Interview de M. Gérard Collomb, ministre de l'intérieur, à Europe 1 le 27 septembre 2017, sur le projet de loi antiterroriste, la manifestation des Insoumis, les routiers en grève et sur le budget 2018 pour la police.

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Média : Europe 1

Texte intégral


PATRICK COHEN
Bonjour Gérard COLLOMB.
GERARD COLLOMB
Bonjour.
PATRICK COHEN
Le projet de loi antiterroriste que vous portez en ce moment à l'Assemblée, est pris entre deux feux. La droite vous reproche de désarmer le pays, alors que la menace djihadiste reste très élevée, et la gauche des Insoumis et des communistes, qui dénonce des mesures liberticides d'une loi des suspects. Critique de droite, d'abord, il fallait vraiment lever l'état d'urgence ? Mettre fin à cet état ?
GERARD COLLOMB
Oui, je crois que l'état d'urgence, si vous voulez, par définition, est un état temporaire, et donc on voit bien que la menace a changé de nature. Voyez, par exemple, lorsqu'il y a eu les attentats de Paris, on a arrêté 4 400 personnes que l'on est allé perquisitionner. Aujourd'hui on se trouve à quelques dizaines, donc ce n'est plus du tout le même état de la menace. Donc nous pouvions sortir de l'état d'urgence, mais en même temps il fallait pouvoir garder un certain nombre de mesures qui permettaient de protéger les Français et c'est ce que nous faisons par ce texte.
PATRICK COHEN
Une loi de désarmement, disent Eric CIOTTI et Guillaume LARRIVE.
GERARD COLLOMB
Alors, si vous voulez, eux ils sont pour mettre tout le monde en prison dès le premier moment, donc évidemment, on est relativement modéré par rapport à ce qu'ils proposent, mais...
PATRICK COHEN
Pour que les assignés soient dans des centres, au moins, oui.
GERARD COLLOMB
Dès que vous êtes suspect, vous êtes effectivement en centre de rétention, sans mesure de temps d'ailleurs, c'est-à-dire que vous pouvez rester indéfiniment en détention. Alors, c'est clair que par rapport à ça, on est un peu plus équilibré.
PATRICK COHEN
Alors, critique de gauche, vous faites entrer dans le droit commun des mesures d'exception : assignation à résidence, perquisition rebaptisée visite domiciliaire, même le Défenseur des droits, Jacques TOUBON, qui n'est pas un gauchiste échevelé, parle de dérive dangereuse. Que lui répondez-vous ?
GERARD COLLOMB
Je réponds que la menace reste élevée. Lorsque l'on voit Londres, lorsque l'on voit Barcelone, on s'aperçoit qu'évidemment il faut prendre les mesures pour se protéger. En plus, si vous voulez, ce n'est pas la transposition de l'état d'urgence. Voyez, par exemple, dans l'état d'urgence, vous deviez aller pointer trois fois par jour à la police ou à la gendarmerie, là c'est simplement une fois par jour...
PATRICK COHEN
Oui, c'est pas mal.
GERARD COLLOMB
Oui, c'est pas mal, mais en plus il y a la possibilité, si vous acceptez par exemple de porter un bracelet électronique, de pouvoir vous déplacer plus librement. Je rappelle que ça concerne 39 personnes, donc qui sont soupçonnées de vouloir commettre...
PATRICK COHEN
Et pas plus à l'avenir ?
GERARD COLLOMB
Sauf, si vous voulez, si à nouveau on connaissait une période d'attentats absolument extraordinaire. Evidemment, on montera en puissance, mais cela correspond, on va dire, à l'état de la menace réel, tel que je le vois aujourd'hui.
PATRICK COHEN
39 personnes fixées chez elles, ou dans une commune, ou éventuellement dans un département, sans la moindre...
GERARD COLLOMB
Ah on nous a reproché que c'était trop grand.
PATRICK COHEN
... sans la moindre preuve, en tout cas, sans des éléments qui permettraient de les poursuivre en justice. C'est ça qui fait dire à une partie de la gauche que c'est une loi des suspects.
GERARD COLLOMB
Oui mais pourquoi ? Tout simplement parce que, en général ce sont des personnes pour lesquelles on a eu des renseignements de services étrangers. Donc on ne peut pas les judiciariser tout de suite, mais en même temps il faut bien pouvoir les surveiller. Quand vous avez, je ne sais pas, moi, un service belge qui vous dit : voilà, nous savons que tel ou tel va venir passer à l'attaque, chez vous, à Paris, vous êtes bien obligé de prendre un certain nombre de mesures, parce qu'autrement, vous connaissez ce que nous avons connu par les temps passés.
PATRICK COHEN
C'est une surveillance complète, les assignés doivent fournir tous leurs téléphones, leurs mots de passe pour la messagerie.
GERARD COLLOMB
Oui, sauf que ce n'est pas exactement... on n'a pas le droit d'écouter à ce moment-là, c'est simplement qu'ils puissent donner leur numéro de téléphone. Pourquoi ? Parce que, pour qu'ils n'achètent pas un téléphone nouveau, s'ils achètent un téléphone nouveau, c'est en général ce qu'ils font, c'est à ce moment-là passible d'une peine, et donc en général ça évite de pouvoir faire cela.
PATRICK COHEN
Une fois la loi adoptée, Gérard COLLOMB, l'état d'urgence sera levé. Il pourra être rétabli un jour ?
GERARD COLLOMB
Ah ben bien sûr. Si demain on se trouvait à nouveau dans une tuerie de masse, évidemment que nous rétablirions l'état d'urgence.
PATRICK COHEN
La menace terroriste reste très élevée ?
GERARD COLLOMB
Oui, on a à peu près une fois par semaine un acte terroriste. Alors, même, si vous voulez, ce n'est plus le même niveau de menace, c'est aujourd'hui très souvent une menace qu'on appelle endogène, c'est-à-dire des gens qui se radicalisent assez brutalement, puis qui décident d'aller commettre un acte.
PATRICK COHEN
Emmanuel MACRON propose un Parquet antiterroriste européen. Pour quoi faire ?
GERARD COLLOMB
Eh bien je pense que nous avons besoin aujourd'hui de nous coordonner. Plus nous nous coordonnerons au niveau européen et nous ferons en sorte que nos polices, nos renseignements, travaillent ensemble, et plus nous répondrons à la menace, puisqu'on voit bien que les terroristes, aujourd'hui, voyagent à travers l'Europe.
PATRICK COHEN
Gérard COLLOMB, ministre de l'Intérieur, savez-vous combien de manifestants ont défilé samedi dernier, entre Bastille et République ?
GERARD COLLOMB
En tout cas, ce n'était pas le nombre qui était attendu par Jean-Luc MELENCHON. Je pense qu'on voit bien...
PATRICK COHEN
Ça c'est un commentaire politique, mais avant cela, j'attendais le chiffre, le chiffrage du ministre de l'Intérieur.
GERARD COLLOMB
Oh, je ne sais pas, il y avait à peu près 50 000 personnes, donc, peut-être un peu moins, donc évidemment on n'est pas dans les chiffres que l'on a connus par le passé.
PATRICK COHEN
Mais d'où vient le chiffre de 30 000 manifestants qui a été diffusé par la préfecture de police, Gérard COLLOMB ?
GERARD COLLOMB
Eh bien de la préfecture de police, mais vous voyez, moi je ne chiffre pas...
PATRICK COHEN
Alors, 30 000 selon la préfecture et 50 000 selon le ministre de l'Intérieur ? !
GERARD COLLOMB
Mais parce que moi je chiffre large, je ne veux pas que vous me reprochiez demain d'essayer de baisser le nombre de manifestants derrière MELENCHON. Il a le droit, évidemment, de s'exprimer, mais voyez, je crois que les textes, finalement, dont on disait « ils vont mettre la France dans la rue », eh bien ils passent plutôt bien, parce que les gens s'aperçoivent qu'on en a besoin, quand on a 3,5 millions de chômeurs, évidemment on ne peut pas rester dans l'état où l'on est.
PATRICK COHEN
Donc, c'est un échec samedi dernier, c'est ça ce que vous nous dites, c'est un échec de la mobilisation des Insoumis.
GERARD COLLOMB
Un échec, si vous voulez, c'était plutôt dans l'expression des mots, parce qu'on peut reprocher beaucoup de choses à Emmanuel MACRON, au président de la République, mais de là à évoquer la Seconde guerre mondiale et le nazisme, je crois que c'était un peu fort.
PATRICK COHEN
Enfin, tout de même, pour ce qui est de la mobilisation contre la réforme du Code du travail, vous avez fait donner de gros moyens depuis lundi, pour empêcher les barrages routiers, des moyens de forces de l'ordre, des routiers qui étaient en grève, les syndicalistes se plaignent que vous ayez voulu casser la grève ou faire de la répression antisyndicale.
GERARD COLLOMB
Non, je crois que la mobilisation était moins forte que ce que l'on pensait. Nous, nous pensions effectivement qu'il y aurait des blocages très très forts à travers la France, et puis finalement les choses se sont passées, plutôt mieux qu'on ne l'attendait.
PATRICK COHEN
Mais vous avez tenté de les empêcher, quand même, ces blocages.
GERARD COLLOMB
Ah mais chaque fois, on essaie évidemment d'empêcher les blocages, mais on ne va pas laisser la France se bloquer. Bien évidemment qu'on réagit, parce qu'autrement, les Français nous le reprocheraient. Voyez, si tout d'un coup vous... à Paris, évidemment, on roule en transports en commun, mais ailleurs, dans la grande banlieue, on prend quelquefois sa voiture, donc si vous n'avez plus d'essence à la pompe, on nous le reprocherait.
PATRICK COHEN
Y compris en menaçant d'envoyer les camions à la fourrière ou de retirer les permis des routiers qui bloquent, c'est arrivé ?
GERARD COLLOMB
Eh bien ce n'est pas tout à fait normal de bloquer une route, une autoroute. Nous vivons dans un Etat de droit, nous le faisons respecter.
PATRICK COHEN
Le budget 2018 sera présenté tout à l'heure au Conseil des ministres, la police aura-t-elle les moyens de travailler l'an prochain, Gérard COLLOMB, ses conditions de travail vont-elles s'améliorer ? Vous avez vu qu'ALLIANCE, le syndicat de police, va boycotter le discours du président MACRON demain à Lyon.
GERARD COLLOMB
Oui, on revient effectivement de loin. Moi je comprends d'ailleurs un certain nombre de policiers, qui se disent « aujourd'hui on n'a pas les moyens de travailler ». Voyez, dans la période, donc, du temps de Nicolas SARKOZY, on avait baissé les forces de police de 7 500. On les a raugmentées au cours d'ailleurs des trois dernières années, c'est-à-dire à la fois sous la présidence de François HOLLANDE et celle d'Emmanuel MACRON, mais nous ne sommes pas encore revenus au niveau où la police était en 2007. Donc évidemment qu'il faut encore travailler. On va augmenter le budget de la police de 1,9 %, faire plus d'ailleurs, en matière d'équipements technologiques, équiper à la fois de tablettes qui pourront permettre de vérifier directement sur les fichiers F, Expert T (phon). Ne pas pouvoir contrôler comme, on le fait aujourd'hui, sept fois par jour, équipés de caméras, bref, avoir une police qui, petit à petit, soit une police où il y ait de l'apaisement entre nos concitoyens et la police.
PATRICK COHEN
Et renouveler des matériels vétustes, parce que les policiers s'en plaignent régulièrement.
GERARD COLLOMB
Et renouveler les matériels vétustes.
PATRICK COHEN
Il y a régulièrement des témoignages qui sont accablants.
GERARD COLLOMB
Nous avons mis quelques dizaines de millions d'euros à la libre disposition des préfets, pour qu'ils puissent mettre le petit coup de peinture qui va bien, la réparation de la fenêtre qui ne se ferme plus bref, on a déconcentré les crédits pour qu'effectivement les policiers puissent travailler dans de meilleures conditions.
PATRICK COHEN
Pour les véhicules qui ont plus de 300 000 km, il faut plus qu'un petit coup de peinture, Gérard COLLOMB.
GERARD COLLOMB
Je suis d'accord avec vous, parce qu'on vient de me dire : oh, votre voiture, vous savez, Monsieur le Ministre, il faut qu'on vous la change, parce qu'elle est tout le temps en panne, voyez, il n'y a pas que les policiers.
PATRICK COHEN
La police de proximité, Gérard COLLOMB, quand arrivera-t-elle à proximité des citoyens ?
GERARD COLLOMB
La police de sécurité du quotidien, si vous voulez bien. Nous sommes en train de travailler sur...
PATRICK COHEN
C'est vous qui avez changé l'intitulé, hein.
GERARD COLLOMB
... sur cette thématique, et donc on se donne jusqu'à la fin de l'année pour travailler entre les différents services, et donc elle verra le jour au début de l'année prochaine.
PATRICK COHEN
Au début de l'année prochaine, mais concrètement, sur le terrain ? Ce sera ?
GERARD COLLOMB
Eh bien ça sera au début de l'année prochaine.
PATRICK COHEN
Déployé ?
GERARD COLLOMB
Oui, ça sera déployé. Alors, si vous voulez, dans un premier temps, nous allons essayer de faire un certain nombre d'expérimentations, dans des communes de type divers, à la fois là où il y a beaucoup de violence, de délinquance, dans des zones qui sont un peu plus calmes, dans des zones qui sont plus aux limites de la gendarmerie, d'ailleurs peut-être réarticulera-t-on la répartition entre la police et la gendarmerie. Bref, nous sommes en train d'essayer d'être au plus près du terrain, c'est ça la police, comme vous l'appeliez, de proximité.
PATRICK COHEN
La police de proximité, c'est comme ça qu'elle était intitulée avant, vous l'avez rebaptisée en quelques sortes « Police de sécurité du quotidien ».
GERARD COLLOMB
Absolument.
PATRICK COHEN
Merci Gérard COLLOMB, ministre de l'Intérieur, d'être venu ce matin au micro d'Europe Matin.
GERARD COLLOMB
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 octobre 2017