Texte intégral
(Discours du 25 novembre 1992)
L'Europe est notre avenir. Nous en sommes convaincus. Mais l'avenir n'efface pas le passé. C'est dans le respect de nos identités nationales que nous forgerons la conscience européenne.
Une large majorité s'est exprimée ici pour une Europe, plus proche des citoyens, en osmose avec les Parlements nationaux auxquels ont été reconnus des droits nouveaux. Nous avons tous souhaité, quel que soit notre vote, lors du débat de ratification du traité de Maastricht, que l'Europe soit plus démocratique. Cette exigence, exprimée par le peuple français, nous devons l'assumer dès maintenant.
Le dossier du GATT est l'occasion de montrer que l'Europe est la chose des peuples qui la soutiennent et le bouclier des Nations qui la composent.
Nous sommes aujourd'hui réunis pour débattre d'une question grave qui engage l'intérêt national. Je souhaite que nous le fassions avec dignité, afin de servir ensemble, chacun à notre place, notre pays.
Le Gouvernement a la garde, sous l'autorité du Président de la République, de l'intérêt national. Mais il ne prétend pas être le seul juge. Lorsque les intérêts fondamentaux de la France sont en cause, le Gouvernement a le devoir de consulter le Parlement. Il est important aussi que nos partenaires sachent que la position du Gouvernement est celle de la France et que les prochaines échéances politiques, quel qu'en soit le résultat, ne la modifieront pas.
C'est pourquoi je demande à l'Assemblée Nationale d'approuver, par un vote, la position de la France dans la négociation du GATT. Constitutionnellement, le Gouvernement ne peut le faire qu'en application de l'article 49, alinéa 1er, de la Constitution.
Une autre procédure a été proposée, celle de l'article 88 alinéa 4 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle adoptée par le Congrès en juin dernier.
La Constitution ne le permet pas. Elle réserve expressément cette procédure au vote de résolutions portant sur "les propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature législative". Il n'existe pas aujourd'hui de proposition d'acte communautaire au sujet du GATT.
En tout état de cause, comme l'a observé M. MAZEAUD, la révision du Règlement de l'Assemblée Nationale n'étant pas achevée, la procédure de l'article 88 alinéa 4 ne pourrait pas être utilisée.
Pour ces raisons, le Gouvernement, dans le respect de la Constitution qui s'impose à nous comme à vous, a été conduit à retenir la seule procédure possible, celle de l'article 49 alinéa 1.
Ce vote portera sur une déclaration précise et sur elle seulement. Ceux qui voteront "pour" ne seront en aucun cas présumés soutenir la politique générale du Gouvernement. Je sais ce qui sépare la majorité et l'opposition et je ne demande à personne de renier sa philosophie politique.
Avant de vous lire cette déclaration, je voudrais vous rappeler ce que j'ai dit mercredi dernier : je souhaitais, ce jour-là, et je souhaite toujours un vaste mouvement de cohésion nationale.
C'est pourquoi la tonalité de certaines réactions m'a déçu. Ce n'est pas moi qui demande un vote de confiance, c'est la Nation tout entière. Dans d'autres pays, on sait faire bloc quand on éprouve une difficulté. On oublie, au moins l'espace d'un moment, ce qui divise pour ne retenir que ce qui peut unir.
Je vous le redemande instamment : mettons de coté les polé-miques inutiles. La France est un pays qui compte. Elle n'a pas à choisir entre l'isolement et la soumission. Il suffit qu'elle soit unie, au-delà des différences politiques, normales dans une démocratie, pour obtenir de l'Europe le sursaut qui s'impose.
Voici la déclaration que je vous propose :
"Conformément à la position adoptée depuis l'ouverture des négociations en septembre 1986, la France souhaite la conclusion d'un accord global et équilibré au GATT, portant à la fois sur l'agriculture, l'industrie, les services et la propriété intellectuelle.
La France considère que le projet d'accord relatif à l'agriculture, conclu le 20 novembre 1992 par les représentants de la Commission, outrepasse le mandat défini par le Conseil le 6 novembre 1990 et aurait des conséquences inacceptables pour l'économie agricole française.
La France demande qu'une réunion commune des ministres des Affaires étrangères et des ministres de l'Agriculture de la Communauté se tienne dans les plus brefs délais. Le Gouvernement confirmera, à cette occasion, qu'il opposera son veto à tout projet d'accord contraire aux intérêts fondamentaux de la France".
Tel est le texte que je vous soumets. Je voudrais maintenant le commenter.
Quatrième exportateur mondial de produits manufacturés et deuxième exportateur de services et de produits agricoles, la France a intérêt au développement du commerce mondial et elle recherche un accord au GATT. C'est une position constante, depuis que le Gouvernement dirigé alors que M. Jacques CHIRAC a donné accord, en septembre 1986, à l'ouverture des négociations que l'on appelle communément du cycle de l'Uruguay.
En vertu de l'article 113 du traité de Rome qui définit les compétences en matière commerciale, le Conseil des ministres fixe le mandat de la Commission ; celle-ci négocie ; et, à la fin de la négociation, le Conseil décide.
Que s'est-il passé et où en sommes-nous ?
Les représentants de la Commission, Messieurs les Commissaires ANDRIESSEN et Mac SHARRY, ont conclu le 20 novembre à Washington, avec leurs interlocuteurs américains, un projet d'accord sur le volet agricole de la négociation.
Il n'y a pas juridiquement de projet d'accord, puisque celui-ci se négocie dans le cadre multilatéral du GATT. Mais chacun comprend qu'un compromis euro-américain est de nature à influen-cer la suite de la négociation.
Dès que ce compromis a été rendu public, la France a annoncé qu'elle s'opposerait à tout projet d'accord qui serait bâti sur ces bases. J'ai confirmé cette opposition dans une lettre adressée au Président de la Commission. Pourquoi ?
Si, sur certains aspects de la négociation concernant les oléagineux, il y a eu des progrès, preuve que notre fermeté n'est pas sans résultat, l'ensemble est inacceptable. Je ne rentrerai pas dans les détails et m'en tiendrai à l'essentiel. L'essentiel, c'est l'engagement de réduire de 21 %, en volume, les exportations agricoles subventionnées de la Communauté.
C'est inacceptable, parce que c'est contraire aux intérêts de l'Europe, contraire au mandat de la Commission, contraire à la politique agricole commune.
Les États-Unis sont la première puissance agricole du monde. Ils défendent leurs intérêts. Ils doivent respecter ceux de l'Europe, c'est-à-dire notre liberté de produire, d'exporter, de leur faire concurrence, dans des conditions comparables. L'Europe aide son agriculture, l'Amérique aussi. Nous disons oui au développement des échanges fondé sur la confiance mutuelle et l'intérêt réciproque, oui à une concurrence mieux ordonnée. Nous disons non à un protectionnisme maléfique pour tout le monde. Mais nous disons non aussi à un accord inégal.
Le mandat de négociation a été arrêté par le Conseil, le 6 novembre 1990. Il dit - je cite - que "tout engagement séparé concernant les subventions à l'exportation serait incompatible... avec les principes fondamentaux de la politique agricole commune". Il lie la Commission juridiquement et politiquement.
Enfin, le projet d'accord est incompatible avec la politique agricole commune. Je parle de l'ensemble de la PAC, pas seulement de la partie qui a été réformée au mois de mai, car toutes les productions aidées, y compris nos productions d'Outre-Mer durement touchées par le comportement des multinationales, sont concernées par le projet d'accord.
Je sais que la réforme de la politique agricole commune nous divise. Certains ont dit qu'elle aurait du être négociée dans le GATT. C'eut été discuter de l'agriculture européenne aux conditions des États-Unis. Il était utile, au contraire, que nous puissions nous adosser à cet accord scellé entre les États membres de la Communauté dans nos négociations avec les États-Unis. Il est heureux aujourd'hui que nous puissions l'invoquer pour faire prévaloir notre point de vue en démontrant qu'il est non seulement conforme à l'intérêt de l'Europe mais aussi conforme à ce que nous avons fait ensemble à douze.
Pour ma part, je refuse de faire croire aux Français qu'on peut préparer l'avenir sans efforts. Et je suis aussi résolu aujourd'hui à défendre les intérêts vitaux de l'agriculture française que je l'étais il y a six mois à demander aux agriculteurs de consentir les efforts qui leur permettront d'être demain plus compétitifs.
Quoi qu'il en soit, je ne demande pas à ceux qui ont condamné la réforme hier de l'approuver aujourd'hui. La Commission et nos partenaires reconnaissent que l'accord du GATT doit être compatible avec les règles de la PAC. Certains affirment que cette compatibilité est assurée. D'autres savent que ce n'est pas le cas. Nous obtiendrons un débat sur ce point, qui est notre meilleur argument de négociation.
Nous savons que, dans les règles actuelles, la réduction en volume des exportations conduirait inéluctablement à une mise en jachère permanente d'une partie importante des terres agricoles de l'Europe. Nous avons du accepter cette année une jachère temporaire, afin de résorber des stocks exceptionnels de céréales que nous n'arrivons pas à écouler à l'exportation, ni dans l'alimentation de bétail à cause des concessions faites aux États-Unis en 1962 et 1967, dont les produits de substitution aux céréales entrent sans payer de taxe dans la CEE. Mais nous avons subordonné cet accord à la garantie que l'Europe garderait sa liberté d'exporter et que la jachère pourrait être révisée à la baisse lorsque les stocks seront revenus à un niveau supportable.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Nous allons poursuivre la négociation. Elle sera difficile. Je souhaite qu'elle aille vite. Il n'est pas vrai que la France soit isolée. Certes, plusieurs gouvernements sont animés par une philosophie libérale ou conservatrice qui les conduit à privilégier une conception de l'économie de marché qui n'est pas exactement la nôtre. Nous croyons, nous, que l'économie de marché doit être sociale, comme le dit, à juste titre, le Chancelier KOHL avec lequel j'entretiens d'excellentes relations et qui est profondément attaché à la cause de l'Europe et à la solidarité franco-allemande, comme il l'a montré au cours de la récente crise monétaire. J'ajoute que l'économie de marché doit être organisée et qu'il est légitime que les agriculteurs bénéficient de dispositions qui corrigent les mécanismes du marché afin d'obtenir une juste rémunération de leur travail.
La France souhaite un accord sur le GATT, un accord général, englobant, avec l'agriculture, l'industrie, les services et la propriété intellectuelle - tous les domaines dans lesquels nous avons de grands intérêts ; mais nous ne sommes pas disposés pour autant à sacrifier ni notre agriculture, ni celle de l'Europe.
Les négociations vont donc reprendre à Genève, sur l'ensemble des sujets. C'est ce que nous demandions depuis longtemps. Nous ne mettons qu'une condition au succès de la négociation que l'accord soit global et équilibré.
La Commission doit rendre compte au Conseil du projet d'accord conclu avec les États-Unis. Le projet n'est pas un acte juridique communautaire et la Commission est libre de le soumettre ou non au vote du Conseil. Le Gouvernement respecte les règles de procédure, mais ne se laissera pas enfermer par elles. C'est pourquoi il demandera, dès demain, qu'une réunion commune des ministres des Affaires étrangères et des ministres de l'Agriculture se tienne à bref délai. A ce Conseil, la France demandera l'inscription au procès-verbal d'une déclaration, afin d'enregistrer son opposition au projet d'accord actuel.
Sous quelle forme le Conseil devra-t-il approuver ultérieurement le projet d'accord général du GATT ? Faudra-t-il l'unanimité, parce que les dispositions relatives aux services et à la propriété intellectuelle en relèvent ? Ou bien, y aura-t-il vote à la majorité qualifiée, comme le prévoit le traité de Rome pour les affaires agricoles et industrielles ?
Dans le premier cas, notre opposition suffirait. Dans le second, si, à la fin des fins, la position de la France n'est pas entendue et respectée, la France usera de son droit de veto conformément à ce qu'il est convenu d'appeler le compromis de Luxembourg.
Lors du débat de révision constitutionnelle, j'ai rappelé que "la France n'a jamais renoncé et ne renoncera pas au droit de protéger en cas de crise grave ses intérêts fondamentaux".
En plein accord avec le Président de la République, je tiens à faire savoir à la représentation nationale que le Gouvernement est prêt à. invoquer le droit de protéger ses intérêts fondamentaux, à tout moment. C'est le sens de la déclaration que j'ai lue et que le Gouvernement demande à l'Assemblée d'approuver, afin que cette position engage la France.
Mesdames et Messieurs les députés, l'enjeu de la partie dans laquelle nous sommes engagés c'est bien sûr l'intérêt de la France, le sort de son agriculture, que la réforme de la PAC permet d'adapter aux nécessités nouvelles et que l'accord du GATT doit préserver.
C'est aussi l'intérêt de l'Europe. D'abord parce que toute l'agriculture européenne est concernée. Ensuite parce que l'Europe ne saurait être une juxtaposition d'égoïsmes nationaux et doit fortifier ses solidarités. La France a besoin de l'Europe. Mais l'Europe a besoin de la France. Nos partenaires ont toujours pu compter sur la solidarité de la France. Le Royaume-Uni, quand il a demandé et obtenu une compensation financière ; l'Allemagne quand elle a demandé et obtenu un régime dérogatoire pour les provinces de l'Est ; l'Espagne, le Portugal, la Grèce et l'Irlande, lorsqu'ils ont demandé la création d'un fonds de cohésion pour les aider à rattraper leur retard de niveau de vie.
La France est en droit d'attendre de ses amis la solidarité qu'elle ne leur a jamais marchandée.
C'est enfin l'intérêt des relations économiques et commerciales mondiales. Quelque amitié que nous ayons pour les États-Unis, quelque reconnaissance que nous ayons pour cette Nation dont tant de fils moururent pour notre liberté, nous ne pouvons accepter que l'Europe entretienne avec elle un commerce reposant sur des accords inégaux.
C'est pour préserver ces intérêts que je vous demande votre soutien, et à travers vous, celui du peuple français. Je demande à chacun calme et résolution, en premier lieu aux agriculteurs.
Je leur dis : vous avez une juste cause à défendre ; ne la dénaturez pas. Vos exportations d'aujourd'hui et celles de demain risquent d'être compromises par les images de violence qui se diffusent dans le monde entier. Vous êtes parmi nos meilleurs exportateurs, ne vous rendez pas impopulaires. Évitons aussi la fracture entre les agriculteurs et d'autres catégories sociales, comme nous devons éviter un divorce entre la Nation et le Parlement. La France peut montrer aujourd'hui, sur ces bancs, qu'elle est unie et résolue, fidèle à ses racines et préoccupée de son avenir.
(Discours du 26 novembre 1992)
Monsieur le Président, vous m'avez écrit pour demander au Gouvernement un débat au Sénat sur la position de la France dans la négociation internationale du GATT. Je le souhaitais moi aussi. Hier à l'Assemblée Nationale. Aujourd'hui au Sénat.
Je souhaite un tel débat, car il est normal, lorsque les intérêts fondamentaux de la Nation sont en cause, que le Gouvernement recueille l'avis du Parlement.
J'ai demandé hier à l'Assemblée Nationale un vote de cohésion nationale, pour renforcer la position de la France dans une négociation internationale qui s'annonce difficile.
Un vote de cohésion, pas un vote de confiance. La seule possibilité juridique offerte par la Constitution étant un vote sur une déclaration de politique générale, en application de l'article 49 alinéa 1, j'ai demandé à l'Assemblée Nationale un vote sur une déclaration précise énonçant la position de la France dont je me porte garant après le vote émis par une nette majorité de l'Assemblée Nationale.
Le ministre d'État, ministre de l'Éducation Nationale a lu à la tribune du Sénat, conformément à la tradition, mon discours. Vous en connaissez la teneur, les raisons du Gouvernement, ses intentions. Je ne me répéterai donc pas.
Je vous lis à nouveau la déclaration précise, soumise hier au vote de l'Assemblée.
"Conformément à la position adoptée depuis l'ouverture des négociations en septembre 1986, la France souhaite la conclusion d'un accord global et équilibré au GATT, portant à la fois sur l'agriculture, l'industrie, les services et la propriété intellectuelle.
La France considère que le projet d'accord relatif à l'agriculture, conclu le 20 novembre 1992 par les représentants de la Commission, outrepasse le mandat défini par le Conseil le 6 novembre 1990 et aurait des conséquences inacceptables pour l'économie agricole française.
La France demande qu'une réunion commune des Ministres des Affaires étrangères et des Ministres de l'Agriculture de la Communauté se tienne dans les plus brefs délais. Le Gouvernement confirmera, à cette occasion, qu'il opposera son veto à tout projet d'accord contraire aux intérêts fondamentaux de la France".
Quand je dis que ce projet d'accord est inacceptable et ne sera pas accepté, ce sont les intérêts de notre agriculture que je défends.
La première agriculture d'Europe, par le volume et la diversité de sa production, par sa variété géographique et humaine. La deuxième du monde, après celles des États-Unis, par le niveau de ses exportations. Les États-Unis défendent leurs intérêts agricoles, nous défendons les nôtres ; nous acceptons une concurrence loyale dans des conditions comparables.
Nous n'oublions rien de ce que les États-Unis ont apporté à l'Europe en 1917 comme en 1944 mais nous entendons parler à nos alliés et à nos amis avec clarté et fermeté. Nous refusons de sacrifier l'agriculture européenne et française à qui que ce soit. Respecter ses alliés, c'est leur parler le langage de la vérité, et j'aurais aimé qu'en dehors de toute préoccupation électorale et partisane nous fussions unanimes à le tenir.
Mais le regret que j'en ai n'entamera pas ma détermination. Les Français jugeront. Quiconque prétend exercer une activité publique doit d'abord penser à rassembler plutôt qu'à diviser. C'est pourquoi je m'efforcerai de ne rien dire qui puisse alimenter des polémiques que je juge déplorables. S'il me faut répondre à telle ou telle critique dans les jours à venir, je le ferai dans la dignité qu'impose la solidarité de la Nation à ses agriculteurs.
Pour défendre notre agriculture, j'ai demandé aux agriculteurs des efforts avec la réforme de la politique agricole commune, j'ai accompagné cette réforme d'un plan sans précédent que vous détaillera Jean-Pierre SOISSON. Je n'en suis que plus à l'aise pour refuser ce que l'on voudrait nous imposer au nom du libéralisme. J'aime la liberté - y compris en économie - mais pas le libéralisme qui signifie la domination du plus fort au détriment des faibles.
D'ailleurs, ce n'est pas seulement l'intérêt de l'agriculture qui est en cause. C'est la présence sur l'ensemble de notre territoire de toute une activité, industrielle et commerciale dépendant de l'agriculture. C'est l'avenir du monde rural, c'est-à-dire tout un équilibre de la société française.
C'est enfin notre conception de l'Europe. Nous avons tous souhaité, quel que soit notre vote lors du débat de ratification du traité de Maastricht, une Europe plus démocratique, une Europe qui rende compte et justifie ses décisions, une Europe qui respecte la volonté des peuples. La France a besoin de l'Europe, et l'Europe a besoin de la France, de la confiance de la France pour surmonter les difficultés et pour continuer à progresser.
J'ai entendu beaucoup d'appels à la fermeté à l'Assemblée Nationale, où s'est tenu un débat de qualité, ignorant ou voulant ignorer ce qui s'était passé hors de l'enceinte parlementaire. Je déplore que le jeu des partis ait imposé sa règle, au mépris de l'enjeu du débat. La passion de s'opposer au Gouvernement a conduit l'opposition à refuser son soutien à la défense des intérêts fondamentaux de la France dans la négociation du GATT.
A une question claire, à une position ferme du Gouvernement, il a été répondu par l'esquive.
Le bruit des protestations ne peut pas étouffer celui du vote négatif exprimé par l'opposition. Le Gouvernement s'est engagé. L'opposition, à l'Assemblée n'a pas voulu s'engager. Pour ménager l'avenir ? Je l'ignore, et pourtant j'aurais aimé que nos partenaires sachent qu'ils ne pourraient pas compter sur un changement de gouvernement pour assouplir la position de la France. Oui, je m'interroge encore. Pourquoi refuser, lorsque l'avenir de notre agriculture est menacé, un vote que l'on avait accordé lorsque la liberté du Koweït était en cause ?
Des mots excessifs ont été prononcés hier soir à la télévision. Chacun aura à en juger dans peu de temps. Pour ma part je me refuse à miser sur l'échec de la France. Ni maintenant, ni plus tard.
La négociation sera sans doute plus difficile, comme l'ont noté plusieurs responsables des syndicats agricoles. Qu'ils sachent que la résolution du Gouvernement n'en est en rien altérée.
Je sais pouvoir compter, ici, au Sénat, sur le soutien, discret mais réel, d'hommes d'expériences, d'hommes de bonne volonté qui sont trop proches de la vie rurale, trop soucieux de l'intérêt de la France, pour faire passer des intérêts partisans avant celui de notre pays.
Je pense bien sûr au premier d'entre vous. Je suis ici parce qu'il est naturel, sur une question aussi grave, que le débat ait lieu au Sénat comme à l'Assemblée, même s'il n'est pas assorti d'un vote. Mais je suis heureux que ce débat m'offre l'occasion de rendre hommage à votre Président, Monsieur René MONORY. Vous avez déclaré, Monsieur le Président, qu'il fallait "apporter un soutien au Gouvernement pour être fort à Bruxelles". Je vous remercie du vôtre. Vous avez demandé que "le Gouvernement donne des arguments à l'opposition pour qu'elle se joigne à lui". Mes déclarations en témoignent.
Le ministre de l'Agriculture vous exposera l'état de la négociation, les raisons de notre opposition au projet d'accord conclu par deux représentants de la commission et nos intentions pour la suite de la négociation.
Pour ma part, je vous confirme la détermination du Gouvernement à s'opposer à tout projet contraire à nos intérêts fondamentaux et incompatible avec la politique européenne.
Nous userons, s'il le faut, de notre droit de veto. Nos partenaires le savent. Ils en tiendront compte. Certains commencent à s'interroger à voix haute et la Commission a diffusé un rapport, dont je n'accepte ni le contenu ni les conclusions mais qui est déjà plus prudent que ses déclarations initiales.
Quand je dis veto, je dis veto, et il n'y a pas d'argutie qui tienne. Certains à l'Assemblée ont demandé un veto immédiat, sans base juridique, afin d'entraver la poursuite des discussions de la Communauté. Ce serait agir en violation du compromis de Luxembourg, qui reconnaît le droit de bloquer une décision mais pas celui de paralyser la négociation.
Notre objectif est que l'Europe respecte la France, respecte la volonté des peuples. Il n'est pas d'entretenir une querelle byzantine. La France demande à ses partenaires la solidarité qu'elle ne leur a jamais marchandée. Elle est prête à user de son droit de veto, et pas seulement à en invoquer la menace. Elle le fera dans les règles de droit et dans les règles du dialogue européen.
Elle le fera chaque fois que les intérêts vitaux de la France seront en jeu, qu'il s'agisse de l'agriculture, de l'industrie, des services ou de la propriété intellectuelle. Elle le fera dans le souci de parfaire les échanges commerciaux dans le monde, au bénéfice de tous et pas seulement de quelques-uns uns. Elle le fera dans l'intérêt de l'Europe qui est l'avenir que nous partageons avec d'autres, sans exclusive et sans sectarisme, dans le respect de nos identités nationales.
L'Europe est notre avenir. Nous en sommes convaincus. Mais l'avenir n'efface pas le passé. C'est dans le respect de nos identités nationales que nous forgerons la conscience européenne.
Une large majorité s'est exprimée ici pour une Europe, plus proche des citoyens, en osmose avec les Parlements nationaux auxquels ont été reconnus des droits nouveaux. Nous avons tous souhaité, quel que soit notre vote, lors du débat de ratification du traité de Maastricht, que l'Europe soit plus démocratique. Cette exigence, exprimée par le peuple français, nous devons l'assumer dès maintenant.
Le dossier du GATT est l'occasion de montrer que l'Europe est la chose des peuples qui la soutiennent et le bouclier des Nations qui la composent.
Nous sommes aujourd'hui réunis pour débattre d'une question grave qui engage l'intérêt national. Je souhaite que nous le fassions avec dignité, afin de servir ensemble, chacun à notre place, notre pays.
Le Gouvernement a la garde, sous l'autorité du Président de la République, de l'intérêt national. Mais il ne prétend pas être le seul juge. Lorsque les intérêts fondamentaux de la France sont en cause, le Gouvernement a le devoir de consulter le Parlement. Il est important aussi que nos partenaires sachent que la position du Gouvernement est celle de la France et que les prochaines échéances politiques, quel qu'en soit le résultat, ne la modifieront pas.
C'est pourquoi je demande à l'Assemblée Nationale d'approuver, par un vote, la position de la France dans la négociation du GATT. Constitutionnellement, le Gouvernement ne peut le faire qu'en application de l'article 49, alinéa 1er, de la Constitution.
Une autre procédure a été proposée, celle de l'article 88 alinéa 4 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle adoptée par le Congrès en juin dernier.
La Constitution ne le permet pas. Elle réserve expressément cette procédure au vote de résolutions portant sur "les propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature législative". Il n'existe pas aujourd'hui de proposition d'acte communautaire au sujet du GATT.
En tout état de cause, comme l'a observé M. MAZEAUD, la révision du Règlement de l'Assemblée Nationale n'étant pas achevée, la procédure de l'article 88 alinéa 4 ne pourrait pas être utilisée.
Pour ces raisons, le Gouvernement, dans le respect de la Constitution qui s'impose à nous comme à vous, a été conduit à retenir la seule procédure possible, celle de l'article 49 alinéa 1.
Ce vote portera sur une déclaration précise et sur elle seulement. Ceux qui voteront "pour" ne seront en aucun cas présumés soutenir la politique générale du Gouvernement. Je sais ce qui sépare la majorité et l'opposition et je ne demande à personne de renier sa philosophie politique.
Avant de vous lire cette déclaration, je voudrais vous rappeler ce que j'ai dit mercredi dernier : je souhaitais, ce jour-là, et je souhaite toujours un vaste mouvement de cohésion nationale.
C'est pourquoi la tonalité de certaines réactions m'a déçu. Ce n'est pas moi qui demande un vote de confiance, c'est la Nation tout entière. Dans d'autres pays, on sait faire bloc quand on éprouve une difficulté. On oublie, au moins l'espace d'un moment, ce qui divise pour ne retenir que ce qui peut unir.
Je vous le redemande instamment : mettons de coté les polé-miques inutiles. La France est un pays qui compte. Elle n'a pas à choisir entre l'isolement et la soumission. Il suffit qu'elle soit unie, au-delà des différences politiques, normales dans une démocratie, pour obtenir de l'Europe le sursaut qui s'impose.
Voici la déclaration que je vous propose :
"Conformément à la position adoptée depuis l'ouverture des négociations en septembre 1986, la France souhaite la conclusion d'un accord global et équilibré au GATT, portant à la fois sur l'agriculture, l'industrie, les services et la propriété intellectuelle.
La France considère que le projet d'accord relatif à l'agriculture, conclu le 20 novembre 1992 par les représentants de la Commission, outrepasse le mandat défini par le Conseil le 6 novembre 1990 et aurait des conséquences inacceptables pour l'économie agricole française.
La France demande qu'une réunion commune des ministres des Affaires étrangères et des ministres de l'Agriculture de la Communauté se tienne dans les plus brefs délais. Le Gouvernement confirmera, à cette occasion, qu'il opposera son veto à tout projet d'accord contraire aux intérêts fondamentaux de la France".
Tel est le texte que je vous soumets. Je voudrais maintenant le commenter.
Quatrième exportateur mondial de produits manufacturés et deuxième exportateur de services et de produits agricoles, la France a intérêt au développement du commerce mondial et elle recherche un accord au GATT. C'est une position constante, depuis que le Gouvernement dirigé alors que M. Jacques CHIRAC a donné accord, en septembre 1986, à l'ouverture des négociations que l'on appelle communément du cycle de l'Uruguay.
En vertu de l'article 113 du traité de Rome qui définit les compétences en matière commerciale, le Conseil des ministres fixe le mandat de la Commission ; celle-ci négocie ; et, à la fin de la négociation, le Conseil décide.
Que s'est-il passé et où en sommes-nous ?
Les représentants de la Commission, Messieurs les Commissaires ANDRIESSEN et Mac SHARRY, ont conclu le 20 novembre à Washington, avec leurs interlocuteurs américains, un projet d'accord sur le volet agricole de la négociation.
Il n'y a pas juridiquement de projet d'accord, puisque celui-ci se négocie dans le cadre multilatéral du GATT. Mais chacun comprend qu'un compromis euro-américain est de nature à influen-cer la suite de la négociation.
Dès que ce compromis a été rendu public, la France a annoncé qu'elle s'opposerait à tout projet d'accord qui serait bâti sur ces bases. J'ai confirmé cette opposition dans une lettre adressée au Président de la Commission. Pourquoi ?
Si, sur certains aspects de la négociation concernant les oléagineux, il y a eu des progrès, preuve que notre fermeté n'est pas sans résultat, l'ensemble est inacceptable. Je ne rentrerai pas dans les détails et m'en tiendrai à l'essentiel. L'essentiel, c'est l'engagement de réduire de 21 %, en volume, les exportations agricoles subventionnées de la Communauté.
C'est inacceptable, parce que c'est contraire aux intérêts de l'Europe, contraire au mandat de la Commission, contraire à la politique agricole commune.
Les États-Unis sont la première puissance agricole du monde. Ils défendent leurs intérêts. Ils doivent respecter ceux de l'Europe, c'est-à-dire notre liberté de produire, d'exporter, de leur faire concurrence, dans des conditions comparables. L'Europe aide son agriculture, l'Amérique aussi. Nous disons oui au développement des échanges fondé sur la confiance mutuelle et l'intérêt réciproque, oui à une concurrence mieux ordonnée. Nous disons non à un protectionnisme maléfique pour tout le monde. Mais nous disons non aussi à un accord inégal.
Le mandat de négociation a été arrêté par le Conseil, le 6 novembre 1990. Il dit - je cite - que "tout engagement séparé concernant les subventions à l'exportation serait incompatible... avec les principes fondamentaux de la politique agricole commune". Il lie la Commission juridiquement et politiquement.
Enfin, le projet d'accord est incompatible avec la politique agricole commune. Je parle de l'ensemble de la PAC, pas seulement de la partie qui a été réformée au mois de mai, car toutes les productions aidées, y compris nos productions d'Outre-Mer durement touchées par le comportement des multinationales, sont concernées par le projet d'accord.
Je sais que la réforme de la politique agricole commune nous divise. Certains ont dit qu'elle aurait du être négociée dans le GATT. C'eut été discuter de l'agriculture européenne aux conditions des États-Unis. Il était utile, au contraire, que nous puissions nous adosser à cet accord scellé entre les États membres de la Communauté dans nos négociations avec les États-Unis. Il est heureux aujourd'hui que nous puissions l'invoquer pour faire prévaloir notre point de vue en démontrant qu'il est non seulement conforme à l'intérêt de l'Europe mais aussi conforme à ce que nous avons fait ensemble à douze.
Pour ma part, je refuse de faire croire aux Français qu'on peut préparer l'avenir sans efforts. Et je suis aussi résolu aujourd'hui à défendre les intérêts vitaux de l'agriculture française que je l'étais il y a six mois à demander aux agriculteurs de consentir les efforts qui leur permettront d'être demain plus compétitifs.
Quoi qu'il en soit, je ne demande pas à ceux qui ont condamné la réforme hier de l'approuver aujourd'hui. La Commission et nos partenaires reconnaissent que l'accord du GATT doit être compatible avec les règles de la PAC. Certains affirment que cette compatibilité est assurée. D'autres savent que ce n'est pas le cas. Nous obtiendrons un débat sur ce point, qui est notre meilleur argument de négociation.
Nous savons que, dans les règles actuelles, la réduction en volume des exportations conduirait inéluctablement à une mise en jachère permanente d'une partie importante des terres agricoles de l'Europe. Nous avons du accepter cette année une jachère temporaire, afin de résorber des stocks exceptionnels de céréales que nous n'arrivons pas à écouler à l'exportation, ni dans l'alimentation de bétail à cause des concessions faites aux États-Unis en 1962 et 1967, dont les produits de substitution aux céréales entrent sans payer de taxe dans la CEE. Mais nous avons subordonné cet accord à la garantie que l'Europe garderait sa liberté d'exporter et que la jachère pourrait être révisée à la baisse lorsque les stocks seront revenus à un niveau supportable.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Nous allons poursuivre la négociation. Elle sera difficile. Je souhaite qu'elle aille vite. Il n'est pas vrai que la France soit isolée. Certes, plusieurs gouvernements sont animés par une philosophie libérale ou conservatrice qui les conduit à privilégier une conception de l'économie de marché qui n'est pas exactement la nôtre. Nous croyons, nous, que l'économie de marché doit être sociale, comme le dit, à juste titre, le Chancelier KOHL avec lequel j'entretiens d'excellentes relations et qui est profondément attaché à la cause de l'Europe et à la solidarité franco-allemande, comme il l'a montré au cours de la récente crise monétaire. J'ajoute que l'économie de marché doit être organisée et qu'il est légitime que les agriculteurs bénéficient de dispositions qui corrigent les mécanismes du marché afin d'obtenir une juste rémunération de leur travail.
La France souhaite un accord sur le GATT, un accord général, englobant, avec l'agriculture, l'industrie, les services et la propriété intellectuelle - tous les domaines dans lesquels nous avons de grands intérêts ; mais nous ne sommes pas disposés pour autant à sacrifier ni notre agriculture, ni celle de l'Europe.
Les négociations vont donc reprendre à Genève, sur l'ensemble des sujets. C'est ce que nous demandions depuis longtemps. Nous ne mettons qu'une condition au succès de la négociation que l'accord soit global et équilibré.
La Commission doit rendre compte au Conseil du projet d'accord conclu avec les États-Unis. Le projet n'est pas un acte juridique communautaire et la Commission est libre de le soumettre ou non au vote du Conseil. Le Gouvernement respecte les règles de procédure, mais ne se laissera pas enfermer par elles. C'est pourquoi il demandera, dès demain, qu'une réunion commune des ministres des Affaires étrangères et des ministres de l'Agriculture se tienne à bref délai. A ce Conseil, la France demandera l'inscription au procès-verbal d'une déclaration, afin d'enregistrer son opposition au projet d'accord actuel.
Sous quelle forme le Conseil devra-t-il approuver ultérieurement le projet d'accord général du GATT ? Faudra-t-il l'unanimité, parce que les dispositions relatives aux services et à la propriété intellectuelle en relèvent ? Ou bien, y aura-t-il vote à la majorité qualifiée, comme le prévoit le traité de Rome pour les affaires agricoles et industrielles ?
Dans le premier cas, notre opposition suffirait. Dans le second, si, à la fin des fins, la position de la France n'est pas entendue et respectée, la France usera de son droit de veto conformément à ce qu'il est convenu d'appeler le compromis de Luxembourg.
Lors du débat de révision constitutionnelle, j'ai rappelé que "la France n'a jamais renoncé et ne renoncera pas au droit de protéger en cas de crise grave ses intérêts fondamentaux".
En plein accord avec le Président de la République, je tiens à faire savoir à la représentation nationale que le Gouvernement est prêt à. invoquer le droit de protéger ses intérêts fondamentaux, à tout moment. C'est le sens de la déclaration que j'ai lue et que le Gouvernement demande à l'Assemblée d'approuver, afin que cette position engage la France.
Mesdames et Messieurs les députés, l'enjeu de la partie dans laquelle nous sommes engagés c'est bien sûr l'intérêt de la France, le sort de son agriculture, que la réforme de la PAC permet d'adapter aux nécessités nouvelles et que l'accord du GATT doit préserver.
C'est aussi l'intérêt de l'Europe. D'abord parce que toute l'agriculture européenne est concernée. Ensuite parce que l'Europe ne saurait être une juxtaposition d'égoïsmes nationaux et doit fortifier ses solidarités. La France a besoin de l'Europe. Mais l'Europe a besoin de la France. Nos partenaires ont toujours pu compter sur la solidarité de la France. Le Royaume-Uni, quand il a demandé et obtenu une compensation financière ; l'Allemagne quand elle a demandé et obtenu un régime dérogatoire pour les provinces de l'Est ; l'Espagne, le Portugal, la Grèce et l'Irlande, lorsqu'ils ont demandé la création d'un fonds de cohésion pour les aider à rattraper leur retard de niveau de vie.
La France est en droit d'attendre de ses amis la solidarité qu'elle ne leur a jamais marchandée.
C'est enfin l'intérêt des relations économiques et commerciales mondiales. Quelque amitié que nous ayons pour les États-Unis, quelque reconnaissance que nous ayons pour cette Nation dont tant de fils moururent pour notre liberté, nous ne pouvons accepter que l'Europe entretienne avec elle un commerce reposant sur des accords inégaux.
C'est pour préserver ces intérêts que je vous demande votre soutien, et à travers vous, celui du peuple français. Je demande à chacun calme et résolution, en premier lieu aux agriculteurs.
Je leur dis : vous avez une juste cause à défendre ; ne la dénaturez pas. Vos exportations d'aujourd'hui et celles de demain risquent d'être compromises par les images de violence qui se diffusent dans le monde entier. Vous êtes parmi nos meilleurs exportateurs, ne vous rendez pas impopulaires. Évitons aussi la fracture entre les agriculteurs et d'autres catégories sociales, comme nous devons éviter un divorce entre la Nation et le Parlement. La France peut montrer aujourd'hui, sur ces bancs, qu'elle est unie et résolue, fidèle à ses racines et préoccupée de son avenir.
(Discours du 26 novembre 1992)
Monsieur le Président, vous m'avez écrit pour demander au Gouvernement un débat au Sénat sur la position de la France dans la négociation internationale du GATT. Je le souhaitais moi aussi. Hier à l'Assemblée Nationale. Aujourd'hui au Sénat.
Je souhaite un tel débat, car il est normal, lorsque les intérêts fondamentaux de la Nation sont en cause, que le Gouvernement recueille l'avis du Parlement.
J'ai demandé hier à l'Assemblée Nationale un vote de cohésion nationale, pour renforcer la position de la France dans une négociation internationale qui s'annonce difficile.
Un vote de cohésion, pas un vote de confiance. La seule possibilité juridique offerte par la Constitution étant un vote sur une déclaration de politique générale, en application de l'article 49 alinéa 1, j'ai demandé à l'Assemblée Nationale un vote sur une déclaration précise énonçant la position de la France dont je me porte garant après le vote émis par une nette majorité de l'Assemblée Nationale.
Le ministre d'État, ministre de l'Éducation Nationale a lu à la tribune du Sénat, conformément à la tradition, mon discours. Vous en connaissez la teneur, les raisons du Gouvernement, ses intentions. Je ne me répéterai donc pas.
Je vous lis à nouveau la déclaration précise, soumise hier au vote de l'Assemblée.
"Conformément à la position adoptée depuis l'ouverture des négociations en septembre 1986, la France souhaite la conclusion d'un accord global et équilibré au GATT, portant à la fois sur l'agriculture, l'industrie, les services et la propriété intellectuelle.
La France considère que le projet d'accord relatif à l'agriculture, conclu le 20 novembre 1992 par les représentants de la Commission, outrepasse le mandat défini par le Conseil le 6 novembre 1990 et aurait des conséquences inacceptables pour l'économie agricole française.
La France demande qu'une réunion commune des Ministres des Affaires étrangères et des Ministres de l'Agriculture de la Communauté se tienne dans les plus brefs délais. Le Gouvernement confirmera, à cette occasion, qu'il opposera son veto à tout projet d'accord contraire aux intérêts fondamentaux de la France".
Quand je dis que ce projet d'accord est inacceptable et ne sera pas accepté, ce sont les intérêts de notre agriculture que je défends.
La première agriculture d'Europe, par le volume et la diversité de sa production, par sa variété géographique et humaine. La deuxième du monde, après celles des États-Unis, par le niveau de ses exportations. Les États-Unis défendent leurs intérêts agricoles, nous défendons les nôtres ; nous acceptons une concurrence loyale dans des conditions comparables.
Nous n'oublions rien de ce que les États-Unis ont apporté à l'Europe en 1917 comme en 1944 mais nous entendons parler à nos alliés et à nos amis avec clarté et fermeté. Nous refusons de sacrifier l'agriculture européenne et française à qui que ce soit. Respecter ses alliés, c'est leur parler le langage de la vérité, et j'aurais aimé qu'en dehors de toute préoccupation électorale et partisane nous fussions unanimes à le tenir.
Mais le regret que j'en ai n'entamera pas ma détermination. Les Français jugeront. Quiconque prétend exercer une activité publique doit d'abord penser à rassembler plutôt qu'à diviser. C'est pourquoi je m'efforcerai de ne rien dire qui puisse alimenter des polémiques que je juge déplorables. S'il me faut répondre à telle ou telle critique dans les jours à venir, je le ferai dans la dignité qu'impose la solidarité de la Nation à ses agriculteurs.
Pour défendre notre agriculture, j'ai demandé aux agriculteurs des efforts avec la réforme de la politique agricole commune, j'ai accompagné cette réforme d'un plan sans précédent que vous détaillera Jean-Pierre SOISSON. Je n'en suis que plus à l'aise pour refuser ce que l'on voudrait nous imposer au nom du libéralisme. J'aime la liberté - y compris en économie - mais pas le libéralisme qui signifie la domination du plus fort au détriment des faibles.
D'ailleurs, ce n'est pas seulement l'intérêt de l'agriculture qui est en cause. C'est la présence sur l'ensemble de notre territoire de toute une activité, industrielle et commerciale dépendant de l'agriculture. C'est l'avenir du monde rural, c'est-à-dire tout un équilibre de la société française.
C'est enfin notre conception de l'Europe. Nous avons tous souhaité, quel que soit notre vote lors du débat de ratification du traité de Maastricht, une Europe plus démocratique, une Europe qui rende compte et justifie ses décisions, une Europe qui respecte la volonté des peuples. La France a besoin de l'Europe, et l'Europe a besoin de la France, de la confiance de la France pour surmonter les difficultés et pour continuer à progresser.
J'ai entendu beaucoup d'appels à la fermeté à l'Assemblée Nationale, où s'est tenu un débat de qualité, ignorant ou voulant ignorer ce qui s'était passé hors de l'enceinte parlementaire. Je déplore que le jeu des partis ait imposé sa règle, au mépris de l'enjeu du débat. La passion de s'opposer au Gouvernement a conduit l'opposition à refuser son soutien à la défense des intérêts fondamentaux de la France dans la négociation du GATT.
A une question claire, à une position ferme du Gouvernement, il a été répondu par l'esquive.
Le bruit des protestations ne peut pas étouffer celui du vote négatif exprimé par l'opposition. Le Gouvernement s'est engagé. L'opposition, à l'Assemblée n'a pas voulu s'engager. Pour ménager l'avenir ? Je l'ignore, et pourtant j'aurais aimé que nos partenaires sachent qu'ils ne pourraient pas compter sur un changement de gouvernement pour assouplir la position de la France. Oui, je m'interroge encore. Pourquoi refuser, lorsque l'avenir de notre agriculture est menacé, un vote que l'on avait accordé lorsque la liberté du Koweït était en cause ?
Des mots excessifs ont été prononcés hier soir à la télévision. Chacun aura à en juger dans peu de temps. Pour ma part je me refuse à miser sur l'échec de la France. Ni maintenant, ni plus tard.
La négociation sera sans doute plus difficile, comme l'ont noté plusieurs responsables des syndicats agricoles. Qu'ils sachent que la résolution du Gouvernement n'en est en rien altérée.
Je sais pouvoir compter, ici, au Sénat, sur le soutien, discret mais réel, d'hommes d'expériences, d'hommes de bonne volonté qui sont trop proches de la vie rurale, trop soucieux de l'intérêt de la France, pour faire passer des intérêts partisans avant celui de notre pays.
Je pense bien sûr au premier d'entre vous. Je suis ici parce qu'il est naturel, sur une question aussi grave, que le débat ait lieu au Sénat comme à l'Assemblée, même s'il n'est pas assorti d'un vote. Mais je suis heureux que ce débat m'offre l'occasion de rendre hommage à votre Président, Monsieur René MONORY. Vous avez déclaré, Monsieur le Président, qu'il fallait "apporter un soutien au Gouvernement pour être fort à Bruxelles". Je vous remercie du vôtre. Vous avez demandé que "le Gouvernement donne des arguments à l'opposition pour qu'elle se joigne à lui". Mes déclarations en témoignent.
Le ministre de l'Agriculture vous exposera l'état de la négociation, les raisons de notre opposition au projet d'accord conclu par deux représentants de la commission et nos intentions pour la suite de la négociation.
Pour ma part, je vous confirme la détermination du Gouvernement à s'opposer à tout projet contraire à nos intérêts fondamentaux et incompatible avec la politique européenne.
Nous userons, s'il le faut, de notre droit de veto. Nos partenaires le savent. Ils en tiendront compte. Certains commencent à s'interroger à voix haute et la Commission a diffusé un rapport, dont je n'accepte ni le contenu ni les conclusions mais qui est déjà plus prudent que ses déclarations initiales.
Quand je dis veto, je dis veto, et il n'y a pas d'argutie qui tienne. Certains à l'Assemblée ont demandé un veto immédiat, sans base juridique, afin d'entraver la poursuite des discussions de la Communauté. Ce serait agir en violation du compromis de Luxembourg, qui reconnaît le droit de bloquer une décision mais pas celui de paralyser la négociation.
Notre objectif est que l'Europe respecte la France, respecte la volonté des peuples. Il n'est pas d'entretenir une querelle byzantine. La France demande à ses partenaires la solidarité qu'elle ne leur a jamais marchandée. Elle est prête à user de son droit de veto, et pas seulement à en invoquer la menace. Elle le fera dans les règles de droit et dans les règles du dialogue européen.
Elle le fera chaque fois que les intérêts vitaux de la France seront en jeu, qu'il s'agisse de l'agriculture, de l'industrie, des services ou de la propriété intellectuelle. Elle le fera dans le souci de parfaire les échanges commerciaux dans le monde, au bénéfice de tous et pas seulement de quelques-uns uns. Elle le fera dans l'intérêt de l'Europe qui est l'avenir que nous partageons avec d'autres, sans exclusive et sans sectarisme, dans le respect de nos identités nationales.