Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur le financement de la Convention sur l'avenir de l'Europe et la question de la représentation italienne, les négociations du Chili et du Mercosur avec l'Union, le processus de paix au Proche-Orient, la situation dans les Balkans occidentaux, Bruxelles le 28 janvier 2002.

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Circonstance : Première réunion du Conseil Affaires Générales (CAG) de la présidence espagnole les 28 et 29 janvier 2002 à Bruxelles

Texte intégral

Ce premier CAG de la présidence espagnole a commencé par le débat public. Par définition, étant public il n'est pas nécessaire que j'y revienne. Vous avez vu à quel point tout le monde a soutenu des priorités de la présidence espagnole. J'ajoute mon soutien à Josep Pique pour poursuivre l'action du renforcement du Conseil Affaires générales.
A propos du travail dans les autres formations du Conseil, à propos du rôle du CAG, j'ai demandé que le CAG débatte en février de Galileo et de la proposition de la Commission sur le ciel unique européen. Il ne s'agit pas de se mêler de tout ce qui se passe dans les autres Conseils, il y a beaucoup de sujets qui marchent très bien tout seuls. Mais, de temps en temps, il y a des sujets où nous pouvons avoir une réelle valeur ajoutée pour faire avancer les choses.
Sur l'élargissement, vous connaissez le programme de travail qui est ambitieux. Il s'agit de mettre en oeuvre la feuille de route établie à Nice. Donc de trouver des accords à quinze sur un certain nombre de questions de financement. Vous voyez la difficulté de la chose, mais il faut avancer. C'est le problème qu'il faut considérer maintenant. Vous savez, et le commissaire Verheugen a beaucoup regretté que cela soit déjà rendu public, que la Commission va présenter ce mercredi des éléments de cadrage financier. Nous allons examiner ces éléments avec beaucoup d'attention car ces enjeux financiers sont importants. Je pense que plus on veut avancer vite dans la fin de la négociation, plus on doit être sérieux et plus on doit être rigoureux financièrement. C'est toujours le même raisonnement : il vaut mieux identifier vite les problèmes qui peuvent se présenter que de les escamoter et de se retrouver bloqués par eux à l'extrême fin.
En ce qui concerne les négociations avec le Chili, nous nous sommes fixés comme objectif de conclure les négociations d'ici au mois de mai. En même temps, nous avons lancé un signal positif au Mercosur. Les négociations sont beaucoup moins avancées mais elles progressent quand même. Compte tenu du contexte, notamment argentin, je pense que c'était important de lancer ce signal.
Lors du déjeuner, nous nous sommes rapidement mis d'accord quasiment sans discussion, sur la question du financement de la Convention et de la représentation italienne. Nous avons entendu des points d'information sur l'Argentine, le dialogue inter-congolais, Grèce-Turquie, le voyage de Jack Straw et de moi-même en Afrique et nous avons eu une discussion beaucoup plus longue sur les Balkans et sur le Proche-Orient où nous avons adopté des conclusions.
Q - Sur la Convention, comment s'est passé le débat sur la double représentation ?
R - Cela s'est passé très rapidement, presque sans débattre. D'abord, sur la partie financement, sur lequel il y a eu quelques polémiques mesquines que vous avez pu relever, cela a été adopté comme cela, puisque Josep Pique a fait remarquer qu'il y avait un accord. Ce n'est pas la peine d'y revenir, donc personne n'y est revenu, et sur la question de la représentation italienne non plus. Il y a deux ou trois pays qui ont regretté ces contradictions d'interprétation des décisions de Laeken. M. Berlusconi a rappelé son interprétation, qui est l'interprétation ratifiée par la majorité, en fait. Donc il n'y a pas eu vraiment de discussion. Il y a eu deux ou trois interventions, sur le thème : c'est dommage, mais quand même nous sommes d'accord.
Q - Et sur la personnalité de M. Fini ?
R - Pas de commentaire sur la personnalité des gens désignés par les gouvernements. Au nom de quoi ? Tout cela a duré quatre minutes.
Q - Et sur le budget, vous avez pris un engagement en cas de dépassement ?
R - Nous n'avons même pas discuté de cela. Nous n'avons rien changé à ce qui avait été préparé avant le déjeuner.
Q - Dans les coulisses, avant la rencontre d'aujourd'hui, la France avait-elle été sollicitée pour aider au règlement de cette double représentation
R - Non, pas spécialement. Le débat portait sur l'interprétation exacte de Laeken. On ne pouvait pas intervenir. Cela se passait donc entre la présidence belge, l'actuelle présidence espagnole et puis les Italiens. C'est tout.
Q - Qu'avez vous compris, vous, au moment de Laeken ?
R - J'avais compris qu'il y avait un représentant italien en plus.
Q - Ah oui ?
R - Oui. Un Italien et puis aussi un Belge, d'ailleurs.
Q - Sur le budget de la Convention on a donc accepté ce qui était proposé ?
R - On n'a même pas prononcé de chiffres de nouveau. Josep Pique a dit, lors du déjeuner : "On a atteint un accord sur le financement, si personne ne veut en parler ici, l'accord est considéré comme acquis". Point.
* * *
Sur l'Argentine, M. Pique a fait le point et a parlé du prochain voyage du ministre argentin à Madrid et à Rome.
Sur Grèce-Turquie, M. Papandréou nous a fait part des évolutions récentes, qui sont encourageantes.
Sur le dialogue inter-congolais, M. Louis Michel nous a résumé la discussion qui a eu lieu en Belgique il y a quelques jours et tout le bien que les participants à ce dialogue pensaient du voyage que j'ai fait avec M. Straw en Afrique. Et M. Straw est intervenu pour donner quelques conclusions sur ce voyage. Je ne suis pas intervenu, car j'étais complètement d'accord avec ce qu'il avait dit.
En ce qui concerne les Balkans, c'était une discussion que nous avons déjà eue à plusieurs reprises, que nous avons chaque fois que nous craignons que le travail assez fin qui est fait depuis des années et qui doit se poursuivre encore pendant des années, soit remis en cause par une décision ou par un désaccord quelque part. Aujourd'hui l'inquiétude était : "Que se passe-t-il s'il y a un référendum au Monténégro qui aboutit à disloquer la fédération ? " Même si elle est dépassée, il ne faut pas relancer la remise en cause de tout le système. C'était à nouveau un tour d'horizon. La conclusion est qu'il faut persévérer dans ce travail que nous faisons pour encourager, faire pression, conditionner, mais en même temps aider, et être au près d'eux dans la durée en leur fournissant des solutions. Le modèle, c'est ce qui a été fait en Macédoine depuis quelques mois, où vraiment l'engagement européen et le travail européen ont été formidables. Si vous cherchez une crise prévenue, il faut citer celle-là. Quand on a des échanges bureaucratiques ou académiques sur la prévention des crises, on ne sait jamais vraiment de quoi on parle. On ne comprend rien, parce que ce sont des mécanismes purement bureaucratiques. On oublie que notre action vise tout le temps à prévenir des crises. Et que, par définition, les crises prévenues, on ne les a pas en tête, on a en tête les autres. Je crois que l'Union européenne, par son existence, par sa façon de travailler, par l'attrait qu'elle représente, par ses politiques, par ses instruments, et simplement le fait qu'elle est là, a un effet préventif, dissuasif. Parfois curatif.
Q - Avez vous parlé du financement de la force civile européenne en Bosnie ?
R - Non. Pas spécialement. C'est trop tôt.
* * *
Sur le Proche Orient, il y a eu un débat long, qui a fait apparaître une vraie convergence de vue des participants sur une ligne qui est celle de l'Europe à Laeken, que vous connaissez, qui est exprimée de nouveau dans cette déclaration. L'Europe reste sur cette ligne. M. Berlusconi n'a pas été le moins éloquent là-dessus, d'ailleurs. Il reste sur la ligne qu'Israël a besoin de l'Autorité palestinienne et son président élu Yasser Arafat comme partenaire de négociation. Nous continuons à penser qu'il faut une solution politique pour faire un Etat, donc il faut une négociation. Pour négocier, il faut un partenaire et il ne faut pas l'affaiblir. C'est une position qui n'est pas la position de tout le monde, comme chacun sait. Là, on n'est pas dans la prévention mais ce n'est pas spécialement à l'Europe qu'il faut le dire. Ce que je retiens du débat sur le Proche Orient, c'est que compte tenu de la politique du gouvernement Sharon, compte tenu des prises de positions américaines, on aurait pu imaginer des positions européennes assez diverses. Ce n'était pas le cas. D'ailleurs ce texte a été adopté facilement. Il n'a pas été contesté. Cela a duré longtemps parce qu'il y a eu beaucoup d'analyses, beaucoup d'inquiétudes et de préoccupations exprimées par les uns et par les autres. Mais le texte a été facilement adopté.
Q - Que pensez-vous des durcissements des positions américaines à l'encontre de M. Arafat ?
R - Je ne peux que dire que nous ne sommes pas sur cette ligne.
Q - Certes, mais c'est un blanc-seing qui est donné à M. Sharon, et il ne s'est pas gêné pour l'utiliser.
R - En effet. Ce n'est pas notre position.
Q - Le droit des Européens, Monsieur le Ministre, d'éventuellement demander réparation pour les destructions de projets financés par l'Union européenne, au sein du forum approprié, ça veut dire quoi, pratiquement ? Quel peut être ce forum ?
R - Cela mérite réflexion. Il s'agissait d'affirmer un principe.
Q - On parlait d'une initiative européenne concertée et des Etats-Unis sur le Proche-Orient. Que pouvez-vous nous dire là-dessus ?
R - Ce n'est pas le terme adéquat. Dans la discussion, quand on fait le tour de table, les uns et les autres disent qu'il faudrait absolument reprendre le dialogue politique. Mais notre approche n'est pas la même que celle des Etats-Unis. Pourtant il faudrait, dans l'idéal, retravailler avec eux. Il faudrait les convaincre de changer de politique. L'idéal, serait une initiative prise en commun, à plusieurs... Mais on voit bien que les conditions ne sont pas réunies pour. Donc on ne peut pas se dire qu'il y a une initiative en préparation puisque les approches sont trop différentes en ce moment.
Q - La France est-elle favorable à cette demande de réparation ?
R - On est forcément favorable au texte qu'on a adopté.
Q - Cela veut dire quoi, Monsieur le Ministre, un remboursement ?
R - L'Union européenne invite le gouvernement d'Israël à mettre un terme à cette pratique - la destruction des infrastructures et autres installations - et se réserve le droit - donc ce n'est pas immédiat, mais on pose un droit -, de demander réparation dans le cadre des instances appropriées.
Q - Mais cela est-il impossible ? Si l'installation est détruite, elle n'appartient plus aux Européens, elle appartient aux Palestiniens. Pourquoi l'Europe serait fondée à demander une éventuelle réparation ?
R - C'est une démarche politique plus que juridique. D'ailleurs, si elle devait avoir une suite, cela consisterait plutôt à dire : "Vous devez contribuer à la reconstruction pour les Palestiniens".
Q - Louis Michel parle d'une initiative de cette sorte qui aurait été soutenue par la France, la Belgique et l'Italie.
R - Le mot " initiative " est prématuré. Chaque fois qu'on parle du Proche Orient, on se pose la question de savoir ce que peuvent faire les Européens qui sont d'accord entre eux. Là, aujourd'hui, nous sommes d'accord. On se pose des questions tout le temps. Et les mêmes questions reviennent sans arrêt sur le tapis. Plusieurs intervenants, dont M. Berlusconi, ont dit : "L'idéal serait qu'on arrive à rebâtir une action commune". De là à parler d'initiative, alors que les Américains sont sur la ligne que vous pouvez constater vous-mêmes, cela ne correspond pas à la réalité d'aujourd'hui. C'est dommage, je le regrette. Nous allons y travailler. Si on peut progresser, on le fera. Mais, compte tenu des différences d'analyse et de réaction que vous pouvez noter, je ne peux pas vous dire qu'il y a une initiative en préparation. Sinon vous me diriez : "Mais sur quoi, sur quelle base ?" Nous sommes simplement en train de dire aujourd'hui qu'Israël a besoin de l'Autorité palestinienne et de son président élu comme partenaire de négociation. Ce n'est pas tout à fait la même chose.
Q - Il n'y a pas eu de remarques sur Arafat et le cargo d'armes Karine-A ?
R - Personne n'a d'éléments fiables sur cette affaire. Un certain nombre de ministres m'ont dit : "Ce serait bien qu'on ait des éléments fiables".
Q - Les Européens vont participer à la Commission d'enquête mise en place par l'Autorité palestinienne ?
R - L'Union européenne souhaiterait une participation internationale aux travaux de cette Commission. L'Union européenne demande que soient achevés rapidement les travaux de la Commission d'enquête établie par l'Autorité palestinienne afin de faire la lumière sur les circonstances de l'affaire du Karine-A. L'Union européenne souhaiterait aussi une participation internationale aux travaux de cette Commission.
Q - Une initiative de M. Arafat est-elle envisagée, comme cela aurait été évoqué par certains ce week-end ?
R - Ce texte est clair, je trouve que c'est un bon texte. Le fait de confirmer Laeken précisément après plusieurs semaines où on a vu des différents côtés une ligne tout à fait différente s'exprimer, je trouve cela bien de la part des Européens. Je suis content qu'ils se soient mis d'accord sans difficulté entre eux. Il y aura certainement d'autres initiatives à prendre. Mais aujourd'hui, pour ce CAG, je trouve cela bien. Par ailleurs, je n'ai jamais été favorable à l'invitation de toutes sortes de gens au Conseil Affaires générales. Cela n'a rien à voir avec le Proche-Orient et M. Arafat. Ne pensez pas que cela soit une réponse négative. C'est comme si on invitait des gens au Conseil des ministres. Ce n'est pas sérieux. Les Conseil Affaires générales, c'est important. Je passe mon temps à dire depuis des années que le Conseil Affaires générales doit mieux jouer son rôle de coordination, donc s'occuper sérieusement d'autres sujets que la politique étrangère. J'ai cité tout à l'heure Galileo et l'opération "Ciel unique". Il faut arrêter de penser que l'invitation au CAG est une espèce de remède universel pour répondre à tout. Même chose pour le Conseil européen, d'ailleurs. Si on se met à inviter des gens au Conseil européen, avant, après, ça perturbe tout. Les Conseillers européens ont besoin eux aussi de fonctionner mieux, parce qu'ils ont les mêmes problèmes de fonctionnement que les CAG et ce n'est pas bien de mélanger les deux choses. Dans aucun pays on invite brusquement des gens au Conseil des ministres, parce qu'on veut leur manifester de la sympathie ou leur faire une fête. Cela ne se passe pas ainsi.
Il reste la question de savoir si, au-delà des déclarations d'aujourd'hui, on doit prendre des initiatives plus concrètes pour montrer que le dialogue avec Yasser Arafat doit continuer. Nous sommes d'accord sur le fait qu'il doit continuer. Nous sommes d'accord à quinze sur le fait que l'Union européenne doit maintenir son engagement et continuer à parler inlassablement avec le gouvernement Sharon même si on n'est pas d'accord sur beaucoup de points. Et parler inlassablement avec Yasser Arafat et l'Autorité palestinienne, même si on regrette ceci et cela. Même si certains la conteste comme interlocuteur en soi. Ce n'est pas notre ligne.
Ce dialogue doit se poursuivre. Sous quelle forme, comment, qui invitera qui, qui ira ? Je ne sais pas, mais c'est bien notre ligne. On le fera.
Q - Mais sur le principe d'une invitation qui se ferait hors Conseil Affaires générales ?
R - C'est toujours possible. Mais ne vous focalisez pas sur l'aspect invitation. Ce qui est important, c'est que les Quinze soient d'accord là-dessus, et que nous poursuivions également la discussion avec les Américains.
Q - Il y a un haut responsable des services de renseignement israélien qui est venu à Paris, à Bruxelles et dans d'autres capitales, récemment à propos de l'affaire du Karine-A. Est-ce que les preuves apportées vous apparaissent suffisamment convaincantes ?
R - Je crois que la question reste suffisamment ouverte pour que l'on ait souhaité mettre cette phrase dans la déclaration. Que l'on demande une participation internationale aux travaux de la Commission mise en place par l'Autorité palestinienne. Parce qu'il y a preuve et preuve et que tout est question d'interprétation.
Q - Et les Taleban "français" à Guantanamo, avez-vous des informations ?
R - Il y a quelques jours déjà, j'ai écrit à Colin Powell à ce sujet. Nous avons refait une déclaration aujourd'hui. Il y avait eu des indications comme quoi il y avait des Taleban français ou qui prétendaient l'être, ou qui avaient des passeports français. Mais cela n'est jamais très clair ou très net. Nous avons demandé, pour y voir plus clair, à envoyer une mission à Guantanamo. Elle y est arrivée dès que cela a été matériellement possible. Cette mission est donc actuellement à Guantanamo. Pour l'instant, nous n'avons pas de certitude quant à l'existence, au nombre et à l'identité de ressortissants français parmi les personnes détenues. Nous attendons donc le rapport de cette mission pour donner des indications.
La lettre dont vous parliez est une lettre du 15 janvier, dans laquelle on avait demandé que tous les prisonniers, quel que soit leur statut juridique ou leur nationalité, puissent bénéficier de toutes les garanties retenues par le droit international notamment en ce qui concerne les conditions de détention.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 janvier 2002)