Texte intégral
CAROLINE ROUX
Bonjour Nicole BELLOUBET.
NICOLE BELLOUBET
Bonjour.
CAROLINE ROUX
Alors ça fait près de deux semaines maintenant que les prisons françaises sont en situation de blocage. Le mouvement s'enlise ?
NICOLE BELLOUBET
Non, je ne dirais pas qu'il s'enlise, puisque depuis le début, nous avons pris les choses en main avec des organisations syndicales qui n'étaient pas toutes d'accord entre elles, mais nous avons pris les choses en main. Nous avons abouti, après un certain nombre de discussions, à des propositions extrêmement concrètes
CAROLINE ROUX
Qui sont refusées pour l'instant.
NICOLE BELLOUBET
Celles-ci ont été repoussées par les personnels. Et donc je suis, hier, repartie sur la base de ces propositions, j'ai demandé aux syndicats de venir me voir à nouveau. Et nous travaillons à nouveau à de nouvelles propositions.
CAROLINE ROUX
Vous travaillez ou on est dans un bras de fer ?
NICOLE BELLOUBET
Oh, je n'aime pas l'expression bras de fer, en tout cas, de mon point de vue, je ne le prends pas comme ça, même si je suis parfaitement consciente d'un certain nombre de réalités, à la fois syndicales, mais moi, ce qui m'importe, c'est la réalité de la condition des personnels pénitentiaires, c'est-à-dire que je suis allée dans de très nombreux établissements, j'ai longuement discuté avec les personnels, je sais donc ce qu'ils vivent, je sais la difficulté de leur métier.
CAROLINE ROUX
C'est important de leur dire ce matin, parce qu'ils ont le sentiment parfois qu'on ne connaît pas la réalité de leur travail.
NICOLE BELLOUBET
Non, oui, j'entends, j'ai entendu cela, je trouve que ce n'est pas juste de dire cela. Mais je ne veux pas répondre à ce type de critiques. Je suis allée dans de nombreux établissements, j'ai très longuement discuté avec les personnels. Je sais donc parfaitement la difficulté de leurs missions, de leur métier. Je sais que les détenus ont changé, la population pénale a changé.
CAROLINE ROUX
C'est-à-dire, elle est plus violente ?
NICOLE BELLOUBET
C'est-à-dire qu'elle est plus violente, peut-être avec un respect de l'autorité qui est moindre. Donc j'ai parfaitement conscience de ce que vivent les personnels pénitentiaires.
CAROLINE ROUX
Et donc justement, ils demandent des outils puisque vous parlez de la violence ils demandent des outils en matière de sécurité, notamment, la possibilité d'utiliser ce qu'on appelle des tasers, des armes à impulsion électrique. Est-ce que vous êtes favorable à ce genre de proposition ?
NICOLE BELLOUBET
Mais, je trouve que c'est assez difficile de mettre ce type d'outil dans des milieux fermés, mais je suis ouverte à en discuter avec eux. Je voudrais vraiment, cet après-midi, qu'on aborde ce sujet-là, mais d'ores et déjà, nous avons fait des propositions extrêmement concrètes en matière d'outils, en termes de vêtements de sécurité, c'est très important, pour qu'ils soient protégés, en termes d'alarmes portables, c'est très important, pour qu'ils puissent avertir. Donc il y a des propositions très concrètes qui ont déjà été mises sur la table.
CAROLINE ROUX
Alors, qu'est-ce qui coince, Nicole BELLOUBET ?
NICOLE BELLOUBET
Eh bien, écoutez, nous sommes entrés dans une deuxième phase de revendications qui est liée davantage à des questions indemnitaires. C'est un sujet que je suis prête à entendre également, et je l'ai dit hier aux organisations syndicales, dans la mesure où le coeur du problème, c'est la sécurité. Il ne me semble pas absurde d'imaginer que l'on puisse réfléchir, pour des personnels qui sont face à des détenus violents, à la prise en compte de cette particularité de leur métier. Donc c'est tout ça
CAROLINE ROUX
Sous forme de primes ?
NICOLE BELLOUBET
Par exemple.
CAROLINE ROUX
C'est Bercy qui fixe vos lignes rouges ?
NICOLE BELLOUBET
Mais non, pas du tout, pas du tout, ce n'est pas comme ça
CAROLINE ROUX
Vous levez les yeux au ciel, mais c'est une question dargent !
NICOLE BELLOUBET
Non, non, mais je suis dans une solidarité gouvernementale absolue par rapport au redressement des finances publiques. Mais la question n'est pas celle-là, la question est de savoir quel est le problème qui est posé, quels sont les besoins et comment nous pouvons y répondre. Ensuite, évidemment, nous le traduisons budgétairement.
CAROLINE ROUX
Mais ça veut dire que, il y a une volonté du gouvernement de mettre fin le plus rapidement au conflit
NICOLE BELLOUBET
Bien sûr
CAROLINE ROUX
Y compris en faisant une rallonge, pardon de le dire comme ça, par rapport à ce qui a été envisagé pour la pénitentiaire ?
NICOLE BELLOUBET
Il y a une volonté du gouvernement de mettre fin à ce conflit
CAROLINE ROUX
Au plus vite ?
NICOLE BELLOUBET
Qui est très claire, au plus vite, parce qu'il en va de la sécurité, et j'en appelle d'ailleurs à la responsabilité des personnels et des organisations syndicales, nous avons une question de sécurité derrière. Donc je crois
CAROLINE ROUX
Parce que ?
NICOLE BELLOUBET
Eh bien, parce que qui dit manifestations des personnels de surveillance dit dysfonctionnements des établissements pénitentiaires, et donc c'est évidemment très important. Et donc il y a volonté de mettre fin à cela, j'en discuterai donc cet après-midi.
CAROLINE ROUX
En termes d'effectifs, vous évoquiez, dans la première proposition que vous avez faite aux syndicats, 1.100 créations de postes, ils en demandent 2.500, on se dit : vous êtes loin du compte ?
NICOLE BELLOUBET
Oui, mais je pense que, si vous voulez, 1.100 créations d'emplois, c'est extrêmement important en termes vraiment d'apport. Il faut également bien prendre en considération que la difficulté que nous avons en matière de recrutements des surveillants pénitentiaires, c'est une question d'attractivité. Donc la réponse n'est pas seulement dans l'ouverture
CAROLINE ROUX
C'est un métier qui ne fait pas envie, on va le dire comme ça
NICOLE BELLOUBET
C'est un métier qui, à mon avis, n'est pas valorisé, et c'est ce à quoi je travaille. Il me semble que quand on entre dans la pénitentiaire, on doit avoir des perspectives de carrière, des perspectives de changement de métier dans cette carrière de surveillant pénitentiaire, c'est tout cela que nous voudrions mettre en place.
CAROLINE ROUX
Un mot sur la radicalisation, est-ce que vous considérez comme des attentats par exemple les agressions qui ont eu lieu à la prison de Borgo ?
NICOLE BELLOUBET
Ça a été qualifié comme tels
CAROLINE ROUX
Ou à la prison de Vendin-le-Vieil
NICOLE BELLOUBET
Ce sont des tentatives d'assassinats clairement. Et donc il y aura les sanctions pénales qui vont avec. Il faut le dire clairement, ce sont des tentatives d'assassinats qui sont
CAROLINE ROUX
Pas des attentats ?
NICOLE BELLOUBET
Qui sont des tentatives d'assassinats, puisqu'il s'agit bien sur des personnes, donc il y a des tentatives d'assassinats, c'est la qualification qui a été retenue, et donc ce sera vraiment sanctionné comme telles.
CAROLINE ROUX
Parce que eux considèrent que ce sont des attentats, il y a l'idée que, on est face aussi à un nouveau problème qui s'est surajouté à une situation déjà compliquée dans les prisons, qui est le problème de la radicalisation des détenus. Est-ce qu'il faut les isoler, est-ce qu'il faut les noyer dans la masse ? On a l'impression que les gouvernements tâtonnent sur la façon de traiter ces personnels en prison
NICOLE BELLOUBET
Je voudrais juste dire que c'est très complexe, si on avait une réponse claire, elle serait applicable depuis longtemps. Nous avons pris des mesures qui sont, me semble-t-il, assez rigoureuses, d'une part, une évaluation de ces détenus radicalisés pour savoir quel est leur niveau de dangerosité, ils ne sont pas tous au même niveau de dangerosité
CAROLINE ROUX
On sait les évaluer aujourd'hui ?
NICOLE BELLOUBET
On sait les évaluer, ce sont des évaluations pluridisciplinaires, on sait le faire. Ensuite, en fonction du degré de dangerosité, oui, nous mettons des gens à l'isolement complet, oui, nous sommes tout à fait disposés et je l'ai dit aux représentants des personnels pénitentiaires à créer des quartiers pour détenus violents ou dtenus radicalisés, qui sont des quartiers étanches du reste de la détention.
CAROLINE ROUX
On a essayé, ça, ça ne marche pas, ce sont les quartiers dédiés ?
NICOLE BELLOUBET
Si, ça marche parfaitement, ça marche parfaitement. Il y a
CAROLINE ROUX
Quelle est la différence avec les quartiers dédiés qu'on a abandonnés ?
NICOLE BELLOUBET
Si vous voulez, dans les quartiers pour détenus violents que nous avons mis en place, ce sont des quartiers qui sont insérés dans un établissement pénitentiaire, mais qui sont étanches, et qui font l'objet d'un suivi particulier des détenus qui sont bien entendu en cellule individuelle.
CAROLINE ROUX
Les pistes à creuser selon vous pour lutter contre la radicalisation en prison, pour gérer ces détenus très particuliers ?
NICOLE BELLOUBET
Je crois qu'il y a des questions de suivi, je pense vraiment que l'évaluation de la dangerosité est essentielle, et que la réponse différenciée est également essentielle. C'est d'ailleurs ce que demandent les syndicats, des réponses différenciées et adaptées aux détenus qu'ils ont en face d'eux.
CAROLINE ROUX
Et vous allez créer des places justement dans ces
NICOLE BELLOUBET
Absolument, absolument
CAROLINE ROUX
160 places, c'est ce que ?
NICOLE BELLOUBET
C'est un début, nous souhaitons aller bien au-delà.
CAROLINE ROUX
Bien au-delà de 160 places.
NICOLE BELLOUBET
Absolument.
CAROLINE ROUX
Est-ce que vous avez honte parfois des prisons françaises ? Des conditions de vétusté, des conditions dans lesquelles sont les détenus ?
NICOLE BELLOUBET
Alors, écoutez, je dois dire que nous sommes dans une situation complètement insatisfaisante à part dans quelques établissements pénitentiaires qui sont tout neufs, j'en ai visité, c'est le cas notamment à Vendin-le-Vieil, qui est tout neuf, mais dans beaucoup de prisons, les conditions ne sont pas acceptables, c'est la raison pour laquelle le président de la République a lancé ce chantier de 15.000 places de construction de prison. Ce chantier, seul, ne suffira pas à résoudre le problème. Il faut et c'est ce que nous faisons travailler également sur la nature, le sens et l'échelle des peines. Et c'est ce que nous faisons dans le cadre des chantiers de la justice. Donc je crois qu'il y a un tout, places de prison, sens de la peine, et attractivité des professions dans la pénitentiaire.
CAROLINE ROUX
Un mot de politique, le parti Les Républicains estime que vous n'avez pas pris la mesure de cette crise-là, on entend des choses parfois assez désagréables mais c'est ça la politique disant que vous êtes un peu novice pour gérer cette première crise dans votre ministère, qu'est-ce que vous répondez à cela ?
NICOLE BELLOUBET
Je réponds que ce sont des attaques qui ne sont pas dignes, qu'il faut respecter les partenaires que l'on a en face de soi, moi, je respecte l'ensemble des organisations syndicales, et je respecte les partenaires politiques. Et par ailleurs, je vais, encore une fois, très fréquemment dans les prisons, je discute avec beaucoup de gens, j'étudie la situation. Je pense que j'ai une connaissance parfaite de la situation en détention.
CAROLINE ROUX
Vous ne connaissiez pas l'univers carcéral avant d'être ministre.
NICOLE BELLOUBET
Non, je ne le connaissais pas, mais en six mois, on apprend beaucoup.
CAROLINE ROUX
Un mot quand même sur cette Allemande djihadiste, arrêtée en Iraq, qui va être pendue, condamnée à mort. Est-ce que vous confirmez que trois Françaises, qui sont également mères de famille, attendent leur jugement en Iraq ?
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, il y a effectivement des personnes qui sont détenues en Iraq
CAROLINE ROUX
Trois Françaises, c'est une information qui est sortie
NICOLE BELLOUBET
Je crois que c'est ce chiffre-là. Nous sommes je l'ai dit à plusieurs reprises nous sommes très attentifs à ce que, d'une part, des procès équitables puissent avoir lieu, et je l'ai dit, d'autre part, dès qu'une personne revient en France, elle est prise en charge par la justice française.
CAROLINE ROUX
Mais est-ce qu'en tant que Garde des sceaux, vous êtes à l'aise avec l'idée que des ressortissants français puissent être condamnés à mort en Iraq ?
NICOLE BELLOUBET
Je l'ai dit, je le redis ici, ce qui est important, cest qu'il y ait des procès équitables. La France est un Etat de droit
CAROLINE ROUX
Peu importe la peine ?
NICOLE BELLOUBET
Non, bien sûr. La France est un Etat de droit, et nous avons souscrit à des engagements internationaux qu'il faut absolument respecter.
CAROLINE ROUX
La priorité, c'est de les faire rentrer en France pour les juger en France, est-ce que vous assumeriez de le dire comme ça ?
NICOLE BELLOUBET
Je dis que quand ils rentrent en France, nous sommes en capacité de les prendre en charge.
CAROLINE ROUX
Merci beaucoup Nicole BELLOUBET.
NICOLE BELLOUBET
Merci.Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 janvier 2018