Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur le harcèlement moral , notamment les mesures de prévention et de protection des victimes, les sanctions et le rôle des représentants du personnel dans l'entreprise, Paris le 10 décembre 2001.

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Circonstance : Colloque intitulé "Harcèlement moral et citoyenneté au travail" au Conseil régional de l'Ile de France le 10 décembre 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Le harcèlement moral est une réalité du monde du travail.
La formule est nouvelle, mais non la réalité qu'elle recouvre.
Par-delà la complexité du phénomène, les problèmes inhérents à sa définition juridique et à son diagnostic, ce qui est couramment désigné comme harcèlement moral recouvre des situations Individuelles de profonde détresse, qui ont comme point de départ une volonté de nuire, de nier le droit à la dignité de chacun, qui peut déboucher sur l'anéantissement de l'individu. Ce phénomène, d'une réelle ampleur, doit donc être pris en compte et traité avec la plus grande attention, et avec la plus grande rigueur.
C'est ce qui a conduit le gouvernement après avoir demandé au Conseil économique et social de réfléchir sur le sujet, à faire en sorte que la notion de harcèlement moral soit appréhendée à l'aide d'instruments juridiques appropriés, afin que les victimes puissent se protéger efficacement, et que les comportements fautifs soient sanctionnés.
J'ai toutefois bien conscience que la réponse à un problème social aussi complexe et aussi secret que le harcèlement ne peut pas être seulement juridique.
Ce sont également des actions concrètes qu'il convient de mener, afin de faire connaître aux personnes concernées leurs droits, de développer la prévention des situations de harcèlement, en diffusant très largement les informations nécessaires. Un effort de communication, d'explication et de soutien concret devra être fait. Ces actions se feront avec l'appui des partenaires sociaux et des associations, dont je tiens à saluer les initiatives prises dans ce domaine.
Votre initiative d'aujourd'hui en est un premier et excellent exemple.
Je voudrais simplement vous proposer quelques réflexions pour alimenter vos débats.
1.Sur la définition du harcèlement moral
En ce qui concerne les fonctions publiques, l'Assemblée nationale a retenu la définition suivante, qui s'applique aux fonctionnaires et aux agents de droit public :
" Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. "
Avant même de trouver une appellation à ce phénomène, nous en avons une perception intuitive. Nous pensons à ces cas dans lesquels un salarié ou un agent se trouve dans une situation de faiblesse au sein de la collectivité de travail et dans lesquels, au terme d'un processus continu dans le temps, soit du fait de son employeur ou de son responsable, soit du fait d'autres personnes, il est l'objet de pressions qui peuvent s'exprimer sous de multiples formes.
Je ne prétends pas en faire un relevé exhaustif, eu égard au très grand nombre de cas, de caractère très divers, qui sont portés, chaque jour à la connaissance de mes services. On pourra citer toutefois la technique de la " mise au placard " dans laquelle le salarié ne se voit plus confier de tâches à là hauteur de sa qualification et va, de ce fait, se sentir très vite dévalorisé par rapport à ses collègues. À l'inverse, pour faire craquer un salarié, l'autorité hiérarchique pourra multiplier les sollicitations au-delà des capacités du salarié, voire le mettre volontairement en situation d'avoir à exécuter des instructions contradictoires ou irréalisables.
Les résultats de ce traitement appliqué à la personne du travailleur ou de l'agent seront très variés. Mais il s'ensuivra généralement une spirale dépressive, un absentéisme, et les tribunaux ont déjà eu à se prononcer sur des cas extrêmes ayant abouti au suicide.
Pour reprendre la formulation d'une partie du titre du second ouvrage de Madame HIRIGOYEN consacré à ce sujet : Il faut savoir démêler le vrai du faux. Face à des situations de risque réel, nous savons qu'il existe des situations dans lesquelles certains salariés vont traduire en termes excessifs les sollicitations dont lis sont certes l'objet, mais qui appartiennent à la réalité quotidienne du travail : il s'agit par exemple de réactions au stress qui est celui engendré par toute activité intense de travail.
La prise en compte du temps est capitale pour permettre de différencier ce contre quoi nous entendons combattre de ce qui peut s'analyser comme un conflit entre deux personnes au travail même si parfois il peut prendre une tournure violente, mais seulement pendant un temps limité.
Pour répondre à toutes les caractéristiques énoncées, les termes de harcèlement moral ont été retenus par le législateur. Ce sont ceux choisis par Madame Marie France HIRIGOYEN, dont je salue la qualité et le caractère précurseur du travail, dans le premier ouvrage qu'elle a consacré à ce sujet. Le choix du terme " harcèlement " est particulièrement approprié. Il décrit bien la nécessité pour que ce phénomène se réalise, qu'il s'inscrive dans une durée, qu'il repose sur la répétition, et bien entendu sur une volonté de nuire. Il me semble aussi désigner l'objectif visé par l'auteur des manuvres : porter atteinte au moral de sa victime, la déstabiliser.
2.La protection de la victime
À partir de la définition retenue, le Gouvernement a entendu proposer un cadre juridique orienté à la fois vers la prévention et la réparation.
Le texte voté entend protéger non seulement la victime mais également le témoin des agissements. Il prévoit la nullité des sanctions ou de la rupture du contrat de travail qui seraient causés, soit par le harcèlement, soit par la relation faite par le témoin de ce harcèlement.
Des protections identiques seront accordées aux fonctionnaires et agents publics victimes d'agissements de harcèlement moral ou à ceux qui, témoins de tels agissements, auront relaté les faits. Ainsi, aucune mesure de nature à affecter la carrière d'un fonctionnaire ne pourra être prise du fait que celui-ci aurait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice afin de faire cesser ces agissements.
Les -victimes de harcèlement vont bénéficier, comme toutes les victimes de discrimination, de l'aménagement de la charge de la preuve devant les juridictions civiles. Ce faisant, nous facilitons la saisine du juge du contrat de travail, par la victime ou par le témoin victime de mesures de rétorsion.
3.La sanction du harcèlement
Le texte voté rend passible de sanction disciplinaire par le chef d'entreprise de tout salarié qui a procédé aux agissements constitutifs du harcèlement. Mais l'employeur conserve la faculté d'apprécier, d'une part la réalité des faits reprochés et d'autre part, la sanction qu'ils méritent.
Plus généralement, la responsabilité du chef d'entreprise pourra être engagée en vue d'obtenir réparation du préjudice causé, soit bien entendu, lorsqu'il sera directement l'auteur des faits, soit parce qu'il les aura laissés se commettre après avoir été alerté, mais qu'il se sera abstenu d'intervenir et d'utiliser notamment son pouvoir disciplinaire. À cette fIn, le projet de loi pose un principe général de responsabilité du chef d'entreprise ainsi qu'une obligation de préventIon, alors que par ailleurs, pour la première fois, est énoncé expressément dans le code du travail le principe d'exécution de bonne foi des contrats.
Tout fonctionnaire s'étant rendu coupable de harcèlement moral est également passible d'une sanction disciplinaire.
Pendant les débats au Parlement, il est apparu que par-delà l'aspect particulièrement novateur des dispositions introduites dans la procédure civile au profit des victimes et des témoins du harcèlement, il ne serait pas cohérent de ne pas les compléter par une sanction pénale, dès lors que telles dispositions existent en matière de harcèlement sexuel ou pour de discriminations.
4.La prévention : le rôle des responsables de services administratifs ou des chefs d'entreprise, des représentants du personnel et des associations
La prévention est l'affaire de tous au sein de l'entreprise ou de l'administration, mais elle implique d'abord les responsables des services, ceux qui prescrivent, organisent et contrôlent le travail de leurs collaborateurs.
C'est à eux de s'assurer que les agents dont ils ont la responsabilité ne se trouvent pas exposés à ce risque, et, naturellement, il leur revient d'éviter d'être à l'origine d'une telle situation ou de la tolérer.
Prévenir de telles situations passe à l'évidence par l'attention portée par le responsable à ses agents quelque soit la quantité ou l'urgence des travaux à réaliser, par sa capacité d'écoute, qui peut permettre à l'agent concerné de parler en confiance.
J'insiste sur cet aspect, car beaucoup de cas de harcèlement moral ne pourraient voir le jour ou se développer si les responsables hiérarchiques assumaient la totalité de leurs fonctions.
Bien sûr, le médecin du travail ou de prévention, les représentants du personnel, le CHSCT ont des rôles importants.
Le médecin du travail ou de prévention peut aider au diagnostic du harcèlement moral. Aujourd'hui déjà, une part des informations dont nous disposons sur ce phénomène provient de l'intervention de nombre de médecins du travail ou de prévention, qui savent que par-delà les formes les plus diverses de maladies ou de troubles dont souffrent les salariés, ces troubles peuvent dans certains cas trouver leur source dans des comportements de harcèlement moral tels que définis par la loi.
En second lieu, la loi consacre le rôle des représentants du personnel, notamment en étendant le rôle du CHSCT à la prévention du harcèlement moral. Le harcèlement moral est cause de dégradation de l'état de santé des travailleurs, il incombe donc au CHSCT d'intervenir sur ce terrain qui participe, par essence, de l'amélioration des conditions de travail.
L'action de tous ces partenaires doit être soutenue et renforcée. C'est pourquoi j'envisage la mise en place d'actions de formation qui leur seront destinées, je l'espère en liaison avec mes collègues chargés des fonctions publiques, pour leur permettre, une meilleure appréhension du harcèlement moral et du dispositif que le Gouvernement met en place, et par conséquent une action plus efficace et plus, concrète en direction des victimes.
De même, s'agissant des associations, qui ont déjà accompli un travail considérable d'écoute et de soutien des victimes, tant en direction, je tiens à le souligner, de salariés du secteur privé que des agents publics, j'entends créer les bases d'une collaboration entre l'Etat et ces associations afin de leur permettre de contribuer à une meilleure connaissance du phénomène ainsi qu'à une meilleure diffusion de l'information dans le domaine notamment de la prévention. Des moyens seront réservés à cet objectif.
Conclusion
La loi est naturellement importante pour combattre le harcèlement moral sur les lieux de travail, car elle définit la notion, elle donne des moyens aux victimes de se défendre, elle organise les grands principes de la prévention du phénomène et enfin elle sanctionne quand cela s'avère nécessaire.
Mais c'est maintenant à chacun et à chacune d'entre vous de voir concrètement ce qu'il convient de faire ici même pour que de tels faits ne puissent se dérouler dans vos services.
C'est, je crois tout l'enjeu des discussions que vous avez aujourd'hui. Je vous souhaite plein succès dans vos réflexions et dans les actions que vous conduirez.
Je vous remercie.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 18 décembre 2001)