Interview de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, à Europe 1 le 15 janvier 2002, sur le projet de loi sur la bioéthique.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach - Il est temps, avec trois ans de retard, que le projet de loi sur la bioéthique soit débattu à l'Assemblée nationale en première lecture, soumis à un vote solennel la semaine prochaine. Ce devrait être un grand débat moral, scientifique et politique qui transcende les partis. C'est une révolution peut-être, mais elle a l'air prudente...
- "Non, c'est une révolution médicale, parce que la solution est la thérapie cellulaire, la greffe de cellule. Les cellules souches embryonnaires peuvent produire des cellules indifférenciées : des cellules du muscle, de la peau, du coeur, du cerveau. Cela va permettre de traiter des malades qui, actuellement, sont incurables. Cela va ouvrir des perspectives thérapeutiques tout à fait nouvelles."
Il fallait le faire, parce que les sciences du vivant ont fait des progrès fulgurants et considérables et les chercheurs sont en ce moment désemparés et même dans l'illégalité ?
- "Des progrès très considérables, parce que le temps de la recherche n'est pas exactement le temps du législateur. Il faut donc que le législateur s'adapte aux avancées de la recherche, quand elles correspondent à l'éthique."
Ecartons d'emblée ce que la loi refuse, interdit et même punit : toute les formes de clonages, reproductives et même thérapeutiques ?
- "Oui, surtout reproductives. Parce que l'idée de reproduire le système de la brebis Dolly pour l'homme, c'est évidemment une sorte d'indignité qui porte atteinte à la dignité humaine. Nous interdisons cela par 20 ans de réclusion criminelle. En plus, la France et l'Allemagne ont déposé conjointement auprès de l'ONU un projet de convention pour interdire partout, dans l'ensemble du monde, le clonage reproductif."
Ce qui n'est pas fait encore aujourd'hui.
- "Oui, mais cela aboutit. Cela avance à l'ONU de façon rapide et bonne."
Le clonage thérapeutique : pourquoi les Anglais, avec T. Blair, l'acceptent-ils ?
- "Nous n'avons pas d'opposition de principe au clonage thérapeutique. Simplement, nous avons beaucoup consulté sur tous ces sujets, notamment le comité d'éthique, le conseil d'Etat : il y a eu des avis discordants. Par souci de déposer un texte de consensus, nous ne retenons pas le clonage thérapeutique. La seconde raison est scientifique : on nous disait que le clonage thérapeutique, c'est être greffé par cette propre cellule et donc pas de rejets, mais on s'aperçoit qu'il y a, là aussi, des risques de rejets."
La loi va autoriser, si elle est votée, les recherches sur l'embryon, interdites jusqu'ici. C'est vrai que les chercheurs la réclamaient.
- "Tout à fait, c'est indispensable que les chercheurs français puissent travailler comme les chercheurs britanniques, les chercheurs américains et puissent faire progresser la médecine. Ce qui est en cause, c'est le droit des patients, le droit des malades à être soignés."
Vous dites l'Amérique, parce que le Président G. Bush l'a acceptée ?
- "G. Bush a autorisé, en août dernier, les recherches sur fonds publics fédéraux pour les lignées de cellules souches embryonnaires existantes."
Quand on parle d'embryon, de quoi parle-t-on ? Est-ce qu'il s'agit surtout des 40.000 ou 50.000 embryons congelés dont on dit que les parents ne veulent plus et pour lesquels le choix est au bout de cinq ans soit de les détruire soit de les utiliser pour la recherche ?
- "C'est exactement ça. Ce sont ce qu'on appelle les embryons surnuméraires. C'est-à-dire que pour réaliser une fécondation in vitro, pour les couples souffrant de stérilité, on conçoit plus d'embryons qu'il en est nécessaires pour éviter les risques d'échec. Il y a donc aujourd'hui environ 40.000 embryons surnuméraires qui sont conservés par congélation. Le choix est de soit les détruire au bout de cinq ans - ce que prévoit la loi de 1994 -, soit de permettre qu'on les utilise pour la recherche, dans des conditions très strictement encadrées. Par exemple, il faut le consentement écrit préalable des membres du couple. Comme cela, si les membres de ce couple ont des convictions morales ou religieuses qui s'opposent à l'utilisation de leur embryon à des fins de recherche, ils pourront tout à fait s'y opposer."
Parce que l'embryon autorisé est proche encore de la fécondation. Il a quel âge ?
- "C'est un embryon qui est de six à sept jours après la fécondation. Le sixième jour est un assemblage de 125 cellules. Donc aucune ébauche du système cérébral bien sûr ou du système nerveux. C'est un assemblage de 125 cellules. C'est vrai que ce sont des questions qui touchent chacun au plus profond de ses convictions intimes, morales, philosophiques."
Pour beaucoup de gens, l'embryon est déjà le début d'une personne, même s'il a six, sept ou huit jours ?
- "Personne ne détient la vérité là-dessus. Il faut donc la rechercher avec scrupule, modestie. Et toutes les opinions doivent être écoutées. C'est pour cela que le Gouvernement a beaucoup consulté sur ce sujet."
Vous êtes un peu divisés au Gouvernement, comme dans d'autres partis ?
- "Pas véritablement divisés, mais je souhaite véritablement, comme le Premier ministre, que ce texte vienne à l'ordre du jour avant la fin de la législature".
Il y en a qui préféraient attendre ? Parce qu'il y a les élections ?
- "Certains nous disaient qu'à l'approche d'échéances électorales, pourquoi mettre à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale un texte difficile et éventuellement controversé. Je crois que c'est plutôt l'honneur de la démocratie, un peu dans le style de P. Mendès-France, d'aborder les problèmes non pas à l'insu et à l'écart des électeurs, mais face aux électeurs et à l'approche d'échéances importantes."
Est-ce qu'on ne va pas finir par fabriquer aussi des embryons pour la recherche ?
- "Fabriquer des embryons pour la recherche, ce serait la solution du clonage thérapeutique."
Cela est exclu ?
- "C'est pour l'instant exclu dans le contexte actuel. On n'a pas d'opposition de principe. Ce qu'on a dans le texte de loi, c'est une agence spéciale avec un haut conseil, qui exercera une mission de veille scientifique. C'est-à-dire que si le développement des connaissances et des techniques avance de manière très rapide, ce conseil pourra nous proposer des évolutions législatives ultérieures."
On dit que l'embryon va aider la recherche sur les cellules souches et qu'on découvre, d'après ce que je lis, qu'il y en a aussi chez l'adulte. Pourquoi ne pas se contenter de ce que l'on trouve chez l'adulte ?
- "Je fais faire beaucoup de recherches sur les cellules souches adultes, notamment par l'Inserm, en liaison avec l'AFM. Ce sont des recherches intéressantes. Simplement, j'ai fait constituer un groupe de travail. Ce groupe de travail considère que les cellules souches adultes n'ont pas les mêmes capacités de différenciation et de multiplication que les cellules souches embryonnaires. Elles sont préprogrammées pour donner des cellules d'un type déterminé, alors que les cellules embryonnaires peuvent se transformer en cellules du coeur, du pancréas, du foie, du cerveau..."
Donc, à travers toutes ces expériences, quelle médecine vise-t-on et quelles applications pour les patients éventuellement ?
- "C'est une médecine régénérative. C'est-à-dire que beaucoup d'affections tiennent à la dégénérescence de cellules malades ou en nombre insuffisant. Les maladies neurodégénératives - Alzheimer, Parkinson - sont soignées par greffes de cellules. Pour les maladies cardiaques, la partie nécrosée du coeur peut être remplacée à terme par des greffes de cellules. Il y a des greffes de cellule du foie, liaison de la moelle épinière, comme l'acteur C. Reeves plaide beaucoup pour ce système."
Il était donc temps de prendre des décisions et en tout cas, d'organiser ce débat. Mais ces lois de bioéthiques que vous proposaient à six semaines de la fin de la législature n'auront pas le temps d'être votées ? Elles étaient pour le Gouvernement une matière de présenter son bilan et d'avoir bonne conscience ?
- "Elles seront votées en première lecture."
On a fait ce qu'on a dit ?
- "C'est important de faire de ce qu'on a dit. C'est même très important. Cela fait une différence par rapport à d'autres. Mais elles seront votées en première lecture, par la gauche mais aussi par une partie importante de la droite. Je crois que quelque soit l'issue des élections prochaines, dont je souhaite qu'elles seront remportées par la gauche, un texte de ce type voté en première lecture reviendra en seconde lecture dans le second semestre."
Mais la France va prendre du retard et d'une certaine façon, vous donnez raison à quelqu'un comme J.-M. Messier, qui expliquait tout récemment à Hollywood pourquoi il avait quitté la France, "un petit pays exotique".
- "Je crois que la France ne prendra pas de retard là-dessus. J.-M. Messier fait des déclarations un peu étonnantes, avec un tel désir de s'assimiler en disant : "Je me sens devenir Américain". J'ai l'impression que ce n'est pas très nécessaire. Des gens très appréciés aux Etats-Unis comme un couturier, Y. Saint Laurent, un philosophe comme M. Serre ou un cinéaste L. Besson restent tout à fait Français, sont fidèles à la tradition française et sont appréciés comme tels, sans sombrer dans une sorte de melting pot culturel. Il ne faudrait pas que J.-M. Messier devienne le Louis Jourdan du système de communication."
Revenons à des choses sérieuses : à propos du sondage Ipsos-Europe 1-Le Figaro, analysé sur Europe 1 : est-ce que L. Jospin peut, en trois mois, devenir crédible sur ses points faibles actuels : l'insécurité et l'autorité de l'Etat ?
- "Je crois qu'il est très crédible d'une manière générale. Jamais un Premier ministre n'a eu de sondages aussi positifs au bout de cinq ans de législature. Sur l'insécurité, elle n'a pas commencé le 3 juin 1997, lors de la nomination de L. Jospin à Matignon. C'est un phénomène de longue durée. Ce que nous faisons, à la différence des gouvernements de droite, c'est créer beaucoup de postes de policiers, de magistrats. Vous savez que la droite n'avait pas changé 25.000 départs à la retraite. C'est une réalité très tangible. La sécurité ne s'arrête pas qu'avec des paroles, cela s'arrête avec des moyens."
Vous êtes tous des mystiques du jospinisme, c'est ça ?!
- "Nous ne sommes pas des mystiques, nous sommes des réalistes et nous sommes des hommes et des femmes qui apprécions l'action du Premier ministre. Pas simplement parce que nous sommes au Gouvernement, mais aussi parce que nous considérons que c'est une action qui va véritablement dans le bon sens et qui répond aux attentes des Français."
En tout cas, tout est ouvert : en politique, comme pour les sciences et la recherche, où il faut apprendre à gérer l'incertitude.
- "Oui et à la réduire également."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 15 janvier 2002)