Interview de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, avec RTL le 20 avril 2018, sur l'évacuation par la police de l'université de Tolbiac et sur la réforme de la Justice.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

YVES CALVI
Elizabeth MARTICHOUX, vous recevez ce matin Nicole BELLOUBET, garde des Sceaux, ministre de la Justice.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci d'être avec nous ce matin sur RTL. Bonjour Nicole BELLOUBET.
NICOLE BELLOUBET
Bonjour.
ELIZABETH MARTICHOUX
Une centaine de CRS a évacué tôt ce matin la fac parisienne de Tolbiac, une personne interpellée, vous avez des informations, vous confirmez cette interpellation ?
NICOLE BELLOUBET
Eh bien oui ! Je pense qu'effectivement une personne a été interpellée.
ELIZABETH MARTICHOUX
Le président de l'université de Tolbiac réclamait cette évacuation depuis plusieurs jours, elle a lieu ce matin mais après 4 semaines d'occupation. Pourquoi avoir attendu ?
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez ! Je pense que les services de police ont apprécié la situation. Je ne sais pas si vous connaissez Tolbiac, il se trouve que moi j'y ai été enseignante pendant des années puisque je suis professeur de droit et que les cours à Paris 1 se situaient à Tolbiac. Et donc c'est un peu dans une cuvette, c'est vraiment une situation géographique particulière. Donc j'imagine que les forces de l'ordre ont apprécié la capacité à intervenir. Je comprends parfaitement évidemment ce que le président de l'université demandait, parce que plus rien n'était possible à Tolbiac, or c'est l'un des sites principaux d'enseignements et d'examens donc de l'université. Donc évidemment, j'imagine que l'impatience du président était grande.
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous avez eu des remontées sur les dégradations justement qui ont été faites, réalisées à Tolbiac ?
NICOLE BELLOUBET
Non, je n'ai pas eu de remontée, ce n'est pas exactement mon secteur d'intervention, je n'ai pas eu de remontée. En revanche, je me tiens parfaitement au courant de la situation universitaire qui m'est toujours très chère.
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous… enfin le gouvernement d'ailleurs, le président aussi en a parlé, vous continuez de dire qu'il y a des activistes professionnels qui mettent la pagaille dans les facs ?
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez ! Je pense qu'il y a à la fois une protestation autour des nouvelles modalités d'admission en 1ère année d'université, donc je pense que cela peut partir de critiques que personnellement je ne comprends pas et que je n'approuve pas. Quand on regarde le système qui existait auparavant, évidemment à cela se surajoute sans aucun doute – mais ça a toujours été le cas dans le milieu étudiant – des activistes, oui.
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, des activistes qui ont été pointés du doigt de reprise par le chef de l'Etat. Il y a en même temps que cette pagaille dans les facs des heurts à Notre-Dame-des-Landes depuis le début de l'évacuation, il y a il y a 15 jours, elle devait être très rapide, elle tarde. Il y a eu toute cette semaine des comparutions immédiates, vous savez s'il y a eu des condamnations…
NICOLE BELLOUBET
Absolument.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et combien ?
NICOLE BELLOUBET
Absolument, il y a des condamnations il, y a eu je crois 18 comparutions immédiates jusqu'à ce jour, il y a eu également des condamnations, y compris à des peines d'emprisonnement…
ELIZABETH MARTICHOUX
Ferme, de la prison ferme de plusieurs mois ?
NICOLE BELLOUBET
Oui, absolument, absolument. Donc je crois que c'est une réponse… si vous voulez, je crois que le gouvernement n'est pas dans une logique sécuritaire, il est dans une logique de prise en compte de l'intérêt général. Les peines de… les sanctions ne tombent pas comme cela. Il y a eu d'une part une décision prise me semble-t-il en fonction de l'intérêt général, qui a été de ne pas réaliser l'aéroport à Notre-Dame-des-Landes ; puis il y a eu – parce que nous sommes quand même en République – des opérations de maintien de l'ordre qui ont été réalisées ces derniers temps pour maintenir l'ordre républicain et, donc, des sanctions qui vont avec ces opérations de maintien de l'ordre ; et puis il y a la possibilité qui a été ouverte depuis le mois de janvier dernier et qu'il l'est encore, qui est conduite par la préfète, de travailler sur des projets individuels, des projets de reprise de terre, ce qui correspondait me semble-t-il à la demande initiale.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ça c'est le fond du dossier, des peines… vous parliez de condamnation de plusieurs mois, proportionnées, ce sont des personnes qui veulent vivre sur place en proposant des systèmes alternatifs, certes ! Qui font face et parfois violemment aux forces de l'ordre, mais jusqu'à 8 mois de prison ferme, vous trouvez que c'est proportionné ?
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez ! La peine vient sanctionner une infraction et, donc, lorsque l'infraction a été commise, il me semble tout à fait naturel que la peine y réponde. Les magistrats (je le crois) ce sont des personnes qui appliquent le droit avec toute la pondération nécessaire.
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est important que le gouvernement donne le sentiment que l'Etat… forcer est donnée au droit et que l'Etat fait en sorte que l'ordre revienne !
NICOLE BELLOUBET
Mais Madame MARTICHOUX ce n'est pas le gouvernement, c'est la justice dont vous parlez, la justice est indépendante.
ELIZABETH MARTICHOUX
La justice est indépendante et elle condamne certains zadistes, vous nous avez dit 18 condamnations depuis le début de l'évacuation de Notre-Dame-des-Landes. Vous présentez Nicole BELLOUBET aujourd'hui votre réforme de la justice en Conseil des ministres tout à l'heure.
NICOLE BELLOUBET
Oui.
ELIZABETH MARTICHOUX
Elle est importante cette réforme mais elle est pour ainsi dire un peu je dirais occultée par la loi SNCF, l'autre grande loi qui a été d'ailleurs votée en 1ère lecture mercredi. Est-ce que vous regrettez cet embouteillage ou est-ce que d'une certaine façon, ça peut vous arrangez, c'est une stratégie qui vous permet de noyer la contestation ?
NICOLE BELLOUBET
Non, ce n'est pas une stratégie du tout, ni de la part du gouvernement ni de quiconque. Ce texte de loi est arrivé la maturité, il devait donc être présenté maintenant. Il se trouve que d'autres événements interviennent, ce n'est pas une stratégie, c'est une concordance des calendriers. Je crois que ce que veut le gouvernement en toute hypothèse, c'est conduire des réformes, ne pas tarder et je crois que c'est dans cette ambition-là que s'inscrit ce projet de loi.
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors on va en parler parce que cette réforme, vous n'avez pas réussi Nicole BELLOUBET à éteindre des inquiétudes sur certains points sur lesquels on va s'arrêter si vous voulez bien. D'abord la fusion des tribunaux d'instance et de grande instance, j'ai une question simple. Quel que soit le lieu, quel que soit le lieu où il habite, le justiciable qui savait jusque-là où aller pour régler un problème de voisinage, de surendettement, de problème entre propriétaire-locataire, est-ce qu'il pourra toujours aller au même endroit, au même tribunal pour rencontrer les mêmes juges ?
NICOLE BELLOUBET
Absolument…
ELIZABETH MARTICHOUX
Enfin les mêmes juges, vous voyez ce que je veux dire !
NICOLE BELLOUBET
Oui, oui, absolument. Absolument Madame MARTICHOUX, absolument, aucun tribunal ne sera supprimé, tous les tribunaux resteront, ils accepteront les mêmes contentieux. J'irai même plus loin, nous simplifions la procédure par ce texte, ce qui fait qu'aujourd'hui quel que soit le lieu où vous apporterez votre contentieux, votre conflit, il sera immédiatement redirigé vers le tribunal compétent.
ELIZABETH MARTICHOUX
Aucun tribunal d'instance supprimé…
NICOLE BELLOUBET
Aucun, aucun tribunal.
ELIZABETH MARTICHOUX
Oloron-Sainte-Marie, à 30 km de Pau, il y a un tribunal d'instance, il est maintenu ?
NICOLE BELLOUBET
Il est maintenu.
ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce qu'il va fusionner avec le tribunal de grande instance…
NICOLE BELLOUBET
Mais administrativement mais pour le justiciable…
ELIZABETH MARTICHOUX
Administrativement, c'est là où le bât blesse et c'est là…
NICOLE BELLOUBET
Non, non, le bas ne blesse pas…
ELIZABETH MARTICHOUX
Ça suscite des inquiétudes.
NICOLE BELLOUBET
Non, le bas ne blesse pas. Pour le justiciable ce sera absolument invisible…
ELIZABETH MARTICHOUX
Le tribunal conserve toutes ses compétences, toutes ses compétences intactes ?
NICOLE BELLOUBET
Il conservera ses compétences, il conservera son nom, il conservera ses juges, il conservera ses contentieux, il conservera les litiges du quotidien. Madame MARTICHOUX, qui peut imaginer qu'un gouvernement censé et responsable veuille supprimer ce qui fonde le rapport le plus immédiat entre le citoyen et la justice, qui peut imaginer ça ? En tout cas pas nous. Ce que nous voulons faire dans ce texte, c'est vraiment rapprocher la justice du justiciable…
ELIZABETH MARTICHOUX
Parce qu'il y a… parce qu'il y a ce mot de fusion, il y a beaucoup de Français qui ont connu par exemple dans leur existence des fusions entre des institutions, entre des entreprises, il y a toujours une des deux entités qui prend pas sur l'autre, c'est comme ça. Donc le tribunal de grande instance, les inquiétudes c'est qu'il « bouffe » le tribunal d'instance !
NICOLE BELLOUBET
Non, pas du tout. Vous savez…
ELIZABETH MARTICHOUX
D'ailleurs…
NICOLE BELLOUBET
On ne fait pas disparaître… pas du tout, il ne change… mais non, il ne changera pas de nom, il s'appellera tribunal d'instance, il y aura toujours le mot tribunal d'instance. Administrativement, administrativement ce sera une chambre détachée qui s'appellera tribunal d'instance. Ça ne change rien…
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est ça qui crée les fantasmes !
NICOLE BELLOUBET
Mais non, ça les crée si on les suscite, mais cela ne change rien, cela ne change rien pour le justiciable. Madame MARTICHOUX, pour moi il est tout à fait essentiel 1) que l'accueil du justiciable soit assuré partout et il le sera mieux qu'il n'est aujourd'hui…
ELIZABETH MARTICHOUX
Parce qu'il y aura plus de…
NICOLE BELLOUBET
Parce qu'il y aura plus de personnels dédié à l'accueil du justiciable. Deuxièmement, ces contentieux que vous appelez « petits contentieux » qui n'ont rien de petits, ce sont…
ELIZABETH MARTICHOUX
Qui sont très importants, qui sont ceux du quotidien…
NICOLE BELLOUBET
Absolument, ils ne vont pas disparaître par enchantement, il y aura toujours des juges pour les juger et ils seront aux mêmes endroits.
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors une autre question d'ailleurs qui inquiète et là, vous l'avez confirmé, il n'y aura plus de juge spécialisé, ces fameux juges, ces juges qui par exemple ont l'expertise de ces litiges du quotidien. Vous dites : il n'y aura plus de juges spécialisés !
NICOLE BELLOUBET
Il n'y aura plus de statut qui correspondra à cela, mais les juges qui jugent ces contentieux-là, ils vont bien entendu demeurer. Je vous l'ai dit, ce type de contentieux demeure, les personnes qui seront chargées de les juger demeurent, ils demeureront dans les mêmes lieux. Lorsque ce sera au sein d'un tribunal de grande instance dans une ville moyenne où il y a un tribunal de grande instance, rien n'interdira de créer par exemple une chambre de la vulnérabilité qui prendra en charge ce type de contentieux.
ELIZABETH MARTICHOUX
Il y a beaucoup de points qui fâchent dans ce projet de loi qui arrive en Conseil des ministres…
NICOLE BELLOUBET
Je ne suis pas complètement d'accord avec ce que vous dites, j'entends les critiques évidemment…
ELIZABETH MARTICHOUX
Il y avait encore une journée morte dans la justice il y a une semaine.
NICOLE BELLOUBET
Le 11 mars, absolument, je ne suis pas autiste et j'entends parfaitement ce qui se passe partout. Ce que je veux dire c'est qu'il y a également – parce que cette réforme est née d'une large consultation – il y a des soutiens à ces projets.
ELIZABETH MARTICHOUX
Il y a des soutiens, on verra si pendant la discussion parlementaire ce sera le cas, puisque le texte d'ailleurs pourra être amendé encore, vous n'êtes pas hostile à ce qu'il y ait des bougés entre guillemets sur le texte, c'est la démocratie.
NICOLE BELLOUBET
C'est le propos même du débat parlementaire.
ELIZABETH MARTICHOUX
2 questions rapides Madame BELLOUBET, d'abord une djihadiste française a été jugée en Irak et condamnée à la perpétuité lors d'une audience qui a duré 20 minutes cette semaine. Est-ce que vous estimez que c'est un fonctionnement judiciaire normal pour cette française, est-ce que l'Etat de… voilà est-ce que ce n'est pas une justice expéditive qu'a subi cette Française en Irak ?
NICOLE BELLOUBET
J'ai déjà eu l'occasion de dire que la France était dans ces situations-là… reconnaissait évidemment la souveraineté de l'Etat et, donc, sa capacité à juger dans les lieux où les attentats ont les infractions ont été commises. La manière dont le procès s'est déroulé est à prendre en compte bien évidemment. Pour le moment, la France respecte cette capacité à juger…
ELIZABETH MARTICHOUX
Elle va purger sa peine, elle va purger sa peine de perpétuité en Irak ?
NICOLE BELLOUBET
Pour le moment, il n'est pas question d'autre chose.
ELIZABETH MARTICHOUX
Il n'est pas question qu'elle soit rapatriée dans les prisons françaises ?
NICOLE BELLOUBET
Pour le moment, il n'est pas question d'autre chose.
ELIZABETH MARTICHOUX
Pour le moment !
NICOLE BELLOUBET
Oui, pour le moment il n'est pas question d'autre chose. Je crois qu'elle veut faire appel, il me semble, j'ai entendu cela.
ELIZABETH MARTICHOUX
Elle veut faire appel. Encore une dernière question, le nouveau Palais de Justice de Paris a été inauguré en grande pompe cette semaine, lundi première compa…
NICOLE BELLOUBET
Il n'a pas encore été inauguré.
ELIZABETH MARTICHOUX
Non, il a été…
NICOLE BELLOUBET
Il est entré en fonctionnement.
ELIZABETH MARTICHOUX
Non, il est entré en fonctionnement, pardon…
NICOLE BELLOUBET
J'espère que le président de la République pourra venir…
ELIZABETH MARTICHOUX
Première comparution justement immédiate la semaine prochaine, les avocats menacent de bloquer les audiences parce qu'il y a des box vitrés pour les justiciables, pour les accusés pour les audiences correctionnelles. Est-ce que vous allez demander au tribunal de faire en sorte que les avocats puissent mieux communiquer avec leurs clients !
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez ! Ma position est connue puisque je crois que j'ai… il y a un communiqué de presse qui est paru il y a quelques jours là-dessus. Je pense que le garde des Sceaux doit à la fois être garant du… je veux terminer ça, du fonctionnement de la justice et, donc, évidemment des droits de la défense, du respect de la personne ; et en même temps de la sécurité et des magistrats et des prévenus et du public. Donc il me semble que dans certaines hypothèses, les box vitrés se justifient, je pense aux procès terroristes, je pense au crime organisé, etc. Dans d'autres hypothèses, cela ne me semble pas nécessaire, c'est le cas (me semble-t-il) pour la plupart des comparutions immédiates. Et donc j'ai demandé à la Direction des services judiciaires de procéder soit à des aménagements lorsque cela apparaissait possible, sous la responsabilité des chefs de juridiction, soit à des suppressions car il me semble que dans certains cas, cela n'est pas utile.
ELIZABETH MARTICHOUX
Donc peut-être suppression de ces box vitrés en correctionnelle…
NICOLE BELLOUBET
C'est une question de proportion.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci Madame BELLOUBET d'avoir été avec nous ce matin sur RTL.
YVES CALVI
A propos de sa réforme de la justice, aucun tribunal ne sera supprimé, vient de nous dire Nicole BELLOUBET. Et le justiciable sera mieux accueilli et pris en charge.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 avril 2018