Interview de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé à RTL le 6 juin 2018, sur le déficit budgétaire, les aides sociales et le remboursement des prestations sociales.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

YVES CALVI
Elizabeth MARTICHOUX, vous recevez ce matin la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès BUZYN.
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, en effet aussi en charge des solidarités. Bonjour Agnès BUZYN.
AGNES BUZYN
Bonjour.
ELIZABETH MARTICHOUX
On parle, parce que, avec vous, on parle beaucoup santé, parlons solidarité, est-ce que vous confirmez que le gouvernement cherche 7 milliards d'économies en 2 ans sur les aides sociales, c'est ce qu'écrit ce matin Le Canard…
AGNES BUZYN
Je ne sais absolument pas d'où vient ce chiffre, comment a été écrit cet article du Canard Enchaîné qui, de facto, sort de nulle part, ça n'a jamais été envisagé, ça n'est pas du tout la stratégie du gouvernement. Et d'ailleurs, la stratégie du gouvernement aujourd'hui, c'est de s'intéresser aux personnes, ça n'est pas de s'intéresser au budget, aux Finances qui entourent la solidarité nationale. Nous voulons être utiles pour les personnes qui aujourd'hui sont coincées dans un état de pauvreté dans lequel ils n'ont aucun choix de vie et qu'ils subissent complètement.
ELIZABETH MARTICHOUX
Le Canard Enchaîné précise, en révélant ces chiffres, qu'à la grande surprise de l'exécutif, Emmanuel MACRON et Edouard PHILIPPE, vous avez refusé ce schéma, on vous a dit : il faut trouver 7 milliards et vous avez dit : non, vous avez fait…
AGNES BUZYN
Mais personne ne m'a demandé de trouver 7 milliards…
ELIZABETH MARTICHOUX
Personne ?
AGNES BUZYN
Personne. Ça n'a jamais été évoqué. Donc ça suffit…
ELIZABETH MARTICHOUX
Il y a en ce moment des discussions sur l'objectif d'économies ?
AGNES BUZYN
Non, pas sur les aides sociales, sur les aides sociales, aujourd'hui, la question qui se pose, c'est comment on simplifie le système, parce que c'est un maquis pour les personnes qui aujourd'hui ont besoin d'aides sociales, comment on rend plus lisible et plus efficace, un système qui aujourd'hui maintient les personnes dans un état de pauvreté, puisqu'on a tout investi sur l'indemnisation des personnes au lieu d'investir sur la formation, l'accompagnement, l'insertion professionnelle, de façon à donner à ces personnes en difficulté aujourd'hui de nouveau la liberté de choisir leur vie.
ELIZABETH MARTICHOUX
Agnès BUZYN, vous avez une exigence d'efficacité ou une exigence d'économies ?
AGNES BUZYN
J'ai une exigence d'efficacité, comme toutes les politiques publiques que nous menons aujourd'hui dans ce gouvernement, nous recherchons ce qui fonctionne et nous arrêtons de financer ce qui ne fonctionne pas. Mais nous mettons l'argent sur ce qui fonctionne, ça n'est pas le budget qui fixe la politique du gouvernement aujourd'hui, c'est l'efficacité, et le budget est au service d'une politique.
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, mais quand Gérald DARMANIN dit, à votre place, il y a une semaine : il y a trop d'aides sociales, ça veut dire quoi, ça veut dire, le système coûte trop cher ?
AGNES BUZYN
Non, ça veut dire qu'il y en a trop, c'est-à-dire que, il y a un maquis, et effectivement, selon la façon dont vous rentrez aujourd'hui dans la pauvreté, parce que vous êtes un chômeur en fin de droits, parce que vous êtes une famille monoparentale, vous êtes un jeune, vous allez avoir accès à des aides différentes, et en fait, à des indemnisations différentes ou des prestations différentes. Et donc, en réalité, ce système est injuste et illisible, donc nous avons le droit de le questionner, maintenant…
ELIZABETH MARTICHOUX
Et par exemple, Gérald DARMANIN dit : il est illisible, eh bien, par exemple, la prime d'activité, c'est une aide, une prestation sociale qui s'ajoute à une dizaine d'autres, et celle-là, eh bien, elle est inefficace et elle coûte de plus en plus cher, les deux !
AGNES BUZYN
Elle est efficace, puisque les gens l'utilisent, donc aujourd'hui, c'est une aide sociale qui certainement peut aider certaines personnes à retourner vers l'emploi, nous la questionnerons comme la totalité des prestations que nous distribuons aujourd'hui, parce que c'est de l'argent public, mais par contre, il n'est pas question de faire des économies sur les personnes les plus en difficulté et les plus vulnérables. La question que nous nous posons, c'est comment faire en sorte que les gens sortent de la pauvreté, parce que nous avons une spécificité française, la spécificité française, c'est que nous indemnisons correctement les gens, que nous donnons des prestations qui permettent aux gens de ne pas rentrer dans la grande exclusion, comme ça a été le cas dans certains pays, mais que, par contre, une fois que vous êtes pauvre, une fois que vous êtes exclu, vous n'en sortez jamais, et ça se transmet de génération en génération. C'est ce déterminisme social que nous voulons supprimer.
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais le vrai scandale, Agnès BUZYN, ça n'est pas que par exemple le RSA passe à côté d'un tiers des bénéficiaires potentiels, ce n'est pas ça plutôt, en termes d'efficacité, qu'il faut essayer de combler ?
AGNES BUZYN
Alors, vous avez raison de pointer le non-recours, aujourd'hui, il y a des droits et des prestations qui font l'objet de non-recours, c'est-à-dire, des gens y ont droit, mais ne le savent pas, ce qui veut bien dire que ce système est illisible, et je parlais d'iniquité, aujourd'hui, vous ne touchez pas la même chose selon la façon dont vous êtes rentré dans l'état de pauvreté.
ELIZABETH MARTICHOUX
Si c'était le cas, Agnès BUZYN, pour reprendre l'affirmation du Canard Enchaîné, que vous démentez donc ce matin au micro de RTL, mais si c'était le cas, si on vous demandait un objectif chiffré d'économies sur le social, vous y seriez opposée ?
AGNES BUZYN
Ce n'est pas comme ça que nous raisonnons, nous raisonnons sur…
ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que vous y êtes hostile par principe ?
AGNES BUZYN
Par principe, aujourd'hui, il y a par exemple de la fraude, nous le savons, si l'objectif, c'est de faire des économies sur la fraude et d'être plus efficace, je suivrai évidemment des économies sur les fraudeurs et je serai l'implacable, parce que notre système est extrêmement généreux, et il ne faut pas que certains en profitent. Par contre, aujourd'hui, la seule question que nous nous posons, c'est comment faire en sorte de redonner le choix aux personnes par la formation et l'insertion, de façon à donner à chacun la chance de choisir sa vie.
ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que vous êtes favorable à ce qu'il n'y ait qu'une aide, une seule aide unique qui serait donnée, accordée en fonction des revenus, une seule aide ?
AGNES BUZYN
Alors, c'est une question qui avait été abordée par le président de la République dans sa campagne, donc c'est quelque chose auquel nous réfléchissons, mais c'est de toute façon extrêmement complexe à monter, et ça nécessiterait plusieurs années de travail, donc ça n'est absolument pas aujourd'hui la priorité du gouvernement. La priorité du gouvernement, c'est de faire en sorte que les prestations sociales soient utiles aux personnes et leur permettre de retrouver la formation ou un emploi, c'est la seule, vraiment, la seule préoccupation du gouvernement aujourd'hui.
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais c'est brouillon, voyez, l'impression qui se dégage dans ce débat…
AGNES BUZYN
Bien sûr…
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est que, et vous dites « bien sûr », il y a des couacs, on ne comprend pas, il y a des ministres qui interviennent, qui ne disent pas la même chose, pourquoi ça, parce que précisément, vous rentrez dans le dur…
AGNES BUZYN
Il n'y a pas de couacs…
ELIZABETH MARTICHOUX
Parce que c'est dur de faire des économies que vous n'avez pas encore faites…
AGNES BUZYN
Pas du tout, Madame MARTICHOUX, simplement, chacun parle de son ministère, et c'est normal que le ministre du Budget parle avec un prisme économique, c'est tout à fait logique, simplement, je suis en charge aujourd'hui de l'accompagnement social des Français, je suis extrêmement vigilante quand on parle de personnes, parce que derrière toutes ces discussions très théoriques, nous avons affaire à des chômeurs en fin de droits, à des jeunes qui n'ont jamais trouvé un emploi, qui n'ont pas été formés, à des familles monoparentales dont les mères sont femmes de ménage, se lèvent à 4h du matin pour faire des ménages, à 5h dans les entreprises, et qui ne trouvent pas de moyen de faire garder leurs enfants ; nous parlons de personnes. Et donc moi, je pense d'abord aux personnes, je veux faire en sorte qu'elles s'en sortent, et ça sera mon seul objectif, de trouver les moyens de leur émancipation, de trouver les moyens de les accompagner dans la vie pour éviter ce déterminisme social qui est spécifique à la France. Et donc je ne parle pas de budget en premier, je parle d'abord des aides qui fonctionnent et de l'accompagnement.
ELIZABETH MARTICHOUX
On sent un peu de colère au fond de vous ?
AGNES BUZYN
Oui, parce qu'on essaie de nous faire dire que nous pensons les choses différemment, or, tout le gouvernement a quand même ce…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous, en particulier…
AGNES BUZYN
Non, tout le gouvernement, y compris le président de la République et le Premier ministre, clairement, n'a qu'un seul objectif en tête, c'est : faire en sorte que les Français puissent s'émanciper, puissent choisir leur vie, aient de nouveau la liberté, ne subissent plus la pauvreté, et ça, ça passe par le travail, ça passe par l'insertion sociale, professionnelle, et c'est le seul objectif que nous poursuivons.
ELIZABETH MARTICHOUX
Si vous nous disiez ce matin, par exemple, une des mesures qui va présider à votre plan pauvreté, qui arrive avant la fin de l'été, ce serait quoi ?
AGNES BUZYN
Alors, par exemple, le tiers-payant pour les femmes qui cherchent à faire garder leurs enfants aujourd'hui, qui doivent débourser les premiers mois pour faire garder leurs enfants par une assistante maternelle, qui n'ont pas les moyens de débourser un mois de garde d'enfants et qui, de fait, renoncent à prendre un emploi, parce qu'elles n'ont pas les moyens de faire garder leurs enfants. Ce tiers-payant permettrait d'avancer le premier ou le deuxième mois de cette garde d'enfants et permettrait à ces femmes de retrouver un emploi ; sont des choses très concrètes.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ça, c'est un tiers-payant, vous nous le dites, c'est sur la table donc…
AGNES BUZYN
C'est sur la table…
ELIZABETH MARTICHOUX
Une avance de l'Etat d'un mois ou deux de garde d'enfants quand on revient dans le travail après un congé…
AGNES BUZYN
Absolument, dans le travail, parce que nous avons écouté les personnes, et les femmes vous disent, notamment les femmes, les familles monoparentales, les femmes seules, elles vous disent : mais, moi je voudrais travailler, simplement, il faut que je débourse 600 euros pour une assistante maternelle le premier mois, et même si je gagne le Smic, je n'ai pas ces 600 euros à mettre sur la table pendant un mois ou deux. Donc c'est cela que nous allons faire, des aides très concrètes pour que les gens puissent reprendre un travail.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ça, ce sera dans le plan pauvreté. Madame BUZYN, ministre de la Santé, l'Agence du médicament recommande un nouvel emballage, où le nom du laboratoire serait plus discret, c'est l'ANSM ou l'ASM (sic), je ne sais plus…
AGNÈS BUZYN
L'ANSM…
ELIZABETH MARTICHOUX
L'ANSM qui propose ça, l'Agence du médicament. Les industriels se rebiffent en disant non au paquet neutre. Qu'est-ce que vous leur dites ?
AGNES BUZYN
Bon, je laisse l'agence mener cette négociation, je pense qu'elle a dû trouver que, par rapport à d'autres pays, nos emballages étaient peut-être trop marketings et que le médicament n'est pas un objet de consommation comme un autre, et que, il doit être encadré, pour que ce ne soit pas l'envie d'acheter qui prime, mais bien la sécurité de l'emploi et donc les informations que doivent avoir les consommateurs.
ELIZABETH MARTICHOUX
Bon, vous les laissez faire. Un mot de la Sécurité sociale, on peut le dire, là, ça va mieux, 300 millions de déficit par rapport au trou abyssal de 21 milliards, je cois, il y a encore quelques années. Ce n'est pas grâce aux économies, c‘est grâce aux rentrées, grâce aux créations d'emplois. Si la Sécurité sociale va mieux, Madame la Ministre, est-ce qu'on va mieux rembourser ?
AGNES BUZYN
Alors, malheureusement, la Sécurité va mieux, la Sécurité sociale va mieux, c'est-à-dire que le fameux trou de la Sécu est en train de disparaître, mais pas pour les bonnes raisons, pas parce que nous avons fait les réformes structurelles, tout simplement parce qu'il y a eu une rentrée assez brutale d'argent en fin d'année, grâce à la reprise de l'emploi et à la croissance. Et donc ce ne sont pas les bonnes raisons. Ce qui veut dire que si la croissance diminue un peu…
ELIZABETH MARTICHOUX
C‘est fragile…
AGNES BUZYN
Nous risquons d'avoir de nouveau ce trou qui se creuse. Et donc nous avons besoin de travailler à des réformes structurelles qui font que les dépenses s'accélèrent moins vite que ce n'est le cas aujourd'hui. Et donc, à la fois, je suis très contente, parce que nous allons atteindre l'objectif fixé, qui est plus de trou de la Sécurité, sociale, remboursement de la dette d'ici 2024, nous n'aurons plus de dette à laisser à nos enfants sur la Sécurité sociale. Je rappelle que c'était 200 milliards, plus de 200 milliards il y a quelques années, nous en sommes à 100 milliards à rembourser. Nous y arriverons. Mais cela ne veut pas dire que, on utilise cet argent de la croissance pour redistribuer sans objectifs…
ELIZABETH MARTICHOUX
On a bien compris. Pas de meilleur remboursement, pas de redistribution, priorité aux économies, on revient au début de l'interview. Merci beaucoup, Agnès BUZYN, d'avoir été ce matin sur RTL.
AGNES BUZYN
Merci.
YVES CALVI
Agnès BUZYN, qui dément totalement l'article du Canard Enchaîné, affirmant qu'elle doit trouver 7 milliards d'économies sur les aides sociales : « il n'est pas question de s'attaquer aux Français les plus pauvres », vient de nous dire la ministre de la Santé.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 juin 2018