Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur l'introduction de l'euro, l'avenir de l'Europe et la place de l'Europe dans le débat électoral, Paris le 5 février 2002.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Dîner-débat avec les associations à vocation européenne, Paris le 5 février 2002

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
C'est pour moi un plaisir chaque année renouvelé que de vous accueillir au Quai d'Orsay pour ce dîner-débat, désormais une tradition. Le précédent remonte à mai 2001 et je constate ce soir avec satisfaction que le cercle familier des associations concernées par la construction européenne continue de s'élargir.
Mais cette heureuse tradition, pour ce qui me concerne, touche à sa fin. Je le dis sans regret mais même avec bonheur : non pas parce que c'est la fin, mais parce que j'aurais bénéficié à ce poste d'une longévité exceptionnelle, une chance tout aussi exceptionnelle pour traiter des affaires européennes - dont le rythme se mesure, comme vous le savez, en années plutôt qu'en mois - et de pouvoir ainsi entretenir avec vous des contacts suivis que, dans un autre cadre, j'aurai sans doute l'occasion de poursuivre.
Notre rendez-vous de ce soir n'est pas comme les autres. Nous sommes en effet en train de tourner une page, ou plutôt plusieurs pages en même temps. Nous vivons un moment charnière dans l'aventure européenne : la fin d'une séquence avec l'euro, après les réformes institutionnelles portées par le Traité de Nice et une nouvelle séquence avec la perspective de plus en plus réelle, je dirais même de plus en plus proche, du grand élargissement, la promesse d'une Europe réunifiée, mais aussi d'une Europe refondée autour d'une ambition commune. Enfin, je n'oublie pas les prochaines échéances politiques, indissociables, à mes yeux, des enjeux européens.
Avant de nouer le dialogue avec vous, je souhaite brièvement revenir sur ces différents points.
1) J'évoquerai d'abord l'introduction de l'euro.
Nous y sommes. Et nous y sommes même bien. L'euro est là, au quotidien, déjà familier. J'imagine la satisfaction, voire le soulagement, que vous avez éprouvé, comme moi, après cette formidable réussite de ce premier mois en euros. A un titre ou à un autre, à titre militant ou directement d'acteur, vous avez une part de responsabilité dans le succès de cette vaste entreprise, qui n'est pas le succès de telle ou telle catégorie mais bien de la Nation toute entière. Soyez-en ici chaleureusement remerciés. Pour ma part, j'ai toujours cru à la capacité d'adaptation de nos concitoyens, qui perçoivent bien la portée historique de l'avènement de la monnaie unique. Je me souviens d'avoir prononcé ici l'an dernier des paroles imprudentes, expliquant que cela ne se passerait pas plus difficilement que le passage à l'an 2000. Cela s'est vérifié, je crois pour une raison psychologique qui me semble a échappé, c'est que changer complètement de système de mesure fait qu'il y a une rupture entre le franc et l'euro qu'il n'y a pas eu entre les anciens francs et les nouveaux. Cette perte de repères oblige d'une certaine façon à plonger dans l'inconnu et à faire quelque chose de nouveau d'une façon assez simple .
Cette évolution contribue évidemment à renforcer la perception positive de la construction européenne. Elle s'inscrit dans un contexte porteur et encourageant pour l'Union, même s'il a aussi ses aspects dramatiques. Je pense - vous l'avez compris - aux dramatiques événements du 11 septembre à New York et à Washington mais qui ont aussi donné naissance à la réaction solidaire de l'Union européenne. Je pense aussi à son rôle sur la scène internationale, notamment à Doha, ou dans les Balkans. Comment aussi ne pas évoquer la situation tragique au Proche-Orient, où l'Union refuse de baisser les bras, refuse de laisser Israéliens et Palestiniens s'enfermer dans l'impasse actuelle ?
Je ne vous cache pas que les performances européennes - qu'il s'agisse du passage à l'euro, ou de sa voix sur la scène internationale, même si elle est encore trop faible - mettent du baume au cur du ministre chargé des Affaires européennes que je suis. L'année dernière, au même moment, nous étions dans une ambiance très différente au lendemain du Conseil européen de Nice, à certains égards frustrant - je le reconnais - pour tous ceux qui sont portés par un certain idéal européen.
Je ne reviendrai pas sur le passé et sur le Traité de Nice dont j'ai parlé à de multiples reprises, sans complaisance et sans masochisme. Ce traité n'était pas pour moi celui que j'aurais souhaité, et qui reste nécessaire pour permettre l'élargissement. Mais Nice nous a aussi ouvert la voie du renouveau de l'ambition européenne et de nos méthodes de travail.
2) J'en viens aussi au second point, c'est-à-dire l'avenir de l'Europe.
Nous venons de vivre, intensément, la première phase, nationale, du grand débat sur l'avenir de l'Europe. Le président de la République et le Premier ministre m'en avaient confié l'organisation et l'animation, et je conserve un souvenir très fort des multiples contacts noués à l'occasion des forums régionaux qui ont été un véritable succès. Soyez en remerciés, vous tous, notamment les préfets, représentés ce soir par le président de leur association, également préfet de la région Ile de France, le préfet Duport. Le succès de cet exercice, sans équivalent dans l'Union, a été remarqué au plan européen. Ce débat a été un modèle et que ce soit dans les pays candidats ou dans les pays membres, on a suivi cette expérience avec beaucoup d'intérêt, parfois même on s'en inspire. Le rapport de synthèse, réalisé par le groupe des personnalités indépendantes présidé par Guy Braibant - qui nous fait l'honneur d'être parmi nous avec d'autres membres du groupe, Evelyne Pichenot, Philippe Lemaître, Jean Nestor, Jean-Louis Quermonne, est une photographie, vivante, chaleureuse, fidèle et lucide des attentes de nos concitoyens, de leurs espoirs et leurs craintes, face à l'Europe. La phrase qui m'a le plus marqué est celle qui dit qu'ils ont une "vraie envie d'Europe", mais d'une Europe dans laquelle ils puissent se retrouver, c'est-à-dire avec des pouvoirs incarnés et des politiques répondant à leurs préoccupations concrètes.
Car à cette étape, en toute logique, les interrogations se multiplient : Quelle Europe, après l'euro ?
J'observe que nous revivons une situation de choix qu'a déjà connue l'Europe, mais avec une intensité sans précédent. En effet, il y a toujours eu la recherche d'une progression parallèle de l'Europe économique et de l'Europe politique, du plan Werner à Amsterdam, en passant par l'étape décisive de Maastricht. Mais aujourd'hui, l'Union ne doit pas être submergée par deux lames de fond, c'est-à-dire le grand élargissement et la mondialisation. S'y ajoutent aussi les exigences de nos peuples, légitimes et encore plus fortes qu'auparavant, qui veulent que cette Europe, désormais si présente au quotidien à travers l'euro, soit plus démocratique et efficace, leur offre des repères pour stabiliser le monde.
C'est pourquoi il nous faut revenir à des interrogations centrales, moins abstraites pour nos concitoyens que la seule thématique de l'Union politique, plus dérangeantes car véritablement existentielles : que voulons-nous faire ensemble de notre Europe ?
Tel est bien l'objet du processus lancé au Conseil européen de Laeken, avec la mise en place de la Convention sur l'avenir de l'Union. Il ne s'agit pas uniquement de réformes institutionnelles ; il s'agit de bien plus que cela. Nous sommes là dans un exercice inédit, extrêmement exigeant compte tenu du niveau des attentes. La déclaration de Laeken a le double mérite d'être à la fois ambitieuse et propice au débat, comme l'illustre la mention, à mes yeux très satisfaisante, de la perspective d'une Constitution, perspective acceptée par tous, y compris par ceux qui, lors de l'élaboration de la charte, je pense aux Britanniques, s'étaient montré très hostiles à cela même si, bien sûr, il est clair qu'au départ tous n'ont pas la même conception de cette Constitution. Les autorités françaises attachent une haute importance à ses travaux et entendent pleinement jouer le jeu de l'ouverture sur la société civile. Car, à l'horizon, en 2004, il s'agira de décider des réformes cohérentes avec le projet de l'Europe élargie, c'est-à-dire fondamentalement de faire vivre une ambition. En serons-nous capables ? En tout cas, nous ne devons pas laisser passer cette occasion unique pour répondre, enfin, à des questions trop longtemps différées.
Le président de la République et le Premier ministre m'ont fait l'honneur de me désigner, président Braibant, comme votre successeur, comme membre de la Convention, où j'aurai le plaisir de retrouver Alain Barrau, ici présent, et d'autres éminents parlementaires nationaux et européens. Je crois d'ailleurs que la représentation française sera la plus nombreuse, pas forcément la plus facile à gérer, mais la plus nombreuse. Je mesure pleinement l'importance de la tâche. J'entre dans cet exercice sans idées toutes faites, avec le souci de préparer la prochaine négociation entre les Etats membres de manière aussi consensuelle et transparente que possible. A ce stade, alors que les méthodes de travail de la Convention sont à préciser, je ne peux vous en dire plus. A partir du 28 février, date de l'installation de la Convention, il y aura une première phase, vraisemblablement jusqu'en juin prochain, qui sera consacrée à l'identification plus précise des problèmes sur la base des questions posées à Laeken. Soyez assurés que, dans ce nouveau contexte, je compte poursuivre un dialogue régulier avec vous. C'est vrai que c'est une tradition qui s'interrompt, mais vous aurez encore à me supporter quelques temps, sans doute jusqu'à la fin de l'année 2003. J'aurai l'honneur de continuer à travailler avec vous.
Nous sommes donc engagés dans une période stratégique, dans un climat favorable, même si nous ne devons pas céder à l'euphorie, excès inverse de la morosité de l'année dernière.
Loin de moi l'idée d'être rabat joie, ce n'est pas mon tempérament et je suis plutôt optimiste de nature. Mais tous les connaisseurs de la construction européenne savent qu'il n'y a pas d'enchaînement automatique vers un grand saut fédérateur. Les progrès ne se décrètent pas en matière européenne, ils se conquièrent. L'Europe est ainsi faite. Elle repose sur une approche patiente et le fait national y est profondément encré. Il ne faut pas le regretter mais prendre en compte ces réalités, quel que soit l'idéal européen que les uns ou les autres portez ici. En définitive, c'est la volonté politique qui continuera à primer, et nous ne pouvons que nous en réjouir.
3) J'en viens ainsi à évoquer, pour terminer, les prochaines échéances politiques que nous avons tous en tête. Et je le ferai, bien sûr, sous un angle européen et non pas sous un angle partisan ; il y a et il y aura d'autres lieux pour cela.
Je vous appelle à ne pas succomber à un certain discours selon lequel les questions européennes seraient, durant cette période, mises entre parenthèses ou devraient être reléguées au second plan pour faire la place à d'autres enjeux, quand il s'agit d'enjeux, ce qui serait déjà bien, compte tenu de ce que l'on voit parfois.
Pour moi, c'est précisément l'attitude contraire qu'il convient d'adopter. Ma conviction profonde - et je crois qu'elle est juste -, est que l'avenir de notre pays s'inscrit totalement dans un horizon européen. J'irai même plus loin. Dans toutes les grandes équations que notre pays doit résoudre, il y a une solution européenne. C'est parfaitement vérifié pour nos grands choix de politique économique, dont l'objectif doit être la croissance, le retour au plein emploi, la recherche d'une cohésion sociale renforcée. Pour résumer ma pensée, je dirai que si l'union monétaire est faite, beaucoup de progrès restent à réaliser en matière d'union économique. Je pense tout particulièrement à la mise sur pied d'un véritable gouvernement économique, à partir de l'euro 12, ou au renforcement de la coordination des politiques économiques, à la reconnaissance des services publics, qui devrait être pour moi aussi à l'ordre du jour du Sommet de Barcelone, et non pas seulement la libéralisation qui est un processus qu'il faut maîtriser mais qui du coup, doit aussi être équilibré. L'avènement de la monnaie unique est aussi un élément clef pour faire avancer nos thèses sur la gouvernance économique mondiale, autour de l'idée d'une mondialisation régulée ou organisée.
Pour prendre d'autres exemples, au plus près des préoccupations des Français, je mentionnerai aussi la dimension concrète, celle du quotidien de nos concitoyens : vivre en toute sécurité, consommer des produits de qualité, se déplacer librement, protéger l'environnement, améliorer sa formation, autant de domaines où la valeur ajoutée de l'Europe est essentielle. Enfin, la dimension des valeurs, dont l'Europe est la toile de fond, avec ces grandes questions auxquelles, nous Français, sommes légitimement attachés : notre identité, l'exercice de la souveraineté nationale, le fonctionnement de la démocratie, notre place dans le concert des nations.
En définitive, l'Europe est un formidable miroir de ce que nous sommes, croyons ou voulons être, de notre vision du monde. Autant de questions auxquelles les candidates et les candidats au suffrage des Français devront aussi apporter des réponses.
En nous prononçant démocratiquement, et comme il se doit nous n'aurons pas tous le même bulletin de vote au mois de mai et juin prochains, gardons à l'esprit que le prochain président de la République, membre du Conseil européen, aura des décisions majeures à prendre sous son quinquennat : sur l'élargissement et les choix constituants qui se dégageront du processus lancé à Laeken. C'est bien d'un projet de substance, nourri de conviction et de constance, en prise sur le réel dont nous aurons besoin en cette période. Je fais confiance à "l'intelligence d'Europe" de nos concitoyens pour faire la part des choses : pour refuser les visions rétractées de notre avenir, inspirées par une nostalgie régressive; pour apprécier avec justesse le travail accompli durant ces dernières années; pour discerner, derrière les slogans de campagne, les projets européens à la hauteur des défis actuels, des visions qui seraient plus éthérées.
En définitive, je vous appelle dans vos sensibilités diverses à rester mobilisés. Certes, nous n'avons pas tous la même vision de l'Europe, nous n'avons pas tous la même vision de la France, nous n'avons pas tous la même vision de la politique, mais nous partageons la même certitude que l'avenir de notre pays est indissociable de l'horizon européen. Soyons-en dans cette campagne les militants.
Je vous remercie de votre attention et attends maintenant vos questions./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 février 2002)