoccupations non commerciales est probablement plus difficile à traiter que celle de l'action conjointe entre organisations à vocation économiques telles que l'OMC, le FMI et la Banque mondiale.
Prenons l'exemple de l'environnement, qui est tout à fait illustratif de cette difficulté. Nous avons d'un côté une organisation structurée - l'OMC - qui dispose d'un corpus de règles très développé et d'une instance de règlement des différends puissante, détenant un pouvoir de sanction. Nous avons de l'autre une myriade d'accords multilatéraux d'environnement dont les secrétariats sont éclatés aux quatre coins de la planète, avec une géométrie variable de signataires et de sujets, sans véritable système de règlement des différends et sans production de jurisprudence. Alors qu'en matière de développement il s'agit d'organiser le travail en commun d'institutions déjà solidement établies dans leurs compétences et disposant de moyens d'actions non négligeables, la question du lien commerce-environnement se heurte d'emblée à l'absence d'une Organisation mondiale de l'environnement.
La recherche d'une plus grande cohérence constitue dans ces domaines un objectif de long terme et suppose une démarche pragmatique et progressive.
Un nouveau cycle de négociations commerciales ne sera pas suffisant pour régler des questions qui dépassent largement les compétences de l'OMC. Il doit cependant nous permettre d'avancer, et c'est l'une des raisons essentielles pour lesquelles la France et l'Union européenne militent pour un cycle large qui prenne en compte ces préoccupations non-commerciales.
Les rapprochements nécessaires entre l'OMC et d'autres organisations internationales ne doivent conduire ni à des tentations hégémoniques ni à une logique de subordination. C'est une " coopération entre égaux " sur les thèmes d'intérêt commun qu'il convient à ce stade de mettre en place. Les progrès réalisés récemment avec l'OIT sur le développement social (à travers la création d'un groupe consultatif sur les conséquences sociales de la mondialisation associant les institutions intéressées) ou l'OMS sur le médicament sont un bon exemple de cette démarche coopérative.
3. Notre troisième objectif est d'adapter les règles commerciales multilatérales aux nouveaux enjeux de la mondialisation.
Je pense en particulier à ce que l'on appelle les " nouveaux sujets ", qu'il s'agisse de l'investissement ou de la concurrence.
L'investissement international représente aujourd'hui, avec environ 1000 milliards de dollars par an, un enjeu comparable à celui des services lors de l'Uruguay Round. Une OMC dédiée à la régulation économique internationale ne peut pas se désintéresser de cette masse d'investissements directs qui conditionne de plus en plus les flux d'échange. Elle doit le faire dans une démarche progressive, respectueuse des souverainetés nationales et des nécessités du développement afin de ne pas renouveler les errements de l'AMI.
L'établissement de règles internationales de concurrence est devenu également un enjeu majeur de bonne gouvernance, en particulier pour les pays en développement qui sont les principales victimes des cartels internationaux. Il n'y a donc pas dans notre esprit contradiction entre la volonté d'élargir les règles commerciales multilatérales à ces nouvelles thématiques et le souci de lancer à l'OMC un " cycle de développement ".
Au moment où je vous parle, les chances de lancement d'un nouveau cycle sont encore loin d'être établies. Les écarts de position demeurent très importants, la multiplicité des sujets, des intervenants et le délai très court qui nous séparent de la réunion ministérielle rendent l'issue très incertaine.
Il ne sert à rien de lancer dans la précipitation un cycle au rabais qui ne réponde pas aux critiques et aux demandes exprimées depuis Seattle. Nous privilégions le contenu du cycle car nous avons des ambitions fortes pour que l'OMC devienne l'un des instruments majeurs d'une meilleure régulation internationale et l'une des organisations les plus actives dans l'effort de coopération inter-institutionnelle au service des grands objectifs du développement économique et social.
(Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 3 octobre 2001)