Entretien de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, dans "Ouest France" du 24 avril 2018, sur les consultations citoyennes consacrées à la construction européenne, les conséquences du Brexit, l'harmonisation sociale au niveau européen et sur les élections européennes de 2019.

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Média : Ouest France

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Q - Vous venez en Bretagne pour des " consultations citoyennes ". Qu'est-ce que c'est ?
R - Une série de rendez-vous lancés par le président de la République mardi dernier, à Epinal, qui consiste à écouter ce que les Français ont à dire sur l'Europe, ce qu'ils en attendent, veulent voir changer... Les consultations citoyennes auront lieu dans 27 pays européens, d'avril à octobre. Ces consultations sont proposées par les citoyens eux-mêmes, des associations, des élus, des chambres de commerce, des lieux de formation. Le gouvernement les labellise, les facilite mais ce n'est pas majoritairement nous qui les organisons. J'ai déjà participé à deux d'entre elles la semaine dernière, à Marseille et à Brignoles, et j'en ai deux ce jour, dans deux lycées, à Quimper et Pont-l'Abbé. Pour l'instant, j'ai prévu une vingtaine de déplacements, mais plus d'une centaine d'opérations sont déjà labellisées. Nous devrions en avoir beaucoup plus d'ici la fin du cycle, en octobre. Nous préparerons une synthèse de tous ces échanges, qui sera présentée aux chefs d'Etat lors du dernier Conseil européen de l'année, en décembre.
Q - Quelles questions allez-vous aborder avec les lycéens finistériens ?
R - Nous allons parler de mobilités, de pêche, d'accueil des migrants, de dumping social... Ce sont eux qui ont défini les thèmes.
Q - L'accès aux zones de pêches britanniques après le Brexit inquiète les Bretons...
R - Les Britanniques ont demandé à bénéficier d'une période de transition après l'entrée en vigueur du Brexit, prévue le 29 mars 2019. Nous nous sommes mis d'accord pour qu'il n'y ait aucun changement dans les conditions d'accès à leurs zones de pêches jusqu'à la fin de cette période, fixée au 31 décembre 2020. Nous avons commencé à exposer nos priorités pour la suite, dont le maintien de l'accès aux eaux britanniques. Les pro-Brexit avaient promis la suppression des droits de pêche pour les bateaux européens. Comme ils veulent continuer à écouler leur pêche sur le marché européen, nous disposons d'un levier essentiel. Ce ne sera pas une négociation facile mais c'est un sujet prioritaire et bien identifié, que nous avons gravé dans le mandat de négociation de Michel Barnier.
Q - Qu'est-ce qui va changer pour les Britanniques qui vivent en Bretagne ?
R - On a bien avancé sur la situation des résidents européens au Royaume-Uni et des Britanniques au sein de l'Union dans la première partie de la négociation, qui a abouti à un accord politique en décembre. Le texte du futur accord de retrait, agréé à 75 % avec les Britanniques, prévoit que leurs ressortissants garderont leurs droits à résider, travailler, étudier et se faire soigner en Europe. Pour les touristes, il reste des points à clarifier. Il est naturellement très peu probable que l'on revienne à des visas de court séjour, Mais il faut traiter de toutes sortes de questions concrètes. Avec le Brexit, les accords de trafic aérien " ciel unique européen " ne s'appliqueront plus aux compagnies aériennes britanniques, par exemple. Même chose pour les passeports européens destinés aux animaux de compagnie, que les Britanniques adorent emmener en vacances. Il va falloir trouver de nouveaux accords, point par point.
Q - Où en est-on du côté des futurs échanges commerciaux ?
R - Les conséquences seront plus ou moins importantes selon les choix qui seront faits par les Britanniques, comme rester ou sortir de l'union douanière. Le gouvernement britannique dit vouloir en sortir, mais la chambre des Lords vient de voter un amendement pour rouvrir ce débat S'ils en sortent, cela aura des implications fortes en matière de contrôle des marchandises aux frontières et d'application de droits de douane. La balle est dans leur camp. Le gouvernement français, avec les collectivités locales et les professions concernées, doit préparer toutes les options.
Q - Concernant les migrants, le Brexit est-il de nature à augmenter ou apaiser les tensions aux points passages vers l'Angleterre ?
R - La question n'est pas liée au Brexit mais aux accords bilatéraux du Touquet, qui ont été complétés par un nouveau traité, le traité de Sandhurst, en janvier. Les Britanniques ont accepté de renforcer leur apport à la mission de contrôle aux frontières que nous remplissons sur notre sol et de prendre en charge davantage de mineurs non accompagnés. Nous avons besoin de renforcer encore nos coopérations dans la lutte contre les réseaux de passeurs. C'est un travail que nous menons ensemble, avec des résultats importants depuis quelques mois.
Q - La situation s'est vraiment améliorée ?
R - Oui, même si nous souhaitons une plus grande réactivité britannique concernant la prise en charge des mineurs non accompagnés. Un migrant mineur qui a de la famille au Royaume-Uni doit pouvoir la rejoindre, mais les procédures britanniques sont parfois anormalement longues. Les jeunes en attente sur notre sol sont pris en charge par les départements, ce qui leur demande beaucoup d'énergie et de moyens, qui ne sont pas utilisés pour d'autres...
Q - La France parvient-elle à faire entendre sa voix sur la question du "dumping social" ?
R - Il y a une forte attente d'harmonisation sociale en Europe. La révision de la directive sur les travailleurs détachés que nous avons obtenue fixe le principe " à travail égal salaire égal sur le même lieu de travail " et permet de mieux lutter contre les abus. Un accord a été trouvé au Conseil et le Parlement européen y est également favorable. Nous devrions obtenir un vote final en mai. Plus généralement, notre position sur la question est de plaider pour le conditionnement du versement des fonds européens à un Etat membre à son action de convergence sociale et fiscale. Les fonds dits de cohésion ont été conçus pour aider les Etats à se mettre au même niveau, pas pour financer leurs divergences. Un Etat membre a toute liberté pour choisir un modèle social et fiscal différent des autres, mais nous proposons qu'il renonce alors à certains fonds européens. À l'inverse, ceux qui s'engagent à se rapprocher d'un modèle européen commun devraient percevoir ces fonds dans leur intégralité. Nous commencerons à négocier tout cela à partir du mois de mai, l'objectif étant d'être prêt pour le budget européen de 2021. C'est une négociation qui va être longue et ardue, mais elle est essentielle car notre budget commun doit refléter notre projet politique.
Q - Pourquoi cela ?
R - Parce que les Etats membres ont des visions opposées sur la question. Vous avez d'un côté des Etats qui considèrent que leur modèle social est un optimum, et que toute harmonisation se ferait à leur détriment. De l'autre, certains pays considèrent que leur compétitivité va forcément de pair avec un niveau très bas de protection sociale, et que toute harmonisation se faisant vers le haut les mettrait forcément en difficulté. Il nous faut les convaincre que le dumping social aboutit à une concurrence entre Etats membres, qui nous affaiblit tous dans le contexte de la concurrence mondiale. Certains pays de l'Est ont souffert de fuites de cerveaux parce que leurs salaires et leurs conditions sociales n'étaient pas attrayants. Aujourd'hui, ils commencent à manquer de main-d'oeuvre. Des pays comme la République Tchèque ou la Slovaquie sont déjà en train de remonter les salaires pour réattirer des gens chez eux. C'est un moment intéressant pour avoir ce type de conversation.
Q - La République en Marche s'est lancée dans une "grande marche" pour les élections européennes de 2019 début avril. Y avez-vous participé ?
R - À plusieurs reprises, en tant que militante d'En Marche. Dans l'Essonne aux côtés d'Amélie de Montchalin, dans les Yvelines avec Aurore Bergé, ce dimanche sur un marché de Paris avec Gilles Le Gendre... Le premier enjeu, pour ces élections, c'est de lutter contre l'abstention. L'élection européenne est trop souvent le parent pauvre des scrutins, c'est aussi le cas dans l'Ouest de la France où les citoyens sont pourtant parmi les électeurs les plus assidus aux autres scrutins. Beaucoup de sujets qui nous intéressent tous sont traités au niveau européen ou devraient l'être davantage, pour être efficace. C'est le cas pour la transition écologique, la révolution numérique, les effets de la mondialisation, la lutte contre le terrorisme, la gestion des flux migratoires... Vu l'importance de tous ces enjeux, il serait bon que chaque parti dise clairement quel est son projet pour l'Europe et que les électeurs puissent se déterminer par rapport aux engagements des uns et des autres. Les consultations citoyennes sont pour leur part une démarche transpartisane, qui se déroule partout en Europe, afin d'y développer un espace public commun inédit.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 avril 2018