Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur l'élection européenne de 1994, l'idée européenne et la place de la France dans la construction européenne, Toulouse le 16 mai 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement de M. Edouard Balladur, Premier ministre, à Toulouse à l'occasion du 1er meeting organisé par la liste RPR UDF dans le cadre de la campagne pour les élections européennes le 16 mai 1994.

Texte intégral

- Heureux de défendre ici à Toulouse, la liste commune RPR/UDF à l'invitation de Dominique BAUDIS
- C'EST UNE ELECTION IMPORTANTE :
L'Assemblée européenne aura un rôle accru dans les années qui viennent. Elle sera plus largement associée aux décisions. Il est donc capital que les intérêts de la France y soient bien défendus par des Français unis.
Cette élection conditionne donc pour partie la situation de l'Europe pour les cinq années à venir.
Nous avons devant nous plusieurs échéances importantes :
- l'entrée de quatre nouveaux Etats membres au 1er janvier 1995 : elle doit se faire sans dommages pour les pays membres et en particulier la France. Nous avons un devoir de vigilance ;
- la conférence institutionnelle de 1996 : tout le monde sait que à seize on ne construira pas l'Europe comme on pouvait l'imaginer à six il y a quarante ans ;
- les décisions sur l'achèvement de l'union monétaire : ce n'est pas une affaire de techniciens ; l'approfondissement des liens monétaires entre les Nations européennes est la condition du progrès économique ;
- la réforme du financement de l'Union européenne ;
- la préparation de nouvelles adhésions.
Ces échéances modifieront le visage de l'Europe. Il faut s'y préparer. Le gouvernement français et les parlementaires européens français devront travailler en liaison étroite sur ces questions fondamentales. Ensemble il nous faudra renforcer le rôle de la France en Europe, défendre les intérêts de la France et faire prévaloir la conception qui est la nôtre de l'Europe, pas une conception fédérale, mais une conception nouvelle, union d'états qui mettent en commun certaines de leurs compétences, doivent être unanimes pour leurs décisions les plus importantes et conservent par ailleurs leur souveraineté.
- CETTE ELECTION INTERVIENT A UN TOURNANT DE L'HISTOIRE EUROPEENNE
* la situation du monde a changé depuis 1989 ;
La chute du mur de Berlin en 1989, a mis fin à un ordre ancien, fondé sur l'affrontement Est-Ouest qui polarisait l'ensemble des relations internationales :
- effondrement du bloc soviétique et accession à la démocratie des pays d'Europe centrale et orientale qui ont noué des relations privilégiées avec l'Union européenne (accords d'association) ; devoir les aider ; ce que j'ai écrit en 1990.
- éclatement de l'URSS (1991) et accession à l'indépendance de nouveaux Etats ;
- à la faveur de la fin de la guerre froide, des conflits anciens sont entrés dans la voie du règlement : Afrique australe, Proche-Orient ;
- en revanche, d'autres conflits, jusqu'alors étouffés par les rgimes autoritaires sont apparus : Yougoslavie, Arménie-Azerbaidjan, etc... C'est un fait nouveau ; pour la première fois depuis 1945, il y a des guerres sur le sol européen ;
- irruption sur la scène des échanges internationaux de nouveaux partenaires : l'Asie du Sud-Est et l'Amérique latine notamment, engagés depuis de longues années dans un processus d'industrialisation ou de stabilisation ; mais aussi les pays convertis à l'économie de marché (Europe de l'Est), ainsi que la Chine ;
- les échanges commerciaux ont été profondément perturbés par l'irruption de ces nouveaux compétiteurs. Fait significatif, ils ont participé pour la première fois pleinement aux négociations du GATT ;
- ces négociations sont elles-mêmes un fait très important : elles devraient se traduire par une croissance des échanges et l'établissement de règles du jeu plus équitables, en particulier grâce à la création de l'Organisation Mondiale du Commerce dont la France souhaite qu'elle traite de l'impact sur le commerce des politiques sociales et environnementales.
* la situation de l'Europe a elle aussi changé depuis 1989
Sur le plan économique, la donnée majeure est la grave crise qu'ont traversé tous les Etats membres, la plus grave depuis 20 ans, qui s'est traduit par la montée du chômage.
L'Europe a paru affaiblie : alors que l'Amérique renouait avec la croissance, l'Europe n'enregistrait que des résultats médiocres. Les Etats membres souffrent aujourd'hui de déficits publics élevés.
Les désordres monétaires ont fait planer la menace d'une dislocation du SME et ont provoqué dans certains secteurs des distorsions de concurrence.
Ces difficultés, il faut en être conscient ont fait reculer l'idée européenne dans l'opinion publique. Trop souvent l'Europe est devenu synonyme d'impuissance (face au chômage, dans le drame bosniaque) et de bureaucratie, d'incapacité à assurer la paix, d'atteintes absurdement portées aux identités nationales par des réglementations communautaires ressenties comme inutiles et vexatoires.
L'idée européenne a-t-elle encore un avenir ? Oui, plus que jamais. Nous sommes là pour en témoigner.
NOUS DEVONS FIXER NOS PRIORITES : UNE EUROPE PLUS DEMOCRATIQUE, UNE EUROPE PLUS SURE, UNE EUROPE PLUS PROSPERE
PREMIER OBJECTIF : L'EUROPE DOIT ETRE PLUS DEMOCRATIQUE
Dans les années qui viennent, l'Europe sera plus étendue
Nous ne pouvons rester sourds à l'appel des peuples d'Europe centrale et orientale. C'est aussi l'intérêt de la France.
L'élargissement est inéluctable. Il est aussi souhaitable à condition qu'il soit préparé. Naturellement, ce mouvement prendra du temps. Nous devons aider les Etats d'Europe centrale et orientale en leur éclairant l'avenir ; ils devront :
- se doter de structures économiques compatibles avec les nôtres ;
- reprendre "l'acquis" communautaire ;
- assurer la stabilité, frontières, minorités.
Devenue plus nombreuses, les Nations européennes regroupées au sein de l'Union devront adopter un mode de fonctionnement commun plus démocratique.
La méfiance à l'égard de l'Europe se nourrit en effet du sentiment que les décisions ne sont pas prises au niveau politique, c'est-à-dire par ceux qui sont élus et responsables devant le peuple. Il faut une Europe plus démocratique.
C'est le rôle du Conseil Européen qui doit mieux asseoir son contrôle sur la Commission. Mais il nous faut aller plus loin. Aujourd'hui, près de 60 % de la réglementation nouvelle qui s'applique dans notre pays est d'origine communautaire. D'ici à 1996, date à laquelle l'ensemble des pays de la Communauté réfléchiront sur nos institutions communes, il nous faudra proposer une association plus étroite des Parlements nationaux à ce travail de réglementation.
Il est nécessaire que les citoyens de chaque pays se sentent plus proches de la décision. C'est de cette manière que se popularisera l'idée européenne et pas autrement. Les Français n'acceptent plus, et ils ont raison, le fait accompli,
Il s'agit d'une certaine façon, d'une remise en cause des schémas vieux de 30 ans. Les problèmes sont nouveaux, ils exigent des solutions nouvelles.
DEUXIEME OBJECTIF : L'EUROPE DOIT ETRE PLUS SURE
Plus démocratique, l'Europe pourra développer ses ambitions et les appliquer aux domaines où elle peut être utile : la sécurité, la maîtrise des flux migratoires, la lutte contre le grand banditisme et le trafic de drogue. La coopération européenne sera engagée d'une meilleure sécurité des citoyens de chaque pays.
A l'échelle du continent, il faudra également restaurer les conditions de sécurité :
- l'éventualité même d'une guerre sur le sol de l'Europe était inimaginable il y a cinq ans ;
- aujourd'hui, des soldats Français sont tombés en Europe ; il nous appartient de tout faire pour que s'établisse un nouvel équilibre, plus durable ;
- le rôle de la France est éminent : membre du Conseil de sécurité ; seul pays européen à être totalement maître de l'ensemble de la chaîne qui constitue la dissuasion nucléaire.
la France s'est préparée à sa tâche :
A l'intérieur de nos frontières
* Livre Blanc
* Loi de programmation militaire
En Europe
* participation au corps européen
* premier contingent mondial en ex-Yougoslavie.
Sur le plan diplomatique
Nous avons été à l'initiative d'un effort unique de prévention : c'est le pacte de stabilité dont la Conférence de lancement se tiendra dans 10 jours à Paris. Son but est d'encourager les Etats d'Europe centrale et orientale à signer entre eux des accords de bon voisinage. La tâche est difficile, elle est immense mais il est de notre devoir comme de notre intérêt de mettre toute notre ardeur pour que cet effort réussisse. C'est aussi une tâche "européenne". La Communauté s'est bâtie au lendemain de la guerre pour surmonter les divisions et les haines anciennes. Elle a réussi et consolidé la paix.
Cet effort, il faut le reprendre aujourd'hui. L'enjeu est toujours le même.
En ce domaine, tout spécialement l'Europe a besoin de la France.
TROISIEME OBJECTIF : UNE EUROPE PLUS PROSPERE
Mais l'Europe est aussi nécessaire à la France : c'est la raison fondamentale de notre engagement européen. Sans l'Europe, qui les oblige à s'unir et à s'organiser, les économies européennes risqueraient la marginalisation.
Economiquement, la France a besoin du marché européen, dès lors qu'il est organisé. Ses entreprises jouissent d'une compétitivité renforcée. Elles ont besoin d'un marché à la dimension de celui dont bénéficient leurs concurrents américains ou japonais.
Les agriculteurs ont besoin de la PAC pour poursuivre leur modernisation et pour exporter vers les autres Etats membres. A cet égard, l'élargissement aux Etats scandinaves et à l'Autriche est exemplaire : grâce à la détermination du gouvernement français, qui s'est battu pour un alignement rapide des prix dans ces pays sur les prix européens, ce sont de nouveaux marchés qui s'ouvrent pour notre agriculture (dans ces pays, les exportations agricoles représentent 3 % des exportations totales, contre 17 % pour la France).
Mais l'Europe ne se résume pas au marché unique. Nous devons convaincre nos concitoyens qu'elle peut être une réalité concrète.
C'est pourquoi nous sommes attachés au développement de programmes vraiment européens :
- dans le domaine industriel : Airbus ou Eurocopter ;
- dans le domaine des transports : TGV avec l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. La France a fait des propositions, elle attend des décisions. La prochaine étape à Corfou en juin ;
- dans le domaine commercial où les négociations du GATT ont prouvé quelle force renouvelée nous donnait une position commune.
L'Europe n'est pas une utopie, elle doit pour réussir, démontrer son efficacité. C'est ce à quoi, ensemble, nous nous employons.
Il faut aussi mieux se défendre contre le reste du monde. La négociation du GATT en 1993 a montré que lorsqu'elle était unie et déterminée l'Europe pouvait voir triompher ses thèses. C'est un exemple à suivre. Nos députés auront à coeur, j'en suis sûr, de s'en souvenir, et d'assurer une meilleure protection de l'Europe, une défense de ses intérêts qui ne soit pas inférieure à la défense des intérêts des autres zones dans le monde.
Cette triple ambition d'une Europe plus démocratique, plus sûre et plus prospère, rassemble toute la majorité.
C'est fort de cette conviction qu'il y a un an, j'ai souhaité que le RPR et l'UDF s'unissent pour défendre ensemble la même conception de la Construction Européenne.
Pourquoi ai-je immédiatement pris cette position ?
D'abord parce qu'il m'a semblé que c'était de l'intérêt de la France. Depuis un an, ce Gouvernement, confronté à une situation difficile, peut être la plus difficile depuis la guerre, mène une politique difficile et qui commence à porter ses fruits.
Par deux fois en un an, l'Europe a été sur le point de connaître une crise grave. Par deux fois, c'est une initiative française qui a permis de surmonter les difficultés :
- la crise monétaire d'abord ;
- les négociations commerciales ensuite où nous sommes parvenus à recréer un front uni européen qui a fini par faire triompher nos thèses essentielles.
Cette politique européenne est conduite par un Gouvernement soutenu par les deux grandes familles de la Majorité.
Comment aurions-nous pu expliquer au pays que les uns et les autres nous ne partagions pas la même vision de l'Europe ?
Mais j'ai aussi souhaité cette liste d'union parce que j'ai la certitude qu'elle est la condition du succès.
Unis, le RPR et l'UDF ont gagné les dernières élections législatives, unis nous avons gagné les élections cantonales. C'est lorsque nous sommes unis que les Français nous font confiance.
Chaque fois que nous serons unis, nous gagnerons et chaque fois que nous nous diviserons nous serons sanctionnés. Combien de fois en avons-nous fait collectivement l'expérience ?
Les problèmes de la France sont graves, les préoccupations de chacun nous les connaissons : les Français ne nous pardonneraient pas des divisions politiques qui nous feraient perdre de vue l'essentiel : consacrer tous nos efforts au redressement de notre pays.
Ce redressement est engagé. La France qui reculait hier est aujourd'hui en marche.
Notre devoir est de poursuivre, ensemble, cet effort. Aucune division ne doit nous en distraire. Objectif des dix prochaines années : bâtir une autre société, plus dynamique, plus fraternelle (ex...) et la bâtir avec tous les Français, en les associant tous à l'effort commun.
Aujourd'hui, c'est ensemble que nous allons défendre l'idée d'une construction de l'Europe qui se fera dans le respect de nos convictions.
Demain nous devons, encore unis, proposer aux Français les changements qui permettront de bâtir cette autre société que nous appelons de nos voeux.
Toujours les Français ont assumé leurs difficultés par le rassemblement le plus large : assez de divisions, assez de polémiques, assez d'exclusions. Il n'y a pas d'un côté les bons, de l'autre les mauvais.
Il y a des Françaises et des Français qu'il faut, tous ensemble associer à l'effort commun. Alors, ils recommenceront à croire en eux, à croire en l'avenir, alors ils croiront davantage dans la France et dans une Europe où la France doit jouer un grand rôle. Voilà l'enjeu.