Déclaration de Mme Nicole Péry, Secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, sur la diversification de l'orientation professionnelles des filles vers les filières scientifiques, Paris le 22 novembre 2001.

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Circonstance : Dixième anniversaire du prix de la vocation scientifique et technique des filles au salon de l'éducation à Paris le 22 novembre 2001

Texte intégral

C'est avec un très sincère plaisir que je m'exprime aujourd'hui devant vous dans le cadre du Salon de l'éducation pour célébrer les dix ans du Prix de la vocation scientifique et technique des filles. Je souhaite rappeler que celui-ci s'inscrit dans l'initiative prise par madame Yvette Roudy, ministre des droits des femmes, en 1985 de créer une bourse pour sensibiliser les décideurs nationaux et locaux à l'existence d'un " vivier " féminin de futures ingénieures. Cette action nationale qui a été reprise par Madame Michèle André en 1989 est restée limitée (50 à 60 bourses par an).
Le 23 octobre 1991, Madame Véronique Neiertz, Secrétaire d'État aux droits des femmes et à la vie quotidienne, créait par arrêté, le prix de la vocation scientifique et technique, outil à forte portée symbolique de la politique de diversification de l'orientation des filles.
Je souhaiterais introduire en quelques mots cette table ronde, rassemblant d'une façon conviviale quelques-unes des nombreuses lauréates de ce prix, pour vous dire combien me tient à cur ce sujet. L'accès des filles à un éventail plus large de filières d'enseignement et particulièrement aux disciplines techniques et scientifiques constitue pour moi un facteur essentiel de l'égalité des chances entre les filles et les garçons.
C'est aussi une des conditions premières de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Tout d'abord, je passerai rapidement sur les résultats spectaculaires et encourageants de l'histoire des 40 dernières années de la scolarisation des filles. Comme vous le savez, la scolarisation des filles, qui s'est largement étendue depuis le début des années 60, se caractérise aujourd'hui par une meilleure réussite des filles comparée à celle des garçons.
En effet, elles redoublent moins que ces derniers en primaire, elles sont plus nombreuses dans les filières de l'enseignement long du secondaire et, tous les ans, les résultats du baccalauréat indiquent qu'il y a plus de bachelières que de bacheliers (58 % de lauréates au baccalauréat).
S'agissant de l'enseignement supérieur, dès 1971 les jeunes femmes avaient rattrapé les jeunes hommes en nombre. Actuellement, elles représentent 56.1 % des étudiants. Pour 120 filles qui entrent à l'université, 100 garçons font de même.
Cependant, si la réussite des filles à l'école et à l'université constitue une avancée décisive et marquante de la fin du 20e siècle, celle-ci reste encore inachevée. Il suffit d'examiner plus finement les filières pour découvrir que demeurent des différences considérables entre les filles et les garçons en termes d'orientation.
D'une manière schématique, la situation peut être résumée en disant que les filles obtiennent en majorité un baccalauréat littéraire, économique ou tertiaire et les garçons en majorité un baccalauréat scientifique ou technique.
Dans l'enseignement supérieur, la même dichotomie est observable. Dans les filières courtes, le secteur secondaire est largement représenté par les garçons, alors que le secteur tertiaire l'est par les filles. Dans les filières universitaires longues, ces dernières sont plus nombreuses dans les lettres et les sciences humaines alors que les garçons sont massivement présents dans les filières scientifiques et techniques.
Il résulte de ces constats une faible " mixité " des filières de formation qui réduit, pour les filles, leurs chances d'accéder dans le monde du travail aux fonctions considérées comme socialement valorisées. Cette situation met en cause le principe même d'égalité des chances entre les femmes et les hommes.
De plus, cette disparité sexuée entre les disciplines se double d'une faible représentation des jeunes femmes dans les filières d'excellence comme polytechnique et les écoles d'ingénieurs.
Force est donc de constater que si la progression de la scolarisation féminine est décisive, "rien n'est encore joué" comme le souligne le sociologue Christian Baudelot.
Alors, pourquoi les filles ont-elles tendance à éviter les filières techniques ou scientifiques ? Est-ce l'influence d'une conception stéréotypée des rôles masculins et féminins partageant ainsi les savoirs en termes de territoires masculins et féminins, une inquiétude des filles qui craignent de se retrouver dans un univers de travail essentiellement masculin ?
Ici, les raisons sont multiples et varient en fonction des changements économiques. Une chose est néanmoins sûre, c'est que ce clivage sexué des filières de formation n'a rien de naturel mais résulte d'une construction sociale.
D'ailleurs, il n'est pas nécessaire de remonter loin dans l'histoire pour constater la prégnance du sexisme qui sévissait contre les femmes dans les sciences. Exclues en tant qu'étudiantes et chercheuses, elles avaient pour place celle de " sujet d'observation ".
En effet, au 19e siècle, les médecins de l'époque se demandaient si les femmes avaient une raison car, de par la taille de leur cerveau, ils en déduisaient que les femmes ne pouvaient avoir l'usage de la rationalité. Ils considéraient donc que les sciences et les techniques leur étaient inaccessibles par déficience intellectuelle comme d'ailleurs la création artistique, picturale, musicale disaient encore certains de mes collègues, dans les années 1970, alors que j'étais une jeune professeur de lettres.
Cette approche historique de la place des femmes dans les domaines scientifiques et techniques met au jour l'ancrage de certains stéréotypes que l'on retrouve aujourd'hui de différentes façons et sur différents supports.
Des pionnières, comme Marie Curie qui a reçu en 1903, avec son mari, le prix Nobel de Physique, ont permis de remettre en cause cette conception discriminante concernant les capacités et incapacités féminines.
Aujourd'hui, le monde a changé certes. Il n'en demeure pas moins que cette partition sexuée des filières de formation a des conséquences sur la place des femmes dans le monde du travail. En effet, la majorité des femmes actives est concentrée dans seulement 6 catégories socioprofessionnelles sur 31. Elles exercent en effet pour la plus part des métiers dans les secteurs de la santé, du service social et de l'éducation, des services aux particuliers. Elles sont encore employées administratifs ou du commerce.
Cette faible diversification des secteurs de formation conditionne également l'insertion professionnelle des jeunes femmes sur le marché de l'emploi car elles se font concurrence entre elles. Les chiffres du chômage l'attestent. En effet, les jeunes femmes de moins de 25 ans ont un taux de chômage s'élevant à 23,7 % contre 18,4 % pour les jeunes hommes même si elles ont bien sûr profité, elles aussi, du dynamisme économique de notre pays, de la réduction du temps de travail et des emplois-jeunes.
L'amélioration générale du marché du travail et l'importante diminution du nombre global de chômeurs observée depuis 3 ans a bénéficié aux femmes. Le taux de chômage des femmes est passé entre décembre 1997 et septembre 2001 de 14,1 % à 10,7 %. Si l'écart entre le taux de chômage des hommes et celui des femmes s'est réduit en 3 ans, il est encore de plus de 3 points.
La diversification des choix scolaires constitue donc un des enjeux de l'égalité professionnelle et de la lutte contre les exclusions.
Par ailleurs, je tiens à souligner qu'une meilleure représentation des filles dans les filières scientifiques et technologiques est non seulement un partage du savoir et du pouvoir scientifique mais contribue également à leur assurer des emplois plus nombreux, de qualité, et des perspectives de carrières professionnelles plus intéressantes. Elle permet ainsi une participation plus équilibrée des femmes aux postes de responsabilité.
Face à ces sources d'inégalités sociales et professionnelles, les politiques publiques interviennent avec détermination pour promouvoir l'égalité des chances entre les filles et les garçons.
Il y a bientôt vingt ans, les pouvoirs publics français ont engagé des politiques d'égalité des chances à l'école pour lutter contre les préjugés sexistes. Des campagnes de sensibilisation destinées à modifier les représentations des métiers traditionnellement masculins ont été menées.
Ce prix dont nous célébrons aujourd'hui l'anniversaire a permis depuis 10 ans à 5 000 lauréates de réaliser leur vocation scientifique et technique en favorisant chez elles une plus grande diversification dans leur choix d'études et de profession.
Il a contribué et contribue toujours - 600 jeunes filles réparties sur l'ensemble du territoire ont bénéficié de ce prix en 2000 - à prévenir une concentration excessive des femmes dans un nombre réduit de métiers, en les incitant à s'orienter vers des filières et des emplois où les femmes sont sous-représentées. J'ai remis moi-même ces prix à Montpellier et à Bordeaux.
Les études réalisées sur le devenir des lauréates confirment la réussite et l'importance de cette action. Ces jeunes filles disent avant tout avoir vécu ce prix comme un encouragement et comme un grand soutien moral à poursuivre leur vocation. L'obtention du prix leur a donné confiance en elles et à contribuer à la reconnaissance de leur entourage.
La très grande majorité des lauréates a d'ailleurs poursuivi et réussi l'itinéraire de formation le plus souvent long qu'elles s'étaient fixées.
Je me réjouis que l'objectif de ce prix qui était d'" encourager les filles à s'orienter vers les filières scientifiques et techniques et de s'y maintenir ", semble être atteint.
A ce titre, c'est vers vous aujourd'hui que je me tourne, vous qui représentez l'ensemble des lauréates et qui êtes de brillants exemples de réussite des femmes dans les domaines scientifiques et techniques.
Je suis effectivement entourée par des femmes, ingénieure de la sûreté nucléaire, technicienne d'essais automobiles, ingénieure géomètre pour n'en citer que quelques-unes, hautement qualifiées et qui sont venues témoigner de leur choix scolaire et professionnel, de leur parcours d'étudiante, et pour certaines, de leur insertion dans le monde du travail.
Je vous félicite de votre dynamisme, de votre curiosité, de votre anticonformisme et surtout de votre persévérance, vous qui avez choisi de vous engager dans des filières où nous, les femmes, sommes si peu présentes. Je suis consciente que le blocage culturel est non seulement présent lors de l'orientation scolaire mais aussi lors de la recherche du premier emploi. J'ai reçu à ce sujet des lettres de témoignages bouleversantes.
Je voudrais enfin souligner que ce prix s'inscrit totalement dans la politique de promotion de l'égalité des chances que je mène et qui constitue, comme vous le savez, le fil conducteur de mes actions ministérielles.
C'est pourquoi, j'ai voulu que cette démarche se traduise par des engagements ministériels multiples. C'est ainsi que le 25 février 2000 une convention interministérielle visant à favoriser l'égalité professionnelle dans le système éducatif entre les filles et les garçons était signée entre le ministère de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité, le ministère de l'Agriculture et de la Pêche et le secrétariat d'État aux Droits des femmes et à la Formation professionnelle.
Cette convention s'est fixée trois objectifs. Le premier est d'améliorer l'orientation scolaire et professionnelle des filles et des garçons en favorisant une meilleure information sur les débouchés professionnels des différentes filières. La célébration du prix de la vocation scientifique et technique participe bien de ce premier objectif.
Le deuxième porte sur la promotion d'une éducation non sexiste et non violente, fondée sur le respect mutuel des deux sexes (monsieur Jack Lang vient de lancer une série d'actions concrètes en ce sens au sein du monde scolaire dont je me réjouis). Enfin, le dernier vise à renforcer les outils de promotion de l'égalité et la formation des acteurs (là aussi des actions concrètes sont en cours de réalisation).
Ce programme d'action est ambitieux et s'inscrit dans la durée. Il contribue à faire progresser l'égalité entre les femmes et les hommes, principe fondamental de notre démocratie. Mon engagement politique est de donner effet à ce principe.
Je souhaiterais conclure l'introduction des échanges qui vont suivre en citant la déclaration finale de la conférence mondiale sur la science à l'Unesco, au mois de juin 1999, qui soulignait que " l'égalité d'accès au domaine des sciences ne répond pas seulement à un impératif social et éthique de développement humain, elle est aussi une nécessité pour exploiter pleinement le potentiel des communautés scientifiques dans le monde entier ".
Je m'adresse particulièrement à vous, les heureuses lauréates du Prix de la vocation scientifique et technique, présentes et absentes, pour vous inviter à prendre toute votre place dans ces communautés scientifiques du monde entier.



(source http://www.social.gouv.fr, le 2 janvier 2002)