Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureuse d'être parmi vous aujourd'hui. Le programme que vous avez élaboré est très stimulant car, en explorant les relations complexes entre les médias et la francophonie, vous aborderez, j'en suis sûre, d'une façon originale, les grands enjeux culturels et linguistiques du XXIème siècle. Que lirons-nous ? Comment serons-nous informés ? Comment seront validées et sélectionnées les informations dont nous disposerons sur les réseaux ? Qui les élaborera ? En quelles langues ? Dans la relation des médias et de la francophonie, c'est l'avenir du français qui se joue comme grande langue de communication et aussi comme langue d'accès au savoir.
Reconnaissons-le d'emblée, en France, nous avons souvent des difficultés à convaincre que l'idée de francophonie a un avenir dans le cadre général de la mondialisation. C'est dommage. D'une part c'est une idée généreuse, qui se fonde sur une communauté de langue, donc d'échange. C'est même une idée doublement généreuse car de nombreux pays francophones du Sud ont certes besoin pour leur développement de notre solidarité économique, mais aussi de notre solidarité culturelle. D'autre part, dans la société que nous appelons de l'information et de la communication, je fais le pari que les questions de langue prendront toujours davantage d'importance et que si nous le voulons, le français a toutes ses chances.
Ne soyons pas pessimistes et n'oublions pas que la francophonie est une idée récente, plus jeune encore que l'idée européenne. Nous devons la soutenir, la défendre et surtout faire la démonstration de sa valeur. Il me semble évident que c'est d'abord la qualité des programmes francophones qui suscitera une demande et un intérêt pour notre langue. Je remarque souvent combien cet intérêt existe à travers le monde. Dans un cadre qui tend à s'uniformiser, il y a une attente de diversité. La politique que nous menons en France en faveur de la francophonie, de la création et de la production de contenus contribue, je l'espère, à répondre à cette attente.
Les dispositifs qui ont été mis en place dans notre pays en faveur du livre, du disque, du cinéma, de la presse ou plus récemment du multimédia, ont montré leur capacité à maintenir une industrie de programmes, parfois même à la créer.
Je ne vais pas détailler devant vous l'ensemble de ce dispositif, je ne prendrai que quelques exemples qui me paraissent significatifs. En France, le Compte de soutien à l'Industrie des programmes, le COSIP, a distribué plus de 850 MF d'aides pour la seule année 1998. Le fonds de soutien au multimédia, doté de 40 MF, a permis l'émergence de contenus éditoriaux de grande qualité, reconnus internationalement. En outre, des aides spécifiques permettent d'adapter ces produits dans de nombreuses langues pour qu'ils puissent être distribués sur les marchés étrangers. Le programme PRIAMM que j'ai lancé récemment avec Christian PIERRET soutiendra à hauteur de 100 MF la recherche et le développement des industries de l'image et du multimédia. Bien qu'il n'ait pas pour objectif direct la production de contenus, il permettra de maintenir à un très bon niveau l'innovation dans ce secteur éminemment concurrentiel et d'accroître la qualité des productions. Un fonds d'aide spécifique, d'un montant de 15 MF favorise l'expérimentation de nouveaux produits et services, la valorisation du fonds éditorial et l'utilisation de l'Internet pour les journalistes. En outre, un fonds doté d'environ 300 MF issu de la taxe sur le hors média favorisera la modernisation de la presse quotidienne et des agences de presse.
Les contenus publics contribuent également à enrichir l'offre sur les réseaux. Le ministère de la culture et de la communication doit être très présent. C'est pourquoi j'ai voulu que ses actions et celles des établissements publics sous sa tutelle soient coordonnées au sein d'un comité stratégique où siégeront ensemble le Louvre, la BNF, l'INA et bien d'autres.
Cette politique ambitieuse est relayée au niveau européen. Le programme MEDIA pour l'audiovisuel et le multimédia a été doté en 1995, pour une période de 4 ans, de 310 millions d'Euros et le programme INFO 2000 qui s'achève, doté de 65 millions d'Euros, a permis de soutenir l'émergence d'une production originale d'uvres multimédias européennes. Il nous faudra sans doute aller plus loin et obtenir de nos partenaires la mise en place d'un fonds commun de garantie pour la production audiovisuelle européenne. C'est une nécessité pour que notre industrie de programmes puisse mieux s'imposer sur les marchés internationaux.
Au niveau de la sphère francophone, il est intéressant de prendre appui sur des initiatives nationales pour étendre les projets à d'autres pays ou rechercher une meilleure coordination entre États. C'est pourquoi j'ai souhaité que mon ministère contribue au fonds francophone des inforoutes, géré par l'Agence de la francophonie, qui, en un peu plus d'un an d'existence, a su mettre en valeur des projets particulièrement innovants sur la base d'un partenariat entre le Nord et le Sud.
Mais l'ensemble de ces aides à la production de contenus ne serait rien sans la possibilité de les diffuser, dans des médias qui peuvent également les faire connaître, en assurer la promotion, les critiquer, bref, les animer et leur donner vie. Nous avons besoin des médias pour relever le défi francophone et nous devons les aider à se moderniser et, comme l'a souligné Patrick BLOCHE dans le rapport qu'il a remis au Premier ministre, les inciter à se tourner davantage vers l'international.
Pour ce qui concerne l'audiovisuel, j'ai souhaité que la nouvelle loi, dont nous venons d'achever la première lecture dans cette même Assemblée, consacre l'une des missions importantes du service public, assurée au premier chef par Radio France Internationale : la contribution à l'action audiovisuelle extérieure, au rayonnement de la francophonie et à la diffusion de la culture et de la langue française dans le monde. Notre objectif est aussi d'amener les chaînes publiques actionnaires à fournir à TV5 leurs meilleurs programmes. Cette mesure s'inscrit dans la rénovation de la politique pour l'audiovisuel extérieur conduite par Hubert VÉDRINE, qui a pour objectif de développer l'appui à l'exportation des programmes en augmentant le soutien public à l'association professionnelle "Télévision France internationale" (TVFI). Enfin, le gouvernement a souhaité également soutenir la diffusion satellitaire des chaînes françaises dans le monde, eu égard aux investissements élevés que ce mode de diffusion nécessite.
La présence de la presse francophone à l'international trouvera un puissant outil de développement dans les techniques numériques. Dans le rapport qu'il a remis au Gouvernement le 30 avril dernier, Franck SOLOVEICIK fait plusieurs propositions pour développer la présence d'images françaises et de contenus français et en français dans le monde. Elles méritent d'être étudiées attentivement.
Je dirai enfin quelques mots de notre politique de quotas. Parfois décriée par ceux qui ne comprennent pas que l'intérêt général vaut bien quelques contraintes, ces quotas favorisent le français mais également, au niveau communautaire, la diversité linguistique et culturelle. Nos partenaires européens ont accepté ce principe et les quotas de diffusion ont un effet réel. Les quotas de diffusion de chansons d'expression française, pour leur part, ont un effet bénéfique sur la vitalité de celle-ci.
Le défi de la convergence, sous réserve que nous maintenions une politique volontariste pour les contenus, nous pouvons le relever et nous pouvons le relever en français.
En effet, là où la diffusion analogique ou sur support matériel limitait la présence de contenus en français, le numérique multiplie les capacités de diffusion à un moindre coût. Le déploiement des radios et télévisions numériques et surtout le formidable déploiement de l'internet font qu'aujourd'hui, bien plus qu'il y a cinq ou dix ans, il est plus facile de lire du français, d'écouter du français et de s'informer en français à travers le monde. J'entends encore souvent dire que l'internet est tout en anglais La prépondérance des contenus en anglais ne gêne pas la croissance des contenus dans les autres langues. L'internet francophone est bien vivant et ne cesse de croître. Tous nos grands médias, tous supports confondus, sont aujourd'hui sur l'Internet.
L'ensemble de l'audiovisuel public est donc désormais accessible sur l'Internet et dans le monde entier. Regardons la chaîne francophone TV5, son site est particulièrement riche de l'apport de l'ensemble de ses partenaires et la rend plus proche de son public dans le monde entier. La loi assignera aux chaînes publiques la mission d'être encore plus présentes sur les nouveaux supports.
Mais la convergence technologique des supports de télécommunication n'est rien en comparaison de la convergence des médias et des contenus. Je prendrai deux exemples particulièrement frappants. Le premier, dans la presse quotidienne régionale : le Télégramme de Brest vend de la musique en ligne sur son site internet. Le deuxième, c'est Radio France Internationale qui développe sur son site internet des activités d'agence de presse et de presse écrite. Il y a aussi de nouveaux entrants, comme certains moteurs de recherche, qui proposent aux internautes des services d'écoute de musique en ligne pouvant, dans certains cas, ressembler à de la radio. C'est un univers de créativité, qui nous désoriente parfois mais dans lequel nous devons nous investir. La loi sur l'audiovisuel est une première étape. Le débat sur la télévision numérique hertzienne est ouvert et l'objectif, ici aussi, est d'organiser au mieux de l'intérêt général l'appel de contenus que cela représente. Je ne doute pas que beaucoup d'autres questions relatives à la communication publique sont encore devant nous et la place et le rôle des médias dans l'univers numérique sera au cur de ces problématiques.
Je crois, pour conclure, qu'il ne faut pas sous-estimer les changements profonds du monde de la communication et de l'information, qui est en prise directe avec les questions de langue. On connaît le rôle des médias pour la diffusion d'un français "correct". Le paysage linguistique qui se dessine est nouveau. De la même façon que, dans un monde où l'image a de plus en plus d'importance, je considère comme primordiales les actions de formation et d'éducation à la lecture, au décodage de l'image, je crois, que dans un monde où les langues se côtoient plus qu'avant, au sein d'un même espace, il faut mettre en uvre des actions spécifiques de formation, d'initiation et de sensibilisation. Je souhaite que les médias publics étudient la possibilité de proposer davantage de modules de formation sur ces questions. C'est une mission que l'on pourrait donner à la Banque de programmes et de services de la Cinquième, la BPS, ainsi qu'à RFI. Il faudra apprendre aux jeunes, mais il faudra aussi que nous apprenions, à comprendre plusieurs langues, à traverser les passerelles qui vont d'une langue à une autre pour mieux nous connaître et nous comprendre les uns les autres car l'avenir de la francophonie et du plurilinguisme sont étroitement liés.
(source http://www.culture.gouv.fr,le 06 juillet 1999)