Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Léa SALAME, votre invitée ce matin est ministre chargée des Affaires européennes.
LEA SALAME
Bonjour Nathalie LOISEAU.
NATHALIE LOISEAU
Bonjour.
LEA SALAME
Merci d'être avec nous au lendemain du grand discours d'Emmanuel MACRON sur l'Europe. Est-ce qu'on peut dire que nous avons, pour la première fois, en France, un président fédéraliste qui s'assume ?
NATHALIE LOISEAU
Fédéraliste, je ne dirais pas, vraiment pro-européen, je crois qu'on n'avait jamais entendu un président français tenir un pareil discours sur l'Europe, avec autant de propositions, autant de projets, et ouvrant autant le débat.
LEA SALAME
Alors fédéraliste, le mot vous fait peut-être peur, mais quand on veut un budget commun, un impôt commun, un Parquet commun, une force d'intervention commune, si ce n'est pas du fédéralisme, ça y ressemble quand même !
NATHALIE LOISEAU
Alors c'est traiter au niveau européen les enjeux qui se passent au niveau européen. Aujourd'hui, quand on parle de catastrophes naturelles, quand on parle de changement climatique, quand on parle de lutte contre le terrorisme, on parle de sujets qui concernent l'ensemble du continent. Il n'y a aucune manière de les traiter efficacement à un niveau national. Alors, ce n'est pas de l'idéologie, c'est simplement du pragmatisme. Si on veut répondre aux attentes de nos concitoyens, il faut le faire au niveau qui convient, c'est le niveau européen.
LEA SALAME
Alors, on va décliner quelques-unes des mesures emblématiques qu'il a annoncées hier, vous allez nous expliquer comment vous allez pouvoir le faire, les précisions, d'abord, comment vous allez convaincre les Allemands sur un budget commun, quand d'ores et déjà, les libéraux avec qui Angela MERKEL va être contrainte probablement de s'allier, les libéraux ont déjà dit, ont déjà réagi en disant : on n'en veut pas de votre budget commun ?
NATHALIE LOISEAU
Les libéraux, ils se sont exprimés pendant la campagne, ils ont essayé de se démarquer de madame MERKEL, pour marquer le plus de points possibles. Aujourd'hui, on est dans une situation différente, madame MERKEL a gagné, elle est en train de préparer une nouvelle coalition avec les libéraux, mais aussi avec les Verts. Et il va y avoir une discussion sur le contenu de cette coalition, ce qu'on appelle le contrat de coalition. Nous, nous avons souhaité nous exprimer justement maintenant, pour que les positions françaises, les propositions françaises entrent dans le débat. Nous n'allons pas attendre que le contrat de coalition soit bouclé pour
LEA SALAME
Pour mettre la pression en fait sur Angela MERKEL
NATHALIE LOISEAU
Pas pour mettre la pression, pour participer à la discussion, si on ne le faisait pas, et qu'on avait un contrat de coalition allemand, on nous répondrait : écoutez, tout est bouclé sur quatre ans, l'Europe va s'aligner sur les préoccupations allemandes. Ça n'est évidemment l'intérêt de personne. S'agissant du budget de la zone euro, là encore, on n'est pas dans l'idéologie, on ne crée pas un budget pour le plaisir de créer un budget. On répond à des besoins. Angela MERKEL est la première à admettre que la zone euro est en situation de sous-investissement. Elle n'a pas retrouvé son niveau d'investissement de 2007. L'Allemagne, elle-même, a un problème
LEA SALAME
Angela MERKEL, pardonnez-moi, interrogée par Ouest France, il y a quelques jours : pourriez-vous imaginer des impôts européens alimentant ce budget ? Non, je ne vois pas pour l'instant de projet convaincant d'impôt européen ?
NATHALIE LOISEAU
Eh bien, maintenant, ils sont sur la table. Le président de la République a proposé une taxe sur les transactions financières européennes, c'est en réalité un sujet qui est en débat depuis plusieurs années. Il y a une dizaine de pays qui travaillent sur ce sujet. Si on veut demain pouvoir efficacement aider l'Afrique à proposer une éducation, un avenir à ses enfants, plutôt que de voir des dizaines de milliers de jeunes risquer leur vie en Méditerranée, il faut avoir les moyens de le faire. Et la taxe sur les transactions financières, c'est à ça qu'elle est destinée.
LEA SALAME
Alors, autre taxe annoncée, une taxe carbone européenne qui serait prélevée aux frontières de l'Europe, là aussi, quand on voit comment ça a été difficile de faire accepter l'écotaxe, et finalement, on a reculé. Comment vous voulez le faire au niveau européen ?
NATHALIE LOISEAU
Eh bien, d'abord, on a le droit d'avoir du courage politique, on en a même le devoir, et puis, on a le devoir aussi de mettre à niveau nos entreprises et les entreprises qui ne respectent pas les normes environnementales. Il ne peut pas y avoir de concurrence environnementale déloyale entre les entreprises.
LEA SALAME
Autre annonce, puisqu'il y en a eu énormément, c'est vrai, taxer plus fortement les géants de l'Internet, les fameux GAFA, GOOGLE, APPLE, FACEBOOK, AMAZON. Il y a huit pays qui sont contre cette envie, cette annonce d'Emmanuel MACRON, parmi eux, pas des moindres, le Portugal et les Pays-Bas ne veulent pas taxer plus fortement les GAFA. Comment les convaincre ?
NATHALIE LOISEAU
Alors, d'abord, il y a dix pays qui sont pour ; ce projet est parti d'un dialogue franco-allemand précisément, en pleine campagne électorale, ce qui signifie que, Angela MERKEL, qui est une grande européenne, ne s'arrête pas aux campagnes électorales pour avancer sur un certain nombre de projets essentiels, maintenant, il nous faut convaincre. Et l'idée n'est pas forcément d'avancer à 28 ou 27 demain, tous ensemble, d'un même pas, sur tout, tout le temps, parce que ça n'est pas possible. Et ce qu'on fait pendant plusieurs années, on a commis l'erreur, de ne rien faire en pensant que n'importe quel projet allait contrarier, soit, les Britanniques, soit, les Polonais. On n'a pas été vraiment remercié, puisque les Britanniques s'en vont et que les Polonais sont à peu près contre tout. Aujourd'hui
LEA SALAME
Vous en êtes où d'ailleurs de la directive sur les travailleurs détachés ?
NATHALIE LOISEAU
On négocie. Je vais en Pologne la semaine prochaine.
LEA SALAME
Oui, vous espérez un accord avant la fin de l'année ?
NATHALIE LOISEAU
On espère un accord avant la fin de l'année, ambitieux, pas n'importe quelle sorte d'accord.
LEA SALAME
Jean-Luc MELENCHON a réagi hier au discours d'Emmanuel MACRON en disant : le projet de MACRON consiste à défaire la France, la cote d'alerte du démantèlement du pays est en vue.
NATHALIE LOISEAU
Si on écoutait Jean-Luc MELENCHON, on ne ferait rien, je l'ai dit tout à l'heure, les grands enjeux auxquels on est confronté, et je n'ai pas parlé des migrations, je n'ai pas parlé de la mondialisation, vous avez cité les GAFA et la nécessité aujourd'hui de leur faire payer des impôts en Europe, si on reste enfermé derrière des frontières nationales, on ne pèsera pas le poids nécessaire pour travailler avec ces acteurs-là. Il faut évidemment
LEA SALAME
Donc assumez le mot de fédéralisme !
NATHALIE LOISEAU
Mais pas forcément, enfin, quand on fait une coopération entre plusieurs pays pour être une avant-garde et montrer le chemin, ce n'est pas du fédéralisme, c'est simplement l'envie de traiter des enjeux au niveau qui le mérite.
LEA SALAME
Madame la Ministre, dimanche prochain, un référendum aura lieu aux portes de l'Europe, jugé illégal par Madrid, la Catalogne entend organiser coûte que coûte ce référendum sur l'indépendance de cette région, si le oui l'emportait, la France reconnaîtrait-elle la Catalogne ?
NATHALIE LOISEAU
Ecoutez, la question est hypothétique, donc je n'y réponds pas. Ce que nous considérons
LEA SALAME
Oh, oh, elle n'est pas si hypothétique, on est à cinq jours quand même du jour J.
NATHALIE LOISEAU
Ce référendum est contraire à la Constitution espagnole, cela a été dit et répété, nous sommes favorables à l'unité de l'Espagne, et nous soutenons notre partenaire et voisin espagnol.
LEA SALAME
C'est clair. Deux fleurons français, ALSTOM et les Chantiers Navals STX, pour mémoire, issus tous les deux de ce qui faisait la grande fierté industrielle de la France, la Compagnie Générale des Eaux, les deux passent cette semaine sous pavillon étranger. Est-ce que c'est comme ça qu'on protège nos grandes industries françaises ?
NATHALIE LOISEAU
En 2016, 93 entreprises allemandes sont passées sous pavillon français, notamment OPEL, fleuron de l'industrie automobile allemande. Ça n'a pas ému, ça ne nous a pas paru étrange. Le niveau de compétition aujourd'hui, cest le niveau mondial, et on a besoin de champions européens.
LEA SALAME
Madame la Ministre, l'Europe, c'est le dada d'Emmanuel MACRON, vous avez en plus un ministre de tutelle, Jean-Yves LE DRIAN. Comment vous existez, à quoi sert une ministre des Affaires européennes, quand le président de la République fait presque tout le job ?
NATHALIE LOISEAU
Alors, un discours, c'est une feuille de route, et ensuite, il faut la mettre en oeuvre, et ça, c'est mon travail.
LEA SALAME
Et comment ça se passe, vous avez été patronne de l'ENA. Nicolas HULOT, dans Le Figaro Magazine de ce week-end, disait ses états d'âme, disait que c'est une épreuve chaque semaine d'aller aux « Questions d'actualité » dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Est-ce que vous, pour vous aussi, c'est une épreuve, comment ça se passe quatre mois après être arrivée au pouvoir ?
NATHALIE LOISEAU
Non, c'est enthousiasmant, c'est un moment historique fort sur les enjeux européens, parce que jamais on n'a eu autant besoin d'Europe, jamais la situation internationale n'a autant validé le projet européen, jamais aussi il n'a fallu autant répondre aux inquiétudes, aux incompréhensions, aux interrogations de nos concitoyens. Donc c'est formidable.
LEA SALAME
Vous ne regrettez pas l'ENA ?
NATHALIE LOISEAU
Ah, pas une seconde.
LEA SALAME
Merci beaucoup.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 octobre 2017