Déclaration de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la situation de la filière laitière, le devenir des quotas laitiers au sein de l'Union européenne et l'orientation de la politique agricole commune, Paris le 5 décembre 2001.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Convention annuelle de l'Association de la transformation laitière à Paris le 5 décembre 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec plaisir que je retrouve votre assemblée, pour la troisième fois. La première fois, c'était juste après Seattle, - épisode difficile dans l'histoire de l'OMC. La seconde fois, nous avions évoqué ensemble un des enjeux majeurs pour votre secteur, la sécurité alimentaire. Aujourd'hui, ce troisième rendez-vous suit de près un nouvel épisode - plutôt positif - de l'histoire des négociations commerciales multilatérales. J'y reviendrai plus en détail dans un instant.
Le thème de votre convention " maintenir la compétitivité de la transformation laitière française " est d'actualité : maintenant qu'un nouveau cycle de négociations commerciales est lancé, la capacité de nos entreprises de transformation laitière à faire face à de nouvelles pressions concurrentielles devient un enjeu encore plus important. Cette question se pose bien entendu aux responsables économiques, qui ont à piloter le destin de leurs entreprises, mais aussi, aux pouvoirs publics, qui ont à concevoir un cadre propice au maintien et au développement de l'activité économique.
En préambule, je voudrai souligner le fait que la transformation laitière française n'a pas à rougir de ses atouts au plan de la compétitivité : le secteur est dynamique, riche de sa diversité, porteur de valeur ajoutée, innovant et très présent sur un marché rémunérateur, le marché communautaire ; il assure un niveau de sécurité alimentaire qui n'a sans doute jamais été aussi élevé qu'aujourd'hui. C'est un secteur qui est bien structuré, de l'amont à l'aval, et qui a su s'organiser pour que des relations constructives de dialogue soient instaurées entre les producteurs de lait et les transformateurs. Enfin, et c'est un point sur lequel nous ne pouvons que nous en féliciter, c'est un secteur bien réparti, ancré sur tout le territoire français, au cur des bassins de collecte, et qui contribue très efficacement à la vitalité de nos espaces ruraux. Tout comme vous, Monsieur le Président, j'estime que le régime des quotas laitiers est pour beaucoup dans cette répartition harmonieuse de la production et de la transformation laitière sur notre territoire.
Ces atouts doivent être consolidés pour faire face à l'avenir. La première question qui se pose est bien sûr : comment ?
Répondre à cette question est un exercice complexe, vous le reconnaissez, Monsieur le Président et j'ai d'ailleurs pris note à l'instant avec beaucoup d'intérêt des " fruits de vos réflexions ". Pour ma part, je souhaite vous montrer que bon nombre de conditions semblent réunies pour permettre à la transformation laitière d'aborder les prochaines années avec confiance.
Je commencerai par
1 - Les marchés
Différentes études prospectives montrent qu'ils sont plutôt porteurs, même si nous connaissons en ce moment une passe un peu délicate. Les perspectives de moyen terme laissent à penser que la consommation mondiale de produits laitiers va encore augmenter.
En outre, il faut souligner que les évolutions de marchés nous sont favorables, car la demande s'oriente vers des produits de plus en plus élaborés et porteurs de valeur ajoutée : les fromages bien sûr, pour lesquels la transformation laitière française a un savoir faire indéniable et reconnu ; les poudres de lait, pour lesquelles les exigences de composition et de qualité sont de plus en plus poussées ; et les produits laitiers ingrédients, pour lesquels, là-encore, nos entreprises ont compris qu'il s'agit d'un marché d'avenir, à forte valeur ajoutée.
Enfin, l'élargissement de l'Europe aux pays d'Europe centrale et orientale (PECOS) constitue une perspective favorable au développement de nos échanges dans la mesure où ces pays devraient connaître une croissance de la demande en produits laitiers. Je vois que sur ce point, Monsieur le Président, nous partageons la même appréciation.
Le deuxième aspect que je voudrais évoquer est
2 - La nouvelle donne du commerce mondial
Nous sommes entrés dans une nouvelle phase pour le commerce des produits agricoles et agro-alimentaires. La conférence ministérielle de Doha a entériné l'ouverture d'un nouveau cycle de négociations commerciales. Les négociations à l'OMC vont pouvoir reprendre, sur des bases que j'estime positives. Je fais référence en cela, à la déclaration ministérielle adoptée à l'unanimité à Doha, qui confirme que les négociations viseront les trois piliers traditionnels, l'accès au marché, les soutiens à l'exportation et le soutien interne. Mais pour ces trois piliers, on ne préjuge pas de l'issue de la négociation, contrairement à ce que nos partenaires auraient souhaité, notamment à Seattle, ou à Singapour, en particulier pour nos restitutions à l'exportation. Le cadre de négociation défini à Doha nous laisse donc des marges de manuvre. J'ai la conviction que nous aurons ainsi la capacité de poursuivre sereinement la mise en uvre de l'accord de Berlin ainsi que la réflexion sur la poursuite du processus de réforme de la PAC.
L'autre point positif, au sortir de Doha, est la reconnaissance de la spécificité de l'agriculture et, à ce titre, du caractère central des considérations " non commerciales ". Certes, l'agriculture va devoir aller plus loin dans le processus de libéralisation, nous nous y attendions, mais la place et l'importance des préoccupations non commerciales dans le secteur agricole sont confortées dans la déclaration de Doha. Le texte de la déclaration ministérielle nous donne le levier dont les négociateurs auront besoin pour pousser la discussion sur tous ces sujets ; en effet, elle fait référence aux "propositions des membres", et inclut donc a priori dans les discussions à l'OMC, l'ensemble des sujets qui intéressent la France et l'Union européenne : la sécurité alimentaire, le développement rural et l'aménagement du territoire, le bien-être des animaux, etc.
Ce sera à nous, le moment venu, d'indiquer à nos partenaires comment nous estimons que ces considérations doivent être prises en compte par les politiques agricoles.
Je rappelle enfin, un autre point positif pour votre secteur : il s'agit de l'établissement d'un registre multilatéral de notification et d'enregistrement des indications géographiques, pour les vins et spiritueux, certes, mais c'est un précédent intéressant qui pourrait être utilisé afin de promouvoir un dispositif de protection analogue pour les fromages, au-delà des seules frontières de l'Union européenne.
J'ai repris ici les trois principaux points qui me semblaient positifs dans l'agenda de négociation défini à Doha. Cela ne signifie pas, bien entendu, que les résultats sont acquis d'avance : nous partons dans la bonne direction, la négociation ne sera pas facile, mais elle va se dérouler.
- sur l'accès au marché : Monsieur le Président, je suis conscient de la nécessité de se battre pour que les améliorations de l'accès au marché communautaire soient progressives et acceptables dans le temps. En même temps, la filière doit identifier précisément quels seront les "points critiques" et les "produits sensibles", ainsi que les solutions à promouvoir pour préserver, autant que possible, ces produits.
- sur les restitutions à l'exportation : le secteur laitier sera particulièrement exposé à une diminution des aides à l'exportation vers les pays-tiers. Les exportations de beurre et dans une moindre mesure de poudre de lait sont en effet très dépendantes des restitutions : tant sur les volumes exportés que sur la valeur relative de l'aide. le négociateur européen devra tenir compte de la sensibilité particulière de ces deux catégories de produits. Pour les autres produits laitiers (fromages et autres catégorie de produits laitiers), la moindre dépendance à l'égard des aides à l'exportation et le facteur temps qui nous est donné, devraient permettre aux entreprises de passer plus facilement le cap d'une suppression des restitutions.
- sur les soutiens internes : le secteur laitier est particulièrement concerné par ce volet, car il dispose encore d'un soutien substantiel par les prix. Il sera également impliqué dans la discipline de réduction lorsqu'il bénéficiera des aides directes aux producteurs. Là encore, et comme pour les deux points précédents, nous serons vigilants et devrons veiller à l'équilibre global des négociations et des concessions.
Enfin, s'agissant du calendrier de ces négociations multilatérales, vous savez qu'il est très serré : dès mars 2003, nous devrons avoir établi les modalités de négociation (donc les principales règles applicables aux trois piliers que j'ai mentionnés) ; dès fin 2003, nous devrons avoir remis nos listes de concessions à l'OMC ; les négociations devront être terminées avant le 1er janvier 2005. Bien sûr, il est toujours possible de spéculer sur d'éventuels retards de ces négociations. Pour ma part, je pense qu'il est préférable de se préparer efficacement à ces échéances. Il nous reste encore beaucoup de travail à faire d'ici 2003 et je compte sur une concertation étroite avec la filière laitière pour mettre en commun nos analyses et pour préparer notre stratégie.
Le troisième sujet que vous avez évoqué est
3 - Le devenir des quotas laitiers au sein de l'Union européenne
C'est un autre élément clé à prendre en compte dans la réflexion prospective.
Monsieur le Président, j'ai bien compris votre message sur ce point, et je le partage. Depuis son instauration en 1984, la maîtrise de la production laitière européenne est une politique qui a eu des impacts positifs sur le secteur, , et qui a permis de préserver une production et une transformation laitières harmonieusement réparties sur tout notre territoire. Cette politique devrait être poursuivie jusqu'en 2008, comme le prévoit l'accord de Berlin. Vous savez d'ailleurs que la France a beaucoup uvré pour qu'il en soit ainsi.
Mais au-delà de cette date, l'incertitude demeure. Tout d'abord, nous ne connaissons pas quelles seront les propositions de la Commission pour "l'après 2008" [peut-être pouvons nous imaginer qu'elles dépendront au moins pour partie de l'issue des négociations à l'OMC]. En outre, à cette date, l'Union européenne comptera 10 membres de plus, et peut être 12. Parmi ces nouveaux membres, beaucoup sont des détracteurs des quotas laitiers, car les quotas ont un désagréable parfum de "déjà-vu" pour eux (un parfum de Gosplan, nous disent-ils). Enfin, parmi les membres actuels de l'Union, un certain nombre sont hostiles à la poursuite du régime, et ceci de longue date (le "Club de Londres" notamment), d'autres depuis moins longtemps. Vous le voyez, la prolongation des quotas laitiers au-delà de 2008 n'a rien d'une formalité.
Pour ma part, vous le savez, je l'ai dit et re-dit publiquement, je suis profondément convaincu que nous devons continuer à maîtriser la production laitière européenne, même si à terme, le dispositif devra sans doute connaître quelques évolutions et être plus souple que celui qui existe aujourd'hui.
Le maintien d'un outil de maîtrise en Europe ne sera pas une tâche aisée. Nous y parviendrons, à condition que nous réussissions à convaincre à la fois la Commission et nos partenaires européens, en leur montrant les "vertus" de la maîtrise de la production (aussi bien sur le plan budgétaire que sur le plan de l'équilibre des marchés et de la gestion anticipée de crise), comparée à un schéma de libéralisation effrénée du secteur laitier.
Au-delà de la question de la maîtrise quantitative de la production laitière, Monsieur le Président, vous suggérez que l'Europe s'inspire du modèle canadien, pour instaurer un système de "prix différenciés".
Sur le dossier canadien, nous disposons des conclusions de l'Organe d'appel depuis hier matin. Il semble bien que ces conclusions n'aillent pas dans le sens de ce qu'espéraient les initiateurs du panel, la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis. Néanmoins, avant de fonder des espoirs exagérés, je crois qu'il nous faut analyser ensemble en détail ces conclusions, pour en mesurer toute la portée et toutes les conséquences pour notre politique laitière. C'est donc un travail que nous mènerons, en partenariat avec vous, dès les prochains jours.
Outre ces aspects juridiques, qui sont certes très importants, je nourris cependant quelques doutes quant à la faisabilité réelle de l'instauration d'un dispositif de prix différenciés à la canadienne, dans une Europe à 25 ou à 27. Il faudrait en effet que les professionnels soient capables d'instaurer un système non administré par les pouvoirs publics, si l'on se réfère aux conclusions de l'Organe d'appel. Quant à transposer un dispositif du type américain, pour lequel le degré de complexité semble encore plus important, j'ai là aussi quelques doutes. Néanmoins, par principe, il ne faut pas s'interdire de réfléchir et de construire notre propre appréciation de la faisabilité de ce type de solution, et donc nous y sommes ouverts et je vous appelle à un travail en commun.
Puis je voudrais intervenir sur
4 - Les nouveaux enjeux liés aux questions sanitaires
Au-delà des règles sanitaires applicables aux entreprises, qui aujourd'hui ne semblent pas susciter de débat particulier, vous avez soulevé la question, Monsieur le Président, du traitement économique de crises sanitaires telles que la crise de la fièvre aphteuse.
J'ai déjà eu l'occasion d'exprimer ma profonde reconnaissance aux agriculteurs et aux entreprises des filières animales, qui se sont pliées à toutes les contraintes nécessaires au règlement de cette crise. Je le sais, ces contraintes ont été dures, mais elles ont donné le résultat que nous connaissons tous, à savoir, une extinction rapide de l'épizootie.
Par la suite, j'ai uvré pour que l'Etat intervienne, au titre de la solidarité nationale, en faveur des éleveurs et des entreprises les plus touchées dans les départements placés sous embargo. Il ne s'agissait pas - et je souhaite lever tout malentendu à cet égard - de compenser les pertes subies par chacun. Pour les éleveurs - plus fragiles que les entreprises - le gouvernement s'est efforcé d'apporter une aide équivalente à ces pertes. Pour les entreprises, il s'agissait d'une approche au cas par cas selon que la pérennité de l'entreprise était mise en cause, donc notamment en fonction des pertes au regard des résultats. L'approche suivie par les entreprises vis-à-vis des éleveurs a également été prise en considération. Les aides accordées aux entreprises ont été versées, sauf cas particulier où paradoxalement les entreprises ne se pressent pas fournir les quelques pièces administratives nécessaires ou bien quelques cas qui sont hors des critères mais pour lesquels nous essayons de dégager néanmoins une solution favorable au niveau interministériel.
Cette crise de la fièvre aphteuse doit conduire les entreprises à réfléchir à un système d'assurance ou de mutualisation permettant d'atténuer les effets de mesures sanitaires telles que les restrictions de mouvements de produits qui ont été prises au premier semestre. Il ne faut pas s'attendre à ce que le contribuable, au travers du budget de l'Etat, vienne systématiquement compenser les pertes ou les manque-à-gagner des entreprises agro-alimentaires, qui seraient liés à des aléas sanitaires, surtout s'il s'agit de crise sanitaire ayant finalement un enjeu essentiellement, voire purement économique, comme c'est le cas pour la fièvre aphteuse.
Dans ce domaine de la prévention " économique " (si j'ose dire), les éleveurs ont montré l'exemple, en mettant en place une caisse fièvre aphteuse au niveau des groupements de défense sanitaire. Je crois que pour ce qui concerne les entreprises de transformation, le secteur laitier, bien organisé, pourrait également s'intéresser à ce type de système pour anticiper les effets économiques d'aléas sanitaires qui sont en quelque sorte inhérents au domaine agro-alimentaire.
Enfin, et je terminerai par là :
5 - Quelles orientations pour la future politique agricole européenne ?
Monsieur le Président, je terminerai avec ces derniers éléments de réflexion sur le devenir de notre "PAC".
Vous l'avez souligné, les prochaines années seront sous le signe de l'accord de Berlin, dit "Agenda 2000". Cet accord n'est peut-être pas parfait, mais il fournit des marges de manuvre à l'OMC, il ménage l'avenir, et préserve le revenu des producteurs. En outre, il assure une certaine visibilité pour notre filière laitière, jusqu'en 2008. Différentes études ont par ailleurs montré qu'annuler cet accord porterait préjudice aux producteurs, mais aussi aux transformateurs, en particulier dans le cas où un scénario de poursuite de la libéralisation de l'agriculture serait adopté à l'OMC.
En outre, l'exercice imposé de la " revue à mi-parcours " approche. Dans l'intérêt bien compris de votre secteur, il me paraît important de défendre la base solide que constitue l'accord de Berlin, plutôt que de chercher à le remettre en cause. Nous risquerions fort d'ouvrir une boîte de Pandore, en même temps que nous aurions les plus grandes incertitudes sur la configuration d'une telle négociation : l'analyse des forces en présence me pousse à penser que nous serions peut-être seuls à vouloir remettre en cause la baisse de prix, alors que nombreux seraient ceux qui veulent au contraire anticiper la baisse de prix à 2003 et même rendre cette baisse plus forte.
Pour ce qui concerne l'évolution à plus long terme de notre " PAC ", vous savez que je prône le renforcement du 2ème pilier de la PAC (le développement rural). Il s'agirait donc de "convertir" une partie des soutiens classiques du premier pilier vers le second pilier, encore insuffisamment doté.
Dans cette perspective, il nous faudra développer de nouvelles formes de soutien à l'agriculture, plus transparentes que les aides au marché, plus centrées sur les producteurs et sans doute plus "découplées", permettant de mieux tenir compte des "préoccupations non commerciales" et des "externalités positives" de l'agriculture. Le C.T.E., contrat entre le producteur et la société civile, préfigure cette évolution. J'ai la conviction forte que notre politique agricole doit prendre le chemin d'une politique plus compréhensible et plus transparente pour la société civile. C'est par là qu'elle pourra conserver toute sa légitimité. De ce fait, nous devons veiller à corriger certaines dérives du système passé ou actuel, notamment dans le domaine environnemental. Sur ce point, la tâche est encore devant nous, même si, je le reconnais, beaucoup d'efforts ont déjà été déployés, y compris dans votre filière.
Demain, plus encore qu'aujourd'hui, nous devrons valoriser le rôle positif que la société reconnaît aux agriculteurs et aux acteurs économiques du secteur agricole qui participent au maintien de la vitalité de nos zones rurales : la montée en puissance du second pilier de la PAC me paraît aller en ce sens.
Tels sont donc les principaux enjeux auxquels la transformation laitière doit faire face. Je n'ai pas de doute sur le fait que votre secteur, dynamique et organisé, saura trouver les ressources nécessaires pour s'adapter, et mieux encore, pour anticiper les changements à venir.
Monsieur le Président, je vous remercie de votre accueil, qui a été tout aussi chaleureux, et intéressant pour moi, que les précédentes fois.
Je vous remercie tous de votre attention.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 10 décembre 2001)