Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale et candidat à l'élection présidentielle de 2002, à France 2 le 8 février 2002, sur les orientations de son programme pour l'élection présidentielle, notamment en matière de régionalisation, privatisation, budget de la justice et création d'entreprise.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde Après avoir présenté votre programme hier soir, vous avez raconté ce que vous feriez au cours des 200 premiers jours de votre gouvernement. En 1981, il y avait les 101 propositions du candidat Mitterrand et nous voilà avec les 200 jours du candidat Madelin aujourd'hui. Je lis : "Session extraordinaire du Parlement pour apurer les comptes, référendum sur la réforme constitutionnelle, refondation fiscale et sociale". Ce n'est pas un programme de 200 jours, c'est un quinquennat !
- "Non, parce qu'il y a bien d'autres projets pour les cinq ans qui viennent. Après une élection présidentielle et surtout une élection législative, il y aura des opportunités extraordinaires..."
Le fameux état de grâce dont on parle après chaque élection ?
- "Oui. Pour entreprendre un certain nombre de réformes qui, il faut bien le dire, sont en panne depuis des années. Tous les pays autour de nous avancent et nous, nous faisons du surplace. Pour rattraper le temps perdu, il y a besoin de bien utiliser ces 200 jours. Les 100 jours de l'été pour une action du gouvernement et les 100 jours qui nous amènent au 31 décembre, les 100 jours du Parlement, pour mettre en place un nouveau budget, une nouvelle politique économique et un certain nombre de projets de loi essentiels. L'expérience montre, pour tous les gouvernements, dans tous les pays, que ce que l'on ne fait pas au début, s'enlise par la suite. C'est la raison pour laquelle je voudrais donner à notre pays une dynamique forte de changement."
Un référendum dans la foulée ou dans l'année qui suit, ce n'est pas un peu lourd à organiser ?
- "Des tas de gens proposent 5, 6, 10 référendums... J'en propose un seul et il est essentiel, puisqu'il s'agit de redistribuer les pouvoirs vers les régions, de relire un peu la Constitution de façon à laisser un très large espace de contrat aux partenaires sociaux, de façon à faire en sorte que la loi se limite à l'essentiel, qu'on allège, qu'on aère un peu tous nos droits, nos réglementations etc. pour revenir à des contrats individuels, des contrats des partenaires sociaux ou un espace de normes déléguées aux régions que je souhaite profondément renforcées. Il y a des tas de problèmes que l'on ne veut plus régler d'en haut, en revanche, ils pourraient trouver leur solution dans les régions."
Parmi vos différentes propositions, vous parlez de plein-emploi comme objectif, avec une croissance à 4 %. Mais ce n'est pas de chance : L. Fabius dit que la croissance est revue à la baisse et que dans le meilleur des cas, on fera 1,5.
- "L. Fabius a fait l'exercice de tous les ministres du Budget ou des Finances à la veille d'une élection : on sous-estime les dépenses et on surestime les recettes."
Vous pensez qu'il corrige volontairement à la baisse ?
- "Il n'avait pas le choix, parce que la ficelle apparaissait un peu grosse ! Il est donc obligé de corriger. Au printemps prochain, vous allez avoir un exercice difficile. De deux choses l'une : ou on se sert la ceinture - la rigueur des impôts en plus etc. -, ce qui me parait être la mauvaise solution, ou on fait ce que je propose, c'est-à-dire le financement des ardoises socialistes et puis les premières mesures, par une mise en vente massive d'une partie de notre patrimoine public."
Vous voulez privatiser beaucoup d'entreprises, y compris celle-ci, France 2 ! Les privatisations, est-ce un programme auquel les Français peuvent adhérer ?
- "Oui, les Français sont pour la privatisation. Ils ont observé les bienfaits de la concurrence et de la privatisation. Prenez l'exemple du téléphone qui était un monopole qui devait rester public. Et dès que l'on a fait un peu de concurrence et que l'on a ouvert le capital, on voit le "boum" du téléphone. Il faut être un peu prudent dans tout cela, chacun y a à gagner. Prenons l'exemple du personnel d'EDF : je propose la privatisation de l'EDF, mais en même temps, je veux donner quelque chose à gagner au personnel d'EDF..."
Qui a un statut formidable pour l'instant...
- "Qui a un statut formidable, mais il y a un énorme problème pour l'avenir : il faudra payer des retraites ! Les retraites du personnel d'EDF représentent environ la moitié de son capital. Eh bien, donnons la moitié du capital d'EDF pour garantir les retraites du personnel ! J'essaie de proposer à chaque fois une méthode gagnant-gagnant."
Quand vous dites "sortir des 35 heures", cela veut dire qu'il faut revenir sur la loi ? Parce que ceux qui sont déjà aux 35 heures trouvent que c'est plutôt pas mal...
- "Non, cela veut dire que vous avez les conventions qui, sur les 35 heures, ont été signées ; je ne touche pas à un contrat signé. Simplement, pour l'avenir, dans la refondation sociale que je propose, il faudrait que la durée du travail soit contractuelle. Dans une start-up, dans un centre de recherches, si on veut travailler 60 heures par semaine, eh bien, on travaille 60 heures par semaine, c'est comme ça ! Si en revanche, dans des métiers pénibles, il faut travailler 30 heures, eh bien, on travaille 30 heures ! Je suis pour la liberté du travail."
Vous avez eu une formule assez rigolote hier : vous dites qu'il y a des hommes politiques qui tiennent tellement leurs promesses qu'ils font les mêmes à chaque élection. Est-ce un coup de patte très direct à l'actuel président de la République ?
- "C'est un peu à tout le monde. J'ai eu la curiosité de relire les programmes de l'opposition de 1986, de 1988, de 1993, de 1995 et je me suis aperçu que très souvent, on refaisait à peu près les mêmes promesses. Et que la question était non pas de faire des promesses, mais de les tenir."
C'est pour cela que vous proposez un test pour savoir si chacun tient ses promesses ?
- "Si voulez savoir si quelqu'un va tenir ses promesses, premièrement, est-ce qu'il y tient franchement ? Est-ce qu'il est convaincu ? Est-ce qu'il les fait depuis longtemps, est-ce qu'il a le caractère et le courage, est-ce qu'il est flexible, ou au contraire, est-ce qu'il est volontaire ? Bref, je crois qu'il va falloir juger les candidats à l'élection présidentielle, non seulement sur des engagements qu'ils tiennent, mais sur la capacité à tenir leurs promesses. Juste un exemple: en 1993, l'opposition avait fait la promesse d'augmenter le budget de la Justice à 2,5 % du budget de l'Etat. Et si on l'avait fait, il y aurait des places dans les prisons, la justice fonctionnerait, il y aurait le nombre d'établissements pour les mineurs nécessaires. Et aujourd'hui, les problèmes de l'insécurité ne seraient pas ce qu'ils sont. C'est une promesse qui n'est pas tenue et c'est pourquoi je propose un plan Orsec, qui est au fond, le rattrapage des promesses non tenues. Je propose un plan Orsec pour donner à la justice les moyens de fonctionner, parce que si elle n'a pas les moyens, la police ne sert à rien ! Elle est condamnée à arrêter ce soir celui qu'elle a arrêté hier soir et qui a été relâché ce matin."
Un sondage connu depuis hier met les deux candidats "sortants" - entre guillemets - J. Chirac et L. Jospin à égalité . Cela vous surprend ?
- "La campagne sera beaucoup plus difficile qu'on ne le croit. Ce qui me frappe le plus, c'est qu'il y a aujourd'hui deux Français sur trois qui ne souhaitent pas retrouver au second tour le match - retour - Chirac-Jospin. Un Français sur deux dit qu'il n'a pas encore choisi, et dans ceux qui ont choisi, deux sur trois disent qu'ils peuvent encore changer d'avis. Donc, vraiment, cette élection est très ouverte."
Un sondage auprès des patrons montre que J. Chirac est le préféré et que Jospin séduit plutôt les cadres supérieurs ; vous arrivez en numéro 3 avec 15 % de capital de sympathie et d'intention de vote chez les patrons. Cela vous plaît d'être le candidat favori des patrons ? Oui, forcément, mais est-ce que cela fait votre affaire auprès de l'opinion publique ?
- "Cela dépend de ce que vous mettez dans le mot "patron". Si c'est l'appétit d'entreprendre, bravo ! Vous avez aujourd'hui 15 millions de Français qui ont envie de créer leur entreprise. Et je voudrais refaire de la France un pays d'entrepreneurs, parce que c'est rêve social formidable, c'est un rêve de mobilité. Si un Français sur deux qui a envie de créer une entreprise votait pour moi, je serais très largement en tête au premier tour et je gagnerais le deuxième tour !"
(Source : Premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 février 2002)