Allocution de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur le fonctionnement des institutions de la Francophonie, les évaluations de leurs activités, le dialogue des cultures au sein de la Francophonie et l'oeuvre de Léopold Sédar Senghor dans la Francophonie, Paris, le 10 janvier 2002.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : 43ème session du Conseil Permanent de la Francophonie, à Paris, le 10 janvier 2002

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Représentants personnels
Monsieur le Secrétaire général
Mesdames et Messieurs
Chers Amis,
Bienvenue d'abord à tous et à toutes au soir de la 43ème session du Conseil Permanent de la Francophonie, et à la veille de la 16ème réunion de la Conférence ministérielle.
Bienvenue en particulier à tous ceux qui sont venus, souvent de loin, à Paris, pour participer à nos travaux.
Et puisqu'une nouvelle année commence, je vous adresse tous mes vux, en mon nom personnel, et au nom des autorités françaises. Des vux de paix et de prospérité pour toutes les populations de notre communauté francophone, en souhaitant que celle-ci donne l'exemple et contribue elle-même plus que jamais à la paix du monde.
Nous avons vécu ces derniers mois une période difficile. Du fait de cette situation internationale très tendue, le Sommet de Beyrouth, malgré les efforts remarquables de nos amis libanais, a du être reporté à la fin de l'année 2002. Aujourd'hui nous mesurons combien nous avions vu juste en décidant de placer au centre des débats de ce sommet la question du dialogue des cultures. Ce thème reste plus que jamais essentiel. Il est l'une des principales clés qui nous permettra de sortir de manière durable et sereine de la crise que nous sentions venir et qui a brutalement frappé la communauté internationale : voilà quatre mois presque jour pour jour. Oui, le prochain Sommet sera plus que jamais au cur de l'actualité.
Merci en tous cas à nos amis libanais, et en particulier à Ghassan Salamé pour le travail accompli. Et soyez assurés de tout notre soutien pour votre prochain sommet.
En attendant, dès demain, notre Conférence ministérielle est une échéance importante. Elle doit contribuer à consolider le fonctionnement de la Francophonie pour lui permettre de jouer pleinement son rôle au sein de la communauté internationale.
Il nous revient en effet, malgré le report du Sommet, d'assurer le fonctionnement normal des institutions de la Francophonie : maintien en fonction du Secrétaire général jusqu'au Sommet de Beyrouth, nomination de l'administrateur général de l'Agence de la Francophonie, adoption d'une programmation qui fixe le cadre de notre action pour les deux ans à venir.
Prenant en compte les évaluations qui viennent d'être conduites, il nous faudra ainsi réfléchir à l'avenir de notre mouvement. Il nous faudra aussi examiner les moyens de poursuivre les efforts de rénovation de nos méthodes et de nos instruments.
Quand je considère l'uvre accomplie depuis le Sommet de Hanoi il y a 4 ans, depuis la Conférence de Bucarest, il y a 2 ans, je me dis que nous n'avons pas à rougir, que le mouvement est bien engagé.
La Francophonie s'est affirmée sur la scène internationale. Je voudrais à cette occasion remercier notre Secrétaire général, M. Boutros Boutros-Ghali pour son action, pour son dévouement au service de cette cause.
Resserrant ses actions autour de quelques grands objectifs, la Francophonie s'efforce de devenir plus lisible, plus compréhensible pour nos opinions publiques, et donc plus visible et partout plus convaincante.
Le processus d'évaluation a été systématisé. Nous en voyons les premiers résultats. L'Agence universitaire de la Francophonie a été refondée sous la conduite dynamique et éclairée de son nouveau recteur, Mme Gendreau Massaloux que je salue ici. Dotée de nouveaux statuts adoptés à Québec par l'assemblée générale en mai 2001, réorganisée sur le plan administratif, ayant assaini sa situation financière, l'Agence universitaire a pu de nouveau se concentrer sur ses missions fondamentales.
Il nous reste à tirer les leçons des évaluations qui viennent d'être menées de l'Université Senghor et de l'Agence de la Francophonie. Nous y reviendrons demain.
Mais qu'il me soit seulement à ce stade permis de me réjouir des mesures de bonne gestion qui ont déjà été prises depuis la Conférence de Bucarest sous l'impulsion de l'administrateur général, Roger Dehaybe.
Le résultat en tout cas est là et ceux qui sont ici ce soir y sont tous pour quelque chose. La Francophonie fait la preuve de son utilité. Les événements du 11 septembre rendent ces efforts plus nécessaires que jamais.
La conscience grandit que le monde a besoin de lieux où il est possible de discuter entre gens d'origines, de cultures, de religions différentes pour réfléchir à une mondialisation ordonnée, régulée, en un mot maîtrisée, où il soit possible de respecter, de faire vivre tant la diversité des identités que les principes universels du droit et de la démocratie. Parce qu'elle réunit dans le partage d'une même langue des Etats et gouvernements appartenant aux cinq continents, la Francophonie, laboratoire de la diversité culturelle, est à l'évidence un de ces lieux. La Francophonie peut être fière d'avoir été très largement à l'origine du concept de diversité culturelle à l'occasion du Sommet de Maurice en 1993.
Elle a continué à montrer la voie par la déclaration qu'elle a adoptée à l'issue de la Conférence de Cotonou il y a six mois. Elle continuera, j'en suis convaincu, à le faire lors du prochain Sommet à Beyrouth au Liban.
Elle le pourra d'autant plus qu'aujourd'hui le monde est, contrairement à certaines apparences et davantage qu'hier, prêt à entendre la voix des francophones.
Quand je rencontre, quand j'entends les responsables des grandes institutions financières internationales, des agences des Nations unies ou des Communautés européennes, je les sens de plus en plus conscients qu'il peut y avoir plusieurs chemins vers le développement, que celui-ci doit tenir compte des expériences du passé, respecter l'histoire et prendre appui sur la culture de chaque société.
Réunis autour de valeurs communes, attachés à un monde multipolaire respectueux des identités de chacun, convaincus que la mondialisation est irréversible, qu'elle offre des opportunités mais que l'avenir ne saurait pour autant être laissé au seul jeu des forces du marché, les francophones ont leur mot à dire sur la société qui se construit sous nos yeux. Une contribution à apporter à l'accouchement d'un nouveau monde moins inégal, plus solidaire.
Je reviendrai plus longuement demain sur la question qui me paraît cruciale de l'éducation. Car s'il est un secteur où la régulation ou le volontarisme sont nécessaires, c'est bien celui-là. Il faut que les francophones expriment plus nettement et plus fortement les valeurs communes qu'ils partagent : attachement à la démocratie, promotion de la diversité culturelle et linguistique y compris par des politiques de soutien gouvernementales, par la promotion et le maintien d'un service public de l'éducation.
Pour toutes ces raisons, la France est très attachée au développement de la Francophonie comme espace de dialogue et de concertation.
J'aurai l'occasion d'y revenir plus en détail mais je voudrais souligner en une phrase que, pour nous, la concertation n'est pas un exercice intellectuel abstrait, mais un moyen très concret pour l'ensemble des pays francophones de manifester leur solidarité et de défendre collectivement leurs intérêts.
Autre point important que nous évoquerons demain au cours de la conférence : la poursuite de la rénovation de nos instruments et de nos méthodes.
Il en va de notre crédibilité et de notre efficacité : il nous faut clarifier les compétences respectives des différents niveaux, renforcer les synergies entre les opérateurs, au niveau régional, avec les autres coopérations bilatérales et multilatérales, faire mieux fonctionner les différentes instances de façon à favoriser un véritable débat sur les orientations fondamentales que nous entendons donner à la Francophonie dans les années à venir.
La France apporte sa pierre à cet édifice. Elle a regroupé la plus large part de ses financements sur un chapitre budgétaire unique, de façon à garantir un versement plus régulier de sa contribution volontaire au Fonds multilatéral unique de la Francophonie. Parce que nous accordons une plus grande confiance à la programmation qui nous est soumise, nous avons réduit considérablement la part de crédits "liés" et espérons que tous nos partenaires s'engageront dans la même voie.
Dans le même espoir, la France propose une réforme du Haut Conseil de la Francophonie permettant une ouverture plus large aux préoccupations des autres peuples.
Institution placée auprès du président de la République française, le Haut Conseil dont je salue la présence de plusieurs membres éminents, a accumulé une expérience considérable, suscité des débats de haute tenue intellectuelle qui ont alimenté notre réflexion, son rapport sur l'état de la Francophonie dans le monde est devenu un instrument de référence indispensable. Les autorités françaises ont pensé ensemble que la multilatéralisation du Haut Conseil devrait participer à l'évolution des instances de la Francophonie.
Resserrement de notre action autour de priorités communes, développement du dialogue et de la concertation entre nous, poursuite de la rénovation de nos instruments et de nos méthodes, tels doivent être à notre sens les grandes pistes de réflexion pour demain.
Mieux faire, mieux faire savoir, faire valoir. Sachons en outre que la Francophonie souffre d'un déficit d'image.
Elle est trop souvent perçue par l'opinion comme un jeu purement institutionnel, aux arcanes incompréhensibles pour les non initiés. Je le redis : il nous faut convaincre l'opinion publique, mobiliser les énergies, associer à nos efforts les organisations non gouvernementales, les associations, les collectivités décentralisées, les acteurs économiques et sociaux, les jeunes, les femmes, toutes les forces vives de la société. C'est là le gage de la réussite d'une Francophonie vivante et dynamique, résolument tournée vers l'avenir.
Mesdames, Messieurs, Chers Amis,
Poursuivre ce combat francophone pour la diversité des cultures, pour la démocratie et les Droits de l'Homme, pour la réduction des inégalités est le plus bel hommage que nous puissions rendre à Léopold Sédar Senghor, père de notre mouvement qui vient de nous quitter.
L'apôtre du métissage écrivait dans "Ce que je crois" : "je crois d'abord, par-dessus tout, à la culture négro-africaine, c'est-à-dire à la Négritude, à son expression dans la poésie et dans les arts. Je crois également, pour l'avenir, à la Francophonie, plus exactement à la Francité, mais intégrée dans la Latinité et, par-delà, dans une civilisation de l'Universel où la Négritude a déjà commencé de jouer son rôle primordial".
Son uvre, son action, sa vie exemplaire inspirent largement ce qu'en Francophonie tous ensemble aujourd'hui nous bâtissons. Cette uvre mérite d'être redécouverte par les nouvelles générations. Je viens de demander au ministre français de l'Education nationale, M. Jack Lang de se mobiliser avec le ministère des Affaires étrangères, à travers le réseau de nos établissements scolaires en France comme à l'étranger, sans oublier celui de nos centres culturels et alliances françaises, de prendre l'initiative de commémorer l'uvre de Léopold Sédar Senghor.
Je ne doute pas que toute la communauté francophone saura contribuer à cette initiative.
Je vous invite à penser ce soir à lui avec émotion et avec conviction.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 janvier 2002)