Interview de M. Patrick Devedjian, délégué général et porte-parole du RPR, à RTL le 5 décembre 2001, sur la reprise des attentats à Jérusalem, l'indépendance de la justice et la loi sur la présomption d'innocence.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief - Il y a eu un nouvel attentat à Jérusalem ce matin. La riposte de Sharon après la vague d'attentats du week-end dernier est-elle la bonne ?
- "Quel pays aurait la patience de subir ce que subit Israël avec autant de retenue ? Les attentats répétés qui font des dizaines de morts, aveugles, et innocemment ! Quel pays accepterait cela ?"
Vous n'êtes pas d'accord avec H. Védrine qui a dit hier qu'il fallait éviter la politique du pire et qu'il ne fallait pas accabler, ni évidemment éliminer, Y. Arafat, contrairement à la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis ?
- "Le pire, c'est ce que subit Israël, ces attentats terribles. Pour le reste, je ne sais pas le fond des choses, mais tout se passe comme s'il y avait un partage des rôles. D'une part, le Hamas et le Ezhbollah qui font une guerre sans merci et aveugle à Israël et qui tuent des innocents, qui mettent des bombes dans les autocars d'enfants. De l'autre, Y. Arafat qui, sur la scène internationale, agite un drapeau blanc en disant : "Moi je veux la paix!". Ce petit jeu-là ne peut pas continuer éternellement."
Quel jeu doit jouer la France, dans ce cas-là ?
- "La France a raison d'appeler au dialogue. Mais on voit bien que Y. Arafat, soit duplicité, soit complicité, n'y arrive pas."
On revient en France, parce que pendant les événements se déroulent à l'étranger, la campagne électorale et l'actualité continuent. Les gendarmes ont manifesté hier. Faut-il mettre fin à leur statut militaire ?
- "Je ne crois pas, parce que c'est un grand avantage dans l'organisation de la sécurité que d'avoir la discipline militaire des gendarmes, mais on peut peut-être les rapprocher quand même de la parité de traitement des services de police judiciaire. J'entendais sur votre antenne, tout à l'heure, des gendarmes qui disaient qu'ils travaillaient 62 heures par semaine. Au moment où le Gouvernement explique que toute la fonction publique doit travailler 35 heures, il y a quand même une sorte de provocation."
Sur la justice, il y a une polémique depuis quelques jours. J. Chirac s'est inquiété des "dysfonctionnements de la justice", après la libération de celui qu'on a appelé "le chinois", J.-C. Bonnal, et également la libération, par un juge de Versailles, d'un présumé trafiquant de drogue. C'est le Président Chirac ou le candidat Chirac qui s'exprime ?
- "C'est le Président Chirac, d'ailleurs pour deux raisons très simples : la première, c'est que, comme président de la République, il est le garant du bon fonctionnement des institutions - et là elles ne me semblent pas fonctionner très normalement. Et deuxièmement, il est également le président du Conseil supérieur de la magistrature et il est donc le chef de l'autorité judiciaire. Donc, il est tout à fait dans son rôle. D'ailleurs, M. Lebranchu a elle-même reconnu que c'était des dysfonctionnements. Ce qui est important, c'est d'en identifier la cause."
Mais M. Lebranchu, dont vous parlez, J.-M. Ayrault, le président du groupe socialiste, d'autres socialistes, ont dit, je cite : "Il a un culot monstre !". J.-M. Ayrault a dit que J. Chirac [avait] un culot monstre, puisque la loi de présomption d'innocence devait être complétée par un volet sur la responsabilité des magistrats et que cette responsabilité n'a pas pu être votée, puisque la loi sur le CSM a été bloquée, in extremis, avant de passer au Congrès. Et cela se passait en janvier 2000. Donc, en fait, J. Chirac n'est peut-être pas si cohérent que cela ?
- "Je crois que s'il y a "un culot monstre", c'est de la part de ceux qui disent cela. D'abord, parce que, si le Congrès n'a pas pu être réuni, ce dont le président de la République a pris acte, c'est parce qu'il n'y avait pas de majorité pour le voter. Et s'il n'y avait pas de majorité pour le voter, c'est parce que le Gouvernement avait été incapable de la réunir et notamment parce qu'il traitait l'opposition avec beaucoup de dédain et de mépris, et que, dès lors, il ne pouvait pas rassembler une majorité. Parce qu'au Congrès, la majorité transcende la droite et la gauche. Deuxièmement, c'est lui-même qui a renoncé à son volet sur la responsabilité..."
"Lui-même", c'est-à-dire le Gouvernement ?
- "Le Gouvernement s'est incliné devant les réclamations des syndicats de magistrats qui ne voulaient pas de ce volant sur la responsabilité et qui considéraient que le pouvoir disciplinaire qui existe et qui est dévolu au CSM, était suffisant. Il faut dire que les choses sont délicates. Et enfin, la mauvaise foi est achevée, lorsque l'on sait que le projet dont il s'agissait, c'était un projet qui touchait le Parquet et la question de responsabilité qui était agitée..."
Et le procureur, non ?
- "Les procureurs, les accusateurs... Cette question de responsabilité était donc attachée au Parquet. Or, là, de quoi parle-t-on ? On parle de la responsabilité des juges du sièges qui sont indépendants déjà depuis beaucoup plus longtemps, et pour lesquels le sujet n'était pas abordé. Donc, le Gouvernement est d'une totale mauvaise foi dans cette affaire. Il essaie de dissimuler son incapacité à maîtriser les problèmes. Car on voit bien que ce n'est pas seulement la loi sur la présomption d'innocence, c'est aussi un défaut de moyens qui a suivi."
Reprenons cette loi sur la présomption d'innocence. On a l'impression qu'en matière de justice, ces derniers temps, l'opposition dit tout et son contraire. Puisqu'elle s'abstient sur cette loi de présomption d'innocence, elle l'appelle de ses voeux - je peux vous citer des dizaines de phrases, de décembre 2000 ou de 1999, dans lesquelles J. Chirac lui-même dit que cette loi Guigou est formidable, que vous-mêmes vous l'aviez défendue ...
- "La loi Guigou n'est pas formidable, mais le principe de la réforme, oui."
Vous vous êtes même abstenu en disant qu'elle n'était pas assez radicale dans le sens de la présomption d'innocence. Aujourd'hui, vous dites qu'elle est trop laxiste !
- "Non, non. Je dis que cette loi sur la présomption d'innocence n'est pas une réforme suffisamment radicale de notre système de procédure pénale. Le résultat, c'est que c'est un compromis boiteux, et que tant qu'au plan de la liberté du citoyen qu'au plan de la nécessaire répression, on n'est pas arrivé à un bon équilibre."
C'était pas là-dessus que vous discutiez. Vous disiez que le citoyen n'était pas assez protégé. Aujourd'hui, vous dites que c'est trop laxiste !
- "C'est les deux à la fois."
Ah ! d'accord...
- "Mais oui, c'est le grand paradoxe de cette loi. Je peux vous l'expliquer si vous me laissez quelque temps. Par exemple, le juge des Libertés, qui est aujourd'hui institué, est saisi par le juge d'instruction. Cela n'est pas une bonne chose. C'est d'ailleurs une perversité de la loi, car il devrait être saisi par le procureur de la République - on entre dans la technique, je sens que je vais vous casser les pieds ! Mais, de ce point de vue, c'est une mauvaise garantie pour la liberté individuelle."
Vous changerez les choses si vous arrivez au pouvoir après les élections ?
- "Dans cette loi sur la présomption d'innocence, il y a 142 articles, et il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Sur les 142 articles, il y en a six ou huit qui demandent à être corrigés. N'en faisons pas non plus un drame. Le Gouvernement a tort de se prendre pour Solon, le grand législateur. Il croit que tout ce qu'il a écrit est écrit dans le marbre. Il faut être humble. Cette loi est longue, complexe, difficile."
Donc, vous la reprendrez ?
- "Elle doit être améliorée, c'est indispensable."
L. Jospin parle, ce soir, à France 2. Qu'attendez-vous du Premier ministre ?
- "Je m'attends à ce qu'il fasse sa campagne électorale. J'ai le sentiment que c'était beaucoup ce qu'il l'agitait aujourd'hui. Nous lui répliquerons, puisque c'est ce qu'il attend."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 5 décembre 2001