Déclaration de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, sur les mesures prises en faveur d'une meilleure prise en charge de l'autisme, Le Kremlin Bicêtre le 7 avril 1995.

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Circonstance : Colloque intitulé "L'autisme : de la biologie à la clinique" au Kremlin-Bicêtre le 7 avril 1995

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Doyen,
Mesdames et Messieurs,
Je vous suis reconnaissante de m'avoir invitée à participer à la séance d'ouverture du colloque que vous avez organisé sur le thème de l'autisme.
Comme vous l'imaginez aisément, un Ministre chargé de la Santé et des Affaires Sociales est invité à participer à bien des colloques médicaux et scientifiques. Et la période préélectorale dans laquelle nous sommes entrés en France lui impose de consacrer beaucoup de son temps à l'action politique proprement dite. Mais si j'ai absolument tenu à être parmi vous aujourd'hui, c'est parce que la question de l'autisme me tient à coeur depuis longtemps, depuis que j’ai pris conscience des difficultés graves rencontrées pour la prise en charge de ceux qui sont atteints par cette affection sévère et de la souffrance très particulière qui est celle de leurs parents et de leur entourage.
Je me réjouis donc de cette occasion de faire devant vous le point des réflexions et des projets du Gouvernement sur ces graves questions sur lesquelles nous avons sérieusement réfléchi et travaillé depuis plusieurs mois, en liaison avec les associations et les organisations professionnelles concernées.
Mais, avant de m'exprimer sur ces projets, je veux rendre hommage à M. le Professeur Ferrari pour avoir pris l'initiative d'organiser ce colloque international car les échanges entre spécialistes de cette affection venus de différents pays sont extrêmement précieux, pour mieux comprendre un sujet aussi délicat, complexe et douloureux que l'autisme.
Je souhaite donc la bienvenue, dans notre pays, aux médecins étrangers qui nous font l'honneur d'être ici aujourd'hui.
Ce colloque s'adresse aussi aux familles d'enfants autistes et à l'ensemble des professionnels médicaux, éducatifs et sociaux.
Je les salue également et me réjouis tout particulièrement de la présence des représentants des associations de familles d'enfants autistes. La diversité des participants à ces journées montre l'intérêt qui vous est, au bout du compte, commun et qui dépasse les clivages doctrinaux : cet intérêt, c'est celui de la meilleure prise en charge possible de ceux qui sont atteints de cette affection.
Je vous l'ai dit d'emblée : depuis longtemps, la question de l'autisme me préoccupe. J'avais ressenti voici déjà vingt ans lors de mon premier mandat au Ministère de la Santé, la souffrance des familles, leur détresse face au drame qu'elles vivent.
Les fonctions que Monsieur Edouard BALLADUR m'a confiées au sein de son Gouvernement m'ont permis de rencontrer les familles concernées par cette affection et de m'entretenir avec leurs représentants associatifs.
J'ai reçu beaucoup de lettres de parents. Des lettres souvent bouleversantes et dures à lire pour quelqu'un qui se sent profondément responsable. Elles décrivaient la difficulté des démarches des parents pour qu'un diagnostic soit posé par des professionnels, affection dont l'origine n'est pas solidement établie. Elles montraient à quel point peut être lourde la charge que représente le maintien permanent à domicile des enfants dont la violence provoque des souffrances éprouvantes pour l'entourage ; elles témoignaient de leur découragement dans la recherche d'une place dans un établissement adapté. Tous ces témoignages ne peuvent laisser quiconque indifférent. Ils n'ont fait que renforcer ma volonté d'agir.
C'est pourquoi, il y a un an, j'ai demandé trois séries d'études.
L'une, que j'ai confiée à l'Inspection Générale des Affaires Sociales et qui portait sur la prise en charge des enfants et adolescents autistes, a notamment confirmé le caractère trop tardif des diagnostics. Elle a aussi montré l'insuffisante qualité des prises en charge et souligné l'insuffisance quantitative en matière de capacités d'accueil des institutions susceptibles de recevoir convenablement ces enfants et adultes.
La deuxième étude, que j'ai demandée à l'Agence Nationale pour le Développement de l'Evaluation Médicale, visait principalement à évaluer les méthodes de prise en charge des enfants. Les travaux menés par l'Agence ont démontré l'absence d'études comparatives qui auraient pu permettre de tirer quelque conclusion solide sur l'éventuelle supériorité d'un type de prise en charge par rapport à un autre.
Les rapports de l'Inspection Générale des Affaires Sociales et de l'Agence Nationale pour le Développement de l'Evaluation Médicale ont été publiés. Le troisième, rendu public aujourd'hui même, et élaboré par un groupe de travail pluridisciplinaire sous l'égide de mon ministère, formule des propositions sur prise en charge des adultes autistes.
Ces travaux ont eu le mérite de faire le point sur la situation et d'apaiser, je l'espère, des conflits doctrinaux que l'Inspection Générale des Affaires Sociales a qualifiés de "dévastateurs". Ils formulent aussi des propositions, inspirées notamment de réalisations reconnues de qualité.
J'ai eu la possibilité de visiter plusieurs de ces établissements et services.
Les méthodes qu'ils ont mises en oeuvre ne sont pas identiques. Cependant, les responsables des établissements et des équipes partagent la même préoccupation : mettre leurs compétences en commun pour valoriser les capacités de l'enfant et instaurer avec les parents, associés à la prise en charge de leur enfant, un climat de confiance.
Je tiens à rendre hommage à tous ces professionnels pour le travail qu'ils accomplissent auprès de ces enfants, dans un esprit d'ouverture et d'humilité face au syndrome dont ceux-ci souffrent, mais surtout avec une persévérance sans faille pour amener l'enfant à une ouverture sociale.
L'analyse du problème est faite : la situation est insatisfaisante même si, ici ou là, des progrès dans la prise en charge de ces personnes ont été accomplis.
La question est désormais : que faut-il faire ?
Le plan d'action sur l'autisme que je souhaite vous présenter aujourd'hui dans ses grandes lignes vise essentiellement à développer, dans chaque région, un réseau coordonné de prises en charge adaptées aux enfants, adolescents et aux adultes concernés.
Un plan d'action sur cinq ans sera élaboré région par région. A partir d'un bilan critique de la situation existante, il devra prévoir la mise en oeuvre d'un programme portant à la fois sur le diagnostic précoce et sur des prises en charge adaptées aux différentes classes d'âge concernées.
En tenant compte du libre choix des familles — et j'insiste sur ce point — les prises en charge auront à la fois une composante pédagogique, éducative et thérapeutique.
Pour les tout petits, la priorité sera donnée aux traitements ambulatoires et aux actions de guidance parentale. Pour les enfants de trois à douze ans, la prise en charge pourra s'effectuer soit par les équipes de pédo-psychiatrie, soit dans le secteur médico-social selon le choix des familles.
Un effort particulier s'impose pour les adolescents. Participant au congrès de l'association Apache qui s'est déroulé il y a quelques jours, j'ai eu l'occasion de rappeler que cette période de l'adolescence est celle au cours de laquelle le jeune est confronté à des profondes et rapides transformations physiques et psychologiques ; elle nécessite une approche spécifique.
Ceci est évidemment encore plus vrai pour de jeunes adolescents autistes. Une attention toute particulière devra être accordée aux solutions qui seront retenues pour répondre à leurs besoins propres.
Enfin, bien entendu, ces plans devront assurer l'amélioration de l'accueil des adultes. II est essentiel que nous mettions en place des hébergements adaptés à cette affection qui soient un cadre de vie à partir duquel peuvent être développées l'autonomie et l'insertion sociale des personnes autistes : l'hospitalisation à temps complet en psychiatrie doit en effet être réservée à des indications bien précises, notamment en période de crise.
Toute structure accueillant des autistes devra comporter un projet d'établissement qui prenne en compte la spécificité des personnes accueillies, sur la base de projets individualisés, privilégiant leurs potentialités et mis en oeuvre par des professionnels en nombre suffisant et préparés à leur prise en charge.
Un groupe de travail sera chargé d'établir un bilan des actions de formation existant dans ce domaine. Il proposera toute solution propre à en améliorer le contenu et l'organisation. J'estime indispensable que certains modules d'enseignement sur la prise en charge des autistes soient communs aux divers professionnels concernés, qu'ils soient issus de la psychiatrie ou du secteur médico-social, et le cas échéant, de l'Education nationale.
Enfin, l'organisation en réseau s'appuiera sur des dispositifs conventionnels entre institutions ; il s'agira de développer les échanges réciproques de prestations et de garantir les relais nécessaires lors du passage des personnes autistes d'un établissement ou d'un service à un autre, en fonction de leur âge, dont l'insuffisance constitue l'une des failles les plus souvent dénoncées de notre organisation actuelle.
J'ai aussi, par mes contacts avec les intéressés, mesuré toute l'importance des propositions de l'Inspection Générale des Affaires Sociales sur la prise en compte de la situation des familles. C'est pourquoi j'en saisis le Président de la Caisse Nationale des Allocations Familiales, afin que nous étudions des programmes d'aide à leur vie quotidienne : il s'agirait de développer les modes de garde adaptés aux jeunes autistes, et de manière plus large aux jeunes handicapés qui vivent au domicile de leurs parents : soit en complément des prises en charge à temps partiel en institution, soit encore pour les périodes de vacances familiales. L'objectif est de soulager momentanément les familles d'une charge qu'elles assument par amour pour leurs enfants mais qui peut se révéler extrêmement lourde.
Je viens de présenter un programme ambitieux, qui nécessite d'abord la mobilisation de tous ceux qui seront chargés d'élaborer ces plans régionaux. A cet effet, un séminaire de travail national sera organisé par mes services dès le mois de juin.
Ces plans, qui devront être prêts pour la fin de l'année feront l'objet, à l'initiative des Préfets de Région d'une concertation approfondie entre décideurs, financeurs, professionnels et représentants des familles concernées par l'autisme.
La mise en oeuvre de ces plans nécessitera bien entendu de dégager des moyens financiers soient spécifiquement affectés sur les contingents existant. Des crédits ont d'ores et déjà été alloués pour créer dès cette année des places adaptées aux besoins des personnes autistes. Mais il nous faut aller au-delà et augmenter de manière significative le nombre de prises en charge spécialisées ; les contacts très avancés ont été pris avec la Caisse Nationale d'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés, sur la base de financement de plusieurs centaines de prises en charge supplémentaires, qui devraient conduire à une augmentation progressive des dépenses à la charge de l'assurance maladie d'un montant de 100 MF.
Cependant, comme l'avaient souligné les travaux sur l'autisme qui m'ont été remis, ce problème humain ne sera progressivement atténué que si des progrès significatifs sont réalisés dans sa connaissance.
Je souhaite ainsi vivement que l'INSERM puisse intensifier le développement des travaux de recherche sur ce syndrome et que la commission scientifique compétente accorde une priorité au financement de programmes présentés par le réseau sur l'autisme. Monsieur le Professeur FERRARI, vous qui êtes l'animateur de ce réseau, je sais que votre soutien à cette perspective est totalement acquis.
Il me paraît ensuite important que la recherche clinique puisse se développer. Je souhaite que les études projetées par les équipes hospitalo-universitaires de Montpellier et de Paris dont l'une porte sur les évolutions cliniques et sur l'évaluation des prises en charge de l'autisme infantile et des psychoses précoces, et l'autre, sur les troubles du langage de l'autisme et des psychoses infantiles puissent y contribuer.
Les études épidémiologiques doivent enfin être intensifiées : une aide sera apportée au centre collaborateur de l'OMS pour la recherche et la formation en santé mentale, dont l'objectif vise à développer une enquête de suivi longitudinal sur les parcours des enfants et adolescents autistes et psychotiques accueillis dans les établissements sanitaires et médico-sociaux de la région d’Île-de-France.
Enfin, j'ai demandé au Directeur de l'ANDEM de poursuivre les travaux entrepris en matière d'autisme : leur objectif est de mieux en définir et harmoniser les critères diagnostiques, et d'étudier les principes et outils méthodologiques d'évaluation des protocoles de suivi des prises en charge des sujets autistes.
Au travers des mesures que je viens de présenter, c'est un message de volonté et d'espoir que je souhaite que vous entendiez.
Message de volonté de la part du Gouvernement de prendre en considération les préoccupations des familles concernées par l'autisme, message d'espoir aussi largement fondé sur l'approfondissement de la connaissance de ce syndrome à laquelle, par la qualité de vos travaux., vous contribuez.
C'est pourquoi en vous remerciant de votre attention, je formule les meilleurs voeux de succès, pour la suite de ce colloque.