Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 (nos 269, 316, 313).
Présentation
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le ministre de l'action et des comptes publics, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, mesdames et messieurs les députés, j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui devant votre assemblée, avec le ministre de l'action et des comptes publics, Gérald Darmanin, le premier projet de loi de financement de la sécurité sociale PLFSS de cette législature. Ce PLFSS est un texte dense, et c'est un texte qui fait des choix. Ces choix, les Français ont demandé, en juin dernier, au Gouvernement et au Parlement de les porter.
C'est le choix du pouvoir d'achat pour les salariés, par la baisse des cotisations sociales et par l'augmentation, au 1er octobre prochain, de la prime d'activité. C'est le choix de conforter notre modèle de protection sociale, en adaptant son financement à l'évolution de notre économie et de notre société et en renforçant son universalité, afin que chacun puisse bénéficier de la même sécurité sociale quel que soit son statut professionnel. C'est le choix, j'y reviendrai, de la solidarité au bénéfice de nos concitoyens les plus fragiles, qu'il s'agisse des bénéficiaires du minimum vieillesse ou des familles les plus pauvres.
Choisir, c'est aussi assumer une politique de prévention ambitieuse, qui protège nos concitoyens et prend à bras-le-corps la première des inégalités en matière de santé : l'inégalité devant la prévention. Faire des choix, c'est également poser, dès maintenant, les jalons pour une transformation continue et résolue des modalités de tarification des actes et des prestations, qui incite à privilégier la pertinence et la qualité et qui prenne en compte les besoins des patients dans leur globalité.
Les choix que ce PLFSS vous propose sont ceux d'une France qui porte haut l'ambition d'un modèle de protection sociale et de santé solidaire, qui permette l'égal accès aux soins et à l'innovation, qui garantisse l'équité des citoyens devant la retraite et qui réponde efficacement aux besoins prioritaires des familles. Ces choix ne sont possibles, ces choix ne sont crédibles, mesdames et messieurs les députés, que si nous nous donnons les moyens de rétablir l'équilibre des comptes de la sécurité sociale. En tant que ministre des solidarités et de la santé, je suis particulièrement attachée à ce que nos concitoyens puissent avoir durablement confiance dans leur système de protection sociale. Et sans équilibre des comptes, il n'y a pas de confiance possible à moyen et à long terme.
L'année 2017 verra les comptes de la sécurité sociale s'améliorer de 2,6 milliards d'euros par rapport à 2016, avec toutefois un déficit encore important de 5,2 milliards. En 2018, le déficit devrait à nouveau se réduire de 3 milliards par rapport à 2017. C'est une trajectoire en ligne avec l'objectif fixé par le Premier ministre dans son discours de politique générale d'un retour à l'équilibre des comptes à l'horizon 2020. Suivre ce chemin exigeant permettra, grâce à la réalisation de certains choix, d'ouvrir à nos concitoyens la perspective nouvelle de la fin du fameux « trou de la Sécu », et d'offrir aux jeunes générations une protection sociale débarrassée de la dette sociale accumulée au cours des vingt dernières années.
Je souhaite, mesdames et messieurs les députés, revenir plus précisément sur les orientations que porte ce projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ce PLFSS est celui de la solidarité. Il s'adresse en effet d'abord aux personnes, aux familles les plus en difficulté, et pour lesquelles la solidarité nationale doit jouer en priorité. Ma première préoccupation, ce sont les personnes âgées les plus pauvres. Elles sont plus de 550 000, en France, à vivre avec 800 euros par mois. Nous augmenterons donc le minimum vieillesse de 100 euros par mois, conformément aux engagements du Président de la République.
M. Adrien Quatennens. Ça reste en dessous du seuil de pauvreté !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Cela commencera dès le 1er avril prochain, avec une augmentation de 30 euros ; l'augmentation sera ensuite de 35 euros en janvier 2019 et de 35 euros supplémentaires en janvier 2020. À mi-mandat, le minimum vieillesse aura donc augmenté de plus de 12 %.
Je veux aussi répondre aux besoins des personnes âgées en perte d'autonomie et poursuivre l'adaptation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes EHPAD en renforçant l'encadrement soignant : 4 500 places d'hébergement permanent et près de 1 500 places d'accueil de jour ou d'hébergement temporaire seront créées, et 100 millions d'euros supplémentaires seront consacrés au renforcement de l'encadrement soignant. J'ai souhaité par ailleurs soutenir, au travers de ce PLFSS, le déploiement progressif d'astreintes infirmières la nuit, comme un récent rapport de votre assemblée l'a préconisé. Ce dispositif permettra un meilleur traitement des problèmes qui peuvent survenir la nuit et évitera ainsi des hospitalisations inutiles, dont on sait qu'elles sont toujours très délétères pour les personnes les plus fragiles.
Ce PLFSS s'adresse aussi aux familles. Je veux mettre en adéquation les priorités et les outils de la politique familiale avec les besoins des familles. Notre pays se distingue de longue date par l'importance qu'il attache à une politique familiale large et structurée. Cette politique affiche des réussites manifestes : un taux de fécondité parmi les plus élevés d'Europe
M. Pierre Cordier. Il est en baisse !
Mme Agnès Buzyn, ministre. une participation des femmes au marché du travail relativement forte et une conciliation entre vie familiale et vie professionnelle qui doit encore progresser, mais qui est facilitée par une offre d'accueil du jeune enfant substantielle, diverse et financièrement accessible. Mais je fais aussi le constat que la politique familiale est aujourd'hui en panne, ou plutôt en perte de repères quant à ses finalités et ses priorités. Je remarque également que le nombre de naissances est en baisse depuis plusieurs années.
La politique familiale est un élément essentiel pour faire société et construire le monde de demain. Elle mérite, je crois, que nous ayons un débat ouvert et large sur la façon dont elle répond aujourd'hui, concrètement, aux attentes des familles. Comment augmenter et améliorer les solutions de garde des jeunes enfants et mieux prendre en compte les besoins des parents qui travaillent ? Comment aider les familles en difficulté éducative et être plus efficace dans le soutien à la parentalité ? Comment contribuer à réduire les situations de pauvreté ? La France compte aujourd'hui 3 millions d'enfants vivant dans un foyer dont les revenus se situent en dessous du seuil de pauvreté.
Cette réalité, nous devons nous en saisir pour la faire évoluer au cours de ce quinquennat, et c'est pour moi une priorité. Ce premier PLFSS opère ainsi un choix très clair, celui d'augmenter les prestations à destination des familles les plus fragiles. Les familles nombreuses les plus pauvres bénéficieront ainsi de la hausse du complément familial majoré au 1er avril 2018 : 450 000 familles seront concernées. Pour les familles monoparentales, qui sont souvent parmi les plus en difficulté, le montant de l'allocation de soutien familial sera revalorisé, au 1er avril également : 750 000 familles en bénéficieront. Enfin, le montant maximum de l'aide à la garde d'enfants pour les parents qui recourent à un assistant maternel, une garde à domicile ou une microcrèche, augmentera de 30 %.
Ce PLFSS fait des choix. Je sais les débats qu'a pu susciter parmi vous celui d'aligner les barèmes et les montants de la prestation d'accueil du jeune enfant PAJE sur ceux du complément familial. Je vous demande, mesdames et messieurs les députés, d'inscrire ce choix dans une perspective de plus long terme, celle d'engager un travail de fond, sans tabou, sur les objectifs assignés à notre politique familiale.
Ce PLFSS, je l'ai indiqué, est un texte de transformation. Il engage des évolutions structurelles pour la durée de la législature. Cette ambition de réforme concerne d'abord l'organisation de la protection sociale. Le 1er janvier 2018, vous le savez, le régime social des indépendants RSI sera adossé au régime général. Cette réforme part du constat, largement partagé, que le lien de confiance entre les indépendants et leur régime de sécurité sociale a été durablement altéré par les difficultés de la mise en place de l'interlocuteur social unique depuis 2008. Elle s'inscrit aussi dans la perspective d'une sécurité sociale universelle, qui vise à simplifier les démarches des citoyens quel que soit leur parcours professionnel, salariés ou travailleurs indépendants. Elle marque donc une nouvelle étape de la construction de notre système de protection sociale et une forme de retour aux sources de l'ambition des fondateurs de la sécurité sociale, en 1945.
Parce que c'est une réforme ambitieuse, nous laissons le temps nécessaire à cette transformation : une période de transition de deux ans sera ouverte, qui permettra de faire évoluer progressivement les organisations de travail et de mener un dialogue social de qualité avec les salariés du RSI et leurs représentants. Je veux redire devant vous l'attention que Gérald Darmanin et moi-même portons à l'accompagnement social et professionnel des salariés du RSl comme de ceux des organismes conventionnés qui servent les prestations d'assurance maladie.
L'ambition de transformation concerne également notre système de retraite. Le Président de la République s'est engagé à faire évoluer notre système de retraite pour le rendre plus juste et plus transparent.
La rénovation de ce système de retraite devra répondre à plusieurs enjeux majeurs. Elle redonnera de la lisibilité à un système qui s'est construit par strates successives et qui est aujourd'hui devenu complexe et opaque pour les Français. Elle devra également assurer la pérennité de notre système de retraite et rétablir la confiance que lui portent nos concitoyens, en particulier les Français les plus jeunes.
Elle permettra de redonner confiance à nos concitoyens dans son équité : aujourd'hui, compte tenu de la diversité des régimes et des règles, 1 euro cotisé n'ouvre pas les mêmes droits selon le statut, la forme d'emploi ou encore le profil de carrière de l'assuré. Cette réforme permettra donc de garantir une équité de traitement entre l'ensemble des assurés. Enfin, elle devra permettra à chacun de mener des carrières nécessairement plus diversifiées qu'elles ne l'ont été dans le passé entre statuts et régimes, sans craindre l'impact de ces choix sur les droits à la retraite.
Ce projet s'est ouvert avec la nomination, dans le courant du mois de septembre, de M. Jean-Paul Delevoye comme haut-commissaire à la réforme des retraites, placé auprès de moi. Nous le mènerons dans le cadre d'une démarche exemplaire de concertation avec l'ensemble des parties prenantes.
L'ambition de transformation concerne enfin le champ de la santé. Je construis, vous le savez, une stratégie nationale de santé pour les cinq prochaines années. Je ferai connaître, en décembre, les orientations précises que je retiendrai au terme de plusieurs mois de consultations et d'une grande concertation publique. Ces orientations serviront de cadre à l'élaboration d'un plan national de santé et de plans régionaux de santé au printemps.
Cette stratégie privilégie quatre axes : la prévention, l'égal accès aux soins, l'innovation, et la pertinence et la qualité des soins.
Je souhaite évoquer d'abord la prévention, parce qu'elle est au centre de mon action. Notre système de santé est un système de soins performant. C'est en revanche un système de prévention défaillant, à tout le moins perfectible. Les résultats médiocres que nous affichons pour certains indicateurs, je pense notamment à la mortalité précoce, avant 65 ans, illustrent cette défaillance. C'est aussi la principale source des inégalités sociales que notre système de santé ne parvient pas à corriger. Nous devons avoir comme première priorité de changer cet état de fait, de systématiser les démarches de prévention dès le plus jeune âge et de faire en sorte qu'elles soient davantage prises en compte par les professionnels de santé dans leur pratique. Nous devons faire en sorte que la prévention et la promotion de la santé deviennent une part intégrante des objectifs de nos politiques publiques et des acteurs de notre société civile.
Je me réjouis profondément de l'intérêt, je dirais même de l'attente que suscite cette approche au sein de la représentation nationale. J'ai pu échanger sur ce sujet avec beaucoup d'entre vous, je crois que nous partageons collectivement et de façon transpartisane la volonté d'un changement de méthode et d'une ambition renouvelée pour la politique de santé. Cette mandature peut être, si nous le décidons, celle d'un réel changement de paradigme dans la conduite des politiques publiques.
Ce PLFSS comporte, vous le savez, deux mesures très fortes et emblématiques de cette démarche de prévention. Nous souhaitons rendre obligatoires pour les jeunes enfants onze vaccins qui étaient jusqu'à présent, pour huit d'entre eux, simplement recommandés. Nous ne pouvons pas accepter une situation où des personnes, des enfants, sont victimes de maladies parfois mortelles qui peuvent être évitées par la prévention. 70 à 80 % des enfants reçoivent déjà ces vaccins : ce n'est donc pas un bouleversement majeur des habitudes et des attitudes vaccinales, mais ce taux est insuffisant, nous le savons, pour obtenir une couverture vaccinale efficace car il laisse la possibilité que se développent des situations épidémiques qui ont des conséquences graves. Il revient donc à la puissance publique de prendre ses responsabilités. Vacciner son enfant, c'est le protéger, mais c'est aussi protéger les autres, et je veux insister sur la dimension profondément solidaire et altruiste de ce geste de la vaccination.
Ce PLFSS prévoit également une hausse très importante des prix du tabac sur trois ans, avec une première étape significative dès 2018 : une hausse de 1 euro par paquet. Nous avons un problème particulier avec le tabagisme : nos jeunes fument plus que dans les pays voisins et le tabagisme des femmes est particulièrement élevé en France. Le résultat, c'est près de 80 000 morts par an. C'est surtout des vies abrégées, des souffrances, notamment familiales, que nous pourrions éviter. Il n'y a pas plus de fatalité dans ces morts qu'il n'y en avait dans la mortalité sur nos routes. Le prix du tabac, c'est un fait constaté et documenté, est un paramètre important du comportement des fumeurs. Il faut donc agir sur ce levier, qui n'est bien sûr pas le seul, et je ferai connaître, dans le cadre du plan national de santé, les mesures de prévention et d'incitation que je souhaite mettre en place.
J'ai déjà eu l'occasion de rappeler le dialogue très constructif que j'ai eu avec M. Gérald Darmanin pour progresser vers cet objectif de santé publique absolument majeur. Je veux affirmer devant vous mon égale détermination à soutenir la lutte contre les marchés parallèles, légaux ou illégaux, dans le cadre national comme dans le cadre européen, et à veiller, à l'échelon européen toujours, à la mise en place d'un système de traçabilité efficace et indépendant. Nous travaillons également auprès de la Commission européenne et de mes homologues pour aller vers une harmonisation des prix.
Le deuxième axe de la stratégie nationale de santé concerne l'égalité d'accès aux soins. Les Français y sont légitimement très attachés, c'est le fondement de notre modèle social et je veux m'attacher à améliorer concrètement l'accès aux soins.
Les difficultés d'accès aux soins sont d'abord liées au montant des restes à charge. C'est en particulier vrai, de longue date, dans trois domaines du soin, l'optique, le dentaire et les audioprothèses, où l'assurance maladie couvre moins bien la dépense, où les assureurs complémentaires ont parfois pris le relais, mais où, globalement, le reste à charge pour le patient reste très élevé. Cette situation est le fruit de l'histoire et d'arbitrages successifs qui ont conduit à créer des angles morts de la protection sociale pour des soins ou des prestations qui rendent pourtant un service important aux usagers. Il n'y a pas de fatalité à ce qu'il en soit toujours ainsi. C'est pourquoi je lancerai dès la semaine prochaine le travail et la concertation pour aboutir à un reste à charge zéro dans les domaines de l'optique et des audioprothèses, en sus des négociations entamées mi-septembre dans le secteur dentaire. Ces travaux devront aboutir, en tout état de cause, avant la fin du premier semestre 2018.
Permettez-moi d'évoquer dans ce contexte le tiers payant. Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales, qui m'a été remis en fin de semaine dernière, conclut que la généralisation du tiers payant à la date du 30 novembre prochain, telle que la prévoyait la loi du 26 janvier 2016 est « irréaliste ». J'en ai tiré les conclusions et vous proposerai donc de lever cette obligation.
M. Gilles Lurton. Très bien !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Le tiers payant restera bien entendu obligatoire là où il s'applique déjà et où il fonctionne, c'est-à-dire pour les personnes souffrant d'une affection de longue durée ALD , les femmes enceintes et les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire ou de l'aide au paiement d'une complémentaire santé. Mais je veux vous dire également mon attachement à ce que le tiers payant se généralise pour les consultations médicales, comme cela a été le cas pour les médicaments, et ma détermination à faire aboutir les travaux qui permettront de rendre le système simple d'utilisation pour les professionnels.
Je vous proposerai donc que le Gouvernement présente au Parlement, d'ici à l'été prochain, le calendrier selon lequel le tiers payant intégral pourra être proposé à tous les assurés dans des conditions techniques fiabilisées. Je vous proposerai également que ce rapport identifie des publics prioritaires pour lesquels un accès effectif au tiers payant intégral devrait être garanti, au-delà des publics déjà couverts.
Nos concitoyens sont également de plus en plus préoccupés par l'égal accès aux soins dans le territoire. J'ai présenté le 13 septembre dernier, avec le Premier ministre, un plan pour renforcer l'égal accès aux soins. Le constat que nous pouvons faire, c'est que nous n'avons pas su assez anticiper la démographie médicale, l'évolution de l'exercice médical, les attentes des nouvelles générations de médecins et surtout le fait que l'évolution du profil des patients nécessite une prise en charge par des équipes de soins composées du médecin et de nombreux autres professionnels de santé.
Je ne crois pas, nous aurons l'occasion d'y revenir dans le cours de nos débats, à la coercition et à l'obligation. Il n'y a pas une solution unique aux difficultés que vivent nos concitoyens dans les territoires, mais des solutions, adaptées à chaque territoire et portées par les acteurs de terrain. Il faut donner à ces derniers le maximum de possibilités d'organisation, et libérer du temps médical en levant les freins administratifs, en favorisant notamment le cumul emploi-retraite, les remplacements, les consultations avancées et l'exercice coordonné sous toutes ses formes. C'est le sens du plan d'action que nous avons bâti et qui devra continuer à être enrichi, avec votre contribution, au cours de la mandature. En appui de ce plan, le PLFSS portera la généralisation de l'usage de la téléconsultation et de la téléexpertise, en les sortant de leur cadre expérimental.
S'agissant maintenant de l'innovation et de la pertinence des soins, je veux en particulier faciliter l'expérimentation de formes d'organisation et de rémunération nouvelles. Elles permettront de dépasser les logiques sectorielles entre la médecine de ville et l'hôpital, de rémunérer par exemple au forfait des séquences de soins, de prendre en compte la prévention et la pertinence des actes réalisés. Je vous proposerai donc d'adopter, à l'article 35 de ce projet de loi, un cadre général, valable pour l'ensemble du quinquennat, qui permettra de lancer et d'évaluer ces expérimentations. Ces dernières pourront être financées par un fonds d'innovation, qui sera abondé, en tant que de besoin, par l'assurance maladie. Mon objectif à terme est bien de faire évoluer et de compléter les dispositifs actuels de rémunération rémunération à l'acte ou tarification à l'activité. Je suis en effet convaincue que le levier tarifaire est un levier fondamental de l'évolution de notre système de santé vers plus de prévention, de coordination entre professionnels et de pertinence.
Je veux terminer en évoquant l'évolution de la dépense d'assurance maladie. L'objectif national des dépenses d'assurance maladie ONDAM sera fixé à 2,3 %. Ce taux est conforme à l'engagement du Président de la République. Il est supérieur à celui des trois années précédentes et permettra de consacrer 4,4 milliards d'euros supplémentaires à la couverture des soins.
Ce taux prend en compte des engagements déjà souscrits, dont la convention médicale signée en 2016 avec les professionnels libéraux. L'impact de cette convention, important en 2017, le sera plus encore en 2018 : c'est pourquoi le sous-objectif des soins de ville sera supérieur au taux global d'ONDAM et s'élèvera à 2,4 %. J'estime que cette convention va dans le bon sens, celui des orientations que je porte, car elle valorise mieux l'action des généralistes et prend mieux en compte les actes complexes et les consultations réalisées dans des situations d'urgence.
L'évolution des ressources des établissements de santé sera pour sa part de 2,2 %, du fait de l'apport que constituera pour eux le relèvement de 2 euros du forfait journalier. Quatre cents millions d'euros seront dédiés à l'investissement immobilier et numérique, et près de 600 millions seront consacrés à l'augmentation des dépenses de la liste en sus, liée à l'arrivée de nouvelles classes thérapeutiques innovantes. Plus de 200 millions d'euros de mesures nouvelles permettront de mettre en oeuvre des actions indispensables dans le cadre de nos politiques publiques, par exemple celle visant à faciliter l'accès aux soins des populations précaires.
Enfin, le Fonds d'intervention régional FIR sera augmenté de 3,1 %. Le FIR doit être, avec le fonds d'innovation que j'évoquais précédemment, le support d'une politique de transformation au plus près du terrain.
Un taux de 2,3 % reste un taux d'ONDAM exigeant. Il doit nous inviter à poursuivre la réorganisation de notre offre de soins et à orienter toujours plus notre offre de santé vers la pertinence. Plusieurs dispositions du PLFSS vous proposent des actions en ce sens.
J'entends les critiques qui ont pu être formulées quant à l'ampleur du programme de baisse de prix des médicaments sous-jacent à cet ONDAM. Je suis, par mon métier et mon parcours professionnel, profondément attachée à l'égal accès de chaque citoyen à l'innovation et aux meilleurs soins. Les choix que nous faisons permettent de continuer à investir de façon massive dans les nouveaux traitements, très attendus des malades. Mais maintenir cette ambition exige un dialogue permanent et de haut niveau avec les industriels, pour que les prix et les indications soient en rapport avec l'apport thérapeutique effectif de ces produits, et avec les professionnels pour que les prescriptions soient toujours adéquates. Ce dialogue exigeant, je suis prête à l'avoir et je l'appelle de mes voeux.
Pour conclure, mesdames, messieurs les députés, nous avons voulu, dans ce premier projet de loi de financement de la sécurité sociale du quinquennat, donner du sens et donner des perspectives. Donner du sens, c'est mettre en oeuvre pour nos concitoyens des réformes concrètes ; c'est aussi faire des choix et les expliquer. Donner des perspectives, c'est engager des réformes en profondeur, bouger les lignes pour faire progresser notre collectivité nationale. C'est le sens du mandat que les électeurs ont confié à leurs représentants, et c'est ce chemin d'exigence et de progrès que je vous propose de prendre ensemble. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'action et des comptes publics.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le président, madame la ministre chère Agnès, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les députés, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale que j'ai l'honneur de présenter conjointement avec Agnès Buzyn s'inscrit dans une triple logique de redressement de nos comptes publics, de libération de notre potentiel économique pour plus d'emploi et plus de pouvoir d'achat pour les Français, et d'amélioration de la protection sociale de nos concitoyens, un point qu'Agnès Buzyn a largement détaillé.
En tant que ministre de l'action et des comptes publics, j'insiste pour que ce budget ne fasse pas l'objet d'un examen disjoint des autres textes financiers qui seront soumis à votre approbation cet automne, et notamment du projet de loi de finances dont vous avez voté la première partie voilà quelques instants. La maîtrise de la dépense sociale est indissociable de l'effort global que mène ce Gouvernement en faveur d'une plus grande maîtrise de la dépense publique dans son ensemble.
J'en profite également pour redire toute l'importance que nous accordons à ce que le Parlement, si tel est son souhait nous nous sommes entretenus à ce sujet, monsieur le président de l'Assemblée nationale puisse, à moyen terme, examiner conjointement les volets recettes des deux projets de lois, PLF et PLFSS, tant les relations financières entre l'État et la sécurité sociale sont devenues intriquées et, surtout, tant il me paraît indispensable que le Parlement se prononce dans son ensemble sur ce qu'acquittent les Français en impôts et en taxes, quelle qu'en soit l'affectation. Cela rendra les choses plus intelligibles.
Il n'est qu'à évoquer la question de la CSG ou bien des allégements de charges sur les bas salaires, inscrits dans le présent PLFSS, pour s'en convaincre : omniprésentes dans les débats de la semaine passée, ces deux dispositions trouvent naturellement leur place dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Au-delà de cette cohérence entre les textes, je voudrais rappeler la cohérence d'ensemble dont peut se prévaloir le présent projet de loi. En effet, c'est parce que nous maîtriserons la dépense sociale que nous pourrons réduire les impôts et les charges qui pèsent sur nos entreprises et maintenir un haut niveau de protection sociale pour nos concitoyens. C'est parce que nous rénoverons notre modèle social et le transformerons que nous en préserverons les atouts.
Premièrement, nous maîtriserons donc les dépenses sociales au service du redressement de nos comptes publics. Ceux qui prétendent que seul le budget de l'État peut servir de point d'équilibre pour notre politique budgétaire se trompent, et ils se trompent deux fois : non seulement du fait de la prééminence des dépenses sociales dans notre architecture budgétaire, mais aussi en raison des difficultés qu'il y a à faire reposer l'effort de maîtrise de nos dépenses sur les seules dépenses d'État. Ainsi, en 2018, le déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse FSV se réduirait par rapport à 2017 pour atteindre 2 milliards d'euros, grâce aux efforts de maîtrise de la dépense et grâce à une conjoncture économique favorable.
À moyen terme, nous nous inscrivons dans une trajectoire de retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale à l'horizon 2020, avec à plus long terme un désendettement de la sécurité sociale à l'horizon 2024. Nous avons eu ce débat lors de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques.
Deuxièmement, grâce aux efforts que nous ferons collectivement, nous poursuivrons la libération des énergies au service de l'emploi et de l'amélioration du pouvoir d'achat des Français. De ce point de vue, ce PLFSS a un axiome clair : il faut que le travail paie.
Trois réformes majeures sont à voter ; elles sont légitimement attendues de longue date à la fois par les Français et par une grande partie de la classe politique.
Je voudrais profiter quelques instants de la tribune qui m'est offerte pour revenir sur quelques contre-vérités que nous avons entendues depuis cinq mois de la part de ceux qui, précisément, réclamaient ces réformes, et rechignent aujourd'hui à leur mise en oeuvre. Oui, l'adossement du RSI au régime général se fera sans augmentation des cotisations pour les salariés. Les travailleurs indépendants bénéficieront comme aujourd'hui des mêmes prestations que les salariés. Certaines des prestations qui leur sont spécifiques ont par ailleurs vocation à être rapprochées : c'est notamment le cas du congé maternité. En revanche, les travailleurs indépendants conserveront évidemment leurs propres règles et taux en matière de cotisations, règles justifiées par la spécificité de leur situation.
C'est une réforme très attendue par les indépendants, et Agnès Buzyn et moi-même avons conscience que c'est aussi une réforme très ambitieuse. Compte tenu de son ampleur, nous avons prévu une phase transitoire de deux ans pendant laquelle les missions du RSI, comme Agnès Buzyn l'a précisé, seront progressivement reprises par les caisses du régime général sans jamais que les agents soient forcés à la mobilité. J'en profite ici pour dire que pendant des mois, des années, on a affirmé qu'il fallait revoir le système du RSI. Et on entend à présent certains dans l'opposition soutenir que tout va bien, et que jamais les artisans ne s'en sont plaints Personne n'est dupe de ce discours politique, et je vous renvoie sur ce point aux propos que nous avons tenus au Sénat Mme la ministre et moi-même.
M. Gilles Lurton. Ici, c'est l'Assemblée nationale, monsieur le ministre !
M. Gérald Darmanin, ministre. Bref, nous procédons enfin à la réforme du RSI.
Oui, les allégements de cotisations salariales vont bel et bien bénéficier à près de 20 millions de salariés dès le 1er janvier prochain. Ils connaîtront une baisse de 2,25 points des cotisations salariales alors que la CSG n'augmentera que de 1,7 point.
Puis, à compter du 1er octobre 2018, s'ajoutera l'exonération du reliquat des cotisations d'assurance chômage, pour atteindre une baisse totale des cotisations salariales de 3,15 points, qui faisait partie du programme du Président de la République et de la majorité parlementaire. Au total, c'est la redistribution de 3 milliards d'euros au profit des salariés qui est ainsi organisée en 2018. Cette mesure est complétée par un volet budgétaire dans le projet de loi de finances avec une revalorisation de la prime d'activité de 80 euros par mois en quatre fois, afin de mieux rémunrer le travail. Si je devais résumer l'argument, je dirais que les deux tiers de la baisse des cotisations sociales auront lieu au 1er janvier, qu'un tiers d'augmentation du pouvoir d'achat pour tous les salariés sera inscrit sur la feuille de paie de janvier, et que le dernier tiers de baisse des cotisations sera ensuite effectif au mois d'octobre, en même temps que les deux tiers restants d'augmentation du pouvoir d'achat.
Oui, la conversion du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi CICE et du crédit d'impôt de taxe sur les salaires CITS en allégements de charges pérennes représente bien une réduction majeure et sans précédent du coût du travail, à hauteur de plus de 20 milliards d'euros d'allégements en 2019. Il n'y aura donc pas de hausse du coût du travail, comme on a pu l'entendre ou le sous-entendre. Et le creusement temporaire du déficit public d'environ 1 point de richesse nationale bénéficiera à la trésorerie des entreprises, du fait d'un double effet en 2019.
Ces deux crédits d'impôt seront remplacés en 2019 par une exonération renforcée des cotisations sociales, comprenant deux volets. Le premier consiste en un allégement uniforme de 6 points des cotisations sociales d'assurance maladie pour l'ensemble des salariés relevant du régime général de sécurité sociale et du régime des salariés agricoles, applicable sur les salaires dans la limite de 2,5 SMIC. À la différence du dispositif antérieur, cet allégement bénéficiera à tous les employeurs, y compris ceux de l'économie sociale et solidaire et du monde associatif, qu'ils soient ou non assujettis à l'impôt sur les sociétés. Le second correspond à un renforcement des allégements généraux de cotisations sociales au niveau du SMIC afin d'encourager la création d'emploi. Désormais, ces allégements généraux porteront également sur les contributions d'assurance chômage et de retraite complémentaire.
Cette mesure se traduira pour les entreprises par un allégement supplémentaire du coût du travail pour tous les salariés rémunérés en dessous de 1,6 SMIC. Très concrètement, alors qu'un salarié rémunéré au SMIC ouvre droit aujourd'hui à un allégement du coût du travail annuel de 6 446 euros CICE compris, ce même niveau de salaire pour la même entreprise ouvrira droit à un allégement annuel de 7 166 euros à compter de 2018. Dire que nous alourdissons le coût du travail est un mensonge éhonté.
M. Gilles Lurton. C'est vous qui mentez !
M. Gérald Darmanin, ministre. Concernant les conséquences de ces allégements généraux sur les régimes paritaires régimes complémentaires et assurance chômage le Gouvernement retient à ce stade des discussions, comme pour la mesure relative à la CSG en 2018, une convention de financement reposant sur l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale ACOSS.
Vous me permettrez à ce propos un bref commentaire sur l'évolution du financement de notre modèle de protection sociale. Du côté des recettes, ce texte procède donc à une substitution de la CSG, pesant sur l'ensemble des revenus, à des cotisations sociales assises exclusivement sur le travail ; c'est la fameuse transformation que nous souhaitons mettre en place dans ce domaine. Du côté des dépenses, ce mouvement est complété par une généralisation de l'accès au régime de droit commun de populations spécifiques, tels les indépendants.
Cette évolution profonde de notre modèle de protection sociale le passage d'un modèle assurantiel, basé sur des cotisations sociales, à un modèle plus universel, basé sur l'impôt le Président de la République et la majorité parlementaire l'ont souhaitée et annoncée. Elle ne résulte pas de l'application d'une théorie préconçue, et répond plutôt à des objectifs pragmatiques très clairs : plus d'emploi, pour plus de croissance et plus de justice.
Enfin, toujours grâce aux efforts que nous réaliserons collectivement, nous poursuivrons avec ce texte le renforcement de la protection des Français les plus fragiles avec notamment, cela a été évoqué par Mme Buzyn, le soutien aux familles monoparentales, aux personnes handicapées et aux personnes âgées bénéficiaires du minimum vieillesse.
Mesdames, messieurs les députés, renforcer notre système de protection sociale sans en réformer par ailleurs la structure ni maîtriser nos dépenses d'intervention serait une erreur majeure. Libérer nos énergies et notre économie sans protéger par ailleurs les plus vulnérables d'entre nous serait une faute. Notre ambition au travers de ce texte est d'éviter ce double écueil : pour nous réformer, nous devons libérer et nous protéger.
Madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les députés, ce premier projet de loi de financement de la sécurité sociale du quinquennat présente une cohérence d'ensemble que nous avons souhaité rappeler devant vous : cohérence avec l'ensemble des textes financiers que nous vous présentons tout d'abord, cohérence avec les engagements du Président de la République et de la majorité ensuite, cohérence avec la maîtrise des dépenses sociales enfin, que nous voulons poursuivre et amplifier afin à la fois de libérer les énergies et de réduire nos dépenses publiques, pour les rendre plus efficaces. Mme la ministre s'est largement expliquée sur ces points cet après-midi, y compris lors de la séance de questions au Gouvernement.
Oui, nous abaisserons le coût du travail de manière pérenne. Oui, nous mettrons un terme à la gouvernance qui a conduit à l'échec du RSI. Oui, nous allons redonner du pouvoir d'achat aux salariés en diminuant leurs cotisations sociales. Oui, nous allons protéger les plus fragiles de nos concitoyens grâce aux efforts collectifs. Oui, nous allons transformer la sécurité sociale pour le bien des Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.)
source http://www.assemblee-nationale.fr, le 26 octobre 2017