Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière et candidate à l'élection présidentielle 2002, dans "Lutte ouvrière" les 6, 12, 19, 27 novembre 2001, sur les divers plans de licenciements, les grèves dans les cliniques privées, l'insécurite.

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Média : Lutte Ouvrière

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PRENDRE SUR L'ARGENT ACCUMULE PAR LES ACTIONNAIRES POUR GARANTIR L'EMPLOI ET LE SALAIRE DES TRAVAILLEURS
6 novembre 2001
Le nombre de chômeurs a encore augmenté pour le cinquième mois consécutif. Mais comment n'en serait-il pas ainsi alors que les grandes entreprises multiplient les plans sociaux ? Alcatel, qui avait déjà annoncé la suppression de 23 000 emplois dans le monde, en ajoute 10 000. Dim menace de fermer deux de ses usines. Kodak laisse entendre qu'il procédera au licenciement de plusieurs milliers de personnes. Ces plans de licenciements collectifs s'ajoutent aux licenciements déjà effectués ou en route chez Moulinex, AOM-Air Liberté, Bull, Danone, Aventis, Alstom, Bata, à la fermeture de l'usine Philips du Mans et de deux usines Valéo à Vire et Cahors. Quant à ceux de Marks et Spencer, on leur a fait miroiter la reprise par les Galeries Lafayette. Mais, en occupant Exel, sous-traitant de Marks et Spencer, dans la région parisienne, ses travailleurs montrent que la promesse ne vaut pas pour les sous-traitants. Que vaut-elle d'ailleurs pour les autres ? Et ces plans sociaux ne tiennent pas compte des intérimaires dont on réduit brutalement le nombre, partout, même dans les entreprises d'automobile qui se vantent par ailleurs que leurs ventes marchent très bien.
Un nombre croissant de ces grandes entreprises évoquent la dégradation de la situation économique, et certaines ont même le culot d'évoquer les attentats du 11 septembre. Le mensonge est doublement grossier. D'abord parce que la plupart de ces plans de licenciements ont été annoncés, voire mis en place, avant septembre. Mais aussi et surtout parce que, même pendant le temps où le patronat et le gouvernement se vantaient de la bonne marche de l'économie, il y avait des plans de licenciements, y compris dans des entreprises qui faisaient du profit.
Mais, quand bien même l'économie serait en récession, est-ce aux travailleurs de payer les pots cassés ? Est-ce normal, est-ce acceptable que ceux qui n'ont en rien bénéficié de l'envolée des profits perdent aujourd'hui leurs salaires, leur unique source de revenu ? Depuis plus de dix ans, les profits des grandes entreprises n'ont pas cessé de croître. Ils ont été d'autant plus élevés que les salaires étaient bloqués, que les emplois stables étaient remplacés par des emplois précaires, plus mal payés, que la flexibilité des horaires s'ajoute aux cadences pour aggraver l'exploitation. Ces profits ont été encaissés par les propriétaires de ces entreprises, par leurs actionnaires. Leurs fortunes ont été doublées, triplées, pendant ces années et ont été accumulées en nouveaux paquets d'actions et en propriétés immobilières. Pourquoi ces gens-là ne pourraient-ils pas être rendus responsables des pertes de leurs entreprises, y compris sur leurs fortunes personnelles ?
Les lois actuelles protègent la propriété et les actionnaires et ignorent les travailleurs. Un actionnaire a le droit absolu de protéger son capital. Il peut le retirer d'une entreprise si celle-ci ne tient pas le coup dans la concurrence ou même seulement s'il rapporte moins là qu'ailleurs. Un travailleur n'a aucun moyen légal de protéger son emploi.
Le gouvernement se réfugie derrière les lois et lève des bras impuissants lorsqu'une entreprise ferme parce que ses actionnaires ont retiré leurs capitaux. S'il avait voulu, le gouvernement aurait pu changer ces lois injustes. Il en aurait eu le temps depuis qu'il est en place et qu'il a la majorité à l'Assemblée. Mais il ne l'a pas fait parce qu'il est au service des actionnaires, des propriétaires et des riches, et pas au service des travailleurs.
Alors, ce qu'un gouvernement même de gauche ne veut imposer au patronat et aux actionnaires, ce sera aux luttes collectives des travailleurs eux-mêmes de l'imposer. Ce n'est pas la première fois que la loi finit par reconnaître ce que le rapport des forces a réalisé. Il en a été ainsi pour les congés payés ou la limitation à 40 heures de l'horaire de travail légal en 1936. Il en a été ainsi pour la hausse du Smic en 1968. Il devra en être ainsi si nous voulons que la vie des travailleurs passe avant l'argent des actionnaires.
(source http://www.lutte-ouvriere.org, le 7 novembre 2001)
Le 12 novembre 2001

JOSPIN-GUIGOU SOIGNENT LES CLINIQUES PRIVEES AVEC L'ARGENT DE LA SECU
Il a suffi que les patrons des cliniques privées entament une grève prétendûment illimitée pour que le gouvernement, en la personne de sa ministre du travail, Elisabeth Guigou, se précipite pour les recevoir et pour leur accorder 1,7 milliard de rallonge, venant s'ajouter au 1,4 milliard de subvention que l'Etat a déjà promis. En 48 heures l'opération était donc bouclée, et les patrons se déclaraient satisfaits. Ils auraient tort de se plaindre de ce gouvernement qui a cédé avec célérité à un chantage éhonté. Ces messieurs ne sont pas les derniers à crier au scandale lorsque des travailleurs agissent pour défendre leur emploi, leur gagne-pain, et à joindre leurs voix à ceux qui accusent les travailleurs qui font grève de prendre les usagers ou les autres salariés en otage. A cette hypocrisie s'en est ajoutée une autre. Ils ont osé prétendre que leur action avait pour objectif de leur permettre d'augmenter les salaires des infirmières et du personnel de leurs cliniques, dont les salaires étaient nettement inférieurs à ceux du secteur public. Il n'a pas fallu attendre longtemps, après la signature de la promesse, pour apprendre que sur les trois milliards au total que les propriétaires de cliniques privées vont toucher, 600 millions, soit le cinquième de la somme, sont destinés à un "fonds de modernisation des cliniques privés", donc non pas à augmenter les salaires des infirmières, mais à améliorer la valeur de leurs cliniques. Quant au personnel des cliniques, rien ne dit qu'il sera augmenté en proportion de la subvention gouvernementale - sauf peut-être les médecins, qui sont bien souvent aussi actionnaires de ces cliniques, et qui sont déjà rémunérés plus que leurs collègues du public. Car le gouvernement s'est bien gardé d'exiger le moindre contrôle sur l'utilisation des sommes qu'il va distribuer. Comme à chaque fois d'ailleurs !
Pourquoi, pour augmenter les infirmières et le petit personnel des cliniques, ne prendrait-on pas sur les revenus des médecins, sur les profits des actionnaires de ces cliniques, dont certaines appartiennent à des sociétés côtées en bourse, dont une filiale de Vivendi.
On nous répète que le Sécu a bien du mal à boucler ses comptes, en grande partie parce que la part patronale a été réduite. On en prend prétexte pour rogner sur les remboursements des soins, réduisant les moyens pour les plus démunis de se soigner. On ferme des hôpitaux et des maternités de proximité. C'est qu'en fait la sécurité sociale est utilisée moins pour la santé des cotisants que comme vache à lait au service des cliniques privées.
Pourquoi faudrait-il donc que l'argent public, l'argent des travailleurs, serve à enrichir certains médecins, qui, après avoir été formés dans les hôpitaux publics, opèrent dans des cliniques privées ?
Cet argent serait bien plus utile s'il servait au fonctionnement des hôpitaux publics, en augmentant leur capacité d'accueil au lieu de la réduire, en faisant les investissements dans les équipements qui autorisent la meilleure qualité des soins possible. Car la santé devrait être un service public, au service de tous, et pas un moyen pour quelques-uns de s'enrichir !
Les choix du gouvernement sont à l'opposé. Et ils sont révélateurs.
Quand une catégorie professionnelle, aujourd'hui les directeurs et les propriétaires de cliniques, hier les patrons des transports routiers, fait semblant de crier misère, le gouvernement fait diligence et cède à leurs exigences. Mais il ne manifeste pas la même complaisance lorsqu'il s'agit des travailleurs ou des chômeurs. Quand ces derniers manifestaient pour réclamer le relèvement des minima sociaux, c'était porte close. Jospin les accusait même de vouloir "casser la croissance". Quand les travailleurs de Moulinex, ou ceux de l'Alstom, de Philips, entre autres, réclament le maintien de leur emploi, c'est-à-dire le droit à leur salaire sans lequel ils ne peuvent vivre, ils se heurtent eux aussi à des fins de non recevoir.
S'il fallait une preuve que le gouvernement des Jospin, Guigou, Fabius est au service des riches, son attitude récente à l'égard des propriétaires et des actionnaires des cliniques privées en est une. Une de plus !
Arlette Laguiller

(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 15 novembre 2001)
MOULINEX : APRES LES SALAIRES DE MISERE, UNE PRIME DE LICENCIEMENT DE MISERE
le 19/11/2001
Les licenciés de Moulinex vont toucher 80 000 F de prime, venant s'ajouter à ce à quoi ils ont droit comme indemnités légales de licenciement. 80 000 F, c'est une misère. A peine une année de salaire au SMIC. Et après, une fois cette somme dépensée ? Ce que certains commentateurs ont le toupet d'appeler une "surprime", comme si c'était un cadeau, est insignifiant comparé aux milliards que les gros actionnaires successifs de l'entreprise ont accumulés, et qui ont été transformés en comptes en banque bien garnis, en manoirs cossus, en bijoux, en tableaux de maître, ou encore en placements boursiers qui, bon an mal an, continuent à grossir leur magot. Et encore, tous les licenciés n'auront pas droit à ces 80 000 F. Pour les mériter, il aura fallu travailler au moins 25 ans dans cette entreprise. Ceux qui ont moins d'ancienneté, à commencer par ceux qui avaient travaillé dans d'autres entreprises de la région, et qu'on avait reclassés chez Moulinex, toucheront moins.
On nous dit que cette concession à des femmes et des hommes que l'on va jeter à la rue après les avoir exploités toute une vie, se chiffrerait globalement à 189 millions de F. Et ils se trouve des politiciens de droite et de gauche, des journalistes, et même des syndicalistes, pour souligner le caractère exceptionnel de l'effort consenti, oubliant un peu vite que pour obtenir cette somme, les Moulinex ont dû se faire menaçants. Mais ces 189 millions, ça n'est même pas l'indemnité qu'avait touchée à lui seul Philippe Jaffré, l'ex-pdg d'Elf à qui on avait accordé 200 millions d'indemnité de départ, lorsqu'il avait quitté la présidence d'Elf. Et c'est certainement beaucoup moins que ce qui est dépensé pour envoyer des avions français bombarder les civils afghans, pour permettre au couple Chirac-Jospin de parader dans le club des hommes d'Etat qui gendarment la planète.
Non, les licenciés de Moulinex sont loin d'avoir obtenu ce qui leur est dû, pas plus que ceux de Cellatex il y a quelque temps. Pas plus que tous ceux que l'on licencie dans des entreprises connues, ou dans celles dont on ne parle pas.
Le comble, c'est que le MEDEF refuse de payer en puisant dans le fonds patronal destiné à pallier les défaillances des entreprises, sous prétexte que cette prime n'entre pas dans le cadre de la loi. Il n'ose quand même pas prétendre qu'il n'a pas l'argent. Ce serait trop gros. Il prétend que ce serait à l'Etat de mettre la main à la poche. Et pourquoi Seillière et sa bande se gêneraient-ils ? Ils savent que cette pratique du bras de fer avec un gouvernement prêt à s'aplatir devant eux, ça marche à tous coups. Ils ont pu le vérifier, une nouvelle fois, récemment, avec les patrons des cliniques privées.
Il se précise d'ailleurs que le gouvernement s'apprête à suppléer aux dérobades patronales. Car ces patrons crient qu'on les égorge lorsque ce gouvernement fait mine de s'en prendre à eux, mais n'hésitent pas à le solliciter pour qu'il joue les secouristes dès qu'il s'agit de réparer les dégâts dont ils sont responsables.
On voudrait nous faire croire que ce qui y a été obtenu pour Moulinex est le maximum de ce qui peut s'obtenir. C'est une imposture, mais aussi un piège.
Car il n'est pas fatal que les travailleurs condamnés à trimer toute une vie finissent à la rue avec des indemnités de misère tandis que ceux qui ont exploité leur travail gardent leurs capitaux et leurs fortunes.
Il n'y a pas de raison que les actionnaires ne soient pas responsables, sur l'ensemble de leurs capitaux mais aussi sur leurs biens, des dégâts sociaux qu'ils provoquent. Mais pour imposer cela, il ne faut pas compter sur ce gouvernement.
Les travailleurs de Moulinex étaient seuls, le dos au mur. Ils ont dû se battre, même pour les modestes sommes qu'ils ont fini par obtenir.
A force de provocations, le patronat et le gouvernement finiront par pousser à l'explosion sociale. L'ensemble des travailleurs aura alors le rapport de forces lui permettant d'imposer que ce soient les actionnaires et les propriétaires des entreprises qui paient pour les soubresauts de leur économie, pas le monde du travail.
Arlette Laguiller
Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 23 novembre 2001)
Le 27 novembre 2001
UNE INSECURITE QUI EST SOCIALE
A l'occasion des manifestations de policiers et de femmes de gendarmes qui se sont multipliées ces dernières semaines, l'opinion a pu apprendre que ces serviteurs de l'Etat n'étaient pas mieux lotis que les autres, ni en ce qui concerne leurs salaires, qui ne dépassaient guère ceux d'autres fonctionnaires du bas de l'échelle, ni en ce qui concerne leurs conditions de travail, même si nombre d'entre eux exercent une profession que l'on peut considérer comme "à risque". Tout comme d'autres, tels par exemple les convoyeurs de fonds, dont on évoque les conditions de travail et de rémunération à chaque fois que l'un des leurs tombe victime d'un braquage. Cela fournit l'occasion pour les autorités ou les patrons des entreprises de convoyage de verser quelques larmes, aussi officielles qu'hypocrites. Mais d'une fois sur l'autre, on constate que rien n'a changé. Et l'Etat est aussi pingre avec ses serviteurs que les patrons avec leurs salariés. Il réserve sa générosité aux riches, aux actionnaires, et ne se soucie guère de ceux qui ont pour tâche, entre autres, de protéger leurs biens et de garantir leur ordre social.
Etant donné le rôle particulier des policiers, du fait aussi de la proximité des échéances électorales, il n'a pas fallu bien longtemps pour que le ministre de l'intérieur Daniel Vaillant cède à une partie des revendications des policiers. Mais ce recul ne leur a pas suffi. Ils réclament plus. Et il n'est pas impossible que le gouvernement fasse, dans les jours qui viennent, un nouveau geste, pour satisfaire les policiers, même si cela conforte du même coup la droite.
Cette fois le gouvernement a su faire machine arrière rapidement. Bien plus vite que lorsqu'il se trouve face aux exigences d'autres salariés de la fonction publique, comme par exemple les infirmières qui réclament en vain depuis des mois des effectifs correspondant à des besoins, ô combien utiles à la collectivité.
La grogne des policiers alimente les discours sécuritaires des politiciens qui battent la campagne, en quête d'électeurs futurs. La droite est évidemment en première ligne. Mais les socialistes se multiplient pour leur disputer cette place. Sans parler de Chevènement, ex-ministre de l'intérieur de Jospin, qui fait feu de tout bois. Ni les uns, ni les autres, ne se soucient du fait que cette surenchère conforte un Le Pen, à l'affût et qui représente, lui, une insécurité mortelle pour les travailleurs. Les problèmes de sécurité sont réels. Ceux liés à la grande délinquance ont toujours existé et ne dépendent pas de la situation sociale. Mais on ne peut nier que la petite délinquance et l'incivilité se soient accrus. Pas partout dans les mêmes proportions, toutefois. Elles pèsent bien plus dans les cités où vit la population laborieuse. Elles se sont développées en même temps que le chômage, qui engendre à la fois désoeuvrement et pauvreté. Et c'est la population de ces cités qui en subit directement les effets, rendant plus difficile la vie de ceux qui n'ont déjà pas la vie facile.
Mais les politiciens auront beau rivaliser dans des propositions toujours plus sévères, cela ne réglera rien. Mais cela n'est pas leur souci.
Peut-être cela se traduira-t-il par l'envoi plus fréquent d'escouades de policiers. Mais la situation restera inchangée lorsque ces policiers se retireront. Peut-être implantera-t-on un peu plus de casernes de CRS, des maisons de correction pour des mineurs alors qu'on ne trouve pas d'argent pour construire des écoles pour accueillir les enfants dans des conditions normales. Peut-être généralisera-t-on l'interdiction des attroupements des mineurs de moins de treize ans. Outre ce qu'il y a de choquant dans ces idées, même ceux qui les formulent savent bien qu'elles seront sans effet.
Il faut s'attaquer radicalement à la pauvreté, et en premier lieu au chômage, et pour commencer interdire les licenciements qui l'alimentent. Mais aussi prendre sur la fortune des gros actionnaires, pour qu'ils paient la casse sociale dont ils sont responsables. Ce serait la seule façon sérieuse de couper les racines de l'insécurité.
Arlette LAGUILLER
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 30 novembre 2001)