Interview de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, avec RTL le 26 septembre 2018, sur l'Union européenne face au défi migratoire, la candidature de Manuel Valls pour devenir maire de Barcelone et sur le Brexit.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

ELIZABETH MARTICHOUX
Bonjour Nathalie LOISEAU.
NATHALIE LOISEAU
Bonjour.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci d'être avec nous ce matin dans ce studio de RTL. Après des heures d'incertitude et ce suspense, on a donc appris que la France va accueillir 18 des 58 migrants de L'Aquarius qui finalement va débarquer à Malte. Est-ce qu'il est proche des côtes, et est-ce que dans les heures qui viennent, les migrants vont débarquer en Europe ?
NATHALIE LOISEAU
Le bateau est proche des côtes de Malte depuis hier. Il est vraisemblable que les naufragés vont être transbordés sur un navire maltais et pris en charge par Malte, et dès l'arrivée à quai…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous voulez dire qu'il ne va pas débarquer directement sur les côtes, pourquoi ?
NATHALIE LOISEAU
Je vous rappelle que L'Aquarius n'a plus de pavillon aujourd'hui, et que, il est dans une situation juridique compliquée, qu'il va évidemment essayer de résoudre. Mais…
ELIZABETH MARTICHOUX
Il pourrait être séquestré s'il accostait, c'est ça sa crainte ?
NATHALIE LOISEAU
En tout cas, la question se poserait. Alors, il faut leur poser la question à eux-mêmes, mais je pense que, aujourd'hui, une précaution pour L'Aquarius, c'est de ne pas accoster n'importe où, on va dire, mais en tout cas, Malte a accepté la prise en charge des naufragés de L'Aquarius. Et quatre pays, quatre pays européens de bonne volonté, la France, l'Allemagne, le Portugal et l'Espagne, ont décidé d'accueillir les naufragés de L'Aquarius.
ELIZABETH MARTICHOUX
Dont 18 par la France. Est-ce que tous relèvent du droit d'asile, Madame LOISEAU ?
NATHALIE LOISEAU
Alors, c'est ce qu'on verra. L'Agence française, en charge des réfugiés, l'OFPRA, va se rendre dans les heures qui viennent à Malte, comme elle l'a fait à Valence, comme elle l'a fait tout l'été, au total, depuis juin, la France a toujours pris sa part, c'est même le pays qui a toujours été le plus rapide à accueillir ces naufragés…
ELIZABETH MARTICHOUX
Combien depuis juin ?
NATHALIE LOISEAU
Depuis juin, 250…
ELIZABETH MARTICHOUX
250 migrants qui étaient à bord de ces navires humanitaires ont été accueillis, et donc sont en France maintenant.
NATHALIE LOISEAU
Vont être en France ou sont en France, c'est-à-dire qu'on parle d'une poignée de gens, c'est-à-dire que ce qui se passe depuis juin, ça n'est pas un afflux migratoire sans précédent, c'est même plutôt tout le contraire. Il y a à peu près dix fois moins de traversées vers l'Italie…
ELIZABETH MARTICHOUX
Par cette voie, par cette voie-là…
NATHALIE LOISEAU
Vers l'Italie que l'année dernière. Et pour ces poignée de gens, il a fallu à chaque fois que le président de la République appelle ses partenaires européens pour les convaincre, et c'est toujours ceux qui sont de bonne volonté, les progressistes, d'accueillir des naufragés. Cette crise n'existe…
ELIZABETH MARTICHOUX
Ces poignées de gens, Nathalie LOISEAU, comme vous dites, je reprends votre expression, pourquoi ne pas les accueillir directement en France ?
NATHALIE LOISEAU
Pourquoi cette crise existe depuis juin…
ELIZABETH MARTICHOUX
Pourquoi ne pas les accueillir en France, comme par exemple une grande partie de la gauche…
NATHALIE LOISEAU
Moi, je reviens à ce qui s'est passé…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous l'avez demandé au nom des valeurs, la patrie des Droits de l'Homme, une poignée de gens, je repends votre terme.
NATHALIE LOISEAU
Mais pourquoi est-ce que l'Italie refuse de les accueillir, pourquoi est-ce que cette crise…
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors, c'est une confrontation, c'est uniquement pour ne pas céder à l'Italie que la France déroge à ce qui devrait être, selon certains, son devoir humanitaire ?
NATHALIE LOISEAU
Non, c'est pour respecter le droit international et pour prendre notre part dans notre devoir humanitaire, le droit international est bafoué depuis des mois, aujourd'hui c'est la loi de la jungle qui règne en Méditerranée, des passeurs qui envoient sciemment au naufrage des migrants ou des demandeurs d'asile, parce qu'il n'y a pas une seule embarcation qui est capable de traverser la Méditerranée, ils le savent, c'est même fait pour ; aujourd'hui, ce sont des canots pneumatiques de piètre qualité qui prennent l'eau à peine après avoir quitté les côtes libyennes. Et derrière, vous avez les ports sûrs les plus proches, qui sont les ports italiens, qui sont fermés de la décision d'un homme, Matteo SALVINI. Cette décision fait même qu'aujourd'hui, il est poursuivi par la justice italienne…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous savez ce qu'il dit…
NATHALIE LOISEAU
Je le rappelle simplement…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous savez ce qu'il dit monsieur…
NATHALIE LOISEAU
Je voudrais juste terminer là-dessus. Cette décision fait qu'aujourd'hui, la justice italienne le poursuit pour séquestration.
ELIZABETH MARTICHOUX
Il a traité Emmanuel MACRON à plusieurs reprises d'hypocrite – je le cite – que le héros de la lutte contre le nationalisme et la xénophobie, donc Emmanuel MACRON, ferme les portes de son pays aux immigrés, c'est un comble.
NATHALIE LOISEAU
100.000 demandes d'asile en France l'année dernière, et, je le disais, depuis juin, la France est le pays qui, à chaque fois, quand ces bateaux sont arrivés au large des côtes européennes, a pris sa part, alors que l'Italie, en tout cas, monsieur SALVINI s'y est refusé, monsieur SALVINI, aujourd'hui, c'est Ponce Pilate, c'est obscène, quand il y a des gens qui sont en train de risquer de se noyer, monsieur SALVINI préfère regarder ailleurs.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et c'est vrai que le président MACRON aussi est pris dans une contradiction entre défendre les valeurs d'accueil de la France et ne pas donner de prise au populisme ambiant, qu'incarne Matteo SALVINI, la voie est étroite…
NATHALIE LOISEAU
Eh bien, précisément, je trouve qu'il la résout bien cette contradiction si vous voulez que ça en soit une…
ELIZABETH MARTICHOUX
Avec des hésitations…
NATHALIE LOISEAU
C'est-à-dire que…
ELIZABETH MARTICHOUX
Avec des atermoiements…
NATHALIE LOISEAU
Avec le fait que, à chaque fois, c'est lui qui organise l'accueil et la répartition de ces naufragés, à chaque fois, c'est lui qui prend son téléphone…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous voulez dire que c'est lui qui téléphone à Malte et qui impose à Malte de trouver cette solution qui nous évite, nous, d'avoir à les accueillir…
NATHALIE LOISEAU
Absolument... non, on n'impose rien à personne dans l'Union européenne, on se parle de manière respectueuse, mais à chaque fois, c'est autour d'Emmanuel MACRON, qui appelle Angela MERKEL, qui appelle Pedro SANCHEZ, qui appelle ceux qui sont de bonne volonté, et notamment Malte, qui pourrait, compte tenu de sa taille et compte tenu de sa géographie, dire : pas nous, plus nous, et ce n'est pas ce qu'ils font.
ELIZABETH MARTICHOUX
Une petite question sur ce qui se passe, vous disiez, il y a des bateaux qui, sciemment, enfin des passeurs qui, sciemment, mettent des migrants, candidats à la migration sur des embarcations, dont ils savent pertinemment qu'ils ne pourront pas aller au bout, etc. Est-ce que, un bateau comme L'Aquarius fait le jeu des passeurs ?
NATHALIE LOISEAU
Non, L'Aquarius fait son devoir d'ONG, comme des gardes-côtes, comme les bateaux de l'opération européenne qui s'appelle Thémis, qui recueille des personnes qui risquent de se noyer, quand vous avez en mer, quelle que soit la nature d'un bateau, vous croisez une embarcation qui risque de se noyer, eh bien, évidemment, vous venez en aide aux passagers. En revanche, mieux lutter contre ces trafics d'êtres humains…
ELIZABETH MARTICHOUX
On ne le fait pas suffisamment, dans une note confidentielle que vous signez, elle date du 3 août, et qui a été révélée par L'Express, vous dénoncez l'inefficacité de la lutte contre les passeurs, Madame LOISEAU.
NATHALIE LOISEAU
Alors, L'Express écrit ce qu'il veut, cette note, j'écris souvent au président de la République, y compris sur la question des migrations, il y a une partie de notre travail qui est efficace, puisque 80, 90 % d'arrivées en moins en Italie, ça veut bien dire qu'on est efficace, mais je pense qu'on doit faire plus, on doit aller casser cette espèce de modèle économique, l'un des plus lucratifs de tous les trafics illégaux à travers le monde, c'est vraiment le trafic des vies humaines. Aujourd'hui, on ne se pose plus la question de savoir pourquoi les gens sont en train de se noyer, eh bien, parce que c‘est des noyades organisées.
ELIZABETH MARTICHOUX
Madame LOISEAU, est-ce qu'il faut accorder un pavillon français à L'Aquarius, qui n'en a plus, on a commencé par-là ?
NATHALIE LOISEAU
Alors, je ne sais pas ce que L'Aquarius va demander, la question du pavillon va se poser par la suite…
ELIZABETH MARTICHOUX
Un de ses responsables dit : on va, oui, demander aux Européens, et pourquoi pas la France…
NATHALIE LOISEAU
Ecoutez, il y a un armateur…
ELIZABETH MARTICHOUX
Pourquoi pas la France ?
NATHALIE LOISEAU
Il y a un armateur allemand aujourd'hui, SOS Méditerranée a discuté avec son armateur allemand…
ELIZABETH MARTICHOUX
Sur le principe, est-ce que…
NATHALIE LOISEAU
La question du port d'attache s'est posée aussi…
ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que vous seriez favorable à ce que la France ait un bateau, voilà, qui est un bateau, une aide humanitaire, qui…
NATHALIE LOISEAU
Mais la France participe à l'opération de l'Union européenne…
ELIZABETH MARTICHOUX
... Un drapeau français…
NATHALIE LOISEAU
Qui navigue à travers les eaux de la Méditerranée, et les bateaux d'Etat français ont déjà sauvé de nombreuses vies depuis des années. Donc la question...
ELIZABETH MARTICHOUX
Donc vous ne vous mouillez pas sur cette question…
NATHALIE LOISEAU
Mais ce n'est pas ça…
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous ne préférez pas…
NATHALIE LOISEAU
Ce n'est pas ça, la course n'est pas à savoir… ce que je note quand même c'est que ces bateaux d'ONG, jusqu'à maintenant, ont eu des pavillons, de Gibraltar, de Panama, c'est-à-dire souvent des pavillons de complaisance, certains sont repartis parce qu'ils avaient déclaré, depuis le début, leur activité de sauvetage, d'autres pas. C'est vrai qu'il y a aussi besoin d'une clarification. En tout état de cause, nous, notre priorité, c'est de venir en aide à des gens qui ont failli se noyer.
ELIZABETH MARTICHOUX
L'Aquarius qui va, le Premier ministre l'a confirmé hier, revenir à Marseille après avoir effectivement débarqué en mer…
NATHALIE LOISEAU
Oui, mais SOS Méditerranée a aussi dit qu'il ne souhaitait que Marseille soit son port d'attache parce que c'était trop loin de la zone de sauvetage.
ELIZABETH MARTICHOUX
Donc, vous ne vous prononcez pas en tout cas sur le souhait des responsables de l'Aquarius de battre pavillon français. Un ancien Premier ministre français qui brigue un siège de maire à Barcelone, certains l'accuseront de trahir la France, il s'agit de Manuel VALLS.
NATHALIE LOISEAU
C'est son opposante, dans sa circonscription de l'Essonne, opposante France insoumise, qui, une fois de plus, a des relents nationalistes qui je trouve assez détestables. Moi, je trouve que c'est courageux de la part de Manuel VALLS, parce que c'est tout sauf gagné, c'est aussi son histoire personnelle, la Catalogne ce n'est pas depuis hier qu'il en parle, c'est un beau symbole européen. Quand Manuel VALLS est né, l'Espagne était sous le régime franquiste, on n'aurait pas imaginé, peut-être, à l'époque, qu'elle ferait partie de l'Union européenne et qu'aujourd'hui un ancien ministre français, un ancien Premier ministre français, pourrait candidater à la mairie de Barcelone.
ELIZABETH MARTICHOUX
Du courage donc. La semaine prochaine, Nathalie LOISEAU, vous présenterez au Conseil des ministres un projet de loi pour tenter d'éviter le chaos qui pourrait subvenir d'un non-accord sur le Brexit. On en reparlera bien sûr la semaine prochaine sur l'antenne, mais, en quelques mots, il pourrait y avoir effectivement des conséquences très concrètes et assez chaotiques pour la France ?
NATHALIE LOISEAU
Alors, d'abord, on travaille sur un bon accord, il est encore possible, le temps presse, mais il est encore possible, et c'est notre priorité.
ELIZABETH MARTICHOUX
Jusqu'au 30 mars.
NATHALIE LOISEAU
Derrière, il peut aussi ne pas y avoir d'accord, parce que, on le voit, la situation politique intérieure britannique est compliquée, et sur quel accord acceptable par les Européens, madame MAY aurait, demain, une majorité aux communes, je ne le sais pas. Alors, il ne faut pas avoir peur d'un non-accord, il faut s'y préparer. C'est très précisément ce que nous faisons, nous anticipons, pour faire en sorte que, au 30 mars, au cas où nous n'aurions pas réussi à nous mettre d'accord avec les Britanniques, il n'y ait pas de conséquence négative pour les citoyens Français, pour les entreprises françaises.
ELIZABETH MARTICHOUX
Qu'est-ce qu'il pourrait y avoir, juste un exemple ?
NATHALIE LOISEAU
Un exemple très simple. Un Français qui aurait pris sa retraite au Royaume-Uni et qui rentrerait en France, s'il n'y a pas d'accord et si nous ne nous y préparons pas, n'aurait plus ses droits à la retraite, une fois arrivé sur le territoire français, parce que le Royaume-Uni serait sorti sans accord de l'Union européenne. Ça, ce n'est évidemment pas possible, c'est pour ça que je présente un projet de loi la semaine prochaine, pour que toutes ces conséquences, auxquelles nous avons réfléchi, trouvent une réponse appropriée, à temps. Il faut se préparer, il faut anticiper, ne pas se réveiller le 30 mars en disant « pas d'accord, c'est une catastrophe. » Non, ce n'est pas une catastrophe, ce ne serait pas une bonne nouvelle, ce serait une catastrophe pour le Royaume-Uni, beaucoup moins pour l'Union européenne, surtout si on est préparé.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci Nathalie LOISEAU d'avoir été ce matin sur RTL.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 septembre 2018