Interview de M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'Etat au numérique à BFMTV le 25 mai 2018, sur le projet de loi sur la protection des données personnelles et l'inclusion numérique.

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Média : BFM TV

Texte intégral


JEAN-JACQUES BOURDIN
Mounir MAHJOUBI, qui est secrétaire d'Etat chargé du Numérique, est avec nous ce matin, bonjour.
MOUNIR MAHJOUBI
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Nous allons parler Internet, le numérique, nous sommes tous utilisateurs, pratiquement tous les Français. Combien d'utilisateurs, quel est le pourcentage des Français qui utilisent Internet aujourd'hui ?
MOUNIR MAHJOUBI
Ça dépend de l'âge, de 18 à 45 on dit 100 %…
JEAN-JACQUES BOURDIN
100 %.
MOUNIR MAHJOUBI
100 % des 18-45 l'ont utilisé au moins une fois, l'année dernière, et puis après au-dessus c'est moins, et en-dessous c'est moins, ça dépend des familles, ça dépend du milieu social, ça dépend de l'histoire personnelle qu'on a eue, et donc aujourd'hui on a un chiffre jamais égalé
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il va falloir d'ailleurs aider celles et ceux qui n'utilisent pas Internet aujourd'hui, qui ne savent pas utiliser cet outil, et qui sont confrontés aujourd'hui à la réalité d'Internet, c'est-à-dire qu'on ne peut plus rien faire, aucune démarche administrative, maintenant, sans Internet.
MOUNIR MAHJOUBI
Priorité absolue, c'est s'informer, c'est communiquer, c'est faire ses démarches en ligne, c'est consommer, quand on n'a pas Internet on se prive d'énormément de choses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais comment fait-on quand on ne sait pas ?
MOUNIR MAHJOUBI
Alors, on s'était vu il y a un peu moins d'1 an, où je vous disais on va lancer une stratégie nationale pour l'inclusion numérique, eh bien pendant 8 mois on a réuni tous les acteurs, locaux, nationaux, les associations, les collectivités locales, on s'est mis d'accord sur plusieurs axes, et maintenant on déploie. Et dans quelques semaines on annoncera, avec le président de la République et le Premier ministre, comment on va opérer, département par département, grâce aux régions et grâce aux départements…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire, qu'est-ce que vous allez annoncer ?
MOUNIR MAHJOUBI
On a 13 millions de Français qui ne savent pas utiliser le numérique, 13 millions de Français qui à chaque fois que je leur raconte « regardez cette nouvelle démarche en ligne », ils ne savent pas de quoi je parle, et savent que d'autres pourront le faire mais pas eux, eh bien pour eux on va créer, grâce aux départements, grâce aux régions, et avec l'Etat, des dispositifs qui permettent de les identifier et de leur proposer un accompagnement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire ?
MOUNIR MAHJOUBI
Eh bien quand ils se présentent au guichet des impôts, quand ils se présentent au guichet d'un service public, et qu'on voit qu'ils ne savent pas utiliser…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez identifier ceux qui ne savent pas utiliser Internet.
MOUNIR MAHJOUBI
On va former nos agents publics à identifier une personne qui est en détresse numérique et à lui proposer une solution, en lui disant « madame, j'ai remarqué que vous aviez beaucoup de mal avec le numérique… »
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire, quelles solutions lui permettent de… ?
MOUNIR MAHJOUBI
Une formation locale, par une association locale, ou un professionnel local, qui, en 5 à 20 heures…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça c'est formidable ! Vous allez former toutes celles et ceux qui ne savent pas utiliser Internet ?
MOUNIR MAHJOUBI
Je ne vais pas prendre le monopole, ce n'est pas je, ce n'est pas nous l'Etat, c'est les régions, les départements, l'Etat, les grands opérateurs, et même les entreprises privées, à qui on a demandé de participer au financement, à chaque fois qu'on va identifier une personne en détresse numérique, on pourra lui dire « voilà, je vous présente ça et je vous propose de prendre rendez-vous avec lui, et c'est financé, et vous serez accompagné. »
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il va falloir couvrir tout le territoire avec le haut débit, le très haut débit, ça c'est en route, puisque les opérateurs investissent massivement maintenant, même chose pour le mobile, on est bien d'accord ?
MOUNIR MAHJOUBI
Ça c'est très important.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Si des opérateurs téléphoniques décident de se regrouper, je ne sais pas, rachat, par exemple, de l'un par l'autre, est-ce que l'Etat s'y opposera ?
MOUNIR MAHJOUBI
D'abord il y a la première question sur la couverture. Il y a 1 an on s'était dit on va déployer, avec Julien DENORMANDIE on a négocié fort avec les opérateurs, maintenant on a un accord, ce qui compte maintenant c'est de le déployer. Donc, sur les réseaux mobiles, ce qui est en train de se passer c'est la consultation au niveau local de chacun des représentants des différentes communes, avec le préfet, pour identifier quelles sont les zones prioritaires pour les nouveaux poteaux. Cette consultation elle va permettre ensuite de discuter avec les opérateurs, de quels sont les poteaux prioritaires pour le trimestre prochain, le trimestre suivant, pour que les gens voient immédiatement le réseau s'améliorer partout sur le territoire. Pareil pour le très haut débit, on identifie toutes les zones qui ne sont pas encore couvertes, ou « couvrables » d'ici 2022, pour améliorer et accélérer immédiatement les déploiements. Ensuite, sur la question que vous posez, vous savez que c'est un secteur régulé par un régulateur, l'ARCEP, qui a fait des déclarations récentes sur ce sujet…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ouvrant à un possible regroupement, ou rachat.
MOUNIR MAHJOUBI
Mais vous avez compris que ce n'est pas le régulateur qui fait les rachats, il faut que ce soit les acteurs économiques qui décident entre eux de se regrouper.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien évidemment, mais le gouvernement n'y est pas défavorable.
MOUNIR MAHJOUBI
Vous savez, le gouvernement il n'est pas pour ou contre comme ça par défaut. Il y a une raison pour laquelle on peut être pour ou contre, c'est quand un regroupement, il permet d'investir plus et de déployer plus, c'est positif pour tout le monde, quand un regroupement il détruit de la valeur, il augmente les prix pour les consommateurs, le régulateur il est contre. Donc, quand il y a les conditions économiques pour qu'un regroupement favorise plus de déploiement, plus de qualité, sans augmentation du prix…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais trois opérateurs au lieu de quatre ça ne vous choquerez pas ?
MOUNIR MAHJOUBI
Ce n'est pas à moi de le décider, vous savez c'est important, dans ces matières économiques, de ne pas le dire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais d'accord, mais enfin bon ! C'est-à-dire que le gouvernement n'y est pas formellement opposé, quoi…
MOUNIR MAHJOUBI
Je vous ai donné mes variables. Si ça peut augmenter le prix des consommateurs, c'est hors de question, si ça diminue la capacité à investir, hors de question, si ces deux questions sont réunies, on investit plus, on protège le prix, pourquoi pas. C'est comme ça qu'on décidera, avec des chiffres.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pourquoi pas, on est bien d'accord.
MOUNIR MAHJOUBI
Vous savez moi je suis assez… on regarde les chiffres, on regarde pourquoi…
JEAN-JACQUES BOURDIN
On est bien d'accord, pourquoi pas !
MOUNIR MAHJOUBI
Il faut regarder les chiffres.
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'accord, mais pourquoi pas si les chiffres sont là, il faut le dire.
MOUNIR MAHJOUBI
Si toutes les conditions sont réunies, il n'y a pas de dogme.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La protection de notre vie privée, le fameux RGPD, alors Règlement Généra sur la Protection des Données personnelles, au niveau européen. Nos données privées seront mieux protégées, enfin à nous de ne pas les donner d'ailleurs, si je puis dire, ces données, à nous de ne pas les fournir aux grands… les grands réseaux, les grandes entreprises, qui viennent souvent des Etats-Unis la plupart du temps, et même toujours des Etats-Unis d'ailleurs. Est-ce que nous allons pouvoir nous opposer à l'utilisation de nos données personnelles ?
MOUNIR MAHJOUBI
Tous les Français l'ont vu depuis plusieurs jours, ça fait plusieurs jours qu'on reçoit des mails qui nous disent « RGPD arrive, est-ce que vous voulez changer vos conditions… est-ce que vous voulez cliquer ? », c'est beaucoup de mails, on ne les a pas tous lus. Mais moi je vous invite, sur les services que vous utilisez le plus, moi par exemple c'est Twitter et Facebook, eh bien pour ces deux-là j'ai pris le temps de faire tout le processus pour dire ce que j'accepte aujourd'hui et ce que je n'accepte plus. Par exemple, ce matin sur Twitter j'ai suivi la procédure RGPD de Twitter, et j'ai dit « je ne souhaite plus que vous envoyez et que vous revendiez mes données à d'autres entreprises. Je ne souhaite plus recevoir des mails commerciaux. » Eh bien ça, maintenant, c'est quelque chose de possible. Cette nouvelle loi pour la protection des données c'est depuis aujourd'hui et ça vous redonne le contrôle. Vous l'avez dit, l'élément le plus important c'est que c'est nous qui les donnons nos données, ce n'est pas eux qui nous les volent, c'est nous qui leur donnons, eh bien il faut que quand on leur donne on soit capable de dire « je les reprends, j'arrête, de transmets à quelque d'autre, je vous demande de supprimer… »
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui va vérifier ?
MOUNIR MAHJOUBI
Vous savez qu'on a un régulateur qui a des pouvoirs d'enquêtes, qui est la CNIL en France, il y a un dans chaque pays d'Europe…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui n'a pas beaucoup de moyens, qui dit « on n'a pas suffisamment des moyens. »
MOUNIR MAHJOUBI
Qui en demande plus, mais vous savez, chaque autorité administrative indépendante demande plus de moyens chaque année.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez lui en donner plus ?
MOUNIR MAHJOUBI
Ce n'est pas moi qui décide, là aujourd'hui, alors qu'on est en plein milieu d'année, si on doit donner plus à la CNIL, il faut regarder quelles sont ses missions, quels sont ses objectifs, comment elle avance, comment elle participe aussi à la diminution…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a des sanctions possibles ?
MOUNIR MAHJOUBI
Des sanctions très importantes, parce que vous avez raison, on avait déjà des lois en France sur la protection des données personnelles, avec des sanctions de quelques centaines de milliers d'euros ou quelques millions, eh bien là ça va jusqu'à 1,5 milliard. Et donc, quand vous pouvez faire des sanctions jusqu'à 1,5 milliard…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est un pourcentage du chiffre d'affaires je crois.
MOUNIR MAHJOUBI
4 % du chiffre d'affaires mondial, mais pour le ramener à un vrai chiffre, pour Google, pour Facebook, pour les très gros, c'est 1,5 milliard. Si un opérateur étranger, français, européen, qui opère en France, et qui travaille avec des données de Français et des données d'Européens, ne respecte pas ces règles, eh bien on peut lui parler, et d'égal à égal.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mercredi Emmanuel MACRON a reçu, entre autres, Mark ZUCKERBERG, vous avez assist à cet entretien je crois.
MOUNIR MAHJOUBI
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu'il lui a parlé justement de la protection des données personnelles ?
MOUNIR MAHJOUBI
Bien évidemment, c'était un élément important de notre échange. Emmanuel MACRON l'a rappelé dans le discours à VivaTech hier, il l'a rappelé dans l'entretien qu'il a eu avec Mark ZUCKERBERG, aujourd'hui ces plateformes elles sont partout dans nos vies, aujourd'hui ces grands acteurs du numérique ils sont à tous les endroits de notre économie, est-ce qu'on est contre ? bien sûr que non, mais est-ce que, quand on est partout, on ne doit pas aussi accepter certaines responsabilités ? Eh bien toute la discussion de « Tech for Good », toute la discussion qu'on a eue pendant le déjeuner avec tous ces acteurs du numérique, c'est : c'est quoi les responsabilités que l'on a quand on est aussi gros et qu'on est aussi présent dans la vie des gens ? Cet enjeu de la responsabilité, de la régulation numérique des années à venir, c'est une question d'avenir. Et hier, à VivaTech, le président de la République a dit que ce sujet des régulations numériques devait devenir le sujet des prochaines années et qu'on devait le porter au niveau national, européen, et international, et ça concerne le droit de la concurrence, ça concerne la fiscalité. Le président a rappelé « on ne va pas continuer très longtemps avec des grands acteurs internationaux qui ne payent pas des impôts. »
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ah ben oui !
MOUNIR MAHJOUBI
Oui, mais la responsabilité elle est sur nous, c'est-à-dire que eux, ils respectent le droit, c'est nous qui nous ne sommes pas capables de créer du bon droit, quand je dis nous c'est les pays d'Europe, alors c'est la France aujourd'hui qui tente de mobiliser tout le monde, on est presque au consensus…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, ça fait un moment qu'on tente de mobiliser, pardon !
MOUNIR MAHJOUBI
Oui, mais là on est presque au consensus, il nous manque que quelques pays.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Attendez. Malte, l'Irlande, le Luxembourg, la République Tchèque, qui s'y opposent, pourquoi, est-ce que ce sont des paradis fiscaux ces pays-là ?
MOUNIR MAHJOUBI
Est-ce que je peux vous demander de citer tous les autres qui ont dit oui ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non mais d'accord…
MOUNIR MAHJOUBI
C'est-à-dire qu'on peut citer la plus de vingtaine qui a dit oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais est-ce que c'est pays-là sont, est-ce que vous les considérez comme des paradis fiscaux ?
MOUNIR MAHJOUBI
Avant tout je considère ces pays comme des pays frères, je considère ces pays comme des pays avec qui on a construit l'Union européenne, donc je ne vais pas leur cracher dessus, je vais essayer de comprendre pourquoi ils sont comme ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pourquoi ?
MOUNIR MAHJOUBI
Parce qu'on les a laissé trop longtemps construire leur économie sur cet avantage fiscal, c'est de notre faute collective…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce sont des paradis fiscaux, pardon, pour ces entreprises-là, pour les GAFA ce sont des paradis fiscaux.
MOUNIR MAHJOUBI
Ce que je suis en train de vous dire c'est que c'est notre faute collective, on les a laissé pendant 20 ans construire leur économie, leur modèle social de redistribution, les allocations qu'ils payent à leurs citoyens elles sont basées sur cet avantage fiscal, donc on ne va pas leur dire vous êtes bêtes, supprimez-le, ce que j'essaye de leur dire c'est, maintenant ce n'est plus possible, ce n'est plus possible, donc tentons ensemble, entre pays frères d'Europe, comment on fait…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et on en est où ?
MOUNIR MAHJOUBI
Eh bien on en est à un moment où on discute de façon très intense, les discussions ne sont pas faciles, et moi je crois, et Bruno LE MAIRE, et le président de la République sont très actifs sur le sujet au plus haut niveau, pour que ces pays acceptent une transition économique qui ne passe pas par l'avantage fiscal. Vous parlez de paradis fiscal, évidemment que certains dénoncent un dumping fiscal de leur part, et, que font les plateformes ? Elles l'utilisent.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Evidemment.
MOUNIR MAHJOUBI
Mais parce que c'est légal.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors quoi, les plateformes seront taxées sur leur chiffre d'affaires, dans chaque pays…
MOUNIR MAHJOUBI
C'est ce que nous avons proposé, c'est ce qu'on souhaite.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Combien en France ? Un taux européen, global ?
MOUNIR MAHJOUBI
Alors, aujourd'hui on veut une régulation, on veut un taux européen…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quoi, 3, 4, 5 % ?
MOUNIR MAHJOUBI
3 à 5 %, il y a une proposition à 3,5 % en ce moment qui est en train de recueillir un presque consensus.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc 3,5, c'est énorme 3,5, ça rapporterait combien à la France ?
MOUNIR MAHJOUBI
Pour moi ce n'est que le début.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez chiffré ?
MOUNIR MAHJOUBI
Ce qu'on a chiffré c'est au niveau européen, ce serait plusieurs milliards d'euros au budget européen…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et pour la France, ça rapporterait combien ?
MOUNIR MAHJOUBI
Aujourd'hui vous savez que ces plateformes n'ont pas l'obligation de déclarer l'intégralité de leur chiffre d'affaires qu'ils font en France, c'est ça qui est terrible, donc je ne peux même pas répondre à votre question, puisque leur chiffre d'affaires est secret…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Demain elles auront l'obligation.
MOUNIR MAHJOUBI
Evidemment, c'est pour ça qu'on veut ce texte, on veut un texte où on explique que quand on fait un chiffre d'affaires dans un pays on doit le déclarer.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On est bien d'accord.
MOUNIR MAHJOUBI
Et ce qui est terrible c'est que c'est légal ce qu'elles font, c'est très légal.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je sais.
MOUNIR MAHJOUBI
C'est nous, maintenant il faut qu'on se bouge, et il faut que les peuples d'Europe se bougent.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est de l'optimisation fiscale.
MOUNIR MAHJOUBI
C'est de l'hyper optimisation fiscale.
JEAN-JACQUES BOURDIN
De l'évasion fiscale.
MOUNIR MAHJOUBI
L'évasion c'est quand on triche, l'optimisation c'est quand on utilise toute l'intelligence et les moyens possibles, pour avoir les meilleurs avocats au monde, pour vous faire des schémas incompréhensibles par les citoyens, et le rôle des politiques c'est d'empêcher ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'espère que vous allez réussir.
MOUNIR MAHJOUBI
J'espère aussi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dites-moi, ces GAFA, Google, Amazon, Facebook, Apple, sont plus puissants que des Etats aujourd'hui, passent par-dessus les frontières…
MOUNIR MAHJOUBI
Non…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Comment ?
MOUNIR MAHJOUBI
Non ils ne sont pas plus puissants que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et deviennent d'ailleurs des acteurs politiques à part entière.
MOUNIR MAHJOUBI
Ils deviennent des acteurs dans nos vies parce qu'ils sont des services qui nous utilisons tous, mais ils ne sont pas au-dessus des lois, et le message du président hier était très clair, et il a été entendu de la part des plateformes, elles ne peuvent plus continuer dans un environnement non régulé, elles-mêmes sont parfois en demande de régulation. Mark ZUCKERBERG devant ses auditions disait « oui, il faudrait que nous soyons régulés. » Vous savez, il y a un autre acteur qui est partout dans nos vies, c'est les banques, les banques, on ne fait aucune action dans une journée sans passer par une banque. Comme elles étaient tellement importantes pour notre économie, qu'est-ce qu'on a décidé il y a plusieurs décennies ? Que c'était un acteur économique privé, libre, mais soumis à une régulation très importante parce que l'impact d'une mauvaise action d'une banque peut être dangereux pour nous. C'est la même chose avec les plateformes. Aujourd'hui elles sont tellement présentes dans nos vies, qu'on ne peut pas continuer sans une régulation intelligente autour d'elles.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parmi les entreprises reçues IBM, 71 milliards de dollars dans les paradis fiscaux, au passage, je cite ce chiffre.
MOUNIR MAHJOUBI
Mais vous avez raison de citer les chiffres pour chacune de ces entreprises.
JEAN-JACQUES BOURDIN
71 milliards de dollars.
MOUNIR MAHJOUBI
Vous avez compris notre philosophie, pour toutes leurs activités en France, en Europe, on calcule, on déclare et on paye. Ce qui est très important c'est qu'aujourd'hui on a des marchés qui se sont « virtualisés », mais que notre pacte social, lui, il est très localisé, et le pacte social c'est, quand on fait de l'argent, on participe au pacte, et ça paye les écoles, les hôpitaux, et ça permet de donner des prestations sociales aux gens. Ce n'est pas possible d'avoir des entreprises qui font des bénéfices et qui ne participent pas au pacte social.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La sensibilisation aux dangers d'Internet, je voulais vous en parler un petit peu, pourquoi ? Parce que sur Youtube, les enfants, les ados, les préados, regardent beaucoup les youtubeurs, et, bon, la majorité c'est amusant, c'est intéressant, on apprend des choses, mais parfois ça peut être dangereux. Est-ce qu'il va falloir mieux réguler cela ?
MOUNIR MAHJOUBI
Oui. Je parlais tout à l'heure de ce qui va être une priorité dans l'avenir, c'est les régulations numériques, et dans les chapitres de ces régulations numériques il y en a une sur les contenus en ligne, il y en a une autre sur l'addiction en ligne, on parle des plus jeunes. C'est la première génération, c'est-à-dire nous en tant que parents, grands-parents, famille, on est la première génération à avoir des enfants qui ont ça toute la journée, ce n'est pas cher, ça n'a pas de limitation, ils en ont chacun un, ils peuvent le cacher, et qui peuvent l'utiliser toute la journée, c'est quoi les règles ? Chaque famille a son pacte. Il y a des familles qui disent « interdiction avant 13 ans », il y a des familles qui disent « tu peux, mais devant nous », mais la vérité c'est que ces contenus ils peuvent être parfois très dangereux, il y a des contenus de haine, il y a le cyber harcèlement, qui est aujourd'hui quelque chose d'extrêmement grave dans les collèges, qui mène parfois jusqu'au suicide. On a, sur le sujet des contenus sensibles, des contenus pirates qui enfreignent les droits d'auteurs, mais aussi des contenus terroristes, qui de l'autre côté font de l'influence. La question qu'on pose aux plateformes c'est : là-dessus vous avez une responsabilité, vous devez nous aider à identifier où sont ces contenus, vous avez une responsabilité pour les signaler et vous avez une responsabilité pour les supprimer quand on vous les montre. Tout le débat qu'on a aujourd'hui, du contenu terroriste, la Fake news, les contenus pirates, les contenus de haine, les contenus d'insultes, tout ça, aujourd'hui, c'est une discussion commune qu'on a lancée et ça va faire partie des chapitres des régulations numériques qu'on devra traiter dans les prochains mois.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Par la loi ?
MOUNIR MAHJOUBI
Par la loi si c'est nécessaire, parfois ce n'est pas la loi, c'est par l'application de la loi, une application moderne, adaptée à notre temps.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'ai une dernière question sur le sujet. L'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique a demandé à la justice de se saisir de la question des enfants mis en scène dans des vidéos sur Youtube, vous avez vu ça ?
MOUNIR MAHJOUBI
J'ai vu ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu'en pensez-vous ? Est-ce que vous vous associez à saisir la justice, est-ce qu'il faut aller jusque-là ?
MOUNIR MAHJOUBI
Ce qui est intéressant c'est la question posée…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Des parents qui, en quelque sorte, font travailler leurs enfants, pour vanter les mérites de telle ou telle marque.
MOUNIR MAHJOUBI
Quand j'étais jeune, j'étais petit, il y a 20 ans, et que je regardais les émissions comme « Capital » ou les émissions à la télé, on parlait des enfants acteurs, on parlait des enfants qui faisaient de la télé, on parlait des enfants dans les séries d'AB, etc., c'est la même question aujourd'hui, qu'est-ce qu'on fait de ces enfants artistes. Le seul sujet c'est que, à l'époque, ils étaient une petite centaine en France ces enfants artistes, aujourd'hui avec Youtube c'est potentiellement des milliers. Vous savez, ces chapitres nouveaux, de la vie numérique, eh bien il va falloir qu'on les repense tous ensemble, c'est pour ça que je vous dis que, ce qu'a annoncé le président hier c'est très important, les régulations numériques, les addictions, la concurrence, la taxation, les…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Tout sera régulé.
MOUNIR MAHJOUBI
Réguler c'est un joli mot, réguler ce n'est pas interdire, réguler ce n'est pas empêcher, réguler c'est permettre de tirer le meilleur, tout en empêchant le pire, et en s'assurant que tout le monde est libre dans cet espace.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je voulais vous interroger à titre personnel, Mounir MAHJOUBI. L'homophobie est un mal qui ronge la société, envahit les collèges et les lycées, contamine les familles, pire, elle hante les esprits des homosexuels et nous oblige parfois, souvent, à nous adapter, à mentir, pour éviter la haine, pour vivre. Vous avez menti, souvent, pour éviter la haine, pour vivre ?
MOUNIR MAHJOUBI
Bien sûr que j'ai menti, j'ai beaucoup menti au collège, j'ai beaucoup menti au lycée, j'ai beaucoup menti dans certains cercles parce que je pensais que ce n'était pas attendu des autres, pas acceptable, ou parce que j'avais déjà vu les insultes, parce que déjà vu des coups, donc oui ça m'est arrivé. Après j'ai eu beaucoup de chance dans ma vie politique et dans ma vie professionnelle, je n'ai été que dans des organisations très ouvertes, par contre je vois aujourd'hui au quotidien tous ceux qui n'ont pas cette chance. Et quand j'ai fait ce message c'était pour la journée internationale de lutte contre l'homophobie, j'avais envie de ne pas faire un discours de ministre qui donnerait des conseils, j'avais envie de dire il y a aussi un deuxième volet, cette homophobie, c'est celle qu'on intériorise, ce qu'on prend en pleine face. Et, ce qui m'a bouleversé, c'est les témoignages des parents, de personnes qui n'osent pas parler, j'ai reçu près d'une centaine de messages, ça m'a, moi, fait pleurer, ça m'a bouleversé, il y a eu des témoignages terribles, mais j'ai aussi une personne qui est venue me voir, une maman, qui m'a dit « vous avez fait du bien de parler de ça », parce que je parle des parents, je dis que ce n'est pas facile pour les parents, qu'il faut du temps pour eux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous vous êtes senti obligé de révéler votre homosexualité ?
MOUNIR MAHJOUBI
Mais, ce n'est pas une révélation, parce que je vous dis, la chance que j'aie…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais une révélation pour le public, vous comprenez… est-ce que vous vous êtes senti obligé ?
MOUNIR MAHJOUBI
Ceux qui me suivaient…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce que, derrière ma question je dis, est-ce qu'on est obligé, en France, de révéler son homosexualité, en 2018 ?
MOUNIR MAHJOUBI
Ce que je vous dis c'est que, justement, je suis de cette génération, là, aujourd'hui, qui n'a pas eu à révéler. Si vous regardez mes comptes sociaux, vous voyez mon mari, vous me voyez aux cérémonies à l'Elysée avec lui, vous me voyez aux sorties officielles…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, parce que vous êtes une personne publique, privilégiée, mais beaucoup vivent avec ce poids terrible.
MOUNIR MAHJOUBI
Ah mais ça j'en ai la conviction la plus absolue, et beaucoup vivent avec les violences qu'ils ont subies…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avec les violences qu'ils subissent.
MOUNIR MAHJOUBI
Beaucoup de jeunes ont été sorties de leur famille, beaucoup de jeunes n'en parlent pas dans leur emploi, il y a encore des professions très « virilistes » dans lesquelles on n'ose pas dire. Il y a le sport, regardez l'engagement de la ministre des Sports sur la sujet de la lutte contre l'homophobie dans le sport. Marlène SCHIAPPA est complètement engagée, Jean-Michel BLANQUER, sur l'homophobie à l'école, au collège, au lycée, est complètement engagé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc vous l'avez fait pour aider les autres.
MOUNIR MAHJOUBI
Je l'ai fait pour les autres, évidemment, ma vie est heureuse.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien sûr. Le professeur d'un collège – je terminerai avec cela – le professeur d'un collège de Seine-et-Marne a changé de sexe, déchaînement de violence sur les réseaux sociaux. Pourquoi ? Parce que le nom de cet enseignant, qui s'appelait Monsieur, qui souhaite s'appeler Madame, a été révélé publiquement sur les réseaux sociaux.
MOUNIR MAHJOUBI
Le nom de la directrice de l'établissement, le nom de l'établissement, l'adresse de l'établissement…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Exactement.
MOUNIR MAHJOUBI
Ça c'est très exactement ce que je vous rappelais tout à l'heure sur les nouvelles régulations numériques. On n'aurait pas dû laisser aussi longtemps en ligne le tweet de cette personne. C'est un jeune de cet établissement qui a fait une copie d'écran d'un mail qui était envoyé uniquement aux familles, et qui a jeté en pâture l'adresse et le nom de cette personne, c'est honteux, c'est inacceptable, et aujourd'hui on n'avait ni la culture, ni…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Des poursuites seront opérées ?
MOUNIR MAHJOUBI
Moi j'invite cette personne… mais, vous savez, dans ces situations personnelles n'oublions pas qu'il y a une personne qui aujourd'hui est protégée par la police parce qu'elle a peur, parce qu'elle se fait menacer, que devant cet établissement il y a de la protection policière aussi, parce que des curieux viennent, et pas que des curieux bien attentionnés, aussi des curieux très mal attentionnés, et que les élèves aujourd'hui ont peur. Donc cette situation elle est inacceptable.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Mounir MAHJOUBI.
MOUNIR MAHJOUBI
Merci à vous.
Source : service d'information du Gouvernement, le 29 mai 2018