Interview de M. Philippe Douste-Blazy, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à RTL le 9 janvier 2002, sur la grève des médecins généralistes et leurs revendications d'augmentation d'honoraires.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief Vous êtes président du groupe UDF [à l'Assemblée nationale], médecin, maire de Toulouse et ancien ministre de la Santé. Voilà de nombreux titres pour parler du malaise des médecins. Vous seriez ministre aujourd'hui, accorderiez-vous aux médecins l'augmentation qu'ils demandent, c'est-à-dire le passage à 20 euros pour la consultation ?
- "Oui, mais d'abord, j'ai envie de dire, sans polémiquer, que l'immobilisme de ce Gouvernement depuis cinq ans, vis-à-vis des professions de santé, est très coupable. On a vu les infirmières ; aujourd'hui, ce sont les médecins. D'abord, sur la forme, madame Guigou nous explique que la loi lui interdit pratiquement de voir les médecins et qu'ils [doivent voir] la Caisse nationale d'assurance maladie."
Elle dit que c'est avec la Caisse qu'ils doivent négocier en tout cas...
- "Au nom du paritarisme... Mais ce paritarisme, elle s'en est totalement moquée il y a quelques mois : lorsqu'il a fallu payer les 35 heures, elle est allée directement puiser dans la Caisse nationale d'assurance maladie. J'ai envie de lui dire qu'[elle] n'avait pas le droit à l'époque."
Vous, vous les recevriez ?
- "C'est une première dans l'histoire de la République. Tout ministre des Affaires sociales, devant un conflit des médecins, a toujours reçu les médecins. Je me souviens de madame Veil et de tous les ministres des Affaires sociales depuis très longtemps. Sur le fond, les médecins généralistes [sont] les premiers acteurs de la santé publique. Ce sont aujourd'hui des personnes qui sont dans une spirale. Et nous sommes tous dans une spirale très dangereuse pour la santé publique avec les médecins, parce qu'ils sont inquiets de leur avenir, parce qu'ils sont découragés par tout ce qu'on leur demande sur le plan administratif, ils ont des risques judiciaires. Ils se déplacent pour 3 euros. Quelle est la profession qui se déplace aujourd'hui pour 3 euros , en particulier dans des quartiers parfois sensibles et dangereux pour eux ?"
Ce malaise des médecins a commencé avec la réforme Juppé de 1995. Le Gouvernement de l'époque n'a pas eu les voix qu'il voulait de ce côté-là...
- "Je vais terminer là-dessus, c'est important. Les médecins jouent un rôle social majeur. Dans une société où tout le monde est seul, il faut savoir que le médecin, plus que jamais, connaît la personne dans son intégralité, y compris sa famille, les enfants, les échecs scolaires, les problèmes de couple. Comment réagissent les médecins face à ces fameux 15,53 euros par consultation ? Ils multiplient les actes, c'est vrai, et il est impossible de penser qu'un médecin fait bien son travail s'il voit 60 malades par jour."
Concrètement, demain il y a une négociation qui commence. Si vous étiez au pouvoir, puisque les élections approchent, que feriez-vous ?
- "Je ferais deux choses. Premièrement, en effet, je ferais un très grand signal : un signal sur une rémunération augmentée, mais en même temps, immédiatement, je demanderais une évaluation de la qualité. Et je ferais une grande proposition. Je prends quatre exemples, quatre actes. Comment voulez-vous que l'on finance de la même manière une réécriture d'ordonnance, pour une pilule par exemple, chez une femme que vous connaissez depuis dix ans, qui a trente ans et qui va bien - cela vous prend cinq minutes -, de la même manière quelqu'un d'hypertendu avec une petite hypertension artérielle à 16-10 que vous suivez depuis dix ans - vous lui prenez la tension artérielle une fois par mois - et un malade dépressif qui vous parle de ses souffrances pendant une heure ou une douleur thoracique, avec un interrogatoire d'au moins un quart d'heure-vingt minutes ? C'est difficile, une douleur thoracique : si c'est une angine de poitrine, vous sauvez une personne ; il faut une demi-heure."
Donc, on cible et on rémunère à la visite ?
- "Cela nécessite une chose, et c'est justement les ordonnances Juppé du printemps 1996 : c'est l'informatisation de tous les cabinets médicaux. Si personne ne sait que je vois madame Dupont pour uniquement une pilule contraceptive ou madame Dupont pour une douleur thoracique d'angine de poitrine, on ne pourra pas faire la différence. L'élément le plus important, c'est l'informatisation des cabinets médicaux."
C'est déjà en place...
- "Justement. Entre 1997 et aujourd'hui, un retard très coupable a eu lieu dans ce domaine. Je le dis avec force : ce n'est pas un problème de droite ou de gauche, c'est un problème de non-perception des problèmes des médecins. Nous ne sortirons de là que par la diffusion de ce que l'on appelle les "références médicales". Je prends un exemple là aussi. La communauté scientifique, tous les cardiologues du monde savent que devant un infarctus du myocarde tout petit, non compliqué, une épreuve d'effort tous les six mois suffit. Si on voit un médecin faire une épreuve d'effort toutes les semaines, [on] sanctionne personnellement le médecin et non pas collectivement."
Vous fichez les médecins et leurs pratiques au quotidien. Vous croyez qu'ils vont accepter ?
- "D'abord, tous les médecins sont d'accord avec ce que je dis. Nous avons commencé avec madame Veil entre 1993 et 1995, cette opération sur les références médicales. Cela avait été très bien accepté, que ce soit par MG France que la CSMF - les deux grands syndicats médicaux. C'est la seule solution pour s'en sortir. Il faut renouer une confiance. Il ne faut pas que le médecin voie dans l'homme politique toujours quelqu'un qui essaie de le prendre comme bouc-émissaire. A l'inverse, il faut que l'homme politique soit persuadé que ce qu'il demande est fait : cela s'appelle une confiance basée sur les bonnes pratiques médicales."
Les leçons ont été apprises depuis décembre 1995...
- "Si on n'avait pas eu monsieur Juppé non plus, il y aurait eu la faillite de la Sécurité sociale. Parce que la différence entre monsieur Juppé et monsieur Jospin, c'est que la croissance est arrivée avec monsieur Jospin, que la Sécurité sociale avait les caisses pleines et qu'il n'en a pas profité pour réformer, là comme ailleurs."
On va parler de la présomption d'innocence, puisqu'elle va arriver à l'Assemblée à la fin janvier. La loi a été ajustée. Il y aura une nouvelle proposition de loi. Les syndicats de policiers sont plutôt contents. Que va faire l'opposition ?
- "Je viens d'écouter A. Duhamel. J'ai écouté également le discours de rentrée du procureur général de la Cour d'appel de Toulouse. Tous les procureurs généraux, depuis 48 heures, le disent : c'est une catastrophe. La délinquance est montée de 8,8 %. Monsieur Dray arrive là dessus. Il y a un échec, c'est un constat d'échec. Cette loi ne marche pas, ne fonctionne pas."
Comment allez-vous vous comporter ? Comment va se comporter l'opposition ?
- "On ne peut pas accepter aujourd'hui qu'il y ait une augmentation de 10 % de la délinquance. Pour nous, en Haute-Garonne, c'est 20 %, avec des violences contre les personnes de plus en plus importantes. Nous voterons contre, parce que si l'idée de la loi est plutôt bonne au départ - A. Duhamel l'a dit, nous l'avons tous dit -, derrière il n'y a pas de moyens supplémentaires. Or une justice qui est différée est une justice déniée. 80 % des dossiers sont classés sans suite. C'est inadmissible. C'est la première des priorités. Il faut un souffle d'autorité dans ce pays. Monsieur Dray n'est pas bien placé pour le donner."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 9 janvier 2002)