Déclaration de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, sur l'Union européenne face aux défis de la sécurité, des migrations et des frontières, au Sénat le 9 mai 2018.

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Circonstance : Débat organisé à la demande de la commission des affaires européennes, au Sénat le 9 mai 2018

Texte intégral


M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires européennes, sur l'Union européenne face aux défis de la sécurité, des migrations et des frontières.
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que l'auteur de la demande du débat disposera d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.
À l'issue du débat, l'auteur de la demande disposera d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
(…)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de vous retrouver en cette journée de l'Europe pour cet échange sur les questions de sécurité, de migrations et de frontières.
Ces questions sont une priorité du Gouvernement et de la Commission européenne. La proposition de cadre financier pluriannuel 2021-2027 que la Commission vient de rendre publique prévoit justement, comme nous le souhaitions, un effort financier fortement accru sur les questions de sécurité, de migrations et de frontières.
Vous l'avez souligné à l'instant, monsieur le président, les fonds prévus ont été multipliés par 2,6 en matière de migrations et de frontières et par 1,8 en matière de sécurité intérieure.
Les moyens alloués à FRONTEX seraient également augmentés afin de permettre au corps de gardes-frontières et de gardes-côtes d'atteindre un effectif de 10 000 hommes d'ici à 2027.
Nous soutenons ces orientations encourageantes pour un projet de budget qui, selon la Commission, « protège, permet d'agir et défend ».
S'agissant de la sécurité, l'Union européenne reste très mobilisée face à la menace terroriste, comme le montrent les nombreux chantiers législatifs engagés pour mieux contrôler l'espace européen.
L'urgence est donc maintenant de mettre pleinement en oeuvre l'ensemble des mesures prises et de les généraliser. Je pense d'abord à cette avancée majeure qu'est le PNR européen, qui doit être transposé dans tous les pays d'ici au 25 mai prochain. Vous avez justement souligné, monsieur le président, un degré de préparation inégal selon les États membres, raison pour laquelle nous avons proposé et mis en place des coopérations bilatérales avec certains d'entre eux pour faciliter cette transposition.
Nous mettons également la pression sur la Commission et sur nos partenaires pour que le système d'entrées-sorties prévu pour les ressortissants des États tiers puisse être rapidement élargi aux ressortissants européens.
Nous poursuivons la lutte contre le financement du terrorisme. Nous allons agir avec la Commission pour mieux contrôler les substances pouvant servir à confectionner des explosifs et mieux sécuriser les documents officiels.
Par ailleurs, il est fondamental de mieux lutter contre la radicalisation sur internet. Nous encourageons la Commission à aller au-delà d'une approche centrée sur la contribution volontaire des acteurs du numérique à une autorégulation et à prévoir la mise en place de moyens contraignants pour améliorer la détection automatique et la suppression des contenus illégaux.
S'agissant des outils européens dont nous disposons, vous avez évoqué la mise en place du parquet européen que nous avons soutenue depuis le début. Nous appuyons l'idée d'élargir sa compétence, au-delà des questions financières, à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière et au terrorisme. La Commission, je le crois, nous entend.
Un mot enfin sur EUROPOL, qui joue un rôle irremplaçable pour le partage des informations. Ses compétences peuvent être utilisées de façon offensive, comme fin avril – vous l'avez rappelé, monsieur le président – contre les outils de propagande de Daech. Nous devons y avoir pleinement recours.
Pour y jouer tout notre rôle, nous devons d'ailleurs veiller à y renforcer notre présence. J'ai eu de premiers échanges sur ces sujets avec la nouvelle directrice exécutive d'EUROPOL, Catherine de Bolle, avant même sa prise de fonctions.
Enfin, je ne fais que le mentionner, mais peut-être y reviendrons-nous au cours du débat, gardons à l'esprit le développement de l'Europe de la défense, et en particulier le programme de développement de l'industrie de défense, précurseur du futur Fonds européen de défense en cours d'adoption et qui constitue une avancée majeure.
Vous m'avez interrogée sur l'initiative européenne d'intervention. Ce projet que nous portons, et que le Président de la République avait annoncé dès le discours de la Sorbonne, est en voie d'adoption. Une réunion aura lieu avec les États intéressés en juin prochain, à Paris.
Il s'agit de compléter les possibilités offertes par la coopération structurée permanente en matière de mutualisation par un travail sur nos capacités opérationnelles. Nous voulons pouvoir mieux programmer, mieux planifier, mieux partager nos évaluations sur la nature de la menace et sur la connaissance des théâtres autour des capacités françaises avec des pays membres de l'Union européenne, avec certains qui ne le sont pas ou qui bientôt ne le seront malheureusement plus, mais souhaitent continuer à travailler avec nous. Nous travaillons à l'articulation d'une partie de l'initiative européenne d'intervention avec la coopération structurée permanente.
J'en viens aux questions de migrations et de frontières. Le Gouvernement vous rejoint, monsieur le président, pour souligner toute l'importance du nouveau corps européen de gardes-frontières et gardes-côtes qui dispose de capacités nouvelles pour appuyer les États membres, qu'il s'agisse d'analyser les vulnérabilités des frontières externes, de participer à des reconduites à la frontière, ou d'agir en urgence, en cas de défaillance, à la demande du Conseil et avec l'accord de l'État membre concerné qui y a tout intérêt.
La Commission propose, dans son projet de cadre financier pluriannuel, de porter le nombre de gardes-frontières et de gardes-côtes mobilisable au sein de la réserve d'intervention de 1 500 – dont 170 Français – à 10 000 hommes, ce qui va au-delà des 5 000 hommes que nous avions retenus dans nos évaluations des besoins.
Certains de nos partenaires paraissent relativement mal à l'aise avec cette partie précise de la proposition ambitieuse de la Commission et souhaiteraient plutôt un soutien accru aux gardes-côtes et aux gardes-frontières de chacun des États membres. Nous allons examiner cela en détail.
Sur le plan interne – je pense à Schengen –, nous avons besoin de faciliter la possibilité de réintroduction des contrôles aux frontières internes lorsque le besoin s'en fait sentir, en particulier en raison de la menace terroriste.
Bien évidemment, une politique migratoire européenne ne peut réussir sans un partenariat renforcé avec les pays d'origine et de transit, en particulier en Afrique. La France a montré le chemin depuis le sommet restreint organisé à Versailles sur ce sujet en août 2017.
Nous nous sommes dotés de moyens importants avec le Fonds fiduciaire d'urgence qu'il faut réabonder.
Nous avons également mis en oeuvre un dialogue migratoire plus exigeant s'agissant des migrations économiques illégales et mis en place des dispositifs permettant de mieux protéger ceux qui peuvent prétendre au bénéfice de l'asile en veillant à éviter qu'ils ne risquent leur vie sur la route, en Libye comme en Méditerranée.
Enfin, nous souhaitons que le Conseil européen de juin prochain permette de marquer des progrès sur la réforme du régime européen de l'asile. Les discussions restent très difficiles sur la révision du règlement de Dublin, en l'absence, qui plus est, d'un gouvernement italien de plein exercice.
Nous soutenons les efforts de la présidence bulgare pour parvenir à la fois à un plus haut niveau de responsabilité des pays de première entrée, notamment dans le temps, et à un plus haut niveau de solidarité en encourageant des relocalisations volontaires en cas de crise et, si la situation est grave, en prévoyant un mécanisme automatique et contraignant de relocalisation. Nous y travaillons notamment avec nos partenaires allemands dans la perspective du Conseil européen de juin prochain.
Je serai heureuse d'aborder ces points plus en détail, ainsi que les aspects que je n'ai pu évoquer, en répondant à vos questions. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste – M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudit également.)
- Débat interactif -
M. le président. Mes chers collègues, chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires.
Nous avons donc changé les règles du jeu de ce type de débat, mais je rappelle que les trente secondes supplémentaires ne pourront être accordées, mes chers collègues, que si vous respectez scrupuleusement les deux minutes imparties pour présenter votre question.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a deux semaines, l'Assemblée nationale a introduit dans le projet de loi Asile et immigration un article supplémentaire sur la question des migrations climatiques.
Ce nouvel article 42 fixe des objectifs en matière de connaissance des migrations climatiques et d'évolution de nos programmes d'aide publique au développement. Première occurrence des migrations climatiques dans le droit français, cette décision fera date.
Si l'Europe a accueilli un million de migrants depuis 2015, elle n'a fait qu'effleurer la problématique à venir des migrations climatiques. Un récent rapport de la Banque mondiale, daté de mars 2018, indiquait ainsi que 143 millions de personnes seraient forcées de migrer sous l'effet du changement climatique d'ici à 2050.
Le manque de nourriture, de ressources en eau, les canicules et les cyclones bouleverseront la géographie du monde tel que nous le connaissons.
Des cadres internationaux existent déjà pour prévenir ces migrations. Le cadre de Sendai prévoit ainsi un effort collectif pour réduire les risques de catastrophes naturelles et prévenir les déplacements induits.
Par ailleurs, les Nations unies ont mis en place un programme de réinstallation planifiée pour aider les migrants climatiques à s'installer et à rebâtir une nouvelle vie après leur exode forcé.
Madame la ministre, selon la Banque mondiale, si des stratégies d'adaptation planifiées étaient rapidement mises en place sur la réduction des gaz à effet de serre ou sur l'anticipation des catastrophes naturelles, 80 % de ces migrations climatiques pourraient être prévenues.
Notre groupe souhaite donc savoir quelle position la France défendra auprès de l'Union européenne sur ce sujet brûlant des migrants climatiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Colette Mélot, vous avez raison : le changement climatique constitue aujourd'hui l'une des causes fortes des migrations. On le voit partout dans le monde, notamment dans le Pacifique, où certains États insulaires risquent de disparaître, ou dans la bande sahélienne.
Dans un cadre bilatéral, nous nous efforçons à la fois d'atténuer le phénomène et d'aider les populations à s'adapter au changement climatique.
L'Agence française de développement dédie 50 % de ses aides à des projets liés à la lutte contre le réchauffement climatique. L'Union européenne, elle, ne consacre que 20 % de son aide au développement à la lutte contre le changement climatique. Nous souhaitons que l'Union consacre environ la moitié de ses crédits d'aide au développement, à l'instar de l'aide bilatérale française, à des projets de lutte contre le réchauffement climatique, visant à atténuer ses effets ou à encourager l'adaptation des populations.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.
Mme Colette Mélot. Madame la ministre, je ne peux qu'insister sur l'importance de l'aide au développement.
Comme vous l'avez souligné, il est indispensable de prendre des mesures en amont afin d'éviter ces phénomènes de migration.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le solde migratoire est l'élément principal de la croissance démographique européenne à partir de 1990, nous pouvons affirmer que les conflits, les persécutions et les migrations sont devenus, depuis 2015, un défi pour l'Union.
Sauver des vies, aider conjoncturellement les pays de transit importants à réduire les flux de migrants, l'enjeu est de taille et impose de faire preuve de pragmatisme : accord « un pour un », signé en mars 2016 avec la Turquie, permettant à 700 000 personnes de bénéficier d'une protection au titre de l'asile et mettant en place un flux contrôlé de migrants en mer Égée ; aménagements ponctuels du principe de libre circulation ; création de hot spots ; refondation de l'agence FRONTEX…
Je veux le dire avec solennité, sans verser dans l'angélisme, sans promettre ce que nous ne sommes pas en mesure d'assumer, nous avons un devoir d'humanité tout en restant fermes sur nos frontières.
Je conçois que mes propos puissent choquer ou heurter. Toutefois, reconnaissez que nous ne pouvons plus nous contenter de discourir et d'user d'effets de verbe pour éluder la réalité. Il est urgent de rappeler l'existence de nos frontières, non pas pour les transformer en barricades, en murs infranchissables, mais pour nous donner les moyens d'accueillir les migrants déracinés dans des conditions dignes.
Personne ne peut accepter les conditions de vie des migrants, campant dans des parcs, devant des porches d'immeubles, sous des ponts du métro parisien, abandonnés et sans soutien.
Nous devons être fermes avec les passeurs qui organisent sans vergogne le déplacement de femmes, d'enfants et d'hommes en mer Méditerranée, puis les laissent au hasard des chemins de montagne, sans le moindre respect.
Nous devons être fermes avec ceux qui cherchent à se substituer à l'État, en organisant de façon empirique et médiatique un contrôle aux frontières.
Madame la ministre, ma question est simple : après le constat d'échec du règlement Dublin III, pouvez-vous nous assurer de la réalité d'une politique commune concernant la question migratoire, alliant fermeté et devoir d'humanité, et poser un état des lieux des politiques migratoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Comme vous l'avez souligné, monsieur le sénateur Guérini, l'Europe a pris, depuis 2015, un certain nombre de mesures.
Vous avez rappelé la facilité mise en place avec la Turquie pour le financement, à hauteur de 3 milliards d'euros, des efforts déployés par ce pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés au monde. La plupart de ces crédits ont été contractualisés et nous travaillons à la poursuite de cet effort.
Le fonds fiduciaire d'urgence, mis en place à la suite du sommet de La Valette, permet de soutenir, dans les pays d'origine des migrations, la création de projets – notamment en matière d'éducation, de formation et d'emploi – visant à offrir un avenir aux jeunes, qui sont à la fois les plus dynamiques et les plus tentés par l'exil.
Nous devons aussi – et c'est ce que nous faisons – travailler avec les pays d'origine, pour mieux assurer le retour et la réadmission des migrants économiques illégaux. Nous le faisons avec des mesures incitatives, notamment la mise en place de projets de développement, mais aussi dans la discrétion, bilatéralement, sans le porter sur la place publique, au cours de discussions avec chacun de ces pays, afin de nous assurer que les mesures de réadmission sont facilitées. Elles ont trop longtemps été rendues difficiles par des résistances et des obstacles. Nous le faisons entre pays membres de l'Union européenne et avec les pays d'immigration d'origine.
Vous avez très justement cité, monsieur le sénateur, la lutte contre les passeurs et la nécessité d'augmenter encore notre coopération policière, au sein de l'Union européenne et avec les pays d'origine et de transit. Cette activité illégale, véritable gangrène, qui est devenue le deuxième trafic illégal le plus lucratif au monde, doit trouver, ici, en Europe, une réponse pénale appropriée.
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, selon un sondage d'Eurobaromètre réalisé auprès des citoyens européens en 2016, les deux problèmes les plus importants auxquels doit faire face l'Union européenne sont les migrations et la sécurité. Deux ans plus tard, ces thèmes sont toujours au coeur des préoccupations européennes.
S'agissant des problèmes migratoires, l'Europe est confrontée depuis 2014 à une crise sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, conséquence directe de la multiplication des conflits armés, notamment en Syrie et en Libye.
Le principal défi est de renforcer la solidarité européenne autour des thèmes des migrations et de la sécurité.
Ces thèmes, Mayotte, région ultrapériphérique de l'Union européenne depuis 2014, les connaît bien, puisqu'ils ont constitué les principaux points de revendication de la vague de contestation qui a secoué l'île durant ces deux derniers mois. Ce département est soumis à une pression migratoire sans précédent et accuse une situation d'insécurité croissante.
La pression migratoire exercée par les pays voisins sur le territoire mahorais, combinée à un taux de croissance démographique très élevé, pose des problèmes économiques et sociaux majeurs, comme l'ont montré les récentes tensions.
Nous sommes face à une urgence, nécessitant une aide optimale de l'Union européenne dans la gestion durable des migrations, notamment par le biais de négociations devant aboutir à des accords internationaux et de partenariat avec les pays voisins.
En effet, Mayotte connaît le taux de population en situation irrégulière le plus élevé de France, ce qui a pour conséquence directe la saturation de ses services publics, spécialement les écoles et les hôpitaux.
Parallèlement, la violence qui sévit, de façon permanente, depuis plusieurs années, dans ce département français d'outre-mer, engendre un climat d'insécurité insoutenable.
Aussi, madame la ministre, quels moyens l'Union européenne compte-t-elle mettre en oeuvre pour relever le défi des migrations, garantir la sécurité des citoyens mahorais et renforcer la prévention de la criminalité dans ce département ? (MM. Jean-Pierre Sueur et Loïc Hervé, ainsi que Mme Fabienne Keller applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Mohamed Soilihi, la question de l'immigration prend évidemment à Mayotte une dimension toute particulière, que le Gouvernement a pleinement à l'esprit.
Je veux revenir sur les mesures inacceptables prises par les Comores le 21 mars dernier, pour interdire les reconduites de Comoriens entrés illégalement à Mayotte. Nous les avons publiquement condamnées, et nous sommes résolument engagés à les faire lever. Nous avons choisi de maintenir un canal de dialogue ferme et constructif avec les Comores, dans une logique d'engagement d'État à État, avec deux objectifs : lutter efficacement contre les filières d'immigration illégale et stabiliser à moyen terme la relation entre les Comores et Mayotte, ce qui doit passer par des actions ciblées sur les sources d'immigration irrégulière aux Comores, en particulier à Anjouan.
Vous l'avez constaté, nous avons pris par ailleurs des mesures concernant les visas, qui concernent à la fois les passeports officiels comoriens et les demandes de visa sur passeport ordinaire.
Il serait prématuré de dire que la situation a trouvé un règlement satisfaisant. Les ministres des affaires étrangères français et comoriens se sont entretenus le 19 avril dernier. Il n'y a pas encore d'accord concernant la réadmission, mais nous cherchons des modalités de règlement rapide.
Permettez-moi d'évoquer la position de l'Union européenne à l'égard de Mayotte et des Comores.
Mayotte bénéficie en tant que région ultrapériphérique d'un soutien fort de l'Union européenne sur la période de budget actuel, 2014-2020. Ce sont ainsi 290 millions d'euros qui ont été versés par l'Union européenne à Mayotte, tous fonds confondus. Tel n'est pas le cas des Comores, qui bénéficient du FED, le Fonds européen de développement, à hauteur de 68 millions d'euros.
Je souhaite mettre l'accent sur un programme de coopération transfrontalière entre Mayotte et les Comores, qui est financé à hauteur de 16 millions d'euros, pour développer les échanges commerciaux, la santé des populations, les capacités de secours aux personnes et l'enseignement en mobilité.
La question de la pression migratoire à Mayotte est donc pleinement prise en compte au niveau national, mais aussi par nos partenaires de l'Union européenne.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis intervenue récemment en faveur d'un jeune homme originaire du Darfour, au Soudan, pays qu'il avait fui à l'âge de douze ans avec sa famille. Après avoir passé plusieurs années dans un camp du HCR, l'Agence des Nations unies pour les réfugiés, au Tchad, Abdel avait rejoint l'Europe par l'île de Lampedusa avant d'arriver en France. Quelques mois plus tard, en vertu du règlement de Dublin, il fut reconduit en Italie, où on lui signifia une interdiction du territoire. Il revint donc en France.
Durant ce douloureux parcours, marqué par la guerre et l'exil, Abdel n'a jamais été en mesure de formuler une demande d'asile, que ce soit en Italie ou en France. Cette situation est loin d'être unique, vous le savez bien. Elle vient toutefois illustrer sans ambiguïté la nécessité, si l'on veut que le droit d'asile ait encore un sens, de revenir sur le règlement de Dublin.
L'Union européenne ne s'y est pas trompée, et la Commission européenne s'est attelée à la refonte de ce règlement qui détermine l'État membre responsable de l'instruction d'une demande d'asile.
En France, le Parlement examine en ce moment le projet de loi Asile et immigration, sans aucune considération pour les négociations et travaux en cours au niveau européen.
M. Roger Karoutchi. Si !
Mme Esther Benbassa. Ma question est simple : de quelle manière le Gouvernement compte-t-il peser ? Quelles positions a-t-il l'intention de défendre au niveau européen, afin de rendre, comme il prétend le souhaiter, le droit d'asile effectif en France et sur le territoire européen ? Car la loi nationale s'adresse surtout aux futurs électeurs, en vue des prochaines élections !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Benbassa, vous aurez tout loisir d'évoquer le projet de loi Asile et immigration avec le ministre d'État, lorsqu'il sera examiné par la Haute Assemblée. On peut tout dire de ce projet de loi, sauf qu'il répond à des préoccupations électoralistes ! Il s'agit d'améliorer la situation à laquelle nous sommes confrontés : nous n'accueillons pas dignement les demandeurs d'asile et ne raccompagnons pas de manière efficace les migrants illégaux qui se trouvent sur notre territoire. C'est donc tout sauf un projet de loi démagogique !
Le règlement de Dublin a été adopté avant la vague migratoire de 2015. À l'évidence, cette dernière a mis en difficulté les pays de première entrée, qui se sont trouvés confrontés à un très grand nombre de demandeurs d'asile, mais de nombreux migrants, comme, probablement, le jeune homme que vous venez d'évoquer, n'ont pas souhaité demander l'asile dans le pays dans lequel ils sont entrés.
Madame, vous levez les yeux au ciel, mais lorsqu'on arrive du Soudan du Sud, on peut décider de faire du shopping de l'asile, et trouver qu'on est mieux en Suède qu'en Italie ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Esther Benbassa. Comment osez-vous utiliser ce mot ?
M. Jean-Yves Leconte. Donc, tout le monde doit faire sa demande en Italie ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Je suis allée au Soudan du Sud, et je vous invite à faire la différence entre ces pays et les pays européens. Et je ne considère pas que l'Italie soit un pays où il ne serait pas normal de demander l'asile.
Nous le constatons, les pays de première entrée ont laissé passer beaucoup de monde. Quant aux autres pays de l'Union européenne, ils n'ont pas témoigné d'une solidarité suffisante. Je prendrai pour exemple certains pays situés à l'est de l'Europe, qui ont décidé qu'ils n'accueilleraient aucun demandeur d'asile, malgré des décisions du Conseil européen et de la Cour de justice de l'Union européenne.
Aujourd'hui, il faut renforcer la responsabilité des pays par lesquels les demandeurs d'asile entrent dans l'espace européen et la solidarité de l'ensemble de l'espace européen. De ce point de vue, la présidence bulgare du Conseil de l'Union européenne a fait une proposition que nous soutenons : il s'agit de traiter la situation, soit lorsqu'elle est normale, soit lorsqu'une crise migratoire commence, soit lorsque cette crise s'aggrave, avec des obligations de solidarité différentes à l'égard des États de première entrée, qu'il s'agisse d'une solidarité financière, en expertise ou en matière de relocalisation, volontaire ou obligatoire lorsque la crise s'aggrave.
Aujourd'hui, l'Italie n'a pas un gouvernement en mesure de défendre une position. Nous attendons avec impatience la formation d'un nouveau gouvernement italien, pour essayer d'avancer sur une rénovation du règlement de Dublin.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.
Mme Esther Benbassa. Madame la ministre, vous êtes toujours dans la rhétorique, ce qui confirme mon sentiment : il y a non seulement une crise humanitaire, mais aussi, et surtout, une crise de l'accueil. Vous venez d'en donner l'exemple, en parlant, qui plus est, de « shopping » ! Mais comment pouvez-vous utiliser ce mot, pour évoquer la situation de gens qui sont dans la misère, l'anxiété et le dénuement ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. Pierre Ouzoulias. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la ministre, les quatre orateurs précédents ont évoqué la question du droit d'asile, ce que je ferai également. Ce n'est pas un hasard si ce même point est mis en avant par l'ensemble de mes collègues. Vous avez d'ailleurs, par anticipation, répondu aux questions en évoquant votre souhait d'un plus haut niveau de responsabilité des pays de première entrée et d'un plus haut niveau de solidarité des pays dits « de deuxième ligne ». Vous avez dessiné des perspectives pour le mois de juin prochain.
J'attends de votre part quelques précisions, pour que nous soyons certains de la volonté d'impulsion de notre gouvernement.
Tout d'abord, le traité de Lisbonne avait changé la donne en la matière, en faisant des mesures en matière d'asile une politique commune. Dans la mesure où il ne s'agit pas d'un sujet soumis à la règle de l'unanimité – sauf erreur de ma part –, j'aimerais savoir si un tel contexte peut jouer favorablement pour ce qui concerne la révision du règlement Dublin III.
Ensuite, au-delà des nécessaires convergences, à la fois des procédures – je pense à la reconnaissance mutuelle entre pays européens des décisions qui pourraient intervenir – et des positions de fond, la question de la conditionnalité est posée, à la fois en externe et en interne, comme vous le disiez à l'instant, madame la ministre, en évoquant le non-respect de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne par certains pays européens.
Enfin, j'aimerais avoir la certitude que notre gouvernement, mais aussi l'Union européenne, est actif s'agissant des accords de réadmission. Vous avez indiqué, par le biais d'une formule sympathique, que tout ceci était traité discrètement, bilatéralement. Je dois vous le dire, sur le terrain, nous n'avons pas du tout les mêmes échos. La réadmission ne fonctionne absolument pas avec les pays du Maghreb ou d'Afrique de l'Ouest, ce qui pose un vrai problème d'efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Bonnecarrère, vous avez raison, en matière d'asile, la règle est celle non pas de l'unanimité, mais de la majorité qualifiée. Toutefois, on l'a vu, les décisions de relocalisation n'ont pas été respectées par certains États membres. Aujourd'hui, au moment où nous sommes en train de négocier une nouvelle révision du règlement de Dublin, les divisions au sein de l'Union européenne sont fortes. Nous faisons le maximum d'efforts pour parvenir, d'ici à juin, à une avancée et à des progrès, ce qui ne signifie pas que l'ensemble du règlement de Dublin sera révisé à ce moment-là.
Nous travaillons sur une harmonisation des procédures, des délais et des critères utilisés dans l'Union européenne. De ce point de vue, le projet de loi Asile et immigration qui sera bientôt présenté à la Haute Assemblée va dans le sens de cette harmonisation. Mais il restera encore des questions à traiter.
Vous avez également évoqué, monsieur le sénateur, la conditionnalité. Au moment où l'on examine le prochain budget de l'Union européenne, il peut être tentant de conditionner l'octroi de certains fonds européens au respect par les pays bénéficiaires des obligations de relocalisation.
Le Président de la République a fait une proposition un peu différente, mais qui va dans ce sens. Il s'agit de considérer que l'accueil des migrants participe de la politique de cohésion. Dans cette logique, les collectivités accueillant un nombre important de migrants devront être éligibles au fonds de cohésion. Ce serait un soutien pour les États qui font de réels efforts, au détriment des États refusant d'accueillir des demandeurs d'asile.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour la réplique.
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la ministre, je veux exprimer mon soutien à l'action que vous venez d'évoquer et qui doit être mise en valeur auprès de nos concitoyens. En revanche, je suis beaucoup plus dubitatif sur l'effet des réformes franco-françaises en ce domaine.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, la procédure de Dublin ne fonctionne pas, cela a été dit. J'aimerais ainsi avoir quelques éclaircissements sur la figure rhétorique que vous avez utilisée : « plus haut niveau de responsabilité » et « plus haut niveau de solidarité ».
Un « plus haut niveau de responsabilité » soulève une contradiction avec le nouveau mandat confié à FRONTEX, qui vise à communautariser une partie de la surveillance de nos frontières. Dès lors, comment penser qu'on peut continuer à renforcer la responsabilité des pays de première entrée ? On le sait, c'est impossible ! Aujourd'hui, alors que les frontières sont surveillées par FRONTEX, c'est l'Italie et la Grèce et, bientôt, l'Espagne qui sont aux avant-gardes. Et ces trois pays ne pourront pas tout faire pour le reste de l'Europe !
J'en viens à la solidarité. Il est louable de proposer que les demandeurs d'asile puissent aller dans tous les pays de l'Union européenne. Mais quelles garanties avons-nous que les procédures seront les mêmes dans chaque pays ? Tel n'est pas le cas aujourd'hui ! Et les directives Procédure et Accueil ne suffisent pas, les procédures nationales étant aujourd'hui complètement divergentes. Comment faire pour arriver à une surveillance sur ce sujet ?
Enfin, quelle est la crédibilité de la France en la matière ? Alors que vous nous parlez de solidarité, votre gouvernement a fait voter voilà peu une proposition de loi « permettant une bonne application du régime d'asile européen », qui a vocation à renvoyer en Italie ou en Allemagne plus de 60 % des personnes susceptibles de demander l'asile en France. Madame la ministre, où est la crédibilité de la France en matière de solidarité, alors qu'elle n'a en tête que de renvoyer les personnes qui souhaitent demander l'asile sur son territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Leconte, renforcer les moyens de FRONTEX ne signifie pas lui donner l'unique responsabilité du contrôle de nos frontières extérieures. Pour autant, le rôle qui lui est dévolu est essentiel pour soutenir les pays qui en ont le plus besoin.
Dans le projet de budget présenté par la Commission européenne, que nous soutenons, il s'agit non seulement de porter les réserves de FRONTEX de 1 500 à 10 000 hommes, mais aussi de renforcer, d'une part, les moyens apportés aux États de première entrée pour mieux contrôler leurs frontières et, d'autre part, le Fonds asile, migrations et intégration.
Dès aujourd'hui, des pays comme l'Italie et la Grèce font l'objet de soutiens financiers pour l'accueil des demandeurs d'asile : 800 millions d'euros pour l'Italie, 1,4 milliard d'euros pour la Grèce. Nous sommes d'accord pour considérer qu'il faut faire plus et mieux, conformément au budget qui est proposé pour l'Union européenne.
Vous parlez de la solidarité dont fait preuve la France. Je le rappelle, notre pays a rempli ses obligations à la fois en matière de réinstallation depuis les pays extérieurs à l'Union européenne et de relocalisation, qu'il s'agisse de la Grèce, où nous avons rempli l'intégralité de nos obligations, ou de l'Italie, où nous avons fortement augmenté, depuis quelques mois, le nombre de demandeurs d'asile relocalisés en France. Nous avons pris de nouveaux engagements et mis en place, au Niger et au Tchad, une nouvelle procédure de réinstallation. Nous incitons nos partenaires européens à nous accompagner dans cette démarche qui permet d'identifier les personnes en besoin manifeste de protection, afin de leur éviter le calvaire de la traversée de la Libye puis de la Méditerranée. De ce point de vue, nous sommes, me semble-t-il, à la hauteur de nos valeurs et de nos engagements.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, vous n'avez pas vraiment répondu sur la question de la solidarité, évoquant simplement le respect des engagements de la France concernant la relocalisation. Mais ces engagements sont plus que modestes par rapport au nombre de demandeurs d'asile qui arrivent en Italie et veulent déposer une demande d'asile ailleurs.
Le fait de se cacher derrière la relocalisation pour ne pas réformer le règlement de Dublin sera lourd de conséquences !
M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec.
M. Philippe Pemezec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, on nous impose une idée reçue, selon laquelle l'immigration serait normale. Les élus serviraient à justifier la politique d'immigration, qui relèverait non pas de leurs compétences, mais plutôt de celle des fonctionnaires de Paris et de Bruxelles, ainsi que des associations humanitaires, qui n'ont pourtant aucune légitimité.
Bien évidemment, je suis opposé à une telle vision des choses, tout autant que je le suis à la suppression des frontières, qui sont nécessaires à l'organisation du vivre ensemble. Régis Debray, dont je ne partage pas toutes les positions, a d'ailleurs écrit un Éloge des frontières, où il défend l'idée selon laquelle les frontières permettent l'hospitalité. Or l'hospitalité, c'est accueillir chez soi qui l'on souhaite. Et c'est là où le bât blesse : une grande majorité des Français considère que nous ne sommes plus en capacité d'accueillir l'ensemble des populations qui veulent venir chez nous. Elle souhaite donc que le nombre de ces personnes soit limité et que l'immigration soit régulée et choisie.
Est-il normal que, au sein de la communauté européenne, les élus ne puissent pas se prononcer sur des plafonds et le choix des personnes à accueillir, en fonction de nos besoins et de notre capacité à intégrer ces populations ?
Au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, qui sont des démocraties évoluées, il existe depuis longtemps des plafonds d'immigration. Cela ne choque personne !
Au sein même de l'Union européenne, l'Autriche a maintenu des quotas d'immigration, tandis que l'Allemagne a prévu de mettre en place des quotas pour le regroupement familial.
Madame le ministre, quand des plafonds, votés chaque année par le Parlement, seront-ils mis en place en France ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Pemezec, vous examinerez dans quelques semaines le projet de loi Asile et immigration. J'ai donc du mal à comprendre que vous considériez que l'on retire aux parlementaires leurs compétences, au moment même où un texte leur est soumis.
Peut-être ce texte ne correspond-il pas à vos orientations. Vous souhaiteriez en effet, à l'instar, selon vous, de la majorité de nos concitoyens, que l'on mette en place des plafonds et des quotas. J'ai le regret de vous rappeler que la majorité s'est dessinée au moment de l'élection présidentielle, puis des législatives, et que les Français n'ont pas choisi un tel programme. Vous le déplorez sans doute, mais c'est la réalité politique de notre pays.
Notre responsabilité, c'est de mettre en place à la fois un meilleur accueil des personnes en besoin manifeste de protection, conformément aux valeurs européennes et dans le respect des conventions de Genève. Il s'agit aussi de poser une limite à l'immigration économique illégale, en étant capables de mieux raccompagner les migrants illégaux et, surtout, de trouver une solution, dans les pays d'origine, aux causes des migrations.
On peut décider artificiellement de tous les quotas qu'on veut, tant qu'il y aura autant d'inégalités entre les pays et aussi peu de perspectives d'éducation, de formation et d'emploi dans un certain nombre de pays du Sud, l'immigration illégale se poursuivra.
M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec, pour la réplique.
M. Philippe Pemezec. C'est bien ce que je craignais ! Une vision technocratique, qui creuse le fossé entre la population et la technostructure. Malheureusement, je ne pense pas que cela fasse beaucoup évoluer les choses dans le sens que je souhaite.
Par ailleurs, Emmanuel Macron n'a pas été élu sur cette thématique. Selon moi, une majorité des Français souhaite que l'immigration soit enfin contrôlée, jugulée et réglée. Puisqu'on gère l'ensemble des problèmes, qu'on possède des règles dans tous les domaines d'action, pourquoi n'en aurait-on pas en la matière ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Dominique de Legge. Madame la ministre, les défis de la sécurité et de l'immigration ne sont pas propres à notre pays, même si les chiffres concernant la France sont éloquents.
Le nombre de titres de séjour ne cesse de croître, de plus de 70 000 par an. Les demandes d'asile ont gonflé de 17 % entre 2016 et 2017 ; le coût des CADA, les centres d'accueil de demandeurs d'asile, enregistre une hausse de 9 %, tandis que l'ADA, l'allocation pour demandeur d'asile, a augmenté de 45 % par rapport à 2017. Si les moyens de l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, ont été renforcés, ils ne suffisent pas à instruire l'ensemble des dossiers. Quant à l'AME, l'aide médicale d'État, son budget grossit également.
Ces indicateurs témoignent d'un désarroi et d'une forme d'impuissance des pouvoirs publics à endiguer ce flot humain. Ils sont pris en tenaille entre la détermination de migrants, dont certains n'ont rien à perdre parce qu'ils ont tout perdu, le cynisme des passeurs et les inquiétudes grandissantes de nos concitoyens.
Comment aborder cette situation avec autant d'humanité que de réalisme ? Les solutions extrêmes, fermeture des frontières ou accueil de tous, ne sont pas réalistes. Chacun sait que le règlement de la situation ne peut trouver une réponse que dans le cadre européen. Toutefois, attendre tout de l'Europe nous conduirait à l'inaction, alors qu'il convient d'oeuvrer en faveur d'un rapprochement des pratiques et des législations européennes.
Je vous poserai donc trois questions, madame la ministre.
Premièrement, que pensez-vous d'une augmentation de la durée minimale de résidence en France pour l'acquisition de la nationalité française par les étrangers nés à l'étranger, en l'alignant sur la législation allemande, qui prévoit une durée de huit ans ?
Deuxièmement, vous semble-t-il souhaitable de subordonner vraiment l'acquisition de la nationalité française à une maîtrise de la langue et d'écarter les étrangers ayant fait l'objet d'une condamnation pénale, comme c'est le cas dans de nombreux pays ?
Troisièmement, certains pays ont apporté des restrictions à leur droit du sol. Êtes-vous ouverte à une évolution de notre droit en la matière, afin de refuser l'acquisition de la nationalité française à des enfants nés de parents en situation irrégulière ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Je voudrais tout d'abord revenir sur le commentaire qui a été fait précédemment, qualifiant mes propos de « technocratiques ». En ce qui me concerne, j'ai passé plusieurs années de ma vie en Afrique subsaharienne, et plusieurs autres années au Maghreb. Depuis que je suis ministre chargée des affaires européennes, je me suis rendue à plusieurs reprises dans des camps de réfugiés et des foyers de mineurs isolés. Je crois donc que je sais de quoi je parle, parce que j'y suis allée voir de près, sans rester à l'abri de mes fonctions parisiennes.
Monsieur le sénateur, vous parlez de chiffres français éloquents en matière d'arrivées de migrants et de demandeurs d'asile. Que devraient dire nos partenaires allemands, qui ont accueilli en 2015 plus d'un million de demandeurs d'asile ? (M. Roger Karoutchi fait la moue.)
Je voudrais le rappeler, puisque vous mettez en avant l'échelle européenne sur un sujet qui – vous le savez et, je crois, vous vous en réjouissez – est un sujet de compétence nationale propre, celui de l'acquisition de la nationalité. Il n'y a pas encore – et personne ne le souhaite – de politique communautaire en matière d'acquisition de la nationalité dans les États membres ; je ne vois donc pas très bien ce que l'Union européenne a à voir avec tout cela. J'ai le sentiment qu'on mélange beaucoup de choses à parler à la fois de demandeurs d'asile et d'acquisition de nationalité.
Mais enfin, puisque vous posez la question, je vous réponds. Vous me demandez si une durée de séjour minimale ne pourrait pas être exigée pour pouvoir demander la nationalité ? Cinq ans de résidence légale, en France, sont requis pour pouvoir effectuer une telle demande.
Vous suggérez qu'on vérifie la réalité d'une pratique de la langue française par le demandeur ; mais c'est très exactement ce qui est exigé aujourd'hui de ceux qui souhaitent obtenir la nationalité : une connaissance suffisante de la langue, de l'histoire, de la culture et de la société françaises, ainsi que l'adhésion aux principes et valeurs essentiels de la République française.
M. Roger Karoutchi. Ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas ce qui se passe !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Je vous invite à vous rapprocher de personnes qui sollicitent en ce moment même la nationalité française pour constater de vous-même ce qui leur est demandé, avant de me poser la question.
M. Roger Karoutchi. Dans les textes, ce que vous dites est vrai ; pas dans la pratique !
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.
M. Dominique de Legge. Je pensais qu'un ministre, assis au banc du Gouvernement, avait vocation à le représenter. Par conséquent, je m'étonne que le ministre des affaires européennes n'ait pas une vision globale de ce que peut être la politique de la France pour défendre ses intérêts au niveau européen.
Votre réponse confirme celle que vous venez de faire à M. Pemezec. Décidément, nous sommes gouvernés par des technocrates ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, ce débat sur l'Union européenne face aux défis de la sécurité, des migrations et des frontières est attendu non seulement par nos compatriotes, mais aussi, en ce 9 mai, par tous les citoyens européens.
Pourquoi ? Parce que nous avons face à nous une véritable bombe démographique. Selon les projections démographiques des Nations unies, la seule population de l'Afrique subsaharienne pourrait passer de 960 millions à 2 milliards d'habitants d'ici vingt-cinq ans. C'est naturellement considérable.
Que l'on analyse la question à l'horizon de quelques semaines, de plusieurs années ou des prochaines décennies, le même constat s'impose : plus que jamais, l'Europe va devoir apprendre à aborder cette question de l'immigration avec responsabilité, sous peine de voir nos démocraties submergées par le populisme.
J'en viens à ma question, qui comporte plusieurs volets.
Face à cette réalité démographique, peut-on réellement tenir le cap de la différenciation stricte – je sais que ce sujet est tabou – entre droit d'asile politique et immigration irrégulière, car économique ? En réalité, cela revient à accepter ceux qui meurent de peur et à repousser ceux qui meurent de faim. Cela revient surtout à nier que les véritables ressorts de l'immigration sont la misère, l'instabilité politique et l'absence de projet collectif.
Enfin, alors que la gravité de la question exigerait une politique européenne intégrée ambitieuse, comment articuler cette politique avec des politiques nationales qui, en la matière, restent extrêmement diverses ? Comment, aussi, articuler cette politique européenne de l'immigration avec celles des pays situés entre le Sahara et la Méditerranée – je veux parler des pays du Maghreb ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Henno, il est essentiel de garder à l'esprit la distinction entre ceux qui sont persécutés à l'occasion d'un conflit ou en raison de leur race, de leur religion, de leurs croyances politiques, de leurs orientations sexuelles, donc tous ceux qui relèvent de la convention de Genève, d'une part, et celles et ceux qui, d'autre part, se cherchent un avenir différent, ailleurs que dans leur pays d'origine, et dont certains font le choix d'une migration clandestine.
Ce sont deux démarches totalement différentes, et je ne peux, pour ma part, me résoudre à ce fatalisme qui consisterait à penser que pour certains pays, d'Afrique subsaharienne ou d'Asie du Sud – les ressortissants de ces derniers sont nombreux à avoir emprunté les filières des passeurs clandestins –, l'avenir de leur jeunesse, des plus déterminés, des plus courageux, des mieux formés parfois, passerait forcément par l'exil.
Ce défi relève évidemment d'abord de la responsabilité des autorités de ces pays. Mais c'est aussi notre responsabilité de pays partenaire que de travailler, comme je le disais tout à l'heure, à ce que, par exemple, la croissance économique constatée aujourd'hui en Afrique se traduise véritablement, pour ces jeunes, en développement humain, en possibilités de formation et d'emploi et en confiance dans l'avenir.
Sinon, quelle alternative avons-nous ? Si l'Afrique se développe, nous aurons un partenaire de croissance sur lequel nous pourrons nous appuyer. Si le destin de jeunes Sahéliens, en particulier, consiste nécessairement à aller chercher un avenir ailleurs qu'en Afrique, ici, en Europe, où nous ne pouvons pas tous les accueillir, on aura, en Afrique, de moins en moins de personnes qualifiées, de plus en plus de tensions, et donc de plus en plus de crises à gérer, car elles auront des conséquences sur notre sol.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour la réplique.
M. Olivier Henno. Je pense, j'ai même la conviction, que la véritable frontière en matière d'immigration sera demain le Sahara et pas la Méditerranée. Par conséquent, l'Union pour la Méditerranée reste une bonne idée. Elle n'a d'ailleurs pas échoué sur ses objectifs, mais du fait des révolutions arabes et de la crise financière de 2008. Nous pensons donc qu'il est temps de réexplorer cette idée et de travailler à sa mise en oeuvre. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a deux ans, l'Union européenne signait avec la Turquie un pacte migratoire de régulation des flux. Nous, sénateurs français, avions eu l'occasion d'analyser cet accord grâce aux travaux d'une mission d'information ayant pour objectif d'évaluer le bien-fondé et les conséquences de cette réponse, qui nous est apparue comme fragile, ambiguë et partielle face aux enjeux migratoires auxquels l'Europe a été et est confrontée.
À l'aune des mutations politiques dangereuses que connaît la Turquie ces derniers mois, en particulier la reprise du conflit armé entre l'État et le parti du peuple kurde, le bien-fondé de cet accord sombre peu à peu.
Pourtant, le 14 mars dernier, la Commission européenne dégageait une enveloppe supplémentaire de trois milliards d'euros destinée à aider la Turquie à accueillir les réfugiés syriens sur son sol. Cette seconde tranche d'aide montre qu'en dépit des tensions avec Ankara et des défauts de cet accord, ce dernier est encore mis en oeuvre.
Bon nombre d'ONG et de personnalités politiques européennes ont appelé à une évaluation juridique de ce pacte. Cet accord serait en effet illégal parce qu'il reposerait sur le postulat erroné selon lequel la Turquie est un « pays tiers sûr ».
Une clarification de la nature de la protection offerte dans un « pays tiers sûr » s'impose. Si nous nous résignons à accepter de sous-traiter le droit d'asile à des pays tiers, ceci doit être au minimum garanti par le caractère effectif de la protection, qui doit être identique à celle qui est accordée dans l'Union européenne – je pense notamment à l'application du principe de non-refoulement.
La Turquie présente-t-elle vraiment un haut niveau de garanties et de protection pour les demandeurs d'asile ?
Le 25 avril dernier, les eurodéputés ont décidé de retirer la Turquie de la liste commune des pays d'origine sûrs. Mais, selon la Commission européenne, ce vote ne concerne pas l'accord bilatéral UE-Turquie, mais seulement les cas de nationaux turcs.
Où en sommes-nous aujourd'hui ? Peut-on penser que le retrait de la Turquie de cette liste aura un impact sur la situation ?
Qu'en est-il, madame la ministre ? Pouvez-vous nous donner la position du gouvernement français sur ce sujet ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Gisèle Jourda, je voudrais rappeler que la déclaration Union européenne-Turquie de mars 2016 a permis que le nombre d'arrivées dans les îles grecques baisse de 97 % et que le nombre de décès de migrants en mer Égée soit divisé par 10. Ce dispositif a permis de lutter efficacement contre les filières de passeurs ; nous sommes donc attachés à sa poursuite et à sa reconduction.
Je rappelle aussi ce que je disais tout à l'heure : la Turquie est le pays au monde qui accueille le plus grand nombre de réfugiés. C'est un effort colossal, pour lequel nous avons des garanties en matière de qualité de la protection accordée à ces réfugiés. Je précise notamment que les enfants réfugiés, en Turquie, sont scolarisés. Je précise également que, grâce au soutien de l'Union européenne, les réfugiés qui se trouvent en Turquie ont accès aux soins.
Je voudrais plus généralement indiquer que nous travaillons à la poursuite de notre coopération avec la Turquie en matière d'aide aux réfugiés. Ce que vous avez mentionné à propos du Parlement européen est une discussion : ce n'est en rien une décision.
Je voudrais en outre préciser que l'aide européenne versée au profit des réfugiés en Turquie l'est très majoritairement, presque exclusivement, à des acteurs non étatiques – collectivités locales, associations – qui viennent en aide à ces réfugiés et font un travail qui mérite d'être salué.
M. le président. Dans la suite du débat interactif, la parole est à M. Sébastien Meurant.
M. Sébastien Meurant. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de m'étonner que nous ayons ainsi coincé cet important débat entre deux ponts, comme si l'on souhaitait traiter la question des frontières européennes et de l'immigration en catimini.
M. Roger Karoutchi. Le 9 mai, c'est le 9 mai !
M. Sébastien Meurant. Une mésaventure qui m'est arrivée récemment renforce ma crainte en ce domaine. Rapporteur spécial de la mission budgétaire « Immigration, asile et intégration », j'avais souhaité me procurer un document signalé par la commission des affaires européennes « arrêtant une recommandation pour remédier aux manquements constatés lors de l'évaluation de 2016 de l'application, par la France, de l'acquis de Schengen dans le domaine de la gestion des frontières extérieures ».
Ce document – vous aurez remarqué le magnifique jargon technocratique qui le caractérise – émane de l'Europe. Mon collaborateur s'étant vu refuser la consultation de ce document, je me suis moi-même rendu à la commission des affaires européennes, où l'on m'a signifié que j'avais le droit de le lire, mais non de le copier ou d'en emporter un exemplaire, comme s'il était normal de cacher aux parlementaires des recommandations de l'Union européenne à la France sur un sujet parfaitement régalien.
Ma première question, madame la ministre, est donc la suivante : si l'on souhaite réconcilier les Français avec la politique et la construction européennes, ne pensez-vous pas qu'il serait légitime d'associer le peuple français et ses représentants aux débats fondamentaux portant sur notre sécurité, sur nos frontières et sur l'immigration ?
Ma deuxième question a trait à ce que votre ministère a fait en réponse à la recommandation du Conseil européen dont je parlais à l'instant. Cette recommandation m'a en effet fait froid dans le dos. On y lit que, dans le port de Calais, les informations ne circulent pas bien d'une équipe à l'autre ; qu'à Roissy, les effectifs sont insuffisants pour assurer les vérifications aux frontières, et qu'il y manque du matériel adéquat ; qu'à Orly, les contrôles des membres d'équipage laissent à désirer. Il s'agit de la France !
Pourriez-vous nous dire, madame la ministre, si ces graves défauts relevés par le Conseil européen existaient réellement, ou s'ils n'étaient qu'imagination de technocrates bruxellois ? Et si ces défauts existaient bel et bien, qu'avez-vous mis en place pour remédier à cette situation préoccupante pour la sécurité des Français et pour l'identité de la France ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, je devrai me répéter – je vous prie à l'avance de m'en excuser –, mais il me semble que d'ici très peu de temps, vous aurez tout loisir de débattre et de vous exprimer sur la politique migratoire de notre pays. Je suis surprise que vous mettiez en avant le fait que la représentation nationale n'y soit pas associée ; c'est tout le contraire qui est vrai.
S'agissant du document que vous mentionnez, à ma connaissance, l'évaluation faite par la Commission européenne de la mise en oeuvre par la France du dispositif de Schengen est pour le moment encore provisoire. Nous n'avons pas reçu d'évaluation définitive. Je ne suis donc en situation ni d'analyser cette évaluation ni d'y apporter une réponse. Je m'engage devant vous à revenir sur cette question et à vous répondre lorsque la Commission européenne nous aura adressé son évaluation définitive.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, je voudrais vous faire part de l'inquiétude qui est la nôtre lorsque nous voyons l'absence de résilience des pays de l'Union européenne face à la crise migratoire. Il faut regarder ce qu'ont fait, en la matière, le Liban, la Turquie ou la Jordanie.
La crise humanitaire n'est pas terminée en Syrie : d'autres vagues peuvent arriver. Or l'absence de résilience conduit l'ensemble des pays européens à envisager leurs relations avec leurs voisins, en particulier leurs voisins du Sud, d'abord par le biais de cette politique migratoire – c'est profondément désastreux.
Nous ne parviendrons pas à faire quoi que ce soit, sur le long terme, si nous sommes obsédés par la gestion à court terme des migrations. Le cas échéant – on le sent bien chez certains responsables européens –, on préfère, à nos portes, des régimes autoritaires à des régimes démocratiques, au motif que ces derniers, s'ils peuvent bien représenter des solutions à long terme, nous posent problème à court terme. La pression à nos frontières n'ira qu'en s'aggravant tant que nous ne changerons pas de paradigme, tant que nous considérerons que des régimes autoritaires à nos portes sont une garantie de surveillance des frontières de l'Union européenne.
Madame la ministre, j'ai deux questions. D'une part, quelle est la position de la France face aux propositions de la Commission européenne tendant à conditionner l'attribution de visas à des ressortissants de pays dont les gouvernements refuseraient de donner des laissez-passer consulaires ?
D'autre part, la position de la France pourrait-elle être d'oeuvrer en faveur d'une possibilité de contrôle parlementaire, tant par les parlements nationaux que par le Parlement européen, sur l'ensemble des moyens qui sont donnés par l'Union européenne aux pays du Sud avec lesquels nous développons des politiques de régulation migratoire ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Leconte, comment parler d'absence de résilience alors que l'Union européenne a accueilli, en 2015, à peu près 1,5 million de demandeurs d'asile d'un coup ?
Mme Esther Benbassa. Pas la France !
M. Jean-Yves Leconte. La Jordanie a fait plus !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Ne nous jetons pas toujours la cendre à la figure ! Sachons aussi reconnaître ce que l'Europe a su faire de positif.
Mme Esther Benbassa. L'Allemagne, la Suède, oui ; pas la France !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. La Jordanie a fait plus, la Turquie a fait plus, certes.
Je vous rappelle quand même, madame la sénatrice Benbassa, que beaucoup de demandeurs d'asile ne souhaitaient pas venir en France à cause du niveau de chômage qui y prévalait, et préféraient partir en Allemagne ou en Suède.
Mme Esther Benbassa et M. Pierre Ouzoulias. Vive le shopping !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Je voudrais aussi indiquer que lorsqu'il s'agit d'un conflit comme le conflit syrien, il est assez habituel que les personnes fuyant une zone de guerre cherchent à rester à proximité, parce qu'elles ont l'espoir – et nous partageons cet espoir avec elles – de pouvoir revenir un jour dans leur pays d'origine. L'idée, lorsque l'on fuit son pays en guerre, n'est pas nécessairement de partir sur un autre continent.
Vous m'interrogez sur la position qui est la nôtre en matière de laissez-passer consulaires.
Nous souhaitons clairement une amélioration de la délivrance des laissez-passer consulaires par les pays dont sont originaires des migrants économiques illégaux que nous voulons raccompagner. Nous menons ce dialogue avec l'ensemble de ces pays, comme le font aussi, bilatéralement, nos partenaires européens. Et la question de la délivrance de visas, en particulier de visas officiels, à un certain nombre de ressortissants de ces pays, est posée.
Vous m'interrogez également sur le contrôle parlementaire de l'aide au développement européenne. Mais le Parlement européen contrôle l'aide au développement versée par l'Union européenne. Si vous avez, monsieur le sénateur, une question particulière et un souhait particulier s'agissant de ces questions de contrôle, je vous invite à me les communiquer et je vous répondrai par écrit.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.
M. Jean-Yves Leconte. Il ne s'agit pas que de l'aide au développement : des financements particuliers sont donnés dans le cadre de la régulation des flux migratoires. Pour ce qui concerne ces politiques, qui ne sont pas des politiques d'aide au développement européennes, à l'évidence, nos collègues députés européens se heurtent à des blocages – ils nous le disent – dès qu'ils demandent ce qu'il en est de l'usage des fonds.
Si l'on veut régler le problème à long terme, on ne peut pas se contenter de donner de l'argent aux gouvernements qui, y trouvant une source de revenus, délivreront les laissez-passer consulaires. Il faut travailler sur le long terme !
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Ah ! sur d'autres travées.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la ministre, pour une fois, je serai d'accord avec mon collègue Leconte – il faut qu'il s'en remette : ceci ne se produira pas souvent. (Sourires.)
Madame la ministre, on a l'impression que tous ces débats ne servent à rien. Quant à moi, j'ai voté pour le « non » à Maastricht, après quoi je suis presque devenu un gentil garçon européen. Franchement, à suivre les débats européens sur les problèmes d'immigration, on se demande si on est sur la même planète !
Dans la pratique, soit il s'agit de débats très techniques, et de modifications à la marge, soit les vrais problèmes ne sont pas abordés. J'ai écouté sur ces questions Mme Merkel en juillet dernier, le président de la Commission européenne en octobre, mais aussi l'actuel président de la République qui, lorsqu'il était candidat, parlait d'un plan Marshall pour l'Afrique. Si l'on veut réguler l'immigration, disait-il, il faut se décider à consacrer des moyens à un tel plan ; à défaut, de toute manière, et quelles que soient les bornes et les réglementations existantes, lorsque surviendra l'explosion démographique en Afrique, où voulez-vous qu'aillent les Africains, sinon par définition vers l'Europe ?
Or je constate que le Parlement européen et la Commission européenne n'avancent pas d'un iota sur ce sujet. Le budget européen est ridicule. On va donner trois francs six sous, ou plutôt trois euros six sous, à l'un, deux euros six sous à l'autre. Mais, en réalité, il n'y a pas de plan Marshall, pas de décisions d'investissement, pas de vraie politique consistant à identifier la source de l'immigration et les moyens d'aider à la tarir, donc à faire en sorte que ces hommes et ces femmes n'aient plus besoin de venir vers l'Europe. Tant qu'on ne le fait pas, pardonnez-moi, madame la ministre, on ne fait que du bricolage ! Et cette situation peut perdurer longtemps.
Je suis, moi, pour le contrôle des frontières, pour la révision de Dublin, pour la révision de Schengen, pour une politique plus ferme en matière d'immigration. Mais je suis aussi pour un vrai plan Marshall, et nous en sommes très loin. Que fait la France en la matière ?
M. Dominique de Legge. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Karoutchi, j'espère ne pas vous effrayer, mais je crois que je suis d'accord avec vous.
M. Roger Karoutchi. Je m'en vais, alors ! (Sourires.)
M. André Gattolin. Les grands esprits… !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. C'est l'effet du 9 mai, une fois par an ! Mais je vous promets que je ne le répéterai pas. (Nouveaux sourires.)
Je voudrais tout de même vous rassurer : l'Union européenne est le premier donateur d'aide à l'Afrique. Pays membres et Union européenne confondus, ce sont 19 milliards d'euros d'aide au développement qui viennent d'Europe vers l'Afrique chaque année. S'agissant de l'aide plus spécifiquement destinée à lutter contre les migrations, le Fonds fiduciaire d'urgence atteint 3 milliards d'euros, et nous allons chercher à l'abonder de nouveau, tant avec des crédits européens qu'avec des crédits émanant des États membres.
Pour ce qui concerne la France, vous connaissez l'engagement du Gouvernement à augmenter le niveau de l'aide au développement à hauteur de 0,55 % du PIB, et à concentrer cette aide au développement en direction de l'Afrique et, en Afrique, en direction des pays qui en ont le plus besoin, qui se trouvent au Sahel.
Je n'ai parlé que d'aide au développement ; je n'ai pas parlé de notre action militaire, qui sert aussi à la stabilisation de cette partie de l'Afrique et à la lutte contre le djihadisme, ce dernier comptant parmi les raisons pour lesquelles des Africains choisissent de migrer vers l'Europe. Ce faisant, par notre action, qui est nationale, avec Barkhane, mais pour laquelle des partenaires européens, notamment, nous rejoignent, nous contribuons à la stabilisation du Sahel et à la lutte contre les origines des migrations.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. J'entends bien, madame la ministre. Mais beaucoup de Français, et beaucoup d'élus, sont, comme moi, pour une politique de meilleur contrôle à l'entrée sur le territoire, pour une politique qui rompe avec le droit d'asile à tout va, lequel n'a plus de sens : s'il y a 102 000 demandeurs d'asile, c'est que tous ne fuient pas les persécutions ! C'est ainsi ! Et si l'on veut respecter le droit d'asile, il faut le ramener à sa vraie valeur.
Mais, en même temps, comme dirait le Président de la République, je suis conscient que si l'on ne change pas la donne chez nos voisins, nous serons perpétuellement sous la pression.
Faites les deux, madame la ministre ! (M. Antoine Lefèvre applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le respect des accords de Schengen, plusieurs pays ont rétabli les contrôles à leurs frontières nationales : l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, la Suède, la Norvège, l'Italie, la République tchèque, la Slovaquie, la Belgique, la Pologne, Malte et la France. Les autres l'ont fait en raison de la crise migratoire ; nous l'avons fait pour contrer la menace terroriste à la suite des attentats du 13 novembre 2015.
Mais la crise migratoire nous touche tout autant que les autres. L'Union européenne fait face à une crise sévère, qui nourrit d'ailleurs des mouvements populistes dans nombre de ses États membres. En 2017, les États membres de l'Union européenne ont accordé un statut protecteur à 538 000 demandeurs d'asile venant principalement de Syrie, d'Afghanistan et d'Irak. Les principaux pays ayant accordé un statut sont l'Allemagne, pour 60 % du total, la France, l'Italie, l'Autriche, la Suède, la Grèce, la Belgique et le Royaume-Uni.
Face à la crise migratoire qui a commencé en 2015, l'Union européenne n'a pas toujours vu juste. Le système des hotspots a par exemple échoué. Il s'agissait de centres d'enregistrement des migrants destinés à répartir les nouveaux arrivants. L'Union européenne a été mise face à la faiblesse de sa politique d'immigration et d'asile.
Selon vous, madame la ministre, quels sont les principaux impacts de cette crise migratoire ? Elle a connu son apogée en 2016, mais elle perdure. Rappelons que l'Union européenne, ce sont 500 millions d'habitants, dont 35 millions sont nés à l'extérieur des frontières, 20 millions sont étrangers et 1 million sans papiers. Les conflits, notamment en Syrie, perdurent. Les migrants venant d'Afrique sont très nombreux également. Les migrants économiques se mêlent aux réfugiés de guerre.
Hormis le renforcement des contrôles aux frontières, l'une des solutions semble résider dans une meilleure coopération de l'Europe avec les pays tiers. Madame la ministre, pouvez-vous nous dire comment l'Union européenne entend renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Pellevat, je voudrais revenir sur un chiffre : 100 000 demandes d'asile, ou presque, ont été formulées en France en 2017. Il s'agit effectivement d'un nombre élevé : au moment où, dans d'autres pays de l'Union européenne, ce nombre décroissait, il augmentait encore dans notre pays.
Mais je voudrais apporter une indication qui me paraît aussi importante pour éclairer l'ensemble de notre débat : la première nationalité de demandeur d'asile, en France, en 2017, est la nationalité albanaise. Il ne s'agit donc pas de Sahéliens, de Syriens ou d'Irakiens ; ces Albanais viennent dans l'Union européenne sans avoir besoin de demander de visa et, une fois sur le sol de l'Union, pour une partie d'entre eux, demandent l'asile.
Sur ce sujet, nous sommes mobilisés. Nous sommes mobilisés bilatéralement, avec l'Albanie, d'abord et avant tout pour lutter contre la criminalité organisée, contre les trafics d'êtres humains, sans lesquels ces personnes ne pourraient pas venir et rester sur notre territoire.
Je voulais faire cette réponse, car je constate, à la lumière de l'ensemble des échanges que nous avons eus, que notre vision de la situation des demandes d'asile en France pouvait être parfois biaisée ou influencée par les discours politique ou médiatique. Nous devons traiter cette question de l'immigration en provenance d'un pays des Balkans.
Pour le reste, je crois avoir déjà répondu précédemment à votre question.
Il faut renforcer les frontières extérieures et le contrôle des frontières extérieures, avec une augmentation à la fois des moyens de FRONTEX et de ceux donnés aux États membres.
Il faut aussi harmoniser le régime européen de l'asile, afin de permettre le rapprochement des critères et des procédures et de faire en sorte qu'il y ait plus de responsabilité à l'entrée. Vous avez évoqué l'échec des hot spots. Mais c'était l'échec de la responsabilité. Nous devons faire plus et mieux dans les pays de première entrée.
Il faut également faire en sorte qu'un mécanisme de solidarité partagé par tous – la solidarité au sein de l'Union européenne ne doit pas être un vain mot – fonctionne en cas de crise grave.
Il faut enfin mieux travailler au développement des pays d'origine, ainsi qu'à la stabilisation des pays de transit.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Une petite dernière pour la route ! (Sourires.)
Madame la ministre, l'Europe a-t-elle encore un poids à l'échelon international ? A-t-elle réussi à se doter d'une politique étrangère, d'une politique de défense, bref d'une politique tout court qui ait une influence ?
Nous venons de voir le président des États-Unis retirer son pays de l'accord sur le nucléaire iranien, sous les applaudissements de l'Arabie saoudite, de l'Égypte, des pays du Golfe, du Maroc, qui, lui, a rompu ses relations avec l'Iran. J'entendais à l'instant M. le ministre des affaires étrangères indiquer à l'Assemblée nationale que cela était, certes, regrettable, mais que l'accord ne contenait effectivement rien sur la balistique de l'Iran ou sur les tentatives d'hégémonie de ce pays sur le Proche-Orient.
Par conséquent, madame la ministre, ma question est simple. Je me suis rendu en Israël la semaine dernière avec une délégation de membres du groupe France-Israël, présidé par M. Dallier ; l'Europe est considérée par les Israéliens, et pas seulement par eux, comme ayant un peu « dévissé » à l'échelon international. En tout cas, elle n'apparaît plus forcément comme une puissance susceptible d'apporter une garantie. Nous avons un vrai problème à cet égard.
N'avez-vous pas le sentiment que, s'agissant de l'Iran ou d'autres dossiers, nos interlocuteurs n'ayant pas une grande confiance dans la puissance ou l'unité de décision de l'Europe, celle-ci soit en réalité un lion d'argile, capable certes de rugir, mais pas de faire peur à qui que ce soit ?
Mme Françoise Gatel. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, je ne vais pas vous faire une réponse « pour la route ». (Sourires.)
Nous venons de débattre pendant plus d'une heure de l'attractivité de l'Europe pour des centaines de milliers de personnes à travers le monde. Nous savons aussi qu'un certain nombre de pays sont candidats à l'adhésion à l'Union européenne. Nous ne voyons jamais notre attractivité ; nous ne voyons que nos faiblesses.
Nous avons regretté le retrait des États-Unis de l'accord nucléaire signé avec l'Iran. Et, dans le concert des nations, peu nombreux sont ceux qui applaudissent. Ceux qui, comme nous, considèrent que l'accord reste valable et qu'il faut toujours en être partie prenante sont infiniment plus nombreux.
Certes, il faut élargir l'accord et avoir une préoccupation forte concernant les activités balistiques de l'Iran ou son rôle au Moyen-Orient ; nous l'avons dit. Le Président de la République est allé en parler avec le président américain, qui a lui-même laissé la porte ouverte à un futur accord. Ce sera très précisément le rôle de l'Europe – mais, vous avez raison, pour cela, il faut une Europe unie, parlant d'une seule voix – de convaincre les uns et les autres de revenir à la table et de faire en sorte que l'accord nucléaire iranien, qui était un immense progrès dans la lutte contre la prolifération, puisse trouver un nouveau développement.
Il serait tout de même paradoxal que l'Iran soit puni d'avoir respecté cet accord au moment où la Corée du Nord, qui, elle, est allée jusqu'au développement d'armes nucléaires, serait récompensée de n'avoir respecté aucun traité international.
Vous avez évoqué la nécessité de bâtir une Europe de la défense. C'est précisément ce que nous faisons. On en a parlé pendant soixante ans sans rien faire ; depuis six mois, on en parle moins, mais on agit beaucoup plus. Je pense à la coopération structurée, à l'ébauche d'un fonds européen de défense et au projet français d'initiative européenne d'intervention, qui permettra demain de travailler sur des opérations extérieures, y compris en gardant le partenaire britannique, dont nous savons qu'il est, avec la France, le seul capable de mener des opérations extérieures efficaces dans le haut du spectre.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. Madame la ministre, si même vous rendez hommage à l'action de M. Trump en Corée du Nord, je ne sais que dire ! (Sourires.)
M. André Gattolin. On reste sans voix !
M. Roger Karoutchi. Alors que tous les régimes précédents n'avaient pas réussi à mettre d'accord la Corée du Sud et la Corée du Nord, M. Trump, considéré comme quelqu'un de totalement inculte, y parvient. Finalement, il y a des choses à prendre chez un peu tout le monde.
Je vais vous dire ce qui m'a le plus choqué. Étant un gaulliste frénétique, je considère que la politique de la France ne se fait pas à la corbeille. Or j'ai entendu un certain nombre de ministres indiquer que le retrait de M. Trump créait un problème pour les entreprises françaises installées en Iran, celles-ci ayant triplé leur chiffre d'affaires depuis trois ans. Je le dis – avec tout le soutien que j'apporte aux entreprises françaises – : la France, ce ne sont pas les entreprises qui s'installent en Iran ; la France, c'est la paix, les droits de l'homme et la liberté ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. Pour conclure ce débat, la parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, je me réjouis tout d'abord de la qualité de nos échanges. Je remercie Mme la ministre de s'être prêtée au jeu des questions-réponses. Je salue la présence de nombre de nos collègues en cette journée de l'Europe, placée cette année entre deux ponts.
Notre collègue Roger Karoutchi a tout à fait raison de se désoler du temps européen, qui est très long, trop long. Le temps européen est celui des alliances, des accords et des votes à la majorité, à la majorité qualifiée, voire à l'unanimité des Vingt-Sept. Aujourd'hui, le temps politique et géostratégique est beaucoup trop long par rapport au temps économique. Nous ne pouvons que le déplorer.
Plusieurs questions ont porté sur la gestion des problématiques migratoires. Notre collègue Roger Karoutchi a regretté que l'Europe ne soit pas suffisamment considérée comme une puissance.
C'est pourtant le fil conducteur que nous avons mis en exergue dans le cadre du groupe de suivi que M. le président du Sénat a chargé la commission des affaires étrangères et la commission des affaires européennes d'organiser : l'Europe doit affirmer sa puissance, dans ce moment difficile où nos amis britanniques nous quittent.
La défense, la sécurité intérieure et la gestion de la crise migratoire sont par essence des questions régaliennes. L'Europe doit apporter sa plus-value à son rythme. En général, ce qu'elle fait, elle le fait bien. Mais elle le fait beaucoup trop lentement, ce qui ne passe pas très bien aux yeux de nos concitoyens.
En matière de lutte contre le terrorisme, la création d'une Union de la sécurité et l'amélioration de l'alimentation, de l'utilisation et de l'interopérabilité des bases de données européennes sont essentielles. Je voudrais que la France se fasse davantage entendre à Bruxelles, afin que 85 % des données venant des États membres ne soient pas fournies uniquement par cinq d'entre eux.
J'en viens à la sécurité intérieure. Il est extrêmement important que chaque État membre se dote d'un PNR national.
La défense doit reposer sur une vision stratégique partagée, fondée sur une revue stratégique de la défense européenne. Le couple franco-allemand est essentiel. Disons-le clairement : il a été en difficulté depuis quelques années ; aujourd'hui, il semble de nouveau sur le bon chemin. Au sein de la commission des affaires européennes du Sénat, nous avons souhaité la mise en place d'un Conseil européen de sécurité, d'une structure permanente de planification de commandement et de conduite des missions militaires.
Madame la ministre, j'ai écouté votre réponse sur le contrôle effectif des frontières extérieures et le renforcement opérationnel de FRONTEX. Vous avez indiqué qu'il pourrait y avoir une action sur un État membre après avis et décision du Conseil, sur demande d'un État membre. J'espère que la demande ne prendra pas trop de temps. Nous ne sommes pas dans une structure fédérale, et cela ne sera jamais le cas, ou, du moins, pas avant des lustres. L'Union est une confédération d'États-nations. Ne prenons pas trop de temps pour décider d'une telle action, si ne nous voulons pas que l'Europe perde de sa puissance et de sa crédibilité.
L'Europe doit apporter un appui plus généreux de ses fonds de cohésion. Nous avons manqué de générosité et de solidarité à l'égard de l'Italie. C'est sans doute ce qui explique les résultats électoraux du Mouvement 5 étoiles. Faisons très attention à cela.
Comme je l'ai souligné tout à l'heure, la politique de retour ne fonctionne pas. L'esprit de La Valette s'inscrit précisément dans celui des propos que Robert Schuman avait prononcés le 9 mai 1950. Pour ma part, j'aimerais une approche un peu plus « autoritaire » : tout pays tiers qui n'accepterait pas d'entrer dans le jeu d'une politique de retour ne devrait plus être bénéficiaire d'une aide au développement. L'Europe est un grand pays, solidaire et généreux. Mais la générosité a des règles. Nous savons très bien qu'un certain nombre d'États, notamment africains, n'accordent des retours et des réintégrations que sur les doigts d'une seule main. Nous ne pouvons pas accepter cela. De mémoire, le dernier cadre financier pluriannuel prévoyait 55 milliards d'euros d'aide au développement, distribués ensuite par l'ONU. On perd un peu la « traçabilité » de ces aides. Je souhaite que la France puisse tenir un tel discours.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Notre collègue Philippe Pemezec a parlé de « quotas » et de « plafonds » ; ce sont des mots que l'on n'entend pas beaucoup en France, mais de grandes démocraties ont décidé d'y recourir. Elles ne sont pas moins bien considérées sur la scène internationale.
Si l'on peut se réjouir dans la première approche du cadre financier pluriannuel, qui dote cette politique d'un certain nombre d'allocations financières, je regrette – mais ce sera l'objet d'un autre débat – que cela s'effectue au détriment de la politique agricole commune et des fonds de cohésion, qui ont tous deux leur importance ; ce n'est pas notre collègue François Patriat qui me démentira.
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La politique agricole commune reste éminemment stratégique : bien qu'ancienne, elle n'a jamais été aussi moderne. Nous en débattrons prochainement de nouveau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l'Union européenne face aux défis de la sécurité, des migrations et des frontières.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
Source http://www.senat.fr, le 15 mai 2018